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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 mars 2014, n° 11-20668

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

EDS (Sté)

Défendeur :

Auto Moto Cycle Promotion (Sté), Les Ouvriers du Paradis United Bourgogne (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Fromantin, Claiman-Versini, Ingold, Seigneur, Boccara-Souttier, Bellichach, Rota

T. com. Paris, du 4 oct. 2011

4 octobre 2011

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société AMC Promociones Argentinas, filiale de la SA Auto Moto Cycle Promotion (société AMC Promotion), a conclu, le 15 mars 2005, avec la société de droit étranger Emprendedores Del Sur (société EDS), un contrat par lequel elle lui confiait la conception et la promotion du troisième salon de l'Automobile à Buenos Aires.

La société AMC Promotion a lancé la campagne publicitaire du "Mondial de l'Automobile" de 2008 à Paris. Cette campagne a été préparée par la société par actions simplifiée Les Ouvriers du Paradis United Bourgogne (société Les Ouvriers du Paradis).

La société EDS considère que l'image alors utilisée par la société AMC Promotion reproduit les caractéristiques de celle qu'elle avait créée pour le troisième salon de l'Automobile à Buenos Aires.

La société EDS a mis en demeure la société AMC Promotion de cesser l'exploitation de l'image litigieuse et de procéder à la destruction de toutes affiches, supports ou produits dérivés faisant apparaître l'image.

Les mises en demeure sont restées vaines.

Par exploits en date des 9 et 13 juillet 2009, la société EDS a assigné la société AMC Promotion et la société Les Ouvriers du Paradis devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de les voir condamnés pour parasitisme.

Par jugement prononcé le 4 octobre 2011, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société EDS de ses demandes ;

- débouté la société Les Ouvriers du Paradis et la société AMC Promotion de leurs demandes reconventionnelles ;

- condamné la société EDS à payer à la société Les Ouvriers du Paradis et à la société AMC Promotion la somme de 5 000 € chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

La société EDS a interjeté appel le 18 novembre 2011 de cette décision.

Par conclusions signifiées le 20 février 2013, la société EDS demande à la Cour de :

- déclarer la société EDS recevable et bien fondée en son appel,

- infirmer le jugement entrepris,

- condamner in solidum les sociétés intimées à lui payer la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel,

- condamner in solidum es sociétés intimées à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,

- débouter les mêmes de leur appel incident,

- les condamner in solidum à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter tous les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.

La société EDS rappelle qu'elle agit en réparation du préjudice qu'elle subit en raison du parasitisme et de la déloyauté des intimées et expose que son action peut reposer sur les mêmes faits que ceux qui justifieraient une demande pour réparation de la contrefaçon.

Elle soutient que les intimées "se sont engouffrées dans son sillage", usurpant le fruit de son savoir-faire, de son travail intellectuel et d'un investissement économique. Elle expose également que les règles générales du Code international des pratiques loyales en matière de publicité n'ont pas été respectées. Elle soutient que la société les Ouvriers du Paradis ont agi en toute connaissance de cause et que la société AMC Promotion est à l'origine du choix de l'affiche litigieuse.

Elle fait état de son préjudice matériel lié à la "dimension planétaire" de cette appropriation, à savoir un manque à gagner, et de son préjudice moral résultant du mépris manifesté par les sociétés AMC Promotion et Les Ouvriers du Paradis.

Par conclusions du 22 mai 2012, la société les Ouvriers du Paradis United Bourgogne demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement qui a débouté la société EDS de ses demandes,

- l'infirmer pour le surplus,

- condamner la société EDS à lui payer en raison de la procédure abusive, la somme de 10 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral et la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice matériel,

subsidiairement,

- ramener le montant de l'indemnité allouée à la société EDS à la somme de 3 947 euros,

- la débouter de l'ensemble de ses autres demandes,

très subsidiairement,

- confirmer le jugement,

en tout état de cause,

- rejeter les prétentions adverses,

- dire, si sa responsabilité devait être retenue que la société Auto Moto Cycle Promotion la garantira des condamnations prononcées contre elle,

- la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et en tous dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.

La société Les Ouvriers du Paradis expose que l'action en parasitisme ou concurrence déloyale est ouverte à celui qui ne peut se prévaloir de droits privatifs, que la société EDS ne démontrant pas être titulaire de droits privatifs sur l'image litigieuse, son action en concurrence déloyale est irrecevable ; elle indique par ailleurs que cette action ne pouvait être fondée sur des faits identiques à ceux pouvant être invoqués à l'appui d'une demande en contrefaçon.

La société Les Ouvriers du Paradis rappelle le principe de la liberté de la concurrence, soutient que la société EDS n'établit la réunion des trois conditions du parasitisme que sont la reprise d'une idée qui ne soit pas banale, la confusion qui peut résulter, l'économie injustifiée faite par l'intimée.

