ADLC, 5 février 2014, n° 14-DCC-13
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif de Medical Insurance Company par MMA IARD Assurance Mutuelles
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 3 janvier 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif de Medical Insurance Company par MMA IARD Assurance Mutuelles ;
Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Covéa est une société de groupe d'assurance mutuelle ("SGAM") dont l'activité principale consiste, conformément aux dispositions de l'article L. 322-1-2 du Code des assurances, à prendre et à gérer des participations dans des entreprises d'assurance ou de réassurance ou à nouer et à gérer des liens de solidarité importants et durables avec des mutuelles, des institutions de prévoyance, des sociétés d'assurance mutuelle, ou des entreprises d'assurance ou de réassurance à forme mutuelle ou coopérative ou à gestion paritaire.
2. Conformément aux dispositions de l'article L. 322-1-3 du Code des assurances, la SGAM Covéa entretient des liens de solidarité financière importants et durables ne résultant pas de participations financières avec les entreprises qui lui sont affiliées. La SGAM Covéa est liée par des conventions d'affiliation avec les entreprises suivantes :
- les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles (ci-après "MMA IARD AM"), MMA Vie Assurances Mutuelles, DAS Assurances Mutuelles, le Finistère et SMI, qui forment le groupe MMA. MMA IARD AM propose des produits d'assurance habitation, automobile, des mutuelles et des produits de protection juridique ou financier aux particuliers, aux professionnels, aux entreprises, aux collectivités et aux associations ;
- la société d'assurance mutuelle MAAF Assurances, la mutuelle MAAF Santé, Agpis et l'union Force et Santé, qui forment le groupe MAAF ;
- les sociétés Garantie Mutuelle des Fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics et assimilés (ci-après "GMF") et Assurances Mutuelles de France (ci-après "AM"), qui forment le groupe AM-GMF.
3. Les principales mutuelles liées à Covéa ont apporté, à la fin de l'année 2012, leurs filiales d'assurance et la quasi-totalité de leurs participations à la holding intermédiaire Covéa Participations (l'ensemble formé par ces sociétés et la SGAM Covéa étant ci-après dénommé "groupe Covéa"). Les trois groupes mutualistes (1) détiennent aujourd'hui chacun un tiers du capital de Covéa Participations.
4. Le groupe Covéa est actif dans les secteurs de l'assurance, de la prévoyance, de l'assurance-vie, de la gestion d'actifs, dans le secteur du courtage bancassurance et dans le secteur des portails internet concernant la santé.
5. Medical Insurance Company (ci-après "MIC") est une société de droit irlandais soumise au contrôle fluctuant de ses actionnaires. Son capital est réparti entre MMA IARD AM (35 %), Pembroke European Holdings Ltd. (32,5 %) et Mare Nostrum (25 %), le solde étant détenu par deux personnes physiques. MIC exerce une activité d'assurance de responsabilité civile médicale sous l'autorisation de la Banque Centrale d'Irlande. MIC assure les praticiens libéraux et mixtes du plateau technique lourd, c'est-à-dire les praticiens intervenant en bloc opératoire (chirurgiens, anesthésistes-réanimateurs, gynécologues-obstrétriciens) pour les dommages éventuellement causés dans le cadre de leurs activités de prévention, de diagnostic et de soins. MIC exerce son activité en libre prestation de services depuis Dublin vers la France essentiellement. Ses polices d'assurances sont exclusivement distribuées par le cabinet Branchet, courtier en assurance spécialisé dans les praticiens libéraux et mixtes du plateau technique lourd.
6. L'opération consiste en l'augmentation de la participation de MMA IARD AM dans le capital de MIC. Cette augmentation résulte de [confidentiel].
7. En ce qu'elle se traduit par le prise de contrôle exclusif de MIC par MMA IARD AM, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
8. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (groupe Covéa : 14,7 milliards d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2012 ; MIC : [...] d'euros pour la même période). Chacune réalise en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (groupe Covéa : 13,1 milliards d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2012 ; MIC : [...] d'euros pour la même période). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. MARCHÉS DE PRODUITS OU DE SERVICES
9. Au sein du secteur de l'assurance, la pratique décisionnelle distingue, de manière constante, les assurances de personnes et les assurances de dommages (biens et responsabilités), chacun pouvant à leur tour être segmentés en autant de marchés qu'il existe d'assurances couvrant les différents types de risques ou de types de contrats, dans la mesure où, du point de vue de la demande, ces assurances ou ces contrats diffèrent et ne sont pas substituables (2). Concernant le marché des assurances de personnes, une segmentation supplémentaire peut être opérée entre les contrats d'assurance collective, conclus entre un assureur et un souscripteur distinct du bénéficiaire, et les contrats d'assurance individuelle pour lesquels le souscripteur est également le bénéficiaire (3). De la même manière, concernant le marché des assurances de dommages, une segmentation supplémentaire peut être opérée entre les assurances à destination des particuliers et les assurances à destination des professionnels (4).
