CA Nancy, 1re ch. civ., 2 avril 2013, n° 12-00352
NANCY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Perrin
Défendeur :
Frommer
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dory
Conseillers :
Mmes Deltort, Roubertou
Avocats :
Mes Chardon, Roussel
Résumé
Le contrat porte sur la vente et la pose d'un poêle en faïence dans une maison. C'est en vain que les acheteurs demandent la résolution de la vente. Ils n'établissent pas qu'ils ont commandé le poêle litigieux avec l'intention de chauffer toute la partie habitable de leur immeuble, soit le rez-de-chaussée et le premier étage ; il leur appartient également de démontrer - ce qu'ils ne font pas - que leur intention était connue du vendeur installateur, alors d'une part que le poêle à bois en faïence est un appareil qui ne diffuse la chaleur qu'à partir d'une seule source comme la cheminée et, d'autre part, que l'immeuble était déjà équipé d'un système de chauffage central en parfait état de fonctionnement. Dans le contexte matériel et technique considéré, le vendeur ne devait pas nécessairement savoir ou supposer que le poêle devait être en capacité exclusive de chauffer confortablement deux niveaux de l'immeuble. Il ne lui appartenait ni d'interroger les acheteurs sur ce point ni de les informer et de les conseiller sur la réalisation d'un diagnostic énergétique que le contexte précité n'exigeait pas.
FAITS ET PROCÉDURE :
Monsieur Jean Frommer et Madame Marie-Angèle Tagini épouse Frommer ont fait l'acquisition, auprès de Monsieur Daniel Perrin, d'un poêle faïence de marque Kachelofen moyennant le prix de 14 118 euro, pose comprise ; l'installation a été effectuée courant 2008 ; constatant que le poêle ne leur donnait pas satisfaction, les époux Frommer ont saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Saint-Die-des-Vosges afin que soit ordonnée une mesure d'expertise ; le juge a fait droit à cette demande par ordonnance en date du 16 juin 2009 et l'expert mandaté a rendu son rapport en septembre 2010 ;
Par acte en date du 10 novembre 2010, les époux Frommer ont assigné Monsieur Perrin devant le Tribunal de grande instance d'Epinal à fin de voir prononcer la résolution judiciaire de la vente et en versement de dommages et intérêts ;
A l'appui de leur demande, les époux Frommer ont soutenu qu'ils avaient fait appel à Monsieur Perrin dans le but de remplacer entièrement leur installation de chauffage et non d'acquérir un chauffage d'appoint ; ils ont ajouté qu'ils avaient en conséquence choisi un modèle d'un certain prix, dont la pose aurait dû conduire au préalable à la réalisation d'une étude thermique de la maison par Monsieur Perrin, en sa qualité de professionnel ;
Monsieur Perrin a quant à lui fait valoir qu'il avait correctement effectué la prestation demandée, savoir la pose d'un chauffage d'appoint qui fonctionne correctement, comme l'avait relevé l'expert ; il a ajouté que les époux Frommer ne lui avaient jamais fait part de leur souhait que ce chauffage soit un chauffage principal ; il a encore soutenu que s'ils avaient réellement eu cette intention, ils auraient dû faire procéder eux-même à une étude thermique de leur habitation ; il a enfin fait valoir que le contrat le liant aux époux Frommer ne souffrait d'aucune difficulté de compréhension et ne nécessitait aucune interprétation ;
Par jugement en date du 10 janvier 2012, le Tribunal de grande instance d'Epinal a statué comme suit :
- prononce la résolution du contrat de vente liant les parties aux torts de Monsieur Perrin
- ordonne la restitution du prix de 14 118 euro contre restitution du bien aux frais de Monsieur Perrin,
- condamne Monsieur Perrin à payer à Monsieur Frommer et Madame Tagini épouse Frommer la somme de 4 121,57 euro en réparation de leur préjudice matériel,
- condamne Monsieur Perrin à payer à Monsieur Frommer et Madame Tagini épouse Frommer la somme de 2 000 euro en réparation de leur préjudice de jouissance,
- déboute pour le surplus,
- condamne Monsieur Perrin à payer à Monsieur Frommer et Madame Tagini épouse Frommer la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamne Monsieur Perrin aux dépens de l'instance qui comprendront les frais de référé et d'expertise dont distraction au profit de Maître Roussel conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
- ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;
Pour statuer ainsi, le tribunal a rappelé les dispositions de l'article 1604 du Code civil et l'obligation de conseil qui incombe à tout vendeur professionnel à l'égard d'un client profane ; il a retenu que le matériel avait été correctement installé mais qu'il ressortait des pièces du dossier qu'il était inadapté aux besoins des acquéreurs ; il a ajouté que Monsieur Perrin connaissait l'état d'isolation de l'habitation et qu'il lui incombait d'attirer l'attention des époux Frommer sur la nécessité de faire procéder à une étude thermique ; le tribunal a enfin retenu que les époux Frommer avaient subi un préjudice matériel et un préjudice de jouissance, n'ayant pu se chauffer convenablement depuis l'installation du poêle ;
Par déclaration en date du 9 février 2012, Monsieur Perrin a fait appel de ce jugement ;
A l'appui de son appel et dans ses dernières conclusions en date du 15 février 2013, Monsieur Perrin rappelle en premier lieu que l'habitation des époux Frommer comprend un chauffage central au fuel non obsolète et une cheminée servant de chauffage d'appoint qui elle, est obsolète ; il fait ensuite valoir qu'il s'agissait en l'espèce de remplacer ladite cheminée par un chauffage au bois et que le poêle a été posé au lieu et place de cette cheminée ; il ajoute qu'il n'était en conséquence pas tenu de connaître l'état d'isolation de la maison et que la réalisation d'un diagnostic thermique n'était pas obligatoire ; il soutient encore qu'il a malgré tout interrogé les époux Frommer sur cet état d'isolation de l'habitation et que ceux-ci l'ont assuré qu'elle était bonne ; il ajoute qu'il n'avait pas à remettre en doute cette parole, ni à leur conseiller voire leur imposer le diagnostic, dès lors qu'il s'agissait de la pose d'un chauffage d'appoint dans l'esprit des parties ; que partant, aucun manquement à son obligation de conseil ne peut lui être reproché ;
Monsieur Perrin fait également valoir que les époux Frommer ne lui ont jamais indiqué qu'ils souhaitaient remplacer leur chauffage central par le poêle ; que par ailleurs, ni le produit, ni son prix n'étaient de nature à induire en erreur les époux sur la destination du poêle ; il conteste en ce sens la force probante des attestations adverses ; Monsieur Perrin soutient encore que l'expert a conclu dans son rapport que le poêle était suffisant comme chauffage d'appoint, qu'il avait été correctement posé et qu'il suffisait soit à chauffer l'habitation à condition de ne pas chauffer l'étage, soit à chauffer l'habitation entière jusqu'à une température de -5°C ; il ajoute en ce sens qu'il n'est pas établi que les époux Frommer chauffent l'étage de leur habitation et qu'en tout état de cause, en dessous de la température indiquée par l'expert, aucun système ne permet de chauffer complètement une habitation ; il fait enfin valoir que les époux Frommer ont de surcroît fait une mauvaise utilisation du poêle, entraînant une consommation excessive de bois et une diminution de l'efficacité du produit ; que partant, aucun manquement à son devoir de délivrance conforme ne peut lui être reproché ;
A titre subsidiaire, Monsieur Perrin soutient que si la cour devait confirmer le jugement entrepris, elle devra constater que le retour au statut quo ante des parties est impossible, dès lors que le poêle doit être cassé pour être démonté et qu'il a subi une dépréciation ; il demande donc que la restitution du poêle soit effectuée par équivalent, qui ne pourra être inférieur au prix auquel il leur a vendu le bien ;
Par conséquent, Monsieur Perrin demande à la cour de :
- à titre principal :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- dire et juger qu'il n'y a lieu à résolution du contrat liant Monsieur Perrin aux époux Frommer,
- condamner par voie de conséquence les époux Frommer à rembourser à Monsieur Perrin la somme de 21 739,57 euro qu'il a dû régler en exécution du jugement entrepris avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,
- les condamner à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- à titre subsidiaire,
