CA Poitiers, 3e ch. civ., 27 novembre 2013, n° 11-04395
POITIERS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
LG Electronics France (SAS)
Défendeur :
Boulanger (SA), Macif Assurances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bussière
Conseillers :
Mme Salducci, M. Charlon
Avocats :
Mes Ormen, Laurent, Masson, Lexavoué Poitiers - SCP Paille/Thibault-Clerc, SCP Gallet-Allerit
LA COUR
Par jugement n° RG 10/00158 en date du 5 août 2011, le Tribunal de grande instance de Niort a :
- écarté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité ou d'intérêt à agir de la Macif,
- débouté la SARL LG Electronics France de sa demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire,
- condamné la SA Boulanger à payer à la Macif la somme de 74 253 euro à titre principal, outre 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SARL LG Electronics France à garantir la SA Boulanger de ces condamnations, et à lui payer la somme de 1 500 euro au titre de ses frais irrépétibles,
- condamné la SARL LG Electronics France aux dépens de l'action récursoire engagée contre elle par la SA Boulanger.
Par déclaration électronique reçue et enregistrée au greffe de la cour d'appel le 10 octobre 2011, la SARL LG Electronics France a interjeté appel du jugement à l'encontre de la S.A Boulanger et de la société Macif.
Par acte électronique enregistré le 18 avril 2012, la SA Boulanger a constitué avocat.
Par ordonnance en date du 13 novembre 2012, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions signifiées par la SA Boulanger le 1er juin 2012 et condamné cette dernière aux dépens de l'incident.
Par arrêt daté du 27 février 2013, la 3e chambre de la Cour d'appel de Poitiers a :
- déclaré la SA Boulanger recevable mais partiellement fondée en son déféré,
- confirmé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevables les conclusions signifiées par la SA Boulanger le 1er juin 2012 à l'encontre de la SARL LG Electronics France mais l'a infirmée en ses autres dispositions et statuant de nouveau,
- déclaré lesdites conclusions recevables uniquement à l'encontre de la société Macif Assurances,
- y ajoutant, dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SA Boulanger de l'incident et du déféré
Par dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 12 septembre 2012, la SARL LG Electronics France, appelante, demande de :
A titre principal,
- vu les articles 263 et suivants du Code de procédure civile,
- Dire et juger que l'Expert a violé le principe de la contradiction, en particulier en ne soumettant pas à la discussion des-parties le rapport de gendarmerie n° 2064/2007 ni le courrier du conseil des Epoux Saraiva du 8 juillet 2008,
- Dire et juger nul le rapport d'expertise du 15 avril 2009
A titre subsidiaire,
- Vu l'article 1134 du Code civil,
- Dire et juger que le manuel d'utilisation contient une clause exclusive de responsabilité en cas d'utilisation du produit en dépit de l'existence de dysfonctionnements connus,
- Rejeter l'ensemble des demandes de la Macif,
A titre très subsidiaire,
- Dire et juger que la victime a commis une faute en faisant usage d'un produit dont elle dit qu'elle connaissait le dysfonctionnement,
- Dire et juger que LG Electronics France est exonérée de toute responsabilité au titre du sinistre,
A titre infiniment subsidiaire,
- Vu les articles 1641 et suivants du Code civil,
- Dire et juger que les Epoux Saraiva ont fait usage de l'appareil dont ils disent avoir connu un dysfonctionnement et que la Macif ne rapporte pas la preuve d'un vice caché inhérent à la chose et antérieur à la vente,
- Dire et juger que la responsabilité de LG Electronics France ne saurait être engagée au titre de la garantie des vices cachés,
A titre très infiniment subsidiaire,
- Dire et juger que les conditions générales de vente de LG Electronics France limitent la garantie du fabricant au coût de vente du produit,
- Dire et juger que la société Boulanger n'a fait valoir aucun argument pour combattre les demandes de la Macif et que cette passivité vient réduire à néant les obligations de LG vis-à-vis de Boulanger,
- Rejeter l'ensemble des demandes de la société Boulanger,
En tout état de cause
- Rejeter la demande de dommages et intérêts formulée par la Macif,
- Condamner in solidum la Macif et la SA Boulanger à lui verser la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés tant dans le cadre de la présente procédure que dans le cadre de I'expertise judiciaire,
- Les condamner aux entiers dépens
Par dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 19 mars 2013, la SA Boulanger, intimée, demande de :