10. Parmi les assurances de dommage à destination des professionnels, la pratique décisionnelle a identifié un marché de l'assurance de flotte automobile, de transport, de risque industriels, de protection juridique, des opérations de crédit, l'assurance-construction, de biens professionnels, des accidents du travail et de la responsabilité civile professionnelle (5).
11. Au cas d'espèce, le groupe Covéa et MIC sont simultanément actives sur le marché de la responsabilité civile professionnelle.
12. La partie notifiante estime qu'il convient de distinguer un marché de la responsabilité civile médicale distinct des autres segments de la responsabilité civile professionnelle. Elle indique à cet égard que l'assurance de la responsabilité médicale suppose la constitution et le placement de provisions techniques, compte tenu des risques importants et de la connaissance du coût réel des sinistres qui peut prendre plusieurs années. L'assurance de la responsabilité médicale représenterait un risque dit "à développement long" compte tenu des délais de prescription et des délais de règlement de sinistres. Elle ajoute que l'assurance de la responsabilité civile médicale n'est pas une assurance de masse comme peuvent l'être les assurances automobile ou incendie et ses paramètres peuvent varier selon les caractéristiques du portefeuille de chaque assureur (6).
13. La partie notifiante considère également qu'il convient de distinguer un segment de l'assurance de la responsabilité civile médicale des praticiens du plateau technique lourd au sein du marché de l'assurance de la responsabilité civile médicale. Elle indique que les risques assurés pour les praticiens du plateau technique lourd sont spécifiques dans la mesure où ils sont peu nombreux mais particulièrement lourds (décès, accident vasculaire cérébral, paralysie, choc anaphylactiques, complication neurologiques, notamment). Au contraire, les risques pour les autres praticiens médicaux sont en général moins graves (surdité, acouphène, fractures, résultats esthétiques non satisfaisant, inconfort, brûlures, méconnaissance de plaies, notamment) et plus nombreux. Elle indique en outre que les risques relatifs aux praticiens du plateau technique lourd doivent être individualisés dans les comptes des sociétés d'assurances. Selon la partie notifiante, ces dernières ne peuvent en effet pas mutualiser les risques entre les différentes catégories de médecins dans la mesure où une telle mutualisation impliquerait de faire surpayer les risques faibles et nombreux comme ceux des médecins généralistes pour baisser les primes des praticiens du plateau technique lourd. Dans une telle situation, les médecins subissant des risques moins graves se tourneraient vers d'autres sociétés d'assurance.
14. Enfin, la partie notifiante estime qu'il convient d'opérer une distinction entre les contrats d'assurance en matière de responsabilité civile médicale des praticiens du plateau technique lourd, souscrits individuellement par les praticiens libéraux et mixtes, et les contrats d'assurance souscrits par les établissements (hôpitaux, cliniques) dans lesquels les praticiens qui travaillent sur le plateau technique lourd sont des salariés.
15. La question de la définition exacte du marché de la responsabilité civile professionnelle peut toutefois être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées quelle que soit la segmentation de marché retenue.
16. Au cas d'espèce, le groupe Covéa et MIC proposent toutes les deux des contrats d'assurance de responsabilité civile médicale. Seule MIC propose des contrats d'assurance de responsabilité civile à des praticiens du plateau technique lourd (à des praticiens libéraux et mixtes exclusivement), puisque, comme le précise le groupe Covéa, il ne propose plus de tels contrats depuis le début des années 2000 même s'il continue, à travers MMA IARD AM, à honorer les contrats conclus antérieurement, sans les renouveler à échéance.
B. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE DES MARCHÉS
17. A l'exception de certaines assurances couvrant des risques de grande ampleur, la pratique décisionnelle considère que les marchés de l'assurance sont de dimension nationale compte tenu des préférences des consommateurs, de l'existence de législations et de contraintes fiscales nationales, de la structure actuelle de ces marchés ou encore des systèmes de régulation (7) concernant ce secteur d'activités.
18. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente décision.
19. La partie notifiante estime que les marchés de l'assurance de la responsabilité civile médicale et de la responsabilité civile médicale pour les praticiens du plateau technique lourd sont également de dimension nationale.
20. Au cas d'espèce, la question de la délimitation exacte de ces marchés peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
III. Analyse concurrentielle
A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX
21. Sur le marché de l'assurance civile professionnelle, la part de marché en valeur des parties pour l'année 2012 est de l'ordre de [5-10] % pour le groupe Covéa et de l'ordre de [0-5] % pour MIC. La nouvelle entité fera face à la concurrence d'entreprises disposant de parts de marché importantes, telles qu'Axa (environ [20-30] %), Allianz (environ [10-20] %) ou le groupe mutualiste SMABTP (environ [10-20] %)(8).
