CA Poitiers, 1re ch. civ., 5 avril 2013, n° 12-00325
POITIERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Actisem (SAS), Lecureur Semences (SAS)
Défendeur :
Gaboriau, Thibaud (ès qual), SPS Negoce (SA), Syngenta Seeds (sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martin-Pigalle
Conseillers :
Mmes Contal, Chassard
Avocats :
Mes Potier-kerloc'h, Tessier, Texier, Faure
Résumé
Dès lors que distributeur, nonobstant la relative sensibilité du blé au piétin verse, n'a pas communiqué cette information à son cocontractant dans le cadre de son contrat de commercialisation, qu'au contraire sa fiche de synthèse mentionne sa bonne tolérance aux maladies, il ne peut être reproché au vendeur de ne pas avoir attiré l'attention de l'acquéreur sur la faiblesse de cette semence. De surcroît il résulte du rapport d'expertise judiciaire que les problèmes présentés sont imputables aux conditions culturales dans lesquelles la semence en cause a été mise en œuvre. Il appartenait en effet à l'acquéreur, professionnel de l'agriculture qui se contente d'affirmer sans l'établir avoir été un spécialiste de l'élevage bovin, de mieux surveiller la croissance de ce blé afin de mettre en œuvre une protection fongicide appropriée, compte tenu en outre de la climatologie particulièrement douce de l'année culturale, qui a exacerbé les éventuels problèmes présentés; étant au final observé que le piétin verse n'est pas une maladie nouvelle, et qu'elle est susceptible de frapper toutes les cultures céréalières.
Faits et procédure :
M Gaborieau est cultivateur. Il a le 4 mai 2007 signé avec la société SPS Negoce un contrat aux termes duquel il s'engageait à lui vendre 100 tonnes de blé tendre au prix de 130 euro la tonne. Il prétend avoir acheté à la société SPS Negoce (qui a pour activité l'approvisionnement et la revente de produits agricoles) une variété de blé PR 22R58 dans le cadre d'un contrat de vente à la récolte du 4 mai 2007, qu'il aurait ensuite semé sur une parcelle de terre située à La Gilleterie commune de Chauche (Vendée) sur une surface de 8ha 80 ca.
La société Actisem est le distributeur de cette semence, produite soit par la société Lecureur Semences soit par la société Caussade Semences. Elle a été initialement produite par la société CC Benoist devenue la société Syngenta Seeds.
Soutenant que la variété de blé, qui lui a été fournie est très sensible à la maladie du piétin verse, M Gaborieau a obtenu par ordonnance de référé du Président du Tribunal de grande instance des Sables d'Olonne du du 3 juin 2008 la désignation en qualité d'expert de M P Grenouilloux avec pour mission notamment de rechercher l'origine des désordres allégués et rechercher si à chaque étape (obtenteur de la variété, producteur, distributeur) la sensibilité de la variété PR22R58 était connue ou aurait dû l'être et chiffrer les préjudices subis par l'exploitant agricole.
L'expert a déposé son rapport d'expertise le 15 janvier 2009.
Par acte d'huissier du 28 décembre 2009, M Gaborieau a fait assigner la société SPS Negoce aux fins de condamnation à l'indemniser des préjudices matériels et moral subis du fait du manquement de cette société à son obligation de conseil.
La société SPS Negoce a appelé en la cause les sociétés Lecureur Semences, Caussade Semences, Actisem Gie et Syngenda Seeds afin qu'elles soient condamnées à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre, eu égard aux qualités respectives de ces sociétés fournisseurs de semences vendues par la société SPS Negoce.
C'est dans ces conditions que par jugement du 18 novembre 2011, le Tribunal de grande instance des Sables d'Olonne a :
- jugé que la société SPS Negoce avait failli à son obligation d'information vis à vis de M J Gaborieau et l'a condamnée à lui payer les sommes de 6 295,02 euro 13 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement outre celle de 1 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ,
-mis hors de cause la société Syngenta Seeds,
-condamné la société Lecureur Semences et le Gie Actisem à garantir la société SPS Negoce des condamnations prononcées contre elle,
-condamné la société SPS Negoce à verser à la société Syngenta Seeds la somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile , retenant que la société SPS Negoce avait manqué à l'obligation d'information pesant sur elle.
