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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 25 octobre 2013, n° 10-05625

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Legeard

Défendeur :

Legendre, SPI Gestion (SAS), Amarmax (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Bail

Conseillers :

Mmes Le Brun, Le Potier

Avocats :

Mes Nokovitch, Stanczyk, Le Brusq, Colleu

TGI. Lorient, du 30 juin 2010

30 juin 2010

I Faits et procédure :

Monsieur Legeard a acquis le 28 octobre 2004, de Monsieur Roland Legendre, un voilier d'occasion nommé Chambers, de marque Beneteau, type First 310, immatriculé LO 146362, pour un prix de 54 000 euro.

Monsieur Legendre avait lui-même acquis ce navire d'occasion le 30 novembre 2001 auprès de la S.A.R.L. Spi, après expertise préalable de Monsieur Clouet en date du 29 octobre 2001, faisant rapport notamment d'un événement de mer important soigné par le chantier Amarmax à Lorient en mai 2001, avec dépose de quille, restratification des fonds et reprise des varangues.

En février 2007, alors que le bateau se trouvait en hivernage sur un chantier, Monsieur Legeard a constaté la présence d'une stratification dont il a enlevé les tissus qu'il n'a pas conservés. Il a observé alors une fissure dans la fonte à l'arrière de la quille, dont un morceau s'est détaché et dont les chantiers contactés ainsi que le cabinet Eurea ont préconisé le remplacement, pour un coût estimé à 7 852 euro. Monsieur Legeard a demandé une expertise judiciaire qui a été ordonnée en référé le 31 mai 2007, en désignant Monsieur Clouet, puis Monsieur Dubois qui a déposé son rapport le 9 janvier 2008, au contradictoire des intervenants dans les ventes et réparations du navire intervenues entre 2001 et 2004.

Monsieur Dubois a constaté que la quille du bateau présentait une cassure à la partie haute du bord de fuite, au ras de la coque. Il a retenu que cette cassure est ancienne, en estimant qu'elle entraînait un risque pour le bateau et que la quille devait être remplacée, tout en observant que le bateau avait pu être utilisé sans incident jusqu'à la découverte de la cassure, car il n'y a pas eu de défaut d'étanchéité. Il a conclu qu'au moment de la vente le bateau était affecté d'un vice caché, cette cassure de la quille n'étant absolument pas décelable car ayant été enduite et peinte afin d'améliorer l'écoulement des filets d'eau. L'expert a émis des hypothèses sur l'origine de cette cassure dont les travaux de réparation ont été chiffrés à 10 484 euro TTC par le Chantier du golfe, hors déquillage.

Monsieur Legeard a fait assigner Monsieur Legendre par acte d'huissier du 30 juin 2008, sur le fondement de l'article 1641 du Code civil , en lui réclamant 21 370,85 euro pour travaux de remise en état, 37 810 euro pour privation de jouissance, 1 445,13 euro pour frais de gardiennage, 220,84 euro pour frais de mise à l'eau, 3 332,20euro pour frais de prêt et 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile . Monsieur Legendre a fait assigner la société SPI Location par acte du 18 mai 2007 et cette dernière a fait assigner la société Amarmax en garantie.

Par jugement du 30 juin 2010, le Tribunal de grande instance de Lorient a :

- Déclaré recevables les conclusions signifiées le 14 avril 2010 par Monsieur Legeard ;

- Débouté Monsieur Legeard de l'ensemble de ses demandes ;

- Débouté Monsieur Legendre et la SAS SPI de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Débouté la S.A.R.L. Amarmax de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamné Monsieur Legeard aux dépens qui comprendront ceux de l'instance en référé et dont distraction au profit de la SCP Le Roux-Le Roux-Delplancq-Furet et de Maître Le Brusq.

Monsieur Jean-Yves Legeard a déclaré faire appel de cette décision le 22 juillet 2010, à l'encontre de Monsieur Roland Legendre. Cet appel a provoqué l'appel de Monsieur Roland Legendre à l'encontre de la SAS SPI (ayant pour nom commercial Spi Evasion Spi Bretagne), par assignation du 16 novembre 2010. Par suite, la SAS Spi - Spi Evasion - Spi Bretagne - Spi Location- exerçant sous l'enseigne Spi Gestion - a déclaré faire appel de ce même jugement le 19 janvier 2011, à l'encontre de la S.A.R.L. Amarmax. Les procédures n° RG 10-8175 et 11-396 ont été jointes à la procédure n° RG 10-5625 par ordonnance de mise en état du 7 avril 2011.

Monsieur Jean-Yves Legeard a conclu le 9 mars 2011, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil , en demandant à la cour de :

- Réformer le jugement entrepris ;

- Condamner Monsieur Roland Legendre au paiement des sommes ci-après :

- travaux de remise en état : 21 370,85 euro,

- frais de gardiennage : 1 445,13 euro,

- mise à l'eau : 220,84 euro,

- frais de prêt : 3 332,20 euro,

- privation de jouissance : 37 810 euro ;

- Condamner le même au paiement de la somme de 6 000 euro à titre de frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

- Condamner le même au paiement des entiers dépens de l'instance lesquels comprendront la somme de 2 775,82 euro à titre de frais d'expertise ainsi que les dépens de la procédure de référé et de fond de première instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Monsieur Roland Legendre a conclu le 8 février 2011, en demandant à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Legeard de son action aux fins de résolution fondée sur les dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil ;

- Le condamner à payer à Monsieur Legendre la somme de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Subsidiairement, vu l'article 1646 du Code civil , si par impossible la cour venait à considérer que vice caché il y avait au sens des dispositions de l'article 1646 sus visé, dire alors que Monsieur Legendre, dont il n'est pas discuté qu'il ignorait l'existence du vice, ne sera tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente ;

- Débouter Monsieur Legeard de toutes ses demandes contraires ;

- Et pour l'hypothèse où il serait fait droit aux demandes de Monsieur Legeard an quelque proportion que ce soit,

- Condamner alors la société SPI à garantir et relever indemne Monsieur Legendre de toutes condamnations susceptibles d'intervenir à son encontre ;

- Condamner tous succombants à payer à Monsieur Legendre une somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner tous succombants en tous les dépens qui seront recouvrés conformément dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société SPI - SPI Evasion-SPI Bretagne-SPI Location- exerçant sous l'enseigne SPI Gestion, a conclu le 18 avril 2011, au visa des articles 1641 et suivants et 1646 du Code civil , en demandant à la cour de :

- A titre principal, confirmer le jugement déféré ;

- Dire et juger que Monsieur Legeard ne rapporte pas la preuve de ce que le voilier était affecté, lors de son acquisition, d'un défaut grave compromettant ou diminuant considérablement son usage ;

- En conséquence, débouter Monsieur Legeard de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions contraires, comme injustitiées et mal fondées ;

- A titre subsidiaire, dire et juger l'appel en garantie de Monsieur Legendre à l'encontre de la société SPI irrecevable et infondé ;

- A titre infiniment subsidiaire, dire et juger qu'aucune preuve de la connaissance du vice par la société SPI n'est apportée par Monsieur Legeard ou Monsieur Legendre ;

- Dire que la société Amarnax sera tenue de relever et garantir la société SPI de toute condamnation pouvant intervenir à son encontre pour le cas où le Tribunal de grande instance de Lorient ferait droit aux demandes de Monsieur Legeard ;

- Condamner la ou les parties qui succombe(nt) à payer à la société SPI une somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la ou les parties qui succombe(nt) aux entiers dépens de l'instance et autoriser la SCP d'Aboville De Moncuit Saint Hilaire, avoués, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La S.A.R.L. Amarmax a conclu le 27 février 2012 en demandant à la cour de :

- Confirmer le jugement dont appel ;

- Condamner Monsieur Legeard à payer à la société concluante une somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Subsidiairement,

- Débouter la société SPI de toutes ses demandes non prouvées à l'encontre de la société concluante ;

- Condamner tout succombant à payer à la société concluante la somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner les mêmes en tous les dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est en date du 7 février 2013.

II Motifs :

Monsieur Legeard fait valoir que ce bateau a subi deux fortunes de mer ayant à chaque fois entraîné un déquillage et ayant engendré des réparations qui sont restées invisibles. Il s'appuie sur le rapport de l'expert, estimant que la cassure de la quille constitue un risque pour le bateau, du fait d'un risque d'introduction d'eau par la vis de fixation placée à l'endroit de la cassure, si la pièce cassée se détache, l'expert retenant qu'il n'est pas recommandé de naviguer dans ces conditions, sans réparation de la quille.

Monsieur Legeard précise que s'il avait su que le bateau avait talonné à deux reprises et qu'il avait subi d'importantes réparations, il ne l'aurait pas acheté. Il prétend à l'indemnisation des travaux de remise en état du bateau pour 21 370,85 euro et d'un préjudice de jouissance pour 37 810 euro, outre des frais de gardiennage et remise à l'eau, et des frais de prêt, soit une demande globale de 64 179,02 euro.

Monsieur Legendre s'en tient à l'appréciation du premier juge et précise que le bateau a été vendu dans l'état où il l'avait acheté, avec une réparation invisible au point que même Monsieur Clouet ne l'avait pas décelée. Et il fait observer que le bateau a bien navigué dans cet état entre le 29 octobre 2001 et février 2007 soit environ 5 ans et demi, ce qui empêche de considérer qu'il est atteint d'un vice le rendant impropre à sa destination, alors même qu'il est réparable. Il conclut au débouté des demandes de Monsieur Legeard et subsidiairement demande la garantie de la société SPI Location qui lui a vendu le bateau affecté de ce vice.

