Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 30 mai 2013, n° 12-01610

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Trolle

Défendeur :

Duflot Equipements (SA), CNH France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Parenty

Conseillers :

M. Brunel, Mme Delattre

Avocats :

Mes Deleforge, Vasseur, Laforce, Duhamel, Congos, Mutelet

T. com. Boulogne-sur-Mer, du 21 déc. 201…

21 décembre 2011

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en date du 21 décembre 2011 qui, saisi par M. Trolle d'une action en résolution de la vente par la société Duflot Equipements d'un tracteur Case 120 auquel il impute l'existence d'un vice caché, a estimé que le tracteur était effectivement affecté d'un vice caché relatif au dysfonctionnement de la boîte de vitesses mais que sa réparation était envisageable de telle sorte qu'il n'avait pas lieu à annulation de la vente, la société Duflot Equipements étant condamnée à payer à M. Trolle la somme de 5 712,30 euro, l'action en garantie de la société Duflot Equipements à l'égard de la société CNH France étant quant à elle rejetée, le vice caché n'étant pas un vice de fabrication mais résultant d'une réparation défectueuse ;

Vu la déclaration d'appel de M. Trolle en date du 15 mars 2012 ;

Vu les dernières conclusions de M. Trolle en date du 8 janvier 2013 visant à la réformation du jugement ; il demande l'annulation de l'expertise judiciaire au motif que l'expert n'aurait pas prêté serment ; il conteste les conclusions de l'expertise et conclut à la nécessité de désigner un nouvel expert ; estimant que le vice affectant la boîte de vitesses est imputable à un défaut de fabrication, il demande la résolution de la vente et la condamnation de la société Duflot Equipements à lui rembourser la somme de 35 000 euro hors-taxes au titre du prix d'achat ainsi que la condamnation solidaire de cette société et de la société CNH France à lui payer 130 580,98 euro à titre de dommages-intérêts ;

Vu les dernières conclusions de la société Duflot Equipements en date du 23 janvier 2013 demandant la réformation du jugement en ce qu'il avait conclu à l'existence d'un vice caché et l'avait condamné à payer à M. Trolle la somme de 5 712,30 euro ; elle conteste la demande d'annulation des opérations d'expertise, le défaut de prestation de serment de l'expert n'étant pas établi et constituant un vice de forme ne pouvant en l'espèce, faute de grief, entraîner une annulation ; elle conteste l'existence d'un vice caché et soutient que, n'ayant pas eu connaissance préalable de la réparation défectueuse effectuée sur le tracteur, elle ne peut en application de l'article 1643 du Code civil se voir imposer la résolution de la vente ou une indemnisation ; elle estime que M. Trolle a fait une mauvaise utilisation du tracteur et s'oppose à toute nouvelle mesure d'expertise ; à titre subsidiaire, elle demande à être garantie par la société CNH France et demande la condamnation de M. Trolle à lui payer 17 750 euro en réparation du préjudice résultant des conditions de la reprise, lors de la vente, du tracteur appartenant à M. Trolle ; elle conteste l'évaluation faite par M. Trolle de son préjudice qui résulte selon elle de sa propre attitude notamment en ce qu'il a refusé la proposition qu'elle lui avait faite de mise à disposition gratuite d'un tracteur pendant la durée des travaux de réparation ;

Vu les dernières conclusions de la société CNH France en date du 18 mars 2013 demandant la confirmation du jugement et le rejet des demandes de M. Trolle et de la société Duflot Equipements ; elle considère que les opérations d'expertise judiciaire sont régulières, aucun élément ne permettant de douter de la prestation de serment de l'expert ; elle s'oppose à ce qu'une nouvelle mesure d'expertise soit ordonnée ; elle estime qu'aucun vice de fabrication n'est établi, le tracteur n'ayant subi aucune avarie pendant la période de garantie contractuelle et la défaillance étant imputable à une mauvaise utilisation du tracteur par ses premiers propriétaires et par une mauvaise réparation ;

Vu l'ordonnance de clôture du 28 mars 2013 ;

SUR CE

Attendu que les circonstances de fait ont été complètement et exactement énoncées dans le jugement déféré auquel la cour entend en conséquence renvoyer à ce titre ; qu'il sera seulement rappelé que M. Trolle a acquis un tracteur d'occasion Case auprès de la société Duflot Equipements le 23 février 2007 pour 35 000 euro hors-taxes ; que, M. Trolle, se plaignant d'un dysfonctionnement de la boîte de vitesses, la société Duflot Equipements a procédé à une intervention le 28 mai 2007 ; que M. Trolle a demandé à Duflot Equipements la prise en charge des réparations compte tenu selon lui, de l'existence d'un vice caché ; que par lettre du 18 juin 2007 Duflot Equipements, estimant que le dysfonctionnement relevait d'une usure de la boîte de vitesses, a proposé de prendre à sa charge 50 % du montant des réparations soit 2 188,87 euro ; que, M. Trolle a refusé cette proposition ; qu'une expertise a été organisée sous l'égide de la société Groupama, assureur de M. Trolle; que la société Duflot Equipements a alors proposé de prendre en charge la totalité des travaux de réparation ; que l'expert mandaté par Groupama a conclu à l'existence d'un vice caché en indiquant toutefois qu'il n'avait pas procédé aux constatations contradictoires nécessaires à l'identification précise des faits ; que, par jugement du 11 février 2009, le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, saisi d'une action en résolution de la vente pour vice caché par M. Trolle, a ordonné une mesure d'expertise judiciaire ; que l'expert a déposé son rapport le 17 septembre 2010 ; qu'il a conclu à l'existence d'un vice affectant la boîte de vitesses, préexistant à la vente par la société Duflot Equipements à M. Trolle et trouvant son origine dans "une rupture de segment d'étanchéité situé sur l'arbre d'entrée entre cet arbre et la cloche C du pack de troisième vitesse" dû à une mauvaise réparation antérieurement effectuée ;

