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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 7 mars 2014, n° 11-03247

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hashka Limited (Sté)

Défendeur :

DG Trading (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lebrun

Conseillers :

Mmes Le Potier, Lefeuvre

Avocats :

Mes Demidoff, Denis, SELARL Gourves d'Aboville & Associes, SCP Drageon, Associes

T.com. Saint-Nazaire, du 9 févr. 2011

9 février 2011

EXPOSE DU LITIGE

Invoquant le défaut de livraison, dans les délais prévus, de masques et de gels hydro alcooliques commandés pour être par elle commercialisés, la société DG Trading a assigné la société Hashka Limited devant le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire aux fins d'obtenir la restitution des commissions versées à celle-ci et l'indemnisation de son préjudice.

Par jugement réputé contradictoire du 9 février 2011, la juridiction de Saint-Nazaire a :

- jugé que la société Hashka a failli en son obligation contractuelle de livrer les masques dans les délais fixés, et les gels conformes à la commande,

- condamné la société Hashka à rembourser à la société DG Trading la somme de 19 202,50 euro trop versée sur les commissions relatives à l'affaire concernant les masques FFP2 et 3 FLY,

- condamné la société Hashka à payer à la société DG Trading la somme de 500 000 euro en réparation du préjudice subi par suite du non-respect de ses obligations contractuelles liées à la livraison de gel hydro alcoolique et des masques, et la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice découlant de la rupture brutale des relations commerciales,

- condamné la même à verser à la société DG Trading la somme de 1 000euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

La société Hashka Limited a formé appel de ce jugement et dans ses dernières conclusions du 20 novembre 2013, elle demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 14 et 15 du Code civil,

Vu les dispositions des articles L. 442-6 III, D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce,

Vu les dispositions de l'article 1150 du Code civil,

In limine litis,

Réformant la décision entreprise,

- dire et juger que seul le droit chinois est applicable à la relation contractuelle de prestation de services intervenue entre les sociétés DG Trading ET Hashka Limited,

- se déclarer incompétente au profit du Tribunal de commerce de première instance de Hong Kong,

- se déclarer, à titre subsidiaire, incompétente au profit du Tribunal de commerce de Rennes pour la demande fondée sur l'article L. 442-6-5 du Code de commerce,

Subsidiairement et sur le fond, si par impossible la cour faisait application du droit français,

Réformant la décision entreprise,

- dire et juger qu'elle était prestataire de services vis-à-vis de DG Trading,

- dire et juger qu'elle n'a pas commis de faute dans l'exécution de cet engagement contractuel, et en conséquence, débouter la société DG Trading de toutes ses demandes,

Reconventionnellement,

- condamner la société DG Trading à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 60 777,50 US dollars qui correspond aux commissions impayées,

- condamner la société DG Trading à lui payer une somme de 10 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.

La société DG Trading, par conclusions du 21 novembre 2013, sollicite de la cour de :

Vu les articles 14, 1134 et 1147 du Code Civil,

Vu l'article 442-6-5 du Code de commerce,

- dire et juger la société Hashka mal fondée en son exception d'incompétence,

- dire et juger 1a société Hashka mal fondée en son appel,

- infirmer le jugement en ce qu'il a alloué à la société DG Trading une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies et 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Statuant à nouveau,

- condamner la société Hashka à lui verser la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts et la somme de 6 200 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais de première instance,

Confirmer le jugement pour le surplus,

Y additant,

- condamner la société Hashka à lui verser la somme de 4 200 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens de l'appel.

L'ordonnance de clôture est en date du 19 décembre 2013.

MOTIFS

Sur la compétence

L'article 14 du Code civil dispose que l'étranger même non résident en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un français; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers un français.

La règle n'est pas impérative et reste une faculté offerte au demandeur mais elle ne peut lui être refusée qu'en présence de traités internationaux ou de règlement communautaire applicable, ou en cas de renonciation résultant d'une clause contractuelle attributive de compétence ou d'une clause compromissoire ou en cas de fraude.

En l'espèce, la société DG Trading, dont le siège social est à La Baule, de nationalité française, a pu valablement citer, en exécution d'obligation contractuelle, la société Hashka Limited , dont le siège social est à Honk-Kong, devant un tribunal français, alors qu'aucun des cas d'exclusion de la compétence des juridictions françaises au cas où le demandeur est de nationalité française n'est invoquée par la société Hashka Limited.