La SAS SPI conteste l'établissement de l'antériorité du vice par rapport aux deux ventes, en expliquant que le bateau a subi deux talonnages au mois de juin 2000 et début 2001, mais qu'à chaque fois il a fait l'objet de vérifications et de réparations dont il ne ressort nullement de cassure et de réparation de la quille, mais tout au plus des fissures ou des cassures sur des varangues et les stratifiés de ces varangues. Ces réparations ont été constatées par Monsieur Clouet qui a noté des travaux de stratification et de reprise de varangues par le chantier Amarnax de Lorient. Par ailleurs, Monsieur Clouet a repris des déclarations de Monsieur Legeard concernant des travaux d'entretien avec ponçage et traitement de la quille sans rien remarquer en 2004 et non plus en février 2006 lors des travaux d'antifouling, mais par contre une fissure ayant été relevée par Monsieur Legeard en novembre 2006, sans être traitée avant le ponçage et la mise en place de l'antifouling, cette fissure ayant ensuite progressé jusqu'à ce qu'un morceau se détache, sans que Monsieur Legeard conserve la stratification qui était alors en place.

La société SPI relève que l'expert n'a pas déterminé avec certitude l'origine de la cassure, en retenant seulement que Monsieur Legeard a acheté le bateau dans le même état que Monsieur Legendre, étant observé que le bateau a subi depuis lors des manutentions pour travaux d'entretien dont il n'est pas produit de factures tandis que le bateau a été utilisé sans problème jusqu'en 2007, au bénéfice d'un collage de bonne qualité permettant au bateau de naviguer dans de bonnes conditions d'étanchéité.

La société Amarmax conclut à l'absence de vice avéré sur un navire qui a navigué entre février 2001 et février 2007 sans problème et sans qu'aucun chantier ni expert ne décèle le prétendu vice, jusqu'à l'intervention de Monsieur Legeard qui a retiré les tissus de verre de la coque mais sans les conserver, en nuisant ainsi à la recherche des causes de l'avarie et en faisant dépérir les preuves d'un défaut suffisamment grave pour compromettre l'usage de navire avant sa vente. Elle exclut toute responsabilité pouvant lui incomber dans cette affaire.

Sur le vice caché affectant le navire :

Monsieur Legeard agit contre Monsieur Legendre sur le fondement de l'article 1641 du Code civil , en tant que vendeur tenu de la garantie du vice caché affectant le bateau qu'il lui a acheté le 28 octobre 2004. Monsieur Legeard a découvert en février 2007, l'existence d'une cassure importante au niveau de la quille du bateau dont un morceau s'est détaché au niveau de la partie haute du bord de fuite, au ras de la coque, avec un axe de fracture correspondant pratiquement à l'axe de la dernière vis de fixation. La cassure est ancienne selon l'expert et il s'avère que ce morceau de quille a été recollé en faisant usage d'une résine de collage dont l'application avec une telle qualité implique un certain professionnalisme.

La cassure s'est révélée lorsque Monsieur Legeard a enlevé la stratification qu'il déclare être apparue lors d'un hivernage en février 2007, alors qu'elle masquait jusqu'alors le recollage du morceau de coque cassé, dont l'existence n'a été repérée par aucun des trois experts ayant examiné le navire en juin 2000, mars 2001 et novembre 2001. De même ce recollage n'a été noté par aucun des chantiers ayant effectué des travaux de réparation après les deux talonnages subis par le bateau en juin 2000 et mars 2001, mettant en cause les varangues mais pas la quille en elle-même, même si les réparations ont nécessité des opérations de déquillage et requillage.

Diverses hypothèses ont été émises en cours d'expertise mais sans pouvoir établir l'origine ni le moment de cette cassure, ni encore les conditions techniques de sa réparation avec une qualité professionnelle la rendant indécelable.

Les époux Legendre ont fait examiner le bateau avant de l'acquérir et ils en ont fait usage sans avoir connaissance de cette cassure, également ignorée de Monsieur Legeard pendant deux ans, mais révélée dans des conditions dont il n'a pas conservé les traces, en procédant à l'enlèvement d'une stratification qui a dû permettre de la masquer, mais tout en assurant aussi l'étanchéité dont la perte est retenue par l'expert pour préconiser le changement de quille.

Les fortunes de mer ne sont pas constitutives du vice fondant l'action de Monsieur Legeard dont le bateau s'avère muni d'une quille affectée d'une cassure dite ancienne mais non datée et qui a fait l'objet d'une réparation dont la qualité a permis l'usage du navire jusqu'à ce que Monsieur Legeard procède à l'enlèvement d'une stratification en provoquant une rupture d'étanchéité rendant alors le navire impropre à la navigation.

Ces éléments n'apportent pas la preuve suffisance de l'existence, au moment de la vente, d'un défaut caché affectant la quille du bateau et de nature à empêcher ou réduire sa navigabilité.

Le jugement déféré doit, en conséquence, être confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les frais et dépens :

Le jugement déféré est confirmé en ses dispositions sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Legeard qui succombe est condamné aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à chacun des intimés la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR : Confirme le jugement déféré ; Y ajoutant, Condamne Monsieur Jean-Yves Legeard à payer à Monsieur Roland Legendre, la S.A.R.L. Amarmax et la société SPI - SPI Evasion-SPI Bretagne-SPI Location, chacun, la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile Condamne Monsieur Jean-Yves Legeard aux dépens d'appel, recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.