Sur la demande d'annulation des opérations d'expertise ;

Attendu que l'expert désigné par le tribunal, non inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel, était tenu de prêter serment ; qu'il résulte des documents produits que l'expert a prêté serment par écrit le 24 février 2009 ; que la signature figurant sur la prestation de serment apparaît, malgré quelques différences, conforme à la signature de l'expert tel qu'elle ressort d'autres documents ; que la circonstance que cet écrit ait été adressé par télécopie par l'expert au greffe du tribunal de commerce le 28 mars 2012 n'est pas à elle seule de nature, en l'absence de tout autre élément, à permettre de douter de ce que la prestation de serment soit intervenue à la date figurant sur le document ; que l'expert ayant ainsi prêté serment avant le début des opérations d'expertise et le surplus des observations critiquant ces opérations ne concernant que le bien-fondé des investigations et des conclusions de l'expert et non pas leur régularité, la demande d'annulation de ces opérations doit être écartée ;

Sur le vice affectant le tracteur et sur ses conséquences quant au contrat de vente ;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise que "le dysfonctionnement de la boîte de vitesse PowerShift trouve son origine dans une rupture de segment d'étanchéité situé sur l'arbre d'entrée, entre cet arbre et la cloche C du packs de troisième vitesse" l'expert indiquant encore "de toute évidence, cette rupture de segment est antérieure à la livraison du matériel par les Ets Duflot Equipements" ; que l'expert avait noté précédemment dans son rapport que la mise à nu de l'arbre avait permis la découverte du vice, matérialisé par une rupture d'un segment d'étanchéité sur le circuit d'alimentation hydraulique, ceci expliquant la chute de pression sur la troisième vitesse et l'apparition des désordres ; que la rupture du segment apparaît vraisemblablement résulter d'une réparation défectueuse qui aurait été effectuée au début de l'année 2005; que, contrairement à ce que soutient M. Trolle, aucun élément n'est de nature à remettre en cause les conclusions de l'expert judiciaire qui a clairement exclu que le désordre trouve son origine dans un vice de conception ou de fabrication du tracteur ; qu'en effet, l'expert judiciaire a établi la chronologie des défaillances successives du tracteur depuis son acquisition initiale par la Cuma des Sept Hameaux et a estimé que cette chronologie et la fréquence des défaillances empêchait de considérer que l'origine des désordres pourrait être un vice de fabrication existant lors de la mise en service du matériel ; que les éléments et explications produits devant la cour par M. Trolle et notamment l'attestation de M. Christian Leroy ne sont pas de nature à remettre en cause cette appréciation sauf de manière purement hypothétique ; que le fait que le certificat de cession du tracteur entre la Cuma et la société Seman fasse mention d'un dysfonctionnement de la troisième vitesse n'est pas en contradiction avec les conclusions de l'expert, celui-ci ayant retenu que la première défaillance des disques de friction du pack de troisième vitesse était apparue aux alentours de 2 500 heures alors que la Cuma en était encore propriétaire ; qu'enfin, aucun élément ne permet de conclure que, contrairement à ce qu'a estimé l'expert, le segment d'étanchéité à la rupture duquel il impute l'apparition du désordre aurait été endommagé "d'origine" ; que, par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société Duflot Equipements, aucun élément ne permet d'imputer l'apparition du désordre à une mauvaise utilisation par M. Trolle du matériel ;

Attendu que, même si la preuve de l'existence d'un vice de fabrication ou de conception préexistant à la vente Duflot Equipements - Trolle n'est pas rapportée, il est en revanche parfaitement établi que le dysfonctionnement de la boîte de vitesses préexistait bien à cette vente ; qu'il s'agit là d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil rendant, compte tenu de ses conséquences, le bien impropre à l'usage auquel il est destiné ; qu'il engage nécessairement la garantie de la société Duflot Equipements dès lors que, en sa qualité de vendeur professionnel, elle n'est pas admise à rapporter la preuve de ce qu'elle ignorait l'existence de ce vice ; qu'en revanche, à défaut de preuve de l'existence d'un vice de fabrication ou de conception, la garantie de la société CNH France ne saurait être recherchée ni par M. Trolle ni par la société Duflot Equipements ;