La société DG Trading ayant son siège social à La Baule, elle a saisi à bon droit le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire, une des demandes fondées sur l'article l'article 442-6 du Code de commerce n'entraînant aucunement la compétence exclusive et impérative du Tribunal de commerce de Rennes pour connaître du litige.

L'exception d'incompétence opposée par la société Hashka Limited doit être rejetée, en ajoutant au jugement déféré qui n'a pas statué sur ce point en son dispositif.

Sur le fond

La société DG Trading expose qu'elle a confié à la société Hashka la mission de la mettre en relation sur le territoire chinois avec des usines capables de produire des masques. Elle ajoute que les sociétés STO puis ensuite CTO ne sont pas des sociétés fabricantes de masques ou de produits hydro alcooliques mais sont, comme la société Hashka, des sociétés de "sourcing".

Elle fait valoir qu'elle a passé commande, le 5 septembre 2009, de 5 millions de masques avec un planning de livraison commençant le 15 septembre 2009 et que la société Hashka s'est engagée à lui livrer ces 5 millions de masques au plus tard le 14 octobre 2009 ; Qu'elle a accepté un report de cette échéance au 30 octobre 2009, mais que passé ce délai, ses propres clients n'ont pas maintenu leurs commandes.

En ce qui concerne le gel, elle soutient qu'elle avait confié à la société Hashka le soin de réaliser la fourniture des produits, que les produits fabriqués étaient non conformes à la commande initiale ; qu'alors que la campagne commerciale était en octobre 2009, les livraisons des marchandises ne sont intervenues qu'en janvier 2010, entraînant l'annulation de 90 % des commandes des clients. Elle précise qu'elle a considéré qu'elle ne devait pas de commission à la société Hashka, qui, au demeurant, n'en a pas sollicité, mais que son manque à gagner représente un résultat brut de 500 000 euro dont elle demande le paiement à la société Hashka à titre de dommages et intérêts.

La société Hashka expose que dans le contexte de l'apparition en Europe de la pandémie de grippe H1N1, en mai 2009, Monsieur Dousset, représentant de la société DG Trading a décidé de commander en Asie des masques pour gagner rapidement une somme importante en les revendant sur le marché européen qui était en demande massive.

Elle explique qu'elle est une société de "sourcing" qui a pour vocation de proposer aux sociétés non implantées en Chine mais qui souhaitent faire fabriquer dans ce pays, de les mettre en contact avec des fabricants ou fournisseurs ; Qu'elle a servi d'intermédiaire entre la société DG Trading et des fournisseurs de masques, dont la société STO, auxquels la société DG Trading a directement passé commande de 5 millions de masques et a adressé ses règlements.

Elle souligne qu'ayant agi en qualité d'intermédiaire, rémunéré par des commissions sur les commandes passées directement par la société DG Trading auprès de la société STO, elle n'a pas à l'indemniser aux lieu et place du fournisseur chinois du préjudice résultant de l'absence de livraison d'une partie de la commande. A ce sujet, elle ajoute que la société DG Trading a causé ses propres pertes en s'engageant sur un marché international instable sans fonds propres, en n'anticipant pas le retournement très rapide de ce marché et en ne réglant pas le solde de la commande à son fournisseur.

Il n'existe pas de contrat écrit entre les parties.

La société DG Trading veut pour preuve principale de ce que la société Hashka s'est engagée à lui livrer 5 millions de masques au plus tard le 14 octobre 2009, le mail du 4 septembre 2009 adressé par Mathieu Tessier (représentant de Hashka ) à Bernard Dousset( représentant de DG Trading), à Didier Gay et à "Yann China Trading" , qui selon les déclarations des parties correspond à Yann Blanes, représentant de la société STO, qui est ainsi libellé :

" Merci de trouver ci-dessous le planning de livraison concernant 1 ordre de 5 millions de masques FFP2. Les livraisons sont réparties entre les masques forme canard et les masques forme demi coques.

