CA Amiens, 1re ch. sect. 1, 19 avril 2013, n° 12-01071
AMIENS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Collinet (Epoux)
Défendeur :
Palais de l'Automobile (Sté), Renault (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Civalero
Conseillers :
Mmes Piet, Lorphelin
Avocats :
Mes Plateau, Fliniaux, André, Guyot, Cabinet Bellaiche, Cabinet Guennec
Les époux Collinet, qui ont acquis le 9 Juin 2006 de la société Sacli devenue société Palais de l'Automobile, concessionnaire Renault à Senlis (60) un véhicule Renault Espace, immatriculé 804 AJK 60, affichant un kilométrage de 68 453 kms, au prix de 13 026 euros, ont déploré dès les premiers mois d'utilisation, divers désordres dont ils se sont plaints à leur vendeur.
C'est ainsi que dans le cadre de la garantie contractuelle, plusieurs interventions ont été réalisées, qui ont été successivement répertoriées en ces termes :
- Le 04/07/06 : autoradio et fonctionnement du moteur ;
- Le 19/07/06 : fuite de carburant et problème de compteur et passage de vitesse de la boîte automatique ;
- Le 06/09/06 : fuite de carburant et perte de puissance ;
- Le 10/11/06 : perte de puissance et passage des vitesses ;
- Le 12/12/06 : divers bruits, voyant injection, divers odeurs de carburants et brûlé et indication de carburant erroné ;
Inquiets des dysfonctionnements qui ont successivement affecté le véhicule, les époux Collinet ont sollicité une expertise amiable, de leur assurance, La Macif, puis, l'intervention à deux reprises du cabinet d'expertise Beaugerex mandaté par la compagnie d'assurance n'ayant pas permis le règlement amiable du litige, les acquéreurs ont saisi le Tribunal de grande instance de Senlis, à titre principal, d'une action rédhibitoire, et subsidiairement estimatoire, sollicitant en outre l'indemnisation de divers préjudices annexes, action dirigée contre la société Palais de l'Automobile qui a appelé en garantie la société SAS Renault.
Par le jugement critiqué du 21 février 2012, auquel il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des faits, le Tribunal de grande instance de Senlis a retenu que le défaut constaté par l'expert judiciaire sur la boîte de vitesse est constitutif d'un vice caché mais a débouté les époux Collinet de leur demande en résolution, condamné la société Palais de l'Automobile à verser aux demandeurs la somme de 4 446,61 euros au titre de la réfaction du prix de vente, assorti sa décision de l'exécution provisoire, les époux Collinet étant déboutés du surplus de leurs demandes d'indemnisation mais se voyant allouer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et la société SA Renault étant quant à elle condamnée à garantir la défenderesse principale de l'ensemble des condamnations ainsi mises sa charge.
Les époux Collinet qui ont interjeté appel de cette décision, sollicitent :
- à titre principal, la résolution de la vente et la condamnation de la société Palais de l'Automobile à restituer le prix de 13 026 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2006 et à leur régler une somme de 20 481,60 euros au titre de l'immobilisation du véhicule, somme arrêtée au 31 décembre 2012, l'indemnité journalière à compter de cette date étant en outre fixée à 12,55 euros,
- à titre subsidiaire, la réduction du prix de vente et l'allocation d'une somme de 4 448,61 euros, les mêmes que sus-spécifiées étant allouées au titre de l'immobilisation du véhicule,
- en tout état de cause, la condamnation de Renault SAS, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, au versement d'une somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, ainsi que la condamnation solidaire des défenderesses aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du CPC.
La société Palais de l'Automobile, qui fonde ses prétentions sur les articles 1641 et 1382 du Code civil, demande en réplique :
- à titre principal, l'infirmation du jugement rendu le 21 février 2012 et la condamnation des appelants, qui n'ont pas fait la démonstration du vice caché qu'ils invoquent, au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, après constatation que le défaut affectant le véhicule ne l'a pas rendu impropre à son usage, la confirmation de cette décision, notamment en ce qu'elle a limité à la somme de 4 448,61 euros, au titre de la réduction du prix, le montant de l'indemnité allouée et a débouté les demandeurs de leurs réclamations présentées pour l'indemnisation des préjudices annexes, notamment celle relative à la réparation du préjudice de jouissance, ces préjudices selon l'intimée n'étant pas établis ni en toute hypothèse imputables au garage.
