CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 mars 2014, n° 13-03295
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Camaieu International (SAS), Camaieu Italia (Sté)
Défendeur :
DSV Road (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Fisselier, Waymel, Minne, Bouzidi-Fabre, Muller
FAITS ET PROCÉDURE
A partir du mois de septembre 2000, la société Dubois et fils aux droits de laquelle viendront successivement, au terme d'une acquisition la société ABX Logistics Eurocargo, puis à la suite de sa dissolution et de la transmission de l'intégralité de son patrimoine, la société ABX Logistics France, devenue en 2010 la société DSV SA et en dernier lieu la société DSV Road, est intervenue en qualité de commissionnaire de transport pour les produits de marque Camaïeu ; elle organisait le transport au départ de Roubaix puis assurait leur distribution à partir de Milan dans les différents magasins ouverts sur le territoire italien et dont le nombre progressait entre 2001 et 2009 pour atteindre le nombre de 80 magasins.
Après l'envoi d'emails en mai 2010 annonçant le recours à une procédure d'appel d'offres à laquelle la société DSV Road a participé, la société DSV s'est vu notifier l'arrêt de cette coopération.
La société DSV, estimant avoir été victime d'une rupture brutale, a, par exploit du 23 février 2011, fait assigner les sociétés Camaïeu International et Camaïeu Italia en réparation de son préjudice.
Par jugement rendu le 20 décembre 2012, le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a :
- débouté les sociétés Camaïeu International et Camaïeu Italia de tous leurs moyens, fins et conclusions ;
- condamné les sociétés Camaïeu International et Camaïeu Italia à payer à la société DSV la somme de 1 921 918 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2011, date de la mise en demeure, et la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 19 février 2013 par les sociétés Camaïeu International et Camaïeu Italia contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées le 11 décembre 2013 par la société Camaïeu International, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- constater l'irrecevabilité des demandes de la société DSV devant le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing ;
En conséquence,
- annuler en tous points le jugement du 20 décembre 2012 pour excès de pouvoir ;
A défaut,
- l'infirmer en tous points ;
Vu l'absence de relation contractuelle entre la société DSV et la société Camaïeu International,
- mettre hors de cause la société Camaïeu International ;
- constater que la durée de la relation commerciale entre la société DSV et la société Camaïeu Italia n'est pas démontrée par l'intimée ;
Vu l'absence de dépendance économique de la société intimée vis-à-vis de la société Camaïeu,
- constater que la société DSV a elle-même estimé le préavis nécessaire à 3 mois afin de s'organiser en conséquence ;
Vu l'appel d'offre du 20 mai 2010,
- constater que le préavis accordé à la société DSV a été de 9 mois, et qu'en conséquence, la rupture brutale des relations commerciales n'est pas fondée ;
- constater en tout état de cause que le préjudice dont se prévaut la société intimée ne peut résulter que d'un calcul sur la marge brute et non sur le chiffre d'affaires conformément à une jurisprudence constante ;
- constater que l'absence de documents probants ne permet pas d'évaluer un quelconque préjudice ;
- débouter en conséquence la société DSV de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société DSV à verser à la société Camaïeu International la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Camaïeu International soutient que la présente affaire relève de la compétence exclusive du Tribunal de commerce de Lille, les demandes formées par la société DSV devant le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing devant être déclarées irrecevables. Elle indique que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a commis un excès de pouvoir entraînant la nullité du jugement.
Elle fait valoir qu'elle n'a aucun lien contractuel avec la société DSV et qu'elle n'a pas à connaître du présent contentieux, qui ne la concerne pas. Elle précise que seule la société Camaïeu Italia a des rapports contractuels avec la société DSV.
Elle indique que le préavis accordé doit s'apprécier à compter de la date de l'appel d'offre, comme le considère la jurisprudence, soit à compter du 20 mai 2010, de sorte qu'il représente 9 mois.
Elle fait valoir que la société intimée n'a pas fourni de document probant visé par son expert-comptable et/ou son commissaire aux comptes. Elle précise, par ailleurs, que dans ce type de contentieux, les dommages et intérêts ne peuvent s'évaluer que sur la base de la marge brute et non sur le chiffre d'affaires.