15/09 :350

19/09 : 350+380 3/10:350+150

21/09 : 350+150 7/10:350+150

24/09 : 350+200 11/10:350+150

27/09 : 350+200 14/10:350+150 30/09: 350+200

total

coques : 1,5 millions

canard : 3,5 millions"

Ce mail adressé par la société Hashka aux acteurs de l'opération afin d'exposer le planning des livraisons, ne constitue pas la preuve de ce que la société Hashka s'est engagée à livrer elle-même les 5 millions de masques.

La demande de restitution par la société DG Trading des commissions par elle versées à la société Hashka démontre que les deux sociétés étaient liées par un contrat de prestations de service, et non un contrat de vente, la rémunération de la société Hashka étant des commissions calculées sur la base de 5 % du prix d'achat des masques livrés.

Au demeurant, la société DG Trading est d'accord pour dire que la société Hashka est bien ainsi qu'elle se définit une société de "sourcing", c'est à dire une société chargée de mettre en relation la société qui commercialise des marchandises avec les fabricants ou les fournisseurs de celles-ci.

Il est par ailleurs établi par les factures, listings de livraison et mails que la société DG Trading a passé commande des masques aux sociétés STO et CTO auxquelles elle effectuait ses règlements.

En ce qui concerne la demande de restitution des commissions par elle versées à Hashka pour l'opération concernant les masques, et en l'absence de preuve d'une obligation plus large, il incombe à la société DG Trading de démontrer que la société Hashka n'a pas rempli son obligation de la mettre en relation avec un fournisseur capable de répondre à la commande en quantité et en respectant les délais de livraison, et que les défauts de livraison qu'elle invoque sont imputables à la société Hashka.

L'échéancier initial prévoyait qu'au 15 octobre 2009, la totalité des masques devait être livrée, et les parties s'étaient ensuite mises d'accord pour que la livraison soit terminée au 30 octobre 2009.

Au final, la société DG Trading n'a pas reçu la totalité des masques commandés mais elle ne démontre pas que l'absence de livraison d'une partie des marchandises soit imputable à la société Hashka.

Il résulte de la pièce fournie par cette dernière que, le 24 novembre 2009, un accord signé par la société DG Trading et la société STO prévoyait que la commande initiale de 5 000 000 de masques pour 2 000 000 $ était ramenée à

4 600 000 masques pour 1 840 000 $, que la société STO mettrait le solde de la commande à la disposition exclusive de la société DG TRADIND, soit 940 000 masques, le jour de la réception du solde de la facture.

Dans un courrier préparatoire à cet accord, Monsieur Dousset, pour la société DG Trading , écrivait à la société STO, qu'il retenait la solution amiable suggérée par Monsieur Tessier (représentant de la société Hashka), "notre intermédiaire", comme intéressante pour régler définitivement cette affaire.

Il ressort également des mails émanant de la société STO que la société DG Trading n'a pas payé le solde de la facture et que par application de l'accord intervenu le 24 novembre 2009, la société STO n'a pas livré le solde de la commande.

Il est ainsi établi que le retard dans la livraison des masques ou l'absence de livraison après octobre 2009 du solde des masques commandés n'est pas imputable à la société Hashka.

En conséquence, la société DG Trading est mal fondée à réclamer à la société Hashka restitution des commissions qu'elle lui a volontairement payées au fur et à mesure des livraisons et sur la base de 5 % du prix des masques effectivement livrés, conformément à l'accord non contesté des parties.

L'intimée sera déboutée de cette demande, le jugement étant infirmé.

Par ailleurs, la société DG Trading sollicite la confirmation du jugement qui a condamné la société Hashka à lui payer la somme de 500 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par suite du non-respect de ses obligations contractuelles liées à la livraison de gel hydro alcoolique et des masques.

Il faut d'abord constater que, par de brefs motifs se référant uniquement à l'inexécution par la société Hashka de son engagement de réaliser la fourniture de gels hydro alcooliques, le jugement déféré, tout en relevant que les produits livrés n'ont pas donné lieu à rémunération de la société Hashka, impute toutefois le manque à gagner de la société DG Trading à cette dernière et fixe le préjudice à la somme de 500 000 euro, sans énoncer aucun élément d'appréciation de cette somme. Devant la cour, aux termes de ses conclusions (page 12), la société DG Trading fonde exclusivement sa demande sur la totale défaillance de la société Hashka dans l'exécution du contrat relatif aux gels, et ne motive pas cette demande par la mauvaise exécution par la société Hashka de la prestation portant sur les masques.