La société Palais de l'Automobile sollicite la confirmation du jugement qui a fait droit à son appel en garantie dirigé contre la SAS Renault et demande la condamnation de tout succombant à lui régler la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Palais de l'Automobile demande, enfin, que soit évalué à de plus justes proportions l'indemnisation du préjudice de jouissance des époux Collinet et que soit retenue l'obligation de la SAS Renault à la relever de toute condamnation prononcée au profit des époux Collinet, en ce compris la restitution du prix de vente, offrant de restituer le véhicule.
La société SAS Renault demande, elle aussi, à la cour d'infirmer le jugement en ce que le tribunal a retenu l'existence d'un vice caché et, par ailleurs, son obligation à relever et garantir le garage Palais de l'Automobile des condamnations prononcées au profit des époux Collinet, sollicitant, en conséquence sa mise hors de cause et la condamnation des appelants au paiement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Subsidiairement, la SAS Renault demande la confirmation du jugement et la condamnation de tout succombant à lui régler la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la demande en résolution de la vente
Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminue tellement sa valeur que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.
Si - ainsi que le relèvent exactement tant la société Palais de l'Automobile que la société Renault SAS - l'expert ne reçoit mission que de fournir un avis technique et non de donner aux faits une qualification juridique, il apparaît à la lecture de son rapport que l'expert Touze a précisément fourni ces éléments techniques permettant à la cour de se prononcer.
Il résulte, en effet, des termes de ce rapport (p. 20) "que des analyses physiquo-chimiques et spectrométriques du lubrifiant prélevé en échantillon dans la boîte de vitesse du véhicule litigieux ont mis en évidence une présence importante de particules métalliques... et que ce résultat traduit l'expression d'une usure prématurée... (p. 21) que l'anomalie décelée au niveau de la boîte de vitesse automatique est de nature à compromettre l'usage du véhicule et à présenter à plus ou moins court terme un danger pour le véhicule en circulation.
La présence de limaille dans le lubrifiant de la boîte de vitesse est un phénomène récurrent. Il est le symptôme de la dégradation irréversible de cet organe... les désordres affectant la boîte rendent le véhicule impropre à son usage" et provoquent (p. 22) "un dysfonctionnement sporadique".
Le technicien précise que "les désordres ne résultent ni d'un défaut de maintenance ni d'un défaut d'entretien antérieur à l'acquisition du véhicule" avant de conclure que "ces désordres affectant la boîte de vitesse relevaient d'un vice intrinsèque qui existait à l'état de germe au moment de l'achat du véhicule par les époux Collinet, lesquels ne pouvaient alors le déceler".
Ces constatations techniques, auxquelles ni le garage Palais de l'Automobile ni la SAS Renault n'apportent de contradiction étayée, conduisent à retenir que le défaut affectant le véhicule litigieux correspond très exactement à la définition d'un vice caché telle que sus-rappelée.
En l'état des caractéristiques du dysfonctionnement relevé par l'expert, l'intimée n'est pas fondée à soutenir que le véhicule ayant été acheté d'occasion, son altération n'aurait pas constitué un vice caché ou que ce véhicule n'aurait présenté qu'un moindre agrément.
Si l'expert ne précise pas la nature du danger susceptible d'être encouru par l'utilisateur du véhicule, c'est avec pertinence que les appelants relèvent qu'un dysfonctionnement de la boîte de vitesse, alors que le véhicule est en circulation, présente nécessairement un risque dont la réalité ne peut être contestée au seul motif qu'aucun sinistre n'est survenu pendant la période d'utilisation du véhicule.