Vu les dernières conclusions signifiées le 11 décembre 2013 par lesquelles la société Camaïeu International demande à la cour de :
- dire le jugement nul pour excès de pouvoir ;
En tout état de cause,
A titre principal :
- mettre la société Camaïeu International hors de cause ;
- débouter la société DSV de l'ensemble de ses demandes ;
- reconventionnellement, dire que la société DSV a commis une faute contractuelle, et la condamner en conséquence à payer une somme de 15 000 euros à la société Camaïeu Italia ;
A titre subsidiaire :
- dire que le préavis manquant est de 6 semaines ;
- débouter la société DSV de ses demandes faute de justification de son préjudice ;
En tout état de cause :
- condamner la société DSV à payer 10 000 euros à la société Camaïeu Italia pour procédure abusive ;
- la condamner à payer 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Camaïeu International soutient que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing n'était pas compétent, le contentieux de la rupture brutale des relations commerciales ayant été attribué par le décret du 15 novembre 2009 au Tribunal de commerce de Lille de sorte que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a commis un excès de pouvoir et que son jugement doit être annulé.
Elle expose que les actions de recouvrement de la société DSV sont dirigées contre la société Camaieu Italia, qui, seule, avait des relations avec la société DSV Road et donc qu'elle-même ne peut qu'être mise hors de cause.
Elle fait valoir que le grief de rupture abusive de la relation commerciale faute de préavis suffisant ne peut concerner que la partie "Traction", et non la partie "Distribution".
Elle affirme qu'au sens de la jurisprudence récente, la réception d'un appel d'offre vaut préavis, et qu'au regard de l'appel d'offre qu'elle a émis, le délai de préavis accordé a été de 9 mois, les relations entre les parties ayant cessé le 1er février 2011.
Elle indique que le préjudice de la société DSV est inexistant, cette dernière ayant perdu un marché correspondant à moins de 1 % de son chiffre d'affaires qui a, par ailleurs, été meilleur en 2011 qu'en 2010.
Vu les dernières conclusions signifiées le 18 décembre 2013 par lesquelles la société DSV demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris ;
- condamner les sociétés Camaïeu International et Camaïeu Italia à payer à la société DSV les sommes de :
- 1 921 918 euros, sauf à parfaire, et à titre subsidiaire celle de 372 467 euros au titre de la perte de la marge brute subie, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 24 janvier 2011, ces intérêts devant être capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;
- 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société DSV soutient que l'appel-nullité invoqué par les sociétés appelantes n'est recevable qu'en l'absence de toute voie de recours légalement ouverte, celles-ci disposant d'une voie de recours à l'encontre du jugement rendu. Elle indique que l'exception tendant à voir déclarer le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing incompétent n'a jamais été formellement développée en première instance.
Elle affirme qu'il ne peut être contesté que la société Camaïeu International, située à Roubaix, est contractuellement liée avec elle, et qu'elle a toujours été son seul et unique interlocuteur, en sa qualité de donneur d'ordre.
Elle expose qu'il est justifié que les parties ont entretenu des relations commerciales suivies à partir de l'année 2000 et qu'elle a été un acteur majeur du développement de la société Camaïeu International en Italie.
Elle fait valoir qu'un mail, faisant état d'appel d'offre, qui lui a été adressé au mois de mai 2010 ne saurait, rétroactivement, justifier la rupture brutale de relations contractuelles de façon discrétionnaire, sans respect d'un préavis suffisant. Elle rappelle que, s'agissant de relations contractuelles ayant duré 10 ans, la durée du préavis ne saurait être inférieure à 3 mois.
Elle indique qu'il est inexact de prétendre limiter le préjudice qu'elle a subi à un pourcentage de la marge réalisée sur les seules opérations de traction, sachant que ses prestations et la facturation qui en résulte étaient globales.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la demande tendant au prononcé de la nullité du jugement
Considérant que la société Camaïeu International soutient que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing n'était pas compétent.
