CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 27 février 2014, n° 12-10112
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Naudot (SAS)
Défendeur :
Arnoult
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Melun, Persenot, Sabatier, Asselin
FAITS ET PROCÉDURE
En 1997, M. Balihaut, alors agent commercial pour le compte de la société Mazeron, devenue la société Naudot, a cédé son contrat d'agence, pour une part à M. Didelot, et pour l'autre à M. Arnoult, lequel a, en 2001, racheté les droits d'agent commercial de M. Didelot.
Aucun contrat écrit n'a jamais été établi entre M. Arnoult et la société Naudot.
Par lettre du 16 novembre 2007, la société Naudot a rompu le mandat d'agent commercial de M. Arnoult avec un préavis d'un mois et demi.
Le 21 octobre 2009, M. Arnoult a fait assigner la société Naudot devant le Tribunal de grande instance d'Auxerre afin d'obtenir le paiement d'un arriéré de commissions et de frais, ainsi que le règlement d'une indemnité compensatrice de préavis et d'une indemnité de cessation de contrat.
Par un jugement en date du 14 mai 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de grande instance d'Auxerre a :
- condamné la société Naudot à verser à M. Arnoult la somme de 17 866,94 euros au titre des commissions dues pour l'année 2003 et la somme de 83 809,64 euros au titre des commissions dues pour les années 2004 à 2007 ;
- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de leur date d'exigibilité et que ces intérêts seront eux-mêmes productifs d'intérêts en application des dispositions de l'article 1154 du Code civil ;
- débouté M. Arnoult de sa demande de communication des documents comptables pour les départements 39 et 77 ;
- condamné la société Naudot à verser à M. Arnoult la somme de 1 142,18 euros au titre des frais de la foire de Châlons-en-Champagne avec intérêts aux taux légal à compter de la date de la présente décision ;
- condamné la société Naudot à verser à M. Arnoult la somme de 4 985,03 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis avec intérêts aux taux légal à compter de la date de la présente décision ;
- condamné la société Naudot à verser à M. Arnoult la somme de 66 689,38 euros à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial avec intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision ;
- débouté la société Naudot de sa demande de réparation du préjudice allégué au titre d'une perte de chiffre d'affaires ;
- condamné la société Naudot à payer à M. Arnoult une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 4 juin 2012 par la société Naudot contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées le 4 septembre 2012 par lesquelles la société Naudot demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance d'Auxerre le 14 mai 2012.
Statuant à nouveau,
- débouter M. Arnoult de toutes ses demandes.
Recevant la SAS Naudot en son appel incident,
- condamner M. Arnoult à payer à la société Naudot la somme de 555 440 euros
- et à titre subsidiaire désigner un expert avec mission de :
. rechercher le montant des opérations effectivement réalisées par M. Arnoult dans les secteurs, produits et clientèle qui lui avaient été confiés ;
. rechercher le chiffre d'affaires effectivement réalisé par lui ;
. donner son avis sur l'activité de l'agent commercial sur toute la période d'exécution du contrat ;
. chiffrer les commissions éventuellement dues à l'agent ;
. déterminer les raisons expliquant les dégradations de l'activité générée par l'agent de 2002 à 2007 ;
. enfin, chiffrer le préjudice subi par la société Naudot du fait de ces dégradations et de l'activité concurrentielle exercée par M. Arnoult.
- condamner M. Arnoult à payer à la société Naudot la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Naudot soutient que le contrat ne concernait qu'un secteur géographique restreint et qu'il ne portait pas sur tous les produits qu'elle commercialise.
Elle ajoute qu'elle n'avait pas à accorder de délai de préavis à M. Arnoult qui a commis plusieurs fautes graves, telles que l'abstention de toute prospection, l'absence de toute information au profit du mandant et le développement d'une activité concurrentielle.
En réparation du préjudice que lui ont causé ces fautes elle réclame des dommages-intérêts.