- Vu les articles 1134, 1147 et suivants, 1641 et suivants du Code civil, les pièces versées aux débats,
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Niort le 5 août 2011 en ce qu'il a condamné la Société LG Electronics France à garantir la Société Boulanger de toutes les condamnations prononcées à son encontre,
- Débouter la Société LG Electronics France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner (la Société LG Electronics France) et la Macif Assurances, in solidum, à verser à la Société Boulanger la somme de 3 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel,
- Condamner les mêmes aux entiers dépens
Par dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 12 mars 2012, la sté Macif Assurances, intimée, demande de :
- débouter la société LG Électronics France de l'intégralité de ses demandes,
- la recevoir en son appel incident, l'a déclaré bien-fondée et y faisant droit,
- condamner la société Boulanger à lui payer une somme totale de 80 134,33 euro,
- condamner la même au paiement d'une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société LG Électronics France au paiement d'une somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris l'instance en référé et l'expertise judiciaire, avec une distraction au profit de la SCP Gallet-Allerit, avocats à la cour,
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2013.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs faits, moyens et prétentions.
SUR CE
Il convient de relever au préalable que si les conclusions déposées par la SA Boulanger le 1er juin 2012 à l'encontre de la SARL LG Electronics France ont été déclarés irrecevables, les conclusions électroniques signifiées le 19 mars 2013 ne sont pas davantage recevables.
Les époux Saraiva ont fait l'acquisition dans un magasin exploité par la SA Boulanger d'un lave-linge de marque LG Electronics, lequel a pris feu à la suite d'une défectuosité de la pompe de vidange ; la société Macif, assureur desdits époux au titre d'un contrat "multigarantie vie privée", les a indemnisés à hauteur de 74 253 euro et l'assureur, subrogé dans les droits des assurés, a exercé un recours contre la SA Boulanger, vendeur du lave-linge, qui a demandé à son tour la garantie du fabricant la société LG Électronics France.
Par ordonnance de référé du 6 mars 2008, le président du Tribunal de grande instance de Niort avait désigné, à la requête de la Société Macif, un expert judiciaire aux fins de rechercher les causes de l'incendie survenu le 15 décembre 2007 au domicile des époux Saraiva et par ordonnance du 26 juin 2008 , les opérations d'expertise ont été étendues à la SARL LG Electronics France ; l'expert a déposé son rapport le 15 avril 2007 et par acte d'huissier du 9 février 2010, la société Macif a fait assigner la SA Boulanger devant le Tribunal de grande instance de Niort aux fins de la voir condamner à lui payer la somme principale de 80 134,33 euro outre 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal de grande instance a retenu que la société Macif avait un intérêt à agir puisqu'elle devait garantir l'incendie généré par un objet assuré et qu'elle avait qualité à agir puisqu'elle était subrogée dans les droits des assurés après les avoir indemnisé ; le premier juge a également rejeté l'exception de nullité du rapport d'expertise soulevée par le fabricant au motif qu'il n'était justifié d'aucune atteinte au principe du contradictoire affectant la validité des opérations expertise.
Sur le fond, le premier juge a estimé que l'incendie survenu le 15 décembre 2007 au domicile des époux Saraiva avait pour origine la pompe de vidange du lave-linge, machine livrée neuve quatre mois auparavant le 1er août 2007 par la SA Boulanger, distributeur professionnel, laquelle devait donc sa garantie en qualité de vendeur professionnel mais qu'elle devait être garantie à son tour par la SARL LG Electronics France, fabricant de l'appareil ménager ayant provoqué l'incendie.
L'appelante maintient sa demande de nullité du rapport d'expertise au motif que l'expert a retenu des documents qui n'avaient jamais été communiqués aux parties (courrier du conseil des époux Saraiva, rapport d'enquête de gendarmerie) et qu'il n'avait pas joint à son rapport certaines pièces soumises par le fabricant au cours de l'expertise telle que le manuel d'utilisation de la machine à laver ; en outre, l'expert ne se serait pas fait remettre l'ensemble des documents et pièces en rapport avec l'objet du litige et utile à la solution du litige ; il n'aurait pas expliqué les raisons ayant pu occasionner l'incendie, même s'il a fait référence à la pompe de vidange.