Considérant que l'article 542 du Code de procédure civile dispose "l'appel tend à faire réformer ou annuler par la cour d'appel un jugement rendu par une juridiction du premier degré".
Considérant que si le contentieux de la rupture brutale des relations commerciales a été attribué par le décret du 15 novembre 2009 au Tribunal de commerce de Lille de sorte que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing n'était pas compétent, il résulte de ces dispositions que la Cour d'appel de Paris est compétente pour connaître de l'ensemble de ce contentieux, quel que soit le tribunal de première instance.
Que, de plus, s'agissant d'une exception d'incompétence, il appartenait aux sociétés Camaïeu de développer leur prétention avant toute défense au fond, ce qu'elles n'ont pas fait.
Considérant, qu'en conséquence, la cour étant saisie de l'ensemble du litige au fond, la demande en cause d'appel et alors que les parties ont développé leur défense au fond est irrecevable.
Sur la mise en cause de la société Camaïeu International
Considérant que la société DSV Road affirme qu'elle intervenait en qualité de commissionnaire de transport de la société Camaïeu International, située à Roubaix, à l'occasion de l'organisation des transports et des modalités de livraison dans les différents magasins italiens ouverts sous cette marque dès 2001 et que la société Camaïeu International a toujours été son seul et unique interlocuteur, en sa qualité de donneur d'ordre, quand bien même il existait une société Camaïeu Italia.
Considérant que la société Camaïeu International le conteste, affirmant n'exploiter que des magasins situés en France et faisant valoir que seule la société Camaieu Italia avait des rapports contractuels avec la société DSV Road, qui, d'ailleurs, fonde son action sur le courrier qui lui a été adressé par cette dernière le 15 décembre 2010 pour lui notifier la fin de leur relation à compter du 1er février 2011.
Considérant que la société DSV Road justifie par des courriers qu'elle a été en relation exclusive avec la société Camaïeu International pour l'organisation des transports à destination de l'Italie et qu'elle a accompagné celle-ci dans l'ouverture de chacun des nouveaux magasins ; qu'il résulte ainsi d'un courrier du 11 juillet 2007 à en tête de Camaïeu International, ayant pour objet "distribution Italie", que la société Camaïeu International précise que les magasins "Camaieu" s'engagent à ouvrir en Italie en 2007 et 2008, sans faire mention de la société Camaïeu Italia ; que par des courriers à en tête de Camaïeu International, il est annoncé à la société DSV Road l'ouverture de chacun des nouveaux magasins en lui précisant l'adresse précise et demandant à celle-ci de faire part pour chacun de ses "faisabilités horaires et tarifs"; qu'il est produit 16 courriers au cours de la période du 21/12/06 au 20/01/10, concernant chacun un magasin.
Que par email du 28 décembre 2010 adressé par Ana Maria Carneiro Camaieu International Service transport, celle-ci demande à la société DSV Road "Merci de prendre les dispositions nécessaires pour que les marchandises soient livrées dans les magasins destinataires le 30 décembre, dans le cas contraire il risque d'avoir des répercussions".
Que, si les factures ont été libellées au nom de chaque magasin italien, la société DSV Road produit une attestation de M. Sissau, indiquant "Je confirme que pour notre client Camaïeu International avec lequel nous travaillions depuis une dizaine d'années celui-ci nous avait demandé depuis le début de nos accords commerciaux de libeller nos factures relatifs aux prestations de transport effectuées pour son compte à chaque magasin italien de Camaieu Italia SRL.
Une fois ces factures établies Camaieu International nous avait demandé d'envoyer les originaux à l'attention de Madame Ana Carneiro dans une grande enveloppe l'adresse suivante : Camaieu International BP229 6 221 Av Jules Brame 59100 Roubaix".
Que, si la lettre de rupture a été rédigée sur un document à en tête Camaïeu Italia, elle porte comme adresse Roubaix et ne saurait faire échec au fait que les relations ont été entretenues entre les sociétés Camaieu International et DSV Road.
Qu'il résulte de ces éléments que seule la société Camaïeu International a eu la maîtrise de l'ouverture des magasins en Italie et a ensuite convenu avec la société DSV Road des conditions de leur approvisionnement, en lui confiant la mise en place des lignes de transport à destination de ceux-ci.
Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté la société Camaïeu International de sa demande tendant à sa mise hors de cause
Sur la rupture des relations commerciales
Considérant que la société DSV Road affirme qu'elle a été victime d'une rupture brutale des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Camaïeu International, la mise en place de discussions tarifaires ne pouvant être assimilée à un préavis.
Considérant que les sociétés Camaïeu International et Camaïeu Italia font valoir qu'un appel d'offre a été émis le 20 mai 2010, de sorte que la société DSV Road a bénéficié d'un préavis de 9 mois.
Considérant que la société Camaïeu International a émis deux émails le 20 mai 2010, faisant état dans les deux de ce qu'elle lançait un appel d'offres ; que le premier émis à 17H22 visait uniquement les opérations de distribution en Italie au départ de Milan, le second à 17H35 visait l'ensemble des opérations au départ de Roubaix jusqu'aux magasins italiens soit les opérations de traction et de distribution.
Qu'elle a précisé dans cet émail "Dans le cadre de l'amélioration continue de la performance transport de nos magasins , nous lançons un appel d'offres sur le flux global de la distribution Camaïeu en Italie : traction Roubaix-Milan et distribution locale Milan vers nos magasins en Italie" ; qu'elle a également indiqué "Suite à l'appel d'offres un contrat sera communiqué aux transporteurs retenus avec un cahier des charges validé mutuellement"; qu'il importe peu que la lettre de rupture n'ait concerné que la partie traction des opérations soit le transport entre Roubaix et Milan.
Considérant que par email du 8 juin 2010, la société DSV Road a répondu en indiquant "vous trouverez en pièces jointes :
Notre projet technique
Traction
distribution depuis hub Italie de DSV
tarification 2010 par magasin et par zone géograhique"
Qu'elle précisait dans cet émail "Au cas où votre décision d'attribution de flux se porterait sur un de nos confrères, veuillez noter que notre préavis est de trois mois. Le temps de nous organiser en conséquence"
Qu'elle ne peut dès lors contester l'appel d'offres lancé par la société Camaïeu dont elle a été avisée par un courriel et qui avait pour objet de mettre en concurrence différents prestataires; qu'elle a estimé que celui-ci était suffisamment explicite pour qu'elle puisse y répondre.
Que le 28 octobre 2010, la société Camaïeu International lui a indiqué "Ta proposition tarifaire concernant le camion complet et le groupage est hors marché par rapport au résultat de l'appel d'offres. Je te prie de bien vouloir nous faire parvenir votre dernière proposition au plus tard ce vendredi 29 octobre 2010. Dès réception de votre offre, nous déciderons la poursuite ou l'arrêt de notre collaboration sur la traction Roubaix/Milan".
Que la lettre de rupture du 15 décembre 2010 indique que "la cessation ne concerne que la partie traction de la prestation transport distribution sur l'Italie c'est-à-dire de Roubaix à Milan".
Considérant que la notification de l'appel d'offres constituait un écrit qui exprimait clairement la volonté de la société Camaïeu International de ne pas poursuivre les relations commerciales aux conditions antérieures et faisait donc courir le préavis.
Considérant que les parties ont entretenu une relation commerciale stable et suivie pendant 10 ans ; que la société DSV Road a elle-même fait part à son partenaire qu'un délai de préavis de trois mois lui était suffisant pour se réorganiser ; que, si la société DSV Road a ensuite, par courrier du 22 décembre 2010, fait valoir que celui-ci devait tenir compte de la durée de la relation commerciale ayant existé et des usages, il convient de retenir qu'un délai de 9 mois était suffisant et que celui-ci doit être calculé à compter de la notification de l'appel d'offres.
Considérant, en conséquence, qu'il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de débouter la société DSV Road de ses demandes.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Camaïeu International a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de la société Camaïeu International tendant à sa mise hors de cause Reforme pour le surplus, Deboute la société DSV Road de l'ensemble de ses demandes Condamne la société DSV Road à payer à la société Camaïeu International la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile Condamne la société Camaïeu International aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.