CA Montpellier, 2e ch., 25 février 2014, n° 13-00321
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pépinières Casadesus Georges (SCEA)
Défendeur :
Pépinières Viticoles Philippe Dayde (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chassery
Conseillers :
Mme Olive, M. Prouzat
Avocats :
Mes Cabee, Pepratx Negre, Massol
FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :
Le 26 février 2010, la SCEA Pépinières Casadesus Georges (la société Casadesus) a commandé à la SARL Pépinières viticoles Philippe Dayde (la société Dayde) des plants de vigne en pots de grenache blanc, cinsault et mauzac, destinés à la revente ; les plants commandés ont été livrés en trois fois, les 10, 21 et 23 juin 2010, et ont fait l'objet de quatre factures en date des 14 et 23 juin 2010 et d'un avoir du 8 juillet 2010 pour un retour d'emballages.
La société Casadesus a refusé de s'acquitter de la somme de 10 090,83 euro restant due sur les factures, après avoir, par courrier du 29 juin 2010 à son fournisseur, émis des réserves sur une partie des plants de grenache blanc en indiquant que "les greffés soudés peu racinés sèchent sur le terrain".
Ayant ensuite constaté une mortalité importante sur une partie des plants de grenache blanc (greffés sur R 110 et Paulsen 1103) commandés et livrés -16 020 au total-, qui avaient été revendus, la société Casadesus a obtenu, par une ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Carcassonne en date du 13 décembre 2010, l'instauration d'une mesure d'expertise aux fins de déterminer le taux de mortalité des plants, les causes de cette mortalité et le préjudice en résultant.
L'expert finalement commis, M. Fil, a déposé, le 27 janvier 2012, un rapport de ses opérations dans lequel il indique que la cause de la mortalité des plants, essentiellement observée sur une parcelle plantée par Mme Roves à Laure-Minervois, "Saint Giniès le Haut", (avec un taux moyen de 50,40 % et de 100 % sur la partie sud de la parcelle) est due à une acclimatation nulle à insuffisante des plants aux conditions extérieures, ayant pour conséquence un dessèchement des feuilles de la jeune pousse à la suite des brûlures provoquées par les rayons ultraviolets et à la résistance insuffisante de l'épiderme à la pression osmotique ; après avoir relevé que les conditions de conservation des plants par la société Casadesus ont été satisfaisantes, de même que les conditions de plantation et les soins culturaux, l'expert conclut que la détermination de la responsabilité est d'ordre juridique et non technique.
Le 14 février 2012, la société Dayde a fait assigner la société Casadesus en paiement de la somme restant due sur le montant de ses factures devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Carcassonne qui, par ordonnance du 2 avril 2012, s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire devant le tribunal pour qu'il soit statué sur le fond du litige.
Par jugement du 26 novembre 2012, le tribunal a débouté la société Casadesus de ses prétentions et l'a condamnée à payer à la société Dayde la somme de 10 090,83 euro assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2010, outre celle de 2 000 euro à titre d'indemnité de procédure.
La société Casadesus a régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation.
Elle estime que la société Dayde a engagé sa responsabilité en lui fournissant des plants non acclimatés et demande, en conséquence, à la cour (conclusions reçues par le RPVA le 5 novembre 2013) de la condamner à lui payer les sommes de :
-5 564 euro au titre du remplacement de 4280 plants de grenache blanc,
-642 euro au titre du coût des travaux de remplacement effectués par M. Soulié,
-5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour perte de notoriété et préjudice moral,
-3 000 euro en réparation du temps passé, d'une part, en défense contre la société Dayde, d'autre part, au profit des époux Roves pour leur permettre de conserver les primes de plantation.
Elle demande, par ailleurs, de réserver ses droits dans l'hypothèse où les époux Roves, dans le délai de prescription légale, solliciteraient une indemnisation quelconque et de condamner la société Dayde à lui payer la somme de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Formant appel incident, la société Dayde conclut à la condamnation de la société Casadesus à lui payer les sommes de 1 890 euro HT correspondant aux frais de main d'œuvre pour une prestation complémentaire d'éborgnage, avec intérêts de droit à compter du 20 juillet 2010, date d'émission des factures, et de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ; elle conclut à la confirmation du jugement pour le surplus et à l'allocation de la somme de 5 000 euro en remboursement de ses frais irrépétibles (conclusions reçues par le RPVA le 26 septembre 2013).
Elle fait essentiellement valoir que la société Casadesus, qui est un professionnel, ne peut se plaindre d'un défaut d'acclimatation des plants, à supposer que ce défaut existait lors de la vente, n'ayant émis aucune réserve lors de la livraison ; elle souligne d'ailleurