CA Bordeaux, 1re ch. civ. B, 11 avril 2013, n° 11-03899
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Paris
Défendeur :
Faucher, Atlantic Navy (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cheminade
Conseillers :
Mme Faure, M. Boinot
Avocats :
Mes Lacaze, Berthault-Gueremy, Lataillade, SCP Puybaraud, SCP Boyreau, SCP Taillard, Janoueix
Vu le jugement rendu le 5 mai 2011 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux, au vu d'un rapport d'expertise judiciaire du 27 décembre 2008 réalisé par Jacques Bernard et au visa des articles 1641, 1644 et 1147 du Code civil, qui, entre autres dispositions, a condamné Michel Paris à payer à Edith Faucher une somme de 17 842,10 euro au titre de la restitution d'une partie du prix de vente d'un navire immatriculé LS 715143, avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2006, qui a condamné in solidum Michel Paris et la société à responsabilité limitée Atlantic Navy à payer à Edith Faucher les sommes de 12 207,79 euro au titre de frais liés à la vente, de 15 000 euro en réparation d'un trouble de jouissance, ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la décision, et de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, qui a débouté les parties du surplus de leurs demandes, et qui a ordonné l'exécution provisoire ;
Vu la déclaration d'appel de Michel Paris du 16 juin 2011 ;
Vu les conclusions de l'appelant, signifiées et déposées le 16 septembre 2011 ;
Vu les dernières écritures d'Edith Faucher, contenant appel incident, signifiées et déposées le 22 mars 2012 ;
Vu les dernières écritures de la société Atlantic Navy, contenant appel incident, signifiées et déposées le 20 août 2012 ;
Vu l'ordonnance de clôture du 30 octobre 2012 ;
DISCUSSION :
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des constatations et conclusions de l'expert judiciaire, ainsi que des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère au jugement déféré (pages 2 à 5), qui en contient une relation précise et exacte ;
Attendu que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a estimé que le navire de plaisance de marque Gib Sea, type Jamaïca, immatriculé LS 715143, construit en 1989 et vendu par Michel Paris à Edith Faucher le 30 septembre 2006 pour un prix de 59 500 euro, était atteint, au moment de la vente, de deux vices cachés, à savoir un défaut d'étanchéité des superstructures et des anomalies des embases des moteurs, et que ces vices le rendaient impropre à son usage, dans la mesure où l'étanchéité des parties habitables d'un bateau était primordiale pour la navigation et où sa capacité à manœuvrer était déterminante de la sécurité en mer (pages 7 à 9 du jugement) ; que c'est à tort que Michel Paris conteste cette analyse au motif que le navire, qui était âgé de dix-sept ans, a été vendu "en l'état", que lui-même a remis à Edith Faucher un rapport de visite de pré-assurance du 1er juin 2006 qui décrivait cet état, qu'il n'a pas empêché l'intéressée de faire examiner le bateau par un homme de l'art et qu'en toute hypothèse les vices étaient apparents lors de la vente ; qu'en effet, s'il est exact que le navire était ancien et qu'il a été vendu "en l'état", il était néanmoins censé être propre à son usage, alors que l'expert a indiqué que tel n'était pas le cas ; que par ailleurs, si le rapport du 1er juin 2006 décrit un bateau dans "en état de présentation très moyen" (page 5), ce qui a été pris en compte pour la fixation du prix, il ne mentionne pas les deux vices précités ; que plus particulièrement, s'il fait état d'une importante humidité dans la cabine avant, avec décollement des vaigrages et moisissures de la sellerie et du dessus des coffres, il n'indique pas la cause de ces désordres, à savoir le défaut d'étanchéité des superstructures, qui constitue le vice caché proprement dit ; qu'Edith Faucher n'a commis aucune faute en ne faisant pas examiner le navire par un homme l'art ; que cette circonstance n'est donc pas de nature à décharger Michel Paris de la garantie des vices cachés ; qu'enfin, contrairement à ce que prétend celui-ci, l'expert judiciaire a précisé que le défaut d'étanchéité des superstructures n'était "pas directement apparent(s) et qualifiable(s) par l'acheteur du bateau" (page 11 de son rapport) et que les anomalies des embases, qui avaient été déposées, le navire ayant été vendu alors qu'il était hors de l'eau, n'étaient pas apparentes sans remontage et essais préalables ; qu'il s'ensuit que la preuve des deux vices cachés précités se trouve rapportée ;
Attendu que c'est à juste titre que le tribunal a indiqué que des traces de choc sur les bossoirs, avec dégradation légère du tableau arrière et faïençage du gelcoat, ne constituaient pas un vice caché, dans la mesure où "leur mise en évidence résulte d'un simple examen visuel", ainsi que l'avait noté l'expert (page 11 de son rapport) ;