- pour le cas où le jugement n'est pas infirmé,
- constater que la restitution en nature du poêle est impossible,
- condamner les époux Frommer à une restitution par équivalent, compte tenu du préjudice subi par Monsieur Perrin, le pôle ne pouvant plus être revendu, ni réinstallé, dire et juger que cette restitution par équivalent ne saurait être inférieure à la somme payée par Monsieur Perrin en exécution du jugement,
- condamner les époux Frommer à lui payer la somme de 21 739,57 euro avec les intérêts au taux légal à compter de l'arrêt outre 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens, y compris ceux de première instance et d'appel ;
Aux termes de leurs dernières écritures en date du 18 janvier 2013, les époux Frommer rappellent en premier lieu les dispositions de l'article 1602 du Code civil et font valoir que le vendeur a une obligation d'information et de conseil ; que le professionnel est tenu de se renseigner sur les besoins de son interlocuteur pour mieux l'informer, notamment dans le cadre de la vente d'un chauffage contractuelle qui engage la responsabilité de celui qui n'y satisfait pas ;
Ils font ensuite valoir que la contradiction sur l'objet du contrat s'interprète contre le vendeur et que l'interprétation de la convention doit se faire au profit des acquéreurs selon l'article 1162 du Code civil ; ils ajoutent que s'il subsistait toute ambiguïté sur la destination du produit, il appartenait à Monsieur Perrin de la lever ; ils soutiennent en ce sens qu'ils ont voulu remplacer leur chauffage au fuel pour réduire leurs dépenses, but connu du vendeur ; ils ajoutent qu'ils ont été induits en erreur par le prix et la dénomination du bien et ont exposé une somme importante pour l'acquisition du poêle, somme incompatible avec l'éventualité de sa destination comme simple chauffage d'appoint ; ils font par ailleurs valoir qu'ils n'ont pas été informé de la véritable destination du produit, qui était dénommé 'chaudière' sur le descriptif technique ; ils concluent qu'en tout état de cause, Monsieur Perrin ne leur a pas délivré un bien conforme à la destination qui était convenue ;
Ils soutiennent encore que la vérification de l'isolation de l'habitation s'imposait et qu'il incombait à Monsieur Perrin de délivrer tout conseil à cet égard, voire d'y procéder lui-même en tant que de besoin, en sa qualité de professionnel du chauffage ; que le vendeur, qui a allégué son ignorance de l'état d'isolation, a caractérisé sa propre carence au regard de cette obligation ;
Les époux Frommer sollicitent enfin la confirmation des condamnations pécuniaires prononcées au titre des préjudices matériel et de jouissance ; ils soutiennent qu'ils sont bien fondés à demander au surplus le versement d'une somme au titre du préjudice esthétique qui leur sera causé à la suite du retrait de la chaudière ; ils contestent par ailleurs la demande de restitution par équivalent formulée par l'appelant, dès lors qu'il engage sa responsabilité contractuelle du fait de la non-conformité et qu'une telle sanction n'existe pas dans ce mécanisme ;
Par conséquent, les époux Frommer demandent à la cour de :
- déclarer l'appel interjeté par Monsieur Perrin mal fondé,
- l'en débouter ainsi que de toutes demandes, fins et conclusions,
- confirmer la décision entreprise dans toute la mesure utile, au vu des textes visés aux présentes ainsi que des pièces communiquées,
- constater la réalité d'un défaut de conformité et d'un manquement à l'obligation de renseignement et de conseil en application des articles 1604, 1135 et 1147 du Code Civil ,
- déclarer irrecevable la demande du vendeur pour un remplacement de la restitution par un équivalent en argent,
- réévaluer le montant du préjudice et accorder aux acquéreurs le bénéfice d'une réparation intégrale,
- ajouter aux sommes arbitrées en première instance soit 4 121,57 euro de préjudice matériel, la réparation d'un trouble de jouissance fixé à 3 000 euro, ainsi que le remboursement du crédit d'impôt de 4 785 euro dont les concluants devront rendre compte à l'évidence ce qui est un préjudice,