La cour :
Vu l'appel interjeté le 27 janvier 2012 par le Gie Actisem et la société Lecureur Semences.
Vu leurs dernières écritures signifiées le 27 août 2012 suivant lesquelles poursuivant l'infirmation du jugement déféré, elles concluent :
- à titre principal au rejet des demandes de M J Gaborieau ,
-à titre subsidiaire à la condamnation de la société Syngenta Seeds à les garantir ,
-plus subsidiairement encore à ce que soit réparties les responsabilités entre les parties dont la société SPS Negoce et M Gaborieau,
-en tout état de cause, à la condamnation de tout succombant à lui verser la somme de 4 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 26 juin 2012 par la société Syngenta Seeds , qui conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a mise hors de cause et au rejet des demandes dirigées contre elle, à la condamnation de tout succombant à lui payer une somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, observant qu'aucun grief ne peut lui être opposé alors qu'elle a communiqué à la société Actisem toutes informations utiles notamment quant à la sensibilité particulière de la semence en cause au piétin verse
Vu les dernières écritures signifiées le 31 juillet 2012 par la société SPS Negoce aux termes desquelles, elle conclut :
- à titre principal à l'infirmation du jugement déféré au rejet des demandes dirigées contre elle par M J Gaborieau et à sa condamnation à lui payer la somme de 4 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
à titre subsidiaire à la condamnation solidaire ou in solidum des sociétés Lecureur Semences Actisem Gie et Syngenta Seeds à la garantir de toutes les condamnations à sa charge et à lui payer une somme de 4 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile .
Vu les dernières écritures signifiées par rpva le 4 juillet 2012 par M J Gaborieau aux termes desquelles il conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a écarté sa demande d'indemnisation de son préjudice moral qu'il réitère sollicitant à ce titre l'allocation d'une somme de 5.000 euro, outre la somme complémentaire de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile .
Motifs et décision :
1) Sur la demande dirigée par M Gaborieau contre la société SPS Negoce :
Attendu qu'au soutien de ses prétentions, M Gaborieau invoque l'obligation de conseil et d'information qui pesait sur la société SPS Negoce, qu'il souligne que cette société qui mettait en vente un type de blé nouveau était débitrice d'une obligation de conseil contraignante renforcée par la qualité de son cocontractant acheteur qui spécialiste de l'élevage bovin (et non de la culture céréalière) n'avait donc pas l'habitude des cultures céréalières et encore moins de ce nouveau type de blé vendu, qu'il ajoute que cette obligation était renforcée eu égard aux circonstances climatiques de la saison culturale 2006/2007, qu'il estime que la société SPS Negoce ne rapporte pas la preuve qu'elle a au moment de la vente donné l'information dont elle était débitrice; alors qu'elle avait connaissance de la sensibilité du piétin verse; qu'il affirme qu'il y a un lien de causalité entre le défaut d'information et l'indemnisation sollicitée dès lors que s'il avait été informé des caractéristiques de la semence en cause il aurait adopté une méthode de culture conforme à ces caractéristiques et aurait appliqué une protection fongicide spécifique; qu'il met enfin en exergue la confiance qui présidait à leurs relations contractuelles légitimant le fait qu'il s'estimait déchargé de l'obligation de se renseigner, compte tenu de la qualité de spécialiste de la société SPS Negoce ;
Attendu que la société SPS Negoce objecte que contrairement à ce que soutient M J Gaborieau l'obligation de conseil est une obligation de moyens et non de résultat, qu'elle dénie y avoir manqué et affirme avoir fourni à ses clients toutes les informations relatives à la variété PR 22R58 telles qu'elle les avait reçues de la société distributrice Actisem, qu'elle relève par ailleurs que dès lors que les causes du sinistre résident dans un problème de suivi des cultures aucun manquement à un devoir de conseil ne peut lui être opposé alors qu'elle n'était pas liée à M Gaborieau par un contrat de suivi d'exploitation; qu'elle souligne que M Gaborieau était un professionnel dans le domaine des cultures qu'à ce titre en présence d'une nouvelle variété de blé, il lui appartenait d'être plus vigilant au niveau du suivi des cultures quant à l'apparition des maladies au regard du temps particulièrement doux, qui impliquait un fort risque de piétin verse et d'effectuer un traitement fongicide dès l'apparition des premiers symptômes en décembre 2006, qu'elle affirme que M Gaborieau ne démontre pas la réalité de son préjudice ;
Attendu qu'il est constant que la société Actisem Distributeur a fourni à la société SPS Negoce en même temps que la semence un catalogue 2006 sur lequel il était précisé que la variété PR22R58 était une variété qui arrivait à montaison très précocement et qu'il était préférable de la réserver à des semis intermédiaires de fin octobre jusqu'en janvier, que toutefois aucune observation n'a été formulée quant à la sensibilité de la semence en cause au piétin verse ;
Attendu qu'en l'espèce la semence a été mise en terre le 28 octobre 2006; que l'expert judiciaire précise que le piétin verse est une maladie du pied des céréales, qui se développe sur les gaines et les tiges en général au niveau du premier nœud, si bien que la tige ses nécrose lentement, se dessèche et devient cassante de sorte qu'à maturité les grains sont de petite taille, que la contamination est favorisée par des températures douces et humides ;
Attendu qu'il convient d'observer en préambule que M Gaborieau n'apporte aucun élément de preuve établissant la faiblesse du rendement, ni que la parcelle de blé semée était atteinte de la maladie du piétin verse, qu'en effet l'expert relève "l'absence d'éléments contradictoires sur la parcelle concernée qui serait de 8ha 80" ;
Attendu au surplus qu'à supposer que la semence en cause ait bien été vendue par la société SPS Negoce puis plantée par M Gaborieau et enfin qu'elle ait présenté une particulière sensibilité à la maladie du piétin verse, il résulte du rapport de M Olivier (commis par le juge des référés du Tribunal de grande instance des Sables d'Olonne dans deux autres procédures) que la société Actisem distributeur nonobstant la relative sensibilité du PR22R58 au piétin verse mentionnée le 31 août 2006 par l'obtenteur dans sa fiche technique, n'a pas communiqué cette information à son cocontractant dans le cadre de son contrat de commercialisation, qu'au contraire" la fiche de synthèse Actisem récolte 2006" mentionne "sa bonne tolérance aux maladies" que dès lors il ne peut être reproché à la société SPS Negoce de ne pas avoir attiré l'attention de M Gaborieau sur la faiblesse de cette semence, que de surcroît il résulte du rapport d'expertise judiciaire que les problèmes présentés sont imputables aux conditions culturales dans lesquelles la semence en cause a été mise en œuvre, au nombre desquelles ne figure pas que la date des semis qui en l'espèce est très proche de la date préconisée par la société Actisem dans son catalogue 2006 "céréales et protéagineux", qu'il appartenait en effet à M Gaborieau professionnel de l'agriculture qui se contente d'affirmer sans l'établir avoir été un spécialiste de l'élevage bovin de mieux surveiller la croissance de ce blé afin de mettre en œuvre une protection fongicide appropriée, compte tenu en outre de la climatologie particulièrement douce de l'année culturale, qui a exacerbé les éventuels problèmes présentés; étant au final observé que le piétin verse n'est pas une maladie nouvelle, et qu'elle est susceptible de frapper toutes les cultures céréalières ;
Attendu dans ces conditions qu'infirmant le jugement déféré il y a lieu de débouter M Gaborieau de ses demandes sans qu'il y ait lieu de statuer sur le recours en garantie formé par la société SPS Negoce à l'encontre des sociétés Lecureur Semences, Syngenta Seeds et Actisem Gie ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société SPS Negoce les frais non inclus dans les dépens; qu'il n'est en revanche pas inéquitable de laisser ces mêmes frais à la charge des autres intimées ;
Par ces motifs : Infirme le jugement déféré ; Statuant à nouveau : Déboute M Jacky Gaborieau de ses demandes dirigées contre la société SPS Negoce ; Le condamne à payer à la société SPS Negoce une somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les sociétés Actisem gie , Lecureur Semences et Syngenta Seeds de leurs demandes ; Condamne M J Gaborieau aux dépens de première instance et d'appel