Enfin, elle sollicite l'accomplissement d'une expertise pour éclaircir tout élément relatif tant à l'exécution du contrat qu'à sa rupture.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 30 octobre 2012, par lesquelles M.Arnoult demande à la cour de :
- dire et juger la société Naudot mal fondée en son appel et l'en débouter.
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance d'Auxerre le 14 mai 2012 en toutes ses dispositions,
- condamner la société Naudot à régler la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les frais de procès-verbal d'huissier avancés par M. Arnoult pour palier la défaillance de la société Naudot dans son obligation de communiquer ses documents comptables et qui s'élèvent à la somme de 3 985,43 euros,
- condamner la société Naudot aux entiers dépens, en ce compris les frais d'exécution forcée rendus nécessaires pour l'absence de paiement spontané par la société Naudot des condamnations prononcées à son encontre par le jugement dont appel.
L'intimé fait valoir que la société Naudot ne rapporte pas la preuve des limitations de secteur et de produits qu'elle invoque pour justifier du non-paiement de certaines commissions arriérées.
Il demande la confirmation du remboursement des frais de la foire de Châlons-en-Champagne de 2006 en faisant valoir que la participation à cette foire a fait l'objet de divers entretiens téléphoniques entre les parties dans les mois qui ont précédé.
En ce qui concerne les indemnités liées à la rupture du contrat d'agent, M.Arnoult soutient qu'il n'a pas commis de faute grave. Il fait valoir que la société Naudot ne démontre pas que son activité aurait été insuffisante ou qu'il aurait accompli des actes de concurrence déloyale.
L'intimé soutient également que la demande reconventionnelle formulée par l'appelant est tardive et infondée car aucune perte de chiffre d'affaires ne saurait lui être reprochée.
Il affirme enfin que la demande adverse d'expertise doit être rejetée car elle est inutile en l'espèce.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'étendue du secteur géographique confié à M. Arnoult
La société Naudot et M. Arnoult s'accordent sur le fait que le secteur confié à M. Arnoult ait été composé des départements 02, 08, 25, 39, 51, 52, 54, 55, 57, 67, 68, 70, 88 et 90. La société Naudot conteste en revanche que les départements 59, 60, 62, 77 aient fait partie du secteur, tandis qu' à ceux-ci M. Arnoult ajoute le département de l'Aube (10).
Cependant, M. Arnoult démontre par des factures adressées par la société Mazeron à des entreprises situées dans ces départements et comportant mention du nom de M. Arnoult en qualité d' "agent" ou de " représentant ", que celui-ci démarchait bien, dans les faits, la Belgique, ainsi que les départements de l'Aube (10), du Nord (59), de l'Oise (60) et du Pas-de-Calais (62). Ces pièces sont, en outre, confortées par le catalogue des tarifs pour 2003 qui mentionne que M. Arnoult est représentant pour la Belgique, ainsi que pour les départements et régions du Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Ile France, Champagne-Ardennes, Lorraine, Alsace, Franche-Comté. L'attestation de la secrétaire de la société Naudot, qui ne comporte pas la copie de sa pièce d'identité, étant à ce sujet dénuée de force probante, dans la mesure où celle-ci évoque seulement la "vraisemblance" de ce que la carte ait été publiée sur l'insistance de M. Arnoult dans des termes particulièrement confus.
En revanche, s'agissant du département de la Seine et Marne (77) M. Arnoult, rapporte la preuve de ce qu'une seule commission lui a été versée en 2001, en lien avec une facture ne comportant pas de nom de représentant adressée à une entreprise établie sur ce département. Cette facture est à elle seule insuffisante pour démontrer que ce département, au titre duquel le tribunal a rejeté sa demande de paiement de complément de commission, faisait partie de son secteur.