Elle ajoute qu'il ne saurait lui être reproché un quelconque manquement à une obligation de loyauté ou de probité, ayant pris toutes les précautions habituellement requises en la matière et n'ayant commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire.

Elle relève aussi que la société EDS n'établit aucun préjudice subi en raison du choix de la société AMC Promotion de confier la réalisation de l'affiche du salon parisien à la société Les Ouvriers du Paradis.

Enfin, dans l'hypothèse de sa condamnation, la société Les Ouvriers du Paradis demande la réévaluation des préjudices allégués par la société EDS, ces derniers ne résidant qu'en une perte de chance de ne pas pouvoir remporter le marché en question.

Elle demande également à la Cour de faire intervenir en garantie de toute condamnation, la société AMC Promotion, cette dernière ayant sélectionné l'affiche litigieuse.

Par conclusions du 23 avril 2013, la société Auto moto Cycles Promotion demande à la cour, notamment de :

principalement,

- confirmer la décision critiquée,

subsidiairement,

- condamner la société Les ouvriers du Paradis à la relever indemne des condamnations prononcées contre elle,

en toutes circonstances,

- condamner la société EDS à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 32-1 du Code de procédure civile en réparation de son préjudice moral,

- condamner la société EDS à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.

La société AMC Promotion souligne le refus de la société EDS d'apporter la preuve de sa titularité des droits d'auteur sur l'affiche litigieuse.

Elle expose que l'idée de la société EDS pour l'affiche du salon de l'automobile de Buenos Aires ne présente pas de point commun original avec l'idée directrice de l'affiche qu'elle a choisie pour le salon de l'automobile de Paris, que l'idée qui a présidé la réflexion de l'affiche organisée pour le mondial de 2008 n'est pas de traduire "la vitesse à laquelle le monde peut être traversé", mais montrer que la boite de vitesse est "un sélecteur de continents", autrement dite de "téléportation" et que le conducteur devient "Monsieur tout-le-monde", que l'affiche traduit un long travail de réflexion, un investissement intellectuel et économique, un savoir-faire photographique et de vidéo. Elle estime qu'il ne peut y avoir aucune confusion quant à l'auteur des affiches.

Elle rappelle que la société EDS et elle-même ont une activité différente et ne se font pas concurrence, qu'en choisissant cette affiche parmi celles qui lui étaient proposées, elle n'a commis aucune faute.

Elle souligne en outre que la société EDS n'établit ni la preuve du rôle qu'a joué la société AMC Promotion dans la rupture brutale de la relation contractuelle entre sa filiale argentine et la société EDS, ni la preuve de l'existence de cette rupture.

Elle démontre aussi que le préjudice subi par la société EDS ne réside en réalité qu'en une perte de chance de percevoir une rémunération.

Elle allègue enfin que le préjudice moral invoqué par la société EDS ne provient que de la frustration de ne pas avoir été choisie et du sentiment d'avoir été méprisée par la société AMC Promotion, de sorte qu'il n'est pas de nature à donner lieu à réparation.

SUR CE :

I - Sur la concurrence déloyale

Sur les faits reprochés à la société Les Ouvriers du Paradis :

Considérant que la société EDS reproche à la société Les Ouvriers du Paradis d'avoir recopié, reproduit presqu'à l'identique l'affiche qu'elle avait conçue pour le salon international de l'automobile de Buenos Aires en 2005 et s'être ainsi placée dans son sillage ;

Considérant qu'il importe peu que la société EDS soit ou non titulaire de droits privatifs pour agir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil en concurrence déloyale ; que par ailleurs, la liberté du commerce, son corollaire, la liberté de la concurrence ne sont nullement en cause, que le dommage concurrentiel est licite, sauf manœuvres déloyales clairement établies, quel que soit le pays dans lequel elles sont opérées ; qu'enfin, la confusion qui peut résulter des agissements parasitaires dans l'esprit du public n'est pas nécessaire au bien-fondé de l'action ;

Considérant que l'agent parasitaire est fautif lorsque l'auteur, pour réaliser un objet, met en sommeil ses facultés créatrices et conduit un processus d'élaboration asservi à l'imitation de l'œuvre d'autrui ;

Considérant en l'espèce, qu'il n' y a pas lieu d'examiner les idées qui ont pu présider à la réalisation des deux affiches ; que si la présence d'un levier de vitesse et la représentation de la terre par un globe ou par un planisphère sur des affiches concernant des salons internationaux de l'automobile sont banales et ont pu être reproduits par le passé, en revanche, la combinaison de ces éléments (l'image est structurée par une diagonale, la partie inférieure de l'affiche sous la diagonale est le détail d'un poste de conduite d'un véhicule automobile) en fait l'originalité de sorte que sa reprise, ici manifeste, n'est pas le fruit du hasard en dépit des précautions que la société Les Ouvriers du Paradis allègue avoir prises, mais le fruit d'une imitation ;