En tous cas, et au regard de ce qui est retenu au sujet de l'absence de démonstration de la responsabilité de la société Hashka dans les retards ou l'absence de livraisons des masques, la société DG Trading ne caractérise pas un manquement de la société Hashka de nature à justifier sa condamnation à des dommages et intérêts à ce titre.

S'agissant des gels, la société DG Trading qui ne justifie pas de l'existence d'un contrat entre elle et la société Hashka à ce sujet, ne rapporte pas la preuve de ce que celle-ci ait contracté à son égard l'obligation de lui assurer la livraison de ces produits, étant observé au surplus qu'elle ne fournit pas le moindre justificatif comptable d'un manque à gagner sur quelqu'opération que ce soit.

La société DG Trading sera déboutée de sa demande de condamnation de la société Hashka à lui payer la somme de 500 000 euro, le jugement étant infirmé sur ce point.

Se fondant sur les dispositions de l'article L. 442-6-5 du Code de commerce la société DG Trading demande également la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 50 000 euro en réparation du préjudice découlant de la rupture brutale de leurs relations commerciales.

La société Hashka conteste toute faute de sa part et verse aux débats, notamment, le mail que lui a adressé la société DG Trading le 10 mai 2010 en lui indiquant, en particulier : "vous vous êtes engagés à livrer pour le 30 octobre 2009" et " nous avons convenu ensemble d'arrêter là notre relation commerciale".

La société DG Trading s'abstient de préciser et de définir les relations commerciales et de caractériser la rupture brutale qu'elle invoque.

S'agissant du contrat de prestation de services relatif aux masques, et sur le fondement duquel elle a vainement sollicité la condamnation de la société Hashka à l'indemniser pour inexécution de ses obligations, la société DG Trading n'est pas fondée à invoquer cumulativement l'inexécution des obligations du contrat et la rupture abusive de la relation commerciale spécifiquement prévue par les dispositions du Code de commerce. En toute hypothèse, il y a lieu encore de noter que l'inachèvement des livraisons des marchandises commandées n'est pas imputable à la société Hashka.

Pour le reste, la société DG Trading ne mentionne pas d'autres relations commerciales établies entre elle et la société Hashka qui, susceptibles d'être régies par les dispositions de l'article L.442-6-5 du Code de commerce, auraient été brutalement rompues par la société Hashka.

La demande de dommages et intérêts fondée sur ce texte sera en conséquence rejetée, le jugement étant également infirmé sur ce point.

Reconventionnellement, la société Hashka sollicite la condamnation de la société DG Trading à lui payer une somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 60 777,50 US dollars qui correspond aux commissions impayées.

Sans préciser le fondement en droit de ces demandes, elle expose qu'elle les présente compte tenu des fautes avérées de l'intimée dans la conduite de cette affaire tant avant le procès que pendant le procès.

Il y a lieu de déduire de ces moyens de fait, que la somme de 50 000 euro est demandée à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, mais la société Hashka ne caractérisant pas un abus du droit d'agir en justice et la malignité de l'intimée, elle doit être déboutée de cette demande.

D'autre part, l'appelante, qui s'abstient de préciser la nature de la créance de "60 777,50 US dollars" par elle alléguée et n'en fournit aucun décompte, ne rapporte pas la preuve dont elle a la charge de l'obligation de la société DG Trading à lui payer cette somme. Elle sera également déboutée de cette demande.

Déboutée de toutes ses demandes, la société DG Trading sera tenue aux dépens de première instance et d'appel, déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamnée, par application de ce texte, à payer à l'appelante la somme de 2 000 euro.

Par ces motifs LA COUR Ajoutant au jugement déféré ; Rejette l'exception d'incompétence soulevée par la société Hashka Limited; Infirme pour le surplus le jugement déféré ; Et statuant à nouveau; Déboute la société DG Trading de toutes ses demandes à l'encontre de la société Hashka Limited ; Déboute la société Hashka Limited de ses demandes à l'encontre de la société DG Trading ; Condamne la société DG Trading à payer à la société Hashka Limited la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société DG Trading aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.