- allouer également aux époux Frommer une somme de 5 000 euro en réparation du préjudice esthétique et matériel correspondant au retrait de la chaudière sans possibilité de remplacement de la cheminée ancienne existant précédemment,
- condamner également le sieur Perrin à 3 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- le condamner encore aux entiers dépens, tant d'instance que d'appel, dont distraction au profit de la SCP Millot - Logier & Fontaine, avocats au barreau de Nancy ;
SUR CE :
Attendu qu'il est constant que le 23 juillet 2007 les époux Frommer ont passé commande à l'entreprise Perrin d'un poêle en faïence et ce, pour un prix de 14 118 euro TTC, ce montant comprenant la pose du matériel (cf pièce n°1 de la SCP Millot - Logier & Fontaine) ;
Attendu qu'il appartient aux époux Frommer de démontrer qu'ils ont commandé le poêle litigieux avec l'intention de chauffer toute la partie habitable de leur immeuble, soit le rez-de-chaussée et le premier étage ; qu'il leur appartient également de démontrer que leur intention était connue du vendeur installateur, alors d'une part que le poêle à bois en faïence est un appareil qui ne diffuse la chaleur qu'à partir d'une seule source, comme la cheminée à laquelle il était substitué dans la maison des époux Frommer et d'autre part que l'immeuble était déjà équipé d'un système de chauffage central en parfait état de fonctionnement (cf p 27 du rapport d'expertise) ; qu'il ne peut être considéré que Monsieur Perrin a dans son courrier du 20 avril 2009, reconnu avoir été informé de l'intention des époux Frommer, alors qu'il répond notamment à ceux-ci que l'installation n'est pas un chauffage central avec un radiateur dans chaque pièce et qu'il est donc logique qu'il y ait d'inévitables différences de température ;
Qu'il convient d'ailleurs de relever que l'expert judiciaire a lui-même indiqué que la chaudière à fioul qui alimente les radiateurs de chauffage, produit l'eau chaude, mais alimente en outre une autre partie de l'immeuble qui est destinée à la location, de telle sorte que le maintien en service de cette chaudière est donc obligatoire (cf expertise de Monsieur Laibe partie II p 20) ;
Que l'expert n'a relevé aucun dysfonctionnement du poêle (p 21 à 23 et page 30 du rapport) qui atteint sa puissance contractuelle, avec un rendement normal, sans surconsommation (p 31) ;
Attendu que les attestations dont se prévalent les époux Frommer et notamment celle de Madame Roncalli ne permettent de déterminer l'état des discussions des parties au moment de la conclusion du contrat en question ;
Attendu qu'en définitive, force est de constater que les époux Frommer échouent dans l'administration de la preuve qui leur incombe ; que dans le contexte matériel et technique considéré, Monsieur Perrin ne devait pas nécessairement savoir ou supposer que le poêle devait être en capacité exclusive de chauffer confortablement deux niveaux de l'immeuble des époux Frommer, quelles que soient les conditions climatiques ;
Qu'il ne lui appartenait ni d'interroger les époux Frommer sur ce point ni de les informer et de les conseiller sur la réalisation d'un diagnostic énergétique que le contexte précité n'exigeait pas ; qu'en définitive, c'est à tort que le premier juge a prononcé la résolution de la vente, alors qu'aucun manquement ne peut être imputé à l'appelant, tant au titre du droit commun de la vente qu'à celui du Code de la consommation ;
Que le jugement sera réformé en toutes ses dispositions ;
Qu'eu égard à la solution apportée au litige, les époux Frommer seront condamnés aux dépens de première instance (dont les frais d'expertise) et d'appel, outre le paiement à Monsieur Perrin de la somme de 2 400 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, Réforme le jugement déféré ; Statuant à nouveau : Rejette les demandes des époux Frommer ; Rappelle que le présent arrêt constitue un titre exécutoire permettant, après signification, de poursuivre les restitutions des sommes versées en exécution du jugement infirmé ; Condamne les époux Frommer à payer à Monsieur Perrin la somme de deux mille quatre cents euro (2 400 euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne les époux Frommer aux dépens de première instance (dont les dépens de référé et les frais d'expertise) et d'appel ;