Considérant que la réalisation d'économies par imitation de l'affiche est établie par la suppression quasi totale de tout investissement intellectuel et financier, les quelques différences entre les affiches étant minimes, et peu important que la société Les Ouvriers du Paradis ait réalisé par ailleurs d'autres projets d'affiches, alors que seuls doivent être ici considérés les investissements qu'elle [a] pu faire pour la réalisation de l'affiche retenue par la société AMC Promotion France ;

Considérant que la société EDS peut soutenir que la société Les Ouvriers du Paradis a imité le produit conçu par la société EDS, que cette imitation est un agissement parasitaire ;

Sur les faits reprochés à la société AMC :

Considérant que la société EDS reproche à la société AMC "maître d'œuvre de l'opération publicitaire" d'avoir choisi une affiche tout en connaissant le travail réalisé quelques années plus tôt par EDS, qu'elle expose à cet effet que la société AMC France, société mère de la société AMC Argentinas qui lui avait commandé les travaux ayant donné lieu à la réalisation de l'affiche de 2005, ne pouvait pas ne pas connaître cette affiche, qu'elle n'a pas non plus respecté les dispositions du Code international des pratiques loyales en matière de publicité ; que la société AMC France se garde de répliquer sur le choix qu'elle a fait, se bornant à soutenir que le travail de la société Les Ouvriers du Paradis résultait manifestement d'un savoir-faire photographique et vidéo et était "remarquable", qu'elle est totalement indépendante de la société AMC Promotiones Argentinas dont elle ne connait pas les activités ; qu'il apparaît selon les pièces du débat que la société AMC France qui a les mêmes activités que la société AMC Promotiones Argentinas et lance des campagnes publicitaires, ne pouvait pas ignorer l'existence de l'affiche réalisée en 2005 pour AMC Promotiones Argentinas par EDS dont les réalisations étaient aisément accessibles et qu'en choisissant l'affiche critiquée, elle a manifestement commis une faute dont elle doit répondre ;

Considérant que la société EDS lui reproche d'avoir provoqué la rupture brutale des relations entre EDS et AMC Promotions Argentinas, d'avoir, en abusant de son statut de société mère, fait réaliser par ses filiales à des tarifs publicitaires relativement faibles des campagnes publicitaires et de s'être appropriée ensuite frauduleusement et de façon inélégante le fruit de leur travail, ce que la société AMC France conteste ; qu'il apparaît que ces allégations ne sont en effet étayées par aucune pièce probante ou sont contredites par les faits, tout particulièrement en ce qui concerne la rupture des relations entre AMC Promotiones Argentinas et EDS ;

Considérant que les actes de concurrence parasitaires de la société Les Ouvriers du Paradis d'une part, la faute de la société AMC France résultant du choix réalisé en toute connaissance de cause des agissements parasitaires, ont concouru tous deux à la réalisation du préjudice invoqué par la société EDS, que la condamnation des deux sociétés sera prononcée in solidum ;

Sur le préjudice et sa réparation :

Considérant que l'agissement parasitaire perturbe le marché et crée nécessairement un trouble commercial à la société EDS et non une perte de chance, nullement alléguée d'ailleurs ; que, contrairement à ce que soutient la société EDS, le préjudice commercial qu'elle subit en raison de "cette appropriation frauduleuse" n'est pas de "dimension planétaire", qu'il doit être réparé par l'allocation de dommages-intérêts à hauteur de 15 000 euros ;

Considérant en revanche que le préjudice moral allégué par la société EDS en raison de l'agissement parasitaire de la société Les Ouvriers du Paradis et du choix réalisé par AMC France n'est justifié par aucune pièce du débat ; que par ailleurs, il ne saurait y avoir préjudice moral en l'absence de preuve des autres agissements fautifs reprochés à AMC ;

II - Sur les recours en garantie :

Considérant que la sélection faite en toute connaissance de cause par AMC France parmi les affiches que lui a présentées la société Les Ouvriers du Paradis ne saurait constituer une faute de la part de la société AMC France vis à vis de la société les Ouvriers du Paradis et engager sa responsabilité dès lors que la société les Ouvriers du Paradis ne justifie pas qu'elle lui a dicté ses choix dans la création graphique ; qu'il n' y a pas lieu à garantie au profit de la société Les Ouvriers du Paradis ;

Considérant que la société AMC France ne saurait engager la responsabilité de la société Les Ouvriers du Paradis alors qu'elle est seule responsable du choix qu'elle a fait en toute connaissance de cause, que sa demande de garantie sera rejetée ;

III - Sur les demandes incidentes des sociétés intimées :

Considérant que celles-ci sont sans objet ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirmant le jugement, Condamne in solidum les socs Les Ouvriers du Paradis et AMC France à payer à la société EDS la somme de 15 000 euros au titre du préjudice matériel subi par celle-ci, Déboute la société EDS du surplus de ses demandes, Dit les demandes incidentes des intimées sans objet, Condamne les intimées in solidum à payer à la société EDS la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum les intimées aux entiers dépens qui seront recouvrés, pour ceux d'appel, avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.