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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 18 avril 2013, n° 10-08972

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Comena France (SARL)

Défendeur :

De Kervelan Gaec (Groupement)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Bail

Conseillers :

Mmes Le Potier, Lefeuvre

TGI. Vannes, du 19 oct. 2010

19 octobre 2010

Résumé

Le Gaec exerce une activité agricole consacrée principalement à la production laitière. Depuis août 2007, il achète à une société le produit destiné à la protection des mamelles des vaches après la traite (produit adoucissant) et le produit de nettoyage de la machine à traire (produit corrosif). Le 7 mai 2009, les deux bidons contenant ces produits ont été intervertis lors de leur mise en place dans le robot de traite et le produit de nettoyage a provoqué de graves brûlures aux mamelles de nombreuses vaches. C'est en vain que le Gaec recherche la responsabilité du vendeur. Ce dernier n'a pas manqué à son obligation d'information. Les bidons de produits sont différenciés par la couleur de leur bouchon (blanc pour le protecteur des pis et noir pour l'acide) et par les étiquettes supplémentaires apposées sur le bidon du produit corrosif, soit une étiquette de couleur orange vif avec le logo correspondant à "corrosif" ainsi que de l'autre côté du bidon une étiquette en noir et blanc, avec un logo et la mention "corrosif". De plus, le vendeur a remis à l'acheteur la fiche de sécurité du produit corrosif, fiche qui expose les dangers du produit, notamment que son contact avec la peau provoque des brûlures. Le vendeur a donc respecté ses obligations et l'accident est dû à une erreur d'inattention d'un employé du Gaec.

EXPOSE DU LITIGE

Le Gaec de Kervelan exerce une activité agricole consacrée principalement à la production laitière.

La société Comena France lui fournit, depuis août 2007, les produits destinés à la protection des mamelles des vaches après la traite (Kernocidin SD) et les produits de nettoyage de la machine à traire (DM Clean).

Le 7 mai 2009, les deux bidons contenant ces produits ont été intervertis lors de leur mise en place dans le robot de traite et le produit de nettoyage a provoqué de graves brûlures aux mamelles de nombreuses vaches.

Poursuivant la mise en œuvre de la responsabilité de la société Comena France aux motifs qu'une fois placés dans la machine à traire, les bidons avaient le même aspect extérieur, le Gaec de Kervelan l'a assignée, par acte du 14 avril 2010, en paiement de la somme de 59 379,47 euro en indemnisation de son préjudice matériel.

Par jugement réputé contradictoire du 19 octobre 2010, le Tribunal de grande instance de Vannes a :

- condamné la société Comena France à payer au Gaec de Kervelan la somme de 59 379,47 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel,

- condamné la société Comena France à payer au Gaec de Kervelan la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Comena France a formé appel de ce jugement et dans ses dernières conclusions du 13 février 2013, elle demande à la cour de l'infirmer et de :

- débouter le Gaec de Kervelan de toutes ses demandes,

- à titre subsidiaire, dire que le préjudice allégué n'est pas caractérisé,

- condamner le Gaec de Kervelan au paiement de la somme de

5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

La société Comena France soutient que la mise en œuvre de la responsabilité du vendeur professionnel pour manquement à son obligation de sécurité nécessite que le vice de la chose ait été la cause d'un accident ;

- que le Gaec ne démontre ni la défectuosité des bidons livrés, ni un lien de causalité avec les produits livrés.

Elle considère qu'elle a pris soin de prendre les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité, le bidon de DM Clean étant recouvert d'une étiquette de couleur orange vif comprenant le logo "corrosif" et d'une étiquette avec le pictogramme C-Corrosif et qu'elle avait adressé au Gaec la fiche sécurité du produit DM Clean émanant de son fabricant CD-Lines.

S'agissant de l'obligation de renseignement du vendeur à l'égard de l'acheteur professionnel, elle observe qu'elle découle de l'article 1604 du Code civil et non de l'article 1615, qu'elle n'existe que dans la mesure où la compétence de l'acheteur ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des produits qui lui sont livrés, et que le Gaec n'est pas un acheteur profane dès lors que son activité principale est la traite des vaches et qu'il utilise les produits depuis des années.

Le Gaec de Kervelan, aux termes de ses dernières conclusions du 5 février 2013, sollicite de la cour de :

- à titre principal, confirmer le jugement,

- à titre subsidiaire, constater que la faute de la société Comena France a favorisé dans de très larges proportions l'erreur commise par un préposé du Gaec et en conséquence, condamner la société Comena France à indemniser dans les plus larges proportions le préjudice subi par le Gaec et évalué à la somme de 59 379,47 euro,

- en toute hypothèse,

- condamner la société Comena France à lui verser la somme de 5 000 euro en application de l'article 560 du Code de procédure civile ,

- condamner la société Comena France à lui verser la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et la somme de 3 500 euro au titre des frais irrépétibles d'appel,

- condamner la société Comena France aux entiers dépens.