22. En prenant uniquement en compte les activités d'assurance de la responsabilité civile médicale, la part de marché en valeur des parties pour l'année 2012 est de l'ordre de [0-5] % pour le groupe Covéa et de l'ordre de [10-20] % pour MIC. La nouvelle entité fera face à la concurrence d'entreprises disposant de parts de marché importantes telles que SHAM (environ [40-50] %), MACSF (environ [20-30] %) ou Axa (environ [10-20] %).
23. En prenant uniquement en compte les activités d'assurance de la responsabilité civile médicale des praticiens libéraux et mixtes du plateau technique lourd, MIC dispose d'une part de marché en volume(9) pour l'année 2012 de l'ordre de [40-50] %. L'opération n'entraîne cependant pas de chevauchement d'activité, dans la mesure où le groupe Covéa ne propose plus ce type de contrats depuis le début des années 2000. La partie notifiante précise que le nombre de contrats d'assurance des praticiens libéraux et mixtes du plateau technique lourd que le groupe Covéa (via MMA IARD AM) continue à honorer jusqu'à échéance était en 2012 de [...] sur un total de près de 15 000 praticiens libéraux et mixtes du plateau technique lourd en France (10).
24. Il résulte de ce qui précède que l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux.
B. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMÉRAUX
25. Une concentration a des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d'accroître son pouvoir de marché.
26. Au cas d'espèce, MIC commercialise des prestations d'assurance auprès des praticiens libéraux et mixtes du plateau technique lourd. L'existence de synergies entre ces activités et celles des autres types d'assurances de la responsabilité civile médicale est toutefois peu probable, eu égard aux spécificités des risques assurés et à l'absence de mutualisation de ces risques dans les comptes des assureurs. La mise en œuvre d'un effet de levier n'apparaît donc pas vraisemblable en l'espèce.
27. En tout état de cause, d'autres sociétés importantes sont en mesure de proposer des prestations d'assurance de la responsabilité civile pour l'ensemble des activités médicales et pour tous types de professionnels de santé, telles que SHAM, MACSF ou le Groupe Pasteur Mutualité (via sa filiale Panacea Assurances).
28. En conséquence, l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets congloméraux.
DECIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 13-247 est autorisée.
Notes :
1 (i) MMA IARD Assurances Mutuelles, DAS Assurances Mutuelles pour le groupe MMA, (ii) Assurances Mutuelles de France et la GMF pour le groupe AM-GMF et (iii) MAAF Santé et MAAF Assurances pour le groupe MAAF.
2 Voir notamment les décisions de la Commission européenne COMP/M.3556 - FORTIS / BCP du 19 janvier 2005 et COMP/M.5083 - GROUPAMA / OTP GARANCIA du 15 avril 2008, ainsi que les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d'Epargne et Banque Populaire, n° 11-DCC-97 relative à l'affiliation de l'institution de prévoyance Apgis à la société de groupe d'assurance mutuelle Covéa et n° 13-DCC-84 relative à l'affiliation de la mutuelle interprofessionnelle SMI à la société de groupe d'assurance mutuelle Covéa du 4 juillet 2013.
3 Voir notamment la décision de la Commission européenne n° COMP / M.5083 précitée et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-61 du 4 novembre 2009 relative aux prises de contrôle exclusif de la mutuelle Altéis et de la mutuelle Releya par la mutuelle Prévadiès.
4 Voir par exemple les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-52 du 2 juin 2010 relative à la création d'une société de groupe d'assurance mutuelle ("SHAM") par la MACIF, la MAIF et la MATMUT, n° 11-DCC-97 ou n° 13-DCC-84 précitées.
5 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d'Epargne et Banque Populaire et la lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie C2005-51 du 23 novembre 2005, aux conseils des groupes MAAF et MMA, relative à une concentration dans le secteur de l'assurance.
6 La partie notifiante reprend à cet égard les caractéristiques relevées par le Conseil de la concurrence dans la décision n° 06-D-34 du 9 novembre 2006 relative à des saisines concernant le domaine de l'assurance de la responsabilité civile médicale.
7 Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-52 et n° 13-DCC-84 précitées.
8 Les données de marché proviennent d'une étude de la Fédération Française des Sociétés d'Assurances (ci-après "FFSA"). La partie notifiante précise que les parts de marché de la nouvelle entité et de ses principaux concurrents sont surestimées, dans la mesure où l'étude de la FFSA portant sur la valeur globale du marché de l'assurance civile professionnelle exclut le chiffre d'affaires réalisé sur ce marché par les filiales françaises des sociétés d'assurance étrangères.
9 La partie notifiante indique ne pas être en mesure d'estimer la part de marché en valeur de la nouvelle entité.
10 La partie notifiante précise sur le nombre de contrats d'assurance de la responsabilité civile médicale des praticiens libéraux et mixtes du plateau technique lourd honorés par MMA IARD AM diminue chaque année, avec [...] contrats en 2011, [...] contrats en 2012 et [...] contrats en 2013.