Attendu en revanche que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la défectuosité de deux matériels d'équipement électrique, à savoir le chauffe-eau et le réfrigérateur, ne constituait pas un vice caché au motif qu'elle pouvait être constatée par un simple test, alors que l'expert avait précisé que ces défauts ne pouvaient être démontrés que lors de la mise en fonctionnement des appareils (page 11 de son rapport) et que si le rapport de visite de pré-assurance mentionnait que le ballon d'eau chaude et le réfrigérateur étaient dans un état "Satisfaisant/Correct", il notait aussi : "Electricité non essayée" (page 3), de sorte qu'il ne fournissait aucune indication sur leur capacité de fonctionnement ; que la cour retiendra donc l'existence d'un vice caché sur ce point ;
Attendu que l'article 1644 du Code civil dispose qu'en cas de vice caché, "l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts" ; qu'en l'espèce, Edith Faucher ayant fait le choix de garder le navire et de s'en faire rendre une partie du prix, le tribunal a fixé lui-même à la somme de 17 842,10 euro la fraction du prix restituable, alors que l'acheteuse réclamait une somme de 20 414,21 euro ; que toutefois, le texte précité impose que la part du prix qui doit être restituée soit "arbitrée par experts", ce qui interdit au juge de la calculer lui-même (Cour de cassation, 3e Chambre civile, du 8 avril 2009, pourvoi n° 07-19.690, 1er décembre 2009, pourvoi n° 08-20.125, et 24 octobre 2012, pourvoi n° 11-12.816) ; qu'en l'espèce, l'expert judiciaire n'ayant reçu aucune mission en ce sens, il convient d'ordonner d'office un complément expertise ; que le texte imposant de confier la mission à au moins deux techniciens, il y a lieu de désigner à nouveau Jacques Bernard en le faisant assister d'un autre expert ; qu'il sera statué sur le surplus du litige jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ; qu'Edith Faucher ayant la charge de prouver le montant de la partie du prix restituable, c'est elle qui devra consigner la provision à valoir sur la rémunération des techniciens ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit Michel Paris en son appel, ainsi qu'Edith Faucher et la société Atlantic Navy en leurs appels incidents ; Dit que le navire de marque Gib Sea, type Jamaïca, immatriculé LS 715143, construit en 1989 et vendu par Michel Paris à Edith Faucher le 30 septembre 2006 pour un prix de 59 500 euro, était atteint, au moment de la vente, de trois vices cachés, à savoir un défaut d'étanchéité des superstructures, des anomalies des embases des moteurs et un défaut de fonctionnement du chauffe-eau et du réfrigérateur ; Statuant avant dire droit sur le surplus du litige, Ordonne un complément d'expertise ; Commet pour y procéder : Jacques Bernard, déjà désigné dans cette affaire, demeurant <adresse>, tél. : <...>, adresse électronique : [email protected], Jacques Buisson, demeurant <adresse>, tél. : <...>, adresse électronique : [email protected], avec pour mission, après avoir pris connaissance des faits de la cause et s'être fait remettre tous documents utiles par les parties : - d'examiner le navire de marque Gib Sea, type Jamaïca, immatriculé LS 715143, construit en 1989 et vendu par Michel Paris à Edith Faucher le 30 septembre 2006 pour un prix de 59 500 euro ; - d'arbitrer la partie du prix de vente qui devra être restituée par Michel Paris à Edith Faucher, en application de l'article 1644 du Code civil, compte tenu des trois vices cachés dont était atteint ce navire lors de la vente, à savoir un défaut d'étanchéité des superstructures, des anomalies des embases des moteurs et un défaut de fonctionnement du chauffe-eau et du réfrigérateur ; - de donner, le cas échéant, tous éléments techniques complémentaires utiles à la solution du litige ; Dit que si l'examen du navire n'est plus matériellement possible, les experts devront procéder sur pièces à l'arbitrage de la partie du prix à restituer ; Dit que dans les deux mois du présent arrêt, Edith Faucher devra consigner au greffe de la cour une somme de 1 500 euro à titre de provision à valoir sur la rémunération des experts ; Dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation des experts sera caduque, conformément aux dispositions de l'article 271 du Code de procédure civile, sauf prorogation du délai de consignation ; Dit que les experts, si le coût probable de l'expertise s'avère beaucoup plus élevé que la provision fixée, devront communiquer au juge chargé du contrôle et aux parties l'évaluation prévisible de leurs frais et honoraires en sollicitant, le cas échéant, la consignation d'une provision complémentaire ; Dit que les experts devront adresser aux parties un pré-rapport de leurs opérations, en leur impartissant un délai pour présenter leurs observations, auxquelles ils répondront dans leur rapport définitif ; Dit que les experts devront déposer leur rapport définitif au greffe de la cour dans les quatre mois de la date à laquelle ils auront été avisés de la consignation de la provision par le greffe ; Dit que la mesure d'expertise sera effectuée sous le contrôle du magistrat de la cour chargé du service des expertises, à qui il sera référé en cas de difficulté et qui pourra notamment pourvoir au remplacement des experts, ou de l'un d'eux, en cas de refus ou d'empêchement ; Renvoie le dossier à l'audience de mise en état orale du mardi 14 janvier 2014 à 09 heures ; Sursoit à statuer jusqu'au dépôt du rapport des experts ; Réserve les dépens.