Le Gaec de Kervelan soutient qu'en application de l'article 1147 du Code civil , le vendeur professionnel est tenu d'une obligation générale de sécurité et de mise en garde quant aux produits qu'il vend et qu'en vertu de l'article 1615 du même Code, le vendeur est tenu d'une obligation particulière de renseignement.

Il fait grief à la société Comena France d'avoir manqué à ces obligations en lui vendant les produits sans assurer une différenciation suffisante des bidons contenant ces deux produits aux fins d'éviter tout risque de confusion lors de leur installation dans la machine à traite.

Il fait valoir que la question n'est pas celle d'une erreur commise par un préposé du Gaec lors du chargement des bidons dans la machine à traire mais celle de la cause de cette erreur, et que la cause de la confusion est que la société Comena France, qui, en sa qualité de fournisseur exclusif du Gaec, avait connaissance des spécificités de la machine de traite Lely Astronaut, ne lui a pas livré les produits dans des bidons suffisamment différenciés pour éviter l'interversion opérée le 7 mai 2009.

MOTIFS

Considérant que le robot utilisé pour la traite de ses vaches par le Gaec de Kervelan nécessite deux types de produit pour son fonctionnement : le Kenocidin SD destiné à la protection des mamelles des vaches et contenant des agents adoucissants, et le DM Clean, constitué d'un acide, le potassium hydroxide, servant à nettoyer les tuyauteries de la machine à traire ; que ces bidons sont installés par le préposé du Gaec de Kervelan l'un contre l'autre sur la machine dans l'emplacement prévu à cet effet ;

Considérant que le Gaec utilise les produits depuis des années dans les robots assurant la traite quotidienne des vaches et que ces produits lui sont régulièrement livrés depuis août 2007 par la société Comena France ;

Considérant que le 7 mai 2009, par erreur, le préposé du Gaec, au moment de la pose des deux bidons dans la machine à traire, les a intervertis, ce qui a eu pour conséquence que le produit DM Clean a été substitué dans la machine au Kenocdin D pour l'opération de trempage des mamelles des vaches après la traite ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux dossiers des parties que les bidons de produits livrés par la société Comena France au Gaec de Kervelan sont différenciés par la couleur de leur bouchon (blanc pour le protecteur des pis, et noir pour l'acide) et par les étiquettes supplémentaires apposées sur le bidon du DM Clean soit une étiquette de couleur orange vif avec le logo correspondant à Corrosif ainsi que de l'autre côté du bidon une étiquette en noir et blanc, avec un logo et la mention "corrosive" ;

- que la société Comena France fournit la fiche de sécurité du produit DM Clean en indiquant, sans être contredite, qu'elle a été remise au Gaec de Kervelan ; que cette fiche expose les dangers du produit et notamment que son contact avec la peau provoque des brûlures ;

Considérant que le Gaec avait une parfaite connaissance des caractéristiques de chacun des produits et de leur conditionnement ;

- que celui-ci n'a pas été modifié avant le sinistre et que les bidons contenaient les produits prévus ;

Considérant qu'aucun manquement à son obligation de sécurité du fait des produits par elle vendus n'est imputable à la société Comena France;

Considérant que ce n'est que lors de leur utilisation pour alimenter la machine à traire, qu'après avoir été débouchés et placés sur cette machine par le préposé du Gaec, que les bidons posés l'un contre l'autre, à l'endroit qui leur est réservé, ne sont plus distinguables de face ;

- que le seul responsable de l'utilisation de la machine à traire est le Gaec de Kervelan ;

- que de son côté, la société Comena France n'est responsable ni de l'utilisation ni de la conception de la machine qui n'est pas équipée d'un système rendant techniquement impossible par la différenciation des embouts des tuyaux de pompage, l'interversion des bidons lors de leur pose dans la machine ;

- que le Gaec de Kervelan est un acheteur professionnel, spécialiste de la traite des vaches ; qu'il utilise les produits vendus par la société Comena France et la machine à traire quotidiennement et depuis des années ; qu'il connaissait parfaitement les caractéristiques de chaque produit, la présentation de chaque bidon et, et mieux que quiconque, les modalités de leur installation sur la machine ;

- que le manquement de la société Comena France à son obligation contractuelle d'information et de mise en garde présentant un lien causal avec le préjudice subi par le Gaec de Kervelan n'est pas caractérisé ;

Considérant qu'en conséquence, le Gaec de Kervelan doit être débouté de ses demandes, le jugement déféré étant infirmé ;

Considérant que le Gaec de Kervelan sera débouté de sa demande de condamnation de la société Comena France à lui verser la somme de 5 000 euro en application de l'article 560 Code de procédure civile , dès lors qu'il ne caractérise pas un préjudice découlant de la non comparution de la société en première instance ;

Considérant que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Comena France au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

qu'il n'y a pas lieu à application de ce même texte en appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement déféré ; Et statuant à nouveau, Déboute le Gaec de Kervelan de ses demandes ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne le Gaec de Kervelan aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;