Le fait d'avoir omis de joindre au rapport d'expertise le manuel d'utilisation de la machine à laver ne peut pas faire grief au fabricant LG Electronics France dès lors qu'il est censé connaître comment fonctionnent les machines qu'il fabrique.
Les conclusions de l'expert reposent avant tout sur ses constatations personnelles et le rapport d'enquête de gendarmerie n'est cité que pour confirmer une remarque concernant l'état de la sablière du garage mais manifestement, les conclusions de l'expert ne reposent pas sur le rapport des gendarmes ; de même il n'est pas établi que l'expert ait fondé sa conviction sur le courrier du conseil des époux Saraiva daté du 8 ou 18 juillet 2008 mais en revanche il s'est appuyé sur le rapport établi par le technicien Mornet qui a conduit ses investigations quelques jours seulement après le sinistre et cette pièce n'est contestée par aucune des parties.
La lettre de la SA Boulanger datée du 17 mars 2008 n'a pas grande utilité dans la mesure où il est établi par une facture que c'est bien un lave-linge de marque LG qui a été livré aux époux Saraiva par la SA Boulanger comme en fait foi le bon de commande du 28 juillet 2007 annexé au rapport d'expertise ; en outre l'ingénieur désigné par le fabricant a pu voir la carcasse de la machine
Au demeurant la SARL LG Electronics France n'a pas versé aux débats le rapport d'expertise complet de M. Lathière et la cour n'est pas en mesure de vérifier la réalité des griefs invoqués par l'appelante puisqu'elle ne dispose que de versions incomplètes de ce rapport (sans les annexes).
Le rapport d'expertise est suffisamment clair et précis, étayé sur les observations faites personnellement par l'expert en présence des parties et dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'annuler le rapport pour défaut de respect du principe du contradictoire.
Si les conclusions de l'expert sont erronées, cela relève du débat sur le fond et non pas de l'exception de nullité ; en conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité du rapport d'expertise.
Sur le fond, l'appelante conteste toute responsabilité quant à l'origine du sinistre en indiquant que dans la notice d'utilisation du lave-linge fourni par le fabricant, il est précisé qu'il ne faut jamais essayer de faire fonctionner l'appareil s'il est endommagé ou s'il fonctionne mal et en conséquence elle ne garantit pas les risques relevés en cas d'utilisation de lave-linge ayant déjà subi des dysfonctionnements alors que M. Saraiva avait signalé une quinzaine de jours avant le sinistre, que la machine s'était mise en route sans aucune programmation et que le bouton marche-arrêt se trouvait bloqué ; en conséquence les clients auraient commis une faute grave en faisant usage d'un lave-linge qu'ils savaient défectueux.
Cependant au jour du sinistre, le lave-linge avait été livré depuis quatre mois et il s'agissait donc d'un appareil neuf dont les acquéreurs étaient en droit de jouir normalement sans être obligés de se livrer à des diagnostics de bon ou mauvais fonctionnement ; une simple mise en route inopinée ou un blocage de bouton ne constituent nullement des dysfonctionnements devant interdire l'utilisation de l'appareil et en conséquence le fabricant qui se doit de livrer une machine à laver conforme à l'usage que l'on en attend, avec un fonctionnement adapté et fonctionnel, ne peut pas invoquer une faute à l'encontre de l'usager qui n'a pas la maîtrise du fonctionnement d'un lave-linge, contrairement à un ingénieur de la SARL LG Electronics France et manifestement les époux Saraiva, au vu d'un seul dérapage technique, au demeurant fréquent mais auto réparable comme ce fut le cas, ne pouvaient nullement considérer qu'il s'agissait d'un vice apparent ni même d'un vice caché qu'ils auraient eux-mêmes décelés, sauf à considérer que ce fabricant vend des produits non vérifiés et affectés de vices dès la sortie de l'usine.