Il importe peu que certains de ces départements n'aient pas été compris dans les mandats confiés à MM. Balihaut et Didelot qui ont cédé leurs contrats à M. Arnoult, dans la mesure où seule l'effectivité de la pratique des parties dans l'exécution de leur contrat permet de déterminer quels étaient leurs droits et obligations. Par ailleurs, la lettre de rupture du 16 novembre 2007 de la société Naudot indique que M. Arnoult est intervenu dans les départements contestés et lui en fait reproche au motif que "ces départements ne vous ont jamais été affectés, précisément par la direction, comme étant exclusifs (...)", ce qui démontre bien que l'agent commercial intervenait dans ces secteurs au bénéfice de la société Naudot.
En application de l'article L. 134-6, alinéa 6, du Code de commerce, M. Arnoult revendique légitimement un droit à commissions sur les chiffres d'affaires réalisés par son mandant dans les secteurs qui lui ont été confiés dans la pratique. À ce sujet, la cour relève que la société Naudot n'a jamais, avant la lettre de rupture, ni reproché à M. Arnoult ni ne l'a empêché de démarcher dans des secteurs qui ne lui auraient pas été affectés.
Sur les produits
Selon la société Naudot, le périmètre d'intervention de M. Arnoult aurait été limité aux seuls matériels roulants et non à ceux de contention ou tubulaire. Néanmoins, outre le fait qu'il résulte d'un certain nombre de factures produites par M. Arnoult qu'il a vendu des matériels d'aménagement de bâtiments d'élevage, la société Naudot lui a reproché dans sa lettre de rupture du 16 novembre 2007, de ne pas porter suffisamment d'attention à la vente des matériels de contention et tubulaires, ce qui démontre que ces matériels faisaient donc partie de son mandat de représentation.
À ce sujet, les attestations d'éleveurs indiquant qu'il faudrait une compétence spécifique pour pouvoir vendre de tels matériels ne rapportent pas la preuve contraire au constat de ce que M. Arnoult a bien vendu de tels matériels et ne permettent pas d'affirmer qu'il n'aurait pas eu l'expérience suffisante, puisqu'il résulte des factures qu'il a procédé à ces ventes. Les attestations de salariés, selon lesquelles il ne se serait jamais informé sur le fonctionnement des matériels vendus, sont à ce sujet, dénuées de force probante dans la mesure où elles émanent, d'une part, de la "secrétaire du personnel" et du responsable du "parc chargement réception, expéditeurs", qui n'apparaissent pas avoir de compétence spécifique pour donner des informations sur les matériels en cause. Quant à celle de Mme Kowalski, secrétaire commerciale, qui n'est pas établie dans les formes prescrites par l'article 202 du Code de procédure civile, elle n'apporte pas d'élément suffisant à établir la preuve de ce que M. Arnoult n'était pas chargé de la vente des matériels en cause.
Par ailleurs, la cour relève que dans une lettre du 30 mai 2008, M. Arnoult a contesté par l'intermédiaire de la fédération nationale des agent commerciaux que son mandat aurait été limité à une seule gamme de produits, ainsi que le soutenait la société Naudot. En outre, celle-ci ne rapporte pas la preuve de ce que la clientèle visitée par M. Arnoult aurait été limitée et n'aurait pas compris celle des éleveurs, agriculteurs et coopératives. À cet égard, la cour ne saurait retenir à titre de preuve les attestations prérédigées que la société Naudot a elle-même adressées à ses clients, dont le caractère objectif n'est pas démontré et qui de surcroît ne sont accompagnées d'aucune copie de pièce d'identité.
Enfin, les factures produites par la société Naudot sous les numéros 54, 56 et 57 et sur lesquelles ne figure pas le nom de M. Arnoult ne démontrent en rien qu'il aurait représenté des concurrents. Il en est de même des pièces n° 39, 40 et de la pièce 55 qui ne comporte aucune référence à la société ayant émis le montant de la facture. Enfin, la pièce n° 41 constituée par une facture de la société OM Mécano soudure concernant une commande du 23 mars 2001 qui comporte le cachet de M. Arnoult, ne démontre pas la mise en œuvre d'une concurrence déloyale, dans la mesure où il n'est pas établi qu'à cette date M. Arnoult était déjà mandaté par la société Naudot sur ce secteur. En tout état de cause, cette seule facture ne saurait démontrer que M. Arnoult n'était pas chargé du démarchage du département de l'Aube (10).