Attendu qu'il résulte des conclusions du rapport d'expertise judiciaire que la réparation du tracteur peut être effectuée en procédant à des travaux dont le coût s'établit à 5 712,30 euro hors-taxes ; que les observations de M. Trolle quant aux prétendues relations étroites entretenues par la société Duflot Equipements avec la société Agriforce qui a produit le devis sur la base duquel l'expert a évalué le coût des travaux de réparation sont purement hypothétiques et ne sont pas de nature à remettre en cause les conclusions de l'expert judiciaire ; que les dispositions de l'article 1644 du Code civil ne font pas obstacle à ce que le juge, au-delà du choix offert par cet article entre l'annulation de la vente ou la réduction du prix, puisse considérer, lorsque la réparation du vice est possible et économiquement justifiée, qu'il n'y a pas lieu à annulation de la vente mais seulement à réparation des désordres ; que, comme l'a relevé l'expert, la mise en œuvre d'une telle réparation est justifiée techniquement et économiquement compte tenu de l'état général correct du matériel et de sa date de première mise en service ; qu'il en résulte que M. Trolle n'est pas fondé à demander la résolution de la vente ; que le jugement sera confirmé à ce titre;

Sur la réparation du préjudice subi par M. Trolle ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites par M. Trolle lui-même que si, dans un premier temps, par lettre du 18 juin 2007, la société Duflot Equipements s'était limitée à proposer la prise en charge de 50 % du coût des réparations, une nouvelle offre avait été faite par lettre du 28 août 2007 envoyée à l'expert désigné par la compagnie d'assurances de M. Trolle, la société Duflot Equipements proposant la prise en charge totale du coût des réparations ainsi que la mise à disposition gratuite d'un tracteur pendant la durée d'immobilisation ; que M. Trolle ne peut faire valoir qu'il n'aurait pas été amené à prendre position sur cette offre dont il n'aurait pas eu "directement connaissance" alors qu'il apparaît que le courrier du 28 août 2007 figurait en annexe à l'assignation délivrée par lui à la société Duflot Equipements devant le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer le 11 décembre 2007 ; qu'il en résulte que M. Trolle n'est fondé à solliciter la réparation du préjudice résultant de l'indisponibilité et de l'immobilisation du tracteur que pour la période de juillet et août 2007 ; qu'il n'y a pas lieu d'écarter les factures produites par lui au seul motif qu'elles ont été établies par la SCEA dont il est associé, dès lors qu'il n'est pas rapporté la preuve de ce que le taux de facturation ne serait pas conforme au taux du marché ; que le préjudice subi à ce titre s'établit ainsi à 1 800 euro hors-taxes ; que, la résolution de la vente n'étant pas justifiée ni donc ordonnée, la demande d'indemnisation faite par M. Trolle à hauteur de 43 186,49 euro ne peut être utilement prise en compte ; que pour le surplus, le préjudice dont la réparation est réclamée au titre de la main-d'œuvre et de la détérioration des conditions de travail ne peut être retenue puisque la location d'un tracteur de remplacement a été de nature à pallier ces difficultés ; qu'il en résulte que le préjudice subi par M. Trolle doit être fixé au montant de la réparation des désordres affectant le tracteur, justement pris en compte par le premier juge à hauteur de 5 712,30euro mais aussi au titre de la location d'un tracteur de remplacement sur une période de deux mois pour 1800 euro hors-taxes ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Sur la demande reconventionnelle;

Attendu que la demande de la société Duflot Equipements visant à voir condamner M. Trolle à lui payer une somme de 17 750 euro n'a été présentée que pour le cas où la résolution de la vente serait prononcée ; que tel n'étant pas le cas, cette demande doit être écartée ;

Attendu que la société CNH France n'établit pas que l'action engagée par M. Trolle soit constitutive d'un abus du droit d'ester en justice; que la demande de dommages intérêts présentée par elle à ce titre doit être rejetée; que, parallèlement, M. Trolle n'établit pas que le comportement procédural de la société Duflot Equipements ou la société CNH France soit constitutive d'une résistance abusive; que la demande de dommages intérêts présentée à ce titre doit être écartée ;

Attendu qu'il serait inéquitable que M. Trolle conserve à sa charge le montant des frais irrépétibles engagés pour les besoins de la présente instance devant la cour ; que la société Duflot Equipements sera condamnée à lui payer la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'il n'apparaît pas en revanche inéquitable que la société CNH France conserve à sa charge le montant de ces frais ; que la demande présentée par elle à ce titre sera rejetée ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe, Confirme le jugement déféré sauf quant au montant des dommages intérêts alloués à M. Trolle et quant à la charge les dépens et, statuant à nouveau sur ces seuls points, Condamne la société Duflot Equipements à payer à M. Trolle la somme de 5 072,30 euro au titre des réparations à effectuer sur le tracteur et la somme de 1 800 euro au titre du préjudice consécutif aux désordres, Rejette tout autres demandes, Condamne la société Duflot Equipements à payer à M. Trolle la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile , Condamne la société Duflot Equipements aux dépens incluant les frais d'expertise qui pourront être recouvrés directement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.