Le tribunal a effectivement considéré à bon droit que la SARL LG Electronics France ne saurait prospérer dans son argumentation tendant à voir déclarer les époux Saraiva responsables de leur préjudice pour avoir de façon fautive mis en route une machine qu'ils savaient défectueuse alors que ne peut pas être considérée comme anormale et reprochée comme fautive à l'utilisateur, la mise en route d'une machine à laver récente, n'ayant subi aucun accident et ayant jusqu'alors rempli sa fonction d'autant que la recommandation d'un manuel d'utilisation est dépourvue de caractère contraignant ; en l'espèce ladite recommandation était totalement inadaptée aux circonstances décrites par M. Saraiva.
Le rapport d'expertise judiciaire a déterminé clairement que l'origine de l'incendie provenait du lave-linge considéré et plus spécialement de la pompe de vidange dont il n'a été retrouvé aucun reste, ce qui confirme que l'incendie a pris naissance dans cet organe qui a été entièrement détruit par le feu.
L'appelante fait encore valoir que l'appel en garantie de la SA Boulanger trouve ses limites dans les conditions générales de vente liant le fabricant et le revendeur et notamment au vu de la spécialisation du revendeur qui a la même qualité de professionnel que le fabricant ; il est prévu aux conditions générales de vente que dans le cas de vices cachés, "la seule obligation incombant à LG sera le remplacement gratuit ou la réparation du produit ou des pièces reconnues défectueuses" et il offre de rembourser le prix de vente soit 560,98 euro.
Il est certain que sur son site Internet, la SA Boulanger se présente comme un spécialiste du matériel électroménager et en conséquence il sera retenu qu'elle est un professionnel de la même spécialité que la SARL LG Electronics France et en vertu des conditions générales de vente la garantie du fabricant doit être limitée au coût de vente du produit.
La SA Boulanger ne conteste pas la disposition du jugement du tribunal de grande instance l'ayant condamnée à payer à la société Macif la somme de 74 253 euro à titre principal ; cependant la disposition concernant l'appel en garantie dirigé contre la SARL LG Electronics France sera infirmée et cette dernière société ne devra garantir la SA Boulanger qu'à hauteur du coût de vente du produit et le jugement entrepris sera réformé en ce sens.
La société Macif a formé un appel incident pour demander la condamnation de la SA Boulanger à lui payer la somme totale de 80 134,33 euro contre 74 253 euro alloués en première instance ; l'assureur demande également la prise en charge d'une franchise de 100 euro ainsi que le coût de l'intervention de ses techniciens dont le montant s'élève à 7 881,33 euro ; dans la mesure où ces sommes sont justifiées et en relation de cause à effet direct avec le sinistre provoqué par le lave-linge acquis par les époux Saraiva, ses assurés, il convient de faire droit à la demande de l'assureur et de réformer le jugement ce sens.
La SA Boulanger succombe principalement en appel mais comme l'appelante reste tenue à garantie partielle, il convient de condamner la SA Boulanger à supporter les trois quarts des frais et dépens de première instance et d'appel, le dernier quart étant laissé à la charge de la SARL LG Electronics France, avec distraction au profit de la SCP Gallet-Allerit, avocats à la cour.
Par Ces Motifs : LA COUR, Statuant après en avoir délibéré, publiquement, en matière civile, en dernier ressort et contradictoirement, Déclare l'appel recevable Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a : - écarté les fins de non recevoir tirées du défaut de qualité ou d'intérêt à agir de la société Macif, - débouté la SARL LG Electronics France de sa demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire, - condamné la SA Boulanger à payer à la société Macif la somme de 74 253 euro à titre principal, outre 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, L'infirme en ses autres dispositions et statuant de nouveau Condamne la SARL LG Electronics France à garantir la SA Boulanger à hauteur du coût de vente du produit aux époux Saraiva Y ajoutant Dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties Condamne la SA Boulanger à supporter les trois quarts des entiers frais et dépens de première instance et d'appel et la SARL LG Electronics France à prendre en charge le dernier quart desdits frais et dépens et autorise la SCP Gallet-Allerit, avocats à la cour, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision préalable et suffisante.