Sur la rupture du contrat
La société Naudot soutient que la rupture du contrat qui la liait à M. Arnoult était justifiée par les fautes qu'il avait commises dans l'exécution de son mandat et qu'elle ne saurait être condamnée à lui verser les indemnités de préavis et de cessation de contrat.
Cependant, ces allégations sont démenties par la lettre de rupture du 16 novembre 2007, accordant à M. Arnoult un mois et demi de préavis et listant un certain nombre de griefs qui ne sont pas ceux que la société Naudot a par la suite invoqués dans le cadre de l'instance. Cette lettre, en effet, justifie la rupture par le refus opposé par M.Arnoult de signer le contrat qui lui était proposé, l'extension de son périmètre d'intervention, son désintérêt pour la politique de développement de l'entreprise et le fait qu'il ait ignoré que son mandant ait régulièrement publié des publicités dans des revues spécialisées.
Dans ces conditions, les justifications relatives, d'une part, à la baisse du chiffre d'affaires réalisé par M. Arnoult, d'autre part, au fait, de surcroît non démontré, qu'il aurait développé une activité concurrente, sont inopérants et il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Naudot à verser à M. Arnoult une indemnité de préavis ainsi qu'une indemnité de cessation de contrat.
Sur l'indemnité de préavis
L'indemnité calculée par les premiers juges l'a été sur une durée d'un mois et demi et c'est à juste titre qu'ils ont procédé au regard de la moyenne des commissions versées pour les trois dernières années de son activité. Il convient donc de confirmer le jugement sur ce point.
Sur l'indemnité de cessation de contrat
La société Naudot demande la réduction du montant de cette indemnité en soutenant que celle-ci doit être calculée au regard des fautes commises par M. Arnoult c'est-à-dire, sa négligence dans la prospection, la perte de la clientèle suivie par lui, le fait qu'il se soit livré à des actes de concurrence déloyale et qu'il n'ait délivré aucune information contrairement à ce que prévoit l'article L. 134-4 du Code de commerce.
Cependant, ainsi qu'il a été relevé précédemment, les actes de concurrence déloyale ne sont pas établis. Il n'est, de plus, pas davantage démontré que M. Arnoult s'est abstenu de toute prospection sérieuse puis ensuite de toute prospection, ce qui ne lui a d'ailleurs pas été reproché dans la lettre de rupture. Enfin, la société Naudot ne prouve aucunement qu'elle aurait perdu la clientèle suivie par M. Arnoult et que la perte de clients qui pourrait se déduire de ses données comptables, soit due à la négligence de son agent. Il convient dès lors de confirmer le jugement sur le montant de l'indemnité.
Sur la demande reconventionnelle de la société Naudot
Aucun des griefs invoqués à l'encontre de M. Arnoult n'a, ainsi qu'il vient d'être rappelé, été démontré par la société Naudot. Dans ces conditions, sa demande de dommages-intérêts ne peut qu'être rejetée.
Le jugement doit en conséquence être confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais irrépétibles
Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Arnoult l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'il a dû exposer pour défendre ses droits. La société Naudot sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il y a par ailleurs lieu de faire droit à la demande d'ordonner le remboursement à M. Arnoult des frais de constat d'huissier exposés par lui dans le cadre de la présente procédure soit la somme de 3 985,43 euros.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Naudot à verser à M. Arnoult la somme de 3 985,45 euros ; Condamne la société Naudot à verser à M. Arnoult la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute demande autre, plus ample, ou contraire des parties ; Condamne la société Naudot aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.