Et c'est également en vain que l'intimée tente de mettre en exergue le caractère sporadique des dysfonctionnements de la boîte de vitesse et le fait que les acquéreurs ont continué un temps à utiliser le véhicule, la constatation d'un vice caché ne supposant pas nécessairement que le véhicule soit immobilisé par une panne, le vice - qui a été, en la cause, établi - ayant pour effet de faire peser à tout instant une incertitude sur l'usage du bien acquis et rendant, de ce fait, la chose impropre à son usage normal.
L'article 1644 du Code civil précise, par ailleurs, que l'acquéreur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts.
Du libellé de ce texte il résulte que la constatation d'un vice caché ouvre à l'acquéreur, seul, une option et qu'il ne peut lui être imposé une réparation ou un remboursement partiel du prix.
Les articulations relatives à l'absence d'atteinte au moteur induite par le dysfonctionnement de la boîte de vitesse, relevée par l'expert et dont se prévalent l'intimée comme l'appelée en garantie, pour tenter de faire échec à l'action rédhibitoire au profit de l'action estimatoire, sont, en conséquence, sans portée.
La cour ordonnera, dès lors, la résolution de la vente ainsi que le demandent les époux Collinet, le jugement étant réformé sur ce point, la société Palais de l'Automobile à disposition de laquelle ils mettront le véhicule étant tenue de leur restituer le prix.
Sur l'indemnité d'immobilisation, les intérêts, les dommages intérêts complémentaires
En application de l'article 1645 du Code civil, le vendeur professionnel comme le fabricant, sont tenus, outre la restitution du prix, de tous dommages et intérêts à l'égard du non professionnel, acquéreur d'une chose affectée d'un vice caché.
Les appelants sont en conséquence en droit d'obtenir réparation de leur préjudice consécutif à l'immobilisation du véhicule, la société Palais de l'Automobile et Renault n'étant pas fondées à soutenir, en l'état du caractère aléatoire du fonctionnement du véhicule, que cette immobilisation relevait de la seule décision des acquéreurs, lesquels se trouvaient parfaitement légitimes à ne pas s'exposer aux désagréments d'une panne soudaine, voire au danger induit par un dysfonctionnement de la boîte de vitesse alors que le véhicule se trouvait en circulation.
Les appelants ne peuvent prétendre obtenir réparation de cette immobilisation qu'à compter d'octobre 2008, période à laquelle le véhicule a été effectivement immobilisé (p. 24 du rapport d'expertise) et non à compter de la date d'achat ainsi que le demandent les époux Collinet.
Les acquéreurs dont le véhicule n'était plus évalué à cette date qu'à la somme de 8 500 euros (p 24 du rapport d'expertise) se verront allouer, de ce chef, une indemnité de 100 euros par mois jusqu'à la date du présent arrêt, somme que la cour estime représenter une juste indemnisation de leur préjudice, soit pour 55 mois à la date du présent arrêt, une somme totale de 5 500 euros.
Cette somme sera assortie d'intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt, à l'exclusion de toute autre que réclament les appelants. Il n'y a pas lieu d'allouer, en effet, une somme journalière à compter du présent arrêt au titre de l'immobilisation, les intérêts au taux légal assortissant la somme sus-accordée compensant l'éventuel retard de l'intimée à restituer le prix.
Par ailleurs, en l'état de l'allocation de cette indemnité d'immobilisation, les appelants ne sont pas fondés à solliciter que la restitution du prix soit, en outre, assortie d'intérêts au taux légal, à une date antérieure au présent arrêt lesquels constitueraient une double indemnisation du même préjudice.
Les appelants qui ne rapportent pas la preuve d'un préjudice distinct que ceux ci-dessus indemnisés seront déboutés de leur réclamation présentée au titre de la réparation du préjudice moral dirigée contre la SAS Renault.
Sur l'appel en garantie
En premier lieu, l'offre - selon elle pleinement satisfactoire - formulée par la SAS Renault en cours d'opérations d'expertise à prendre en charge à hauteur de 70 % le coût de remplacement de la boîte de vitesse défectueuse ne saurait être utilement opposée à l'appel en garantie du garage revendeur.
De même, l'argumentation développée par la SAS Renault relative au fait que les garages du réseau Renault ne constituent pas des établissements secondaires est sans portée en l'état du fondement juridique invoqué au soutien de l'appel en garantie, à savoir la garantie des vices cachés.
En effet, l'expertise a permis d'établir que le vice caché affectant la boite de vitesse - décrit dans les motifs qui précèdent - relevait non pas de la vétusté ou de l'usure mais d'un vice intrinsèque à la chose dont la nature démontre qu'il préexistait tout à la fois à la vente par le garage Sacli (actuellement Palais de l'Automobile) aux époux Collinet et par Renault au premier de ses acquéreurs.
Ce vice dont les manifestations étaient intermittentes et que seule une expertise, appuyée sur une analyse chimique, a permis d'établir, était, de surcroît, indécelable lors de l'achat du véhicule, y compris par un professionnel de même spécialité.
C'est donc en vain que la SAS Renault, alors que le droit du premier acquéreur d'obtenir du fabricant, réputé le connaître, la garantie de ce vice caché, a été transmis à tous les acquéreurs successifs, tente de résister à la demande du garage Palais de l'Automobile, ce sous-acquéreur étant fondé à réclamer la résolution de la vente et la réparation de l'ensemble des préjudices qu'il subit.
Et le garage Palais de l'Automobile, que l'action en résolution des époux Collinet, conséquence du vice caché, prive de sa marge bénéficiaire, et qui a dû supporter, en outre, le coût des diverses tentatives de réparation du véhicule, est en droit, contrairement aux prétentions de la SAS Renault, d'obtenir d'elle la réparation de ce préjudice, à titre de dommages intérêts, sous la forme d'une condamnation à relever cet intimé de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre au profit des appelants, en ce compris le prix de vente du véhicule - que le garage est lui-même condamné à restituer aux époux Collinet - et qui comprend cette marge bénéficiaire.
Le garage Palais de l'Automobile sera toutefois tenu, ainsi qu'il l'offre d'ailleurs, de mettre à disposition de la SAS Renault le véhicule que lui auront restitué les époux Collinet.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
La société Palais de l'Automobile qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel, en ceux compris les frais d'expertise, une somme de 4 000 euros étant allouée aux appelants en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et la SAS Renault étant condamnée à relever et garantir de ces condamnations l'intimée, mais seulement à concurrence de moitié, celle-ci, qui a résisté aux légitimes réclamations de ses acquéreurs, ayant concouru à la perpétuation du litige.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe, Infirme le jugement rendu le 21 février 2012 par le tribunal de grande instance de Senlis, en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Prononce la résolution de la vente du véhicule Renault Espace, immatriculé 804 AJK 60 consentie par la société Sacli, actuellement société Palais de l'Automobile aux époux Collinet ; Condamne, en conséquence, la société Palais de l'Automobile à restituer aux époux Collinet la somme de 13 026 euros en remboursement du prix ; Condamne la société Palais de l'Automobile à payer aux époux Collinet la somme de 5 500 euros à titre d'indemnité d'immobilisation ; Dit que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Dit que les époux Collinet devront mettre le véhicule à disposition de la société Palais de l'Automobile, qui devra le reprendre en charge à ses frais ; Déboute les époux Collinet de toute autre demande ; Dit que la SAS Renault devra relever et garantir la société Palais de l'Automobile de l'intégralité des sommes allouées aux époux Collinet, autres que celle fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que la société Palais de l'Automobile devra mettre le véhicule à disposition de la SAS Renault, qui devra le reprendre en charge à ses frais ; Condamne la société Palais de l'Automobile aux dépens de première instance et d'appel, en ceux compris les frais d'expertise, et à d'une somme de 4 000 euros aux époux Collinet en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que la SAS Renault devra relever et garantir à concurrence de moitié la société Palais de l'Automobile des condamnations prononcées du chef des dépens et de l'article 700 du Code de procédure civile ; Autorise la SCP Millon Plateau, avocats, à recouvrer directement contre la société Palais de l'Automobile les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Autorise Maître Dominique André, avocat, à recouvrer directement contre la société Renault, mais à hauteur de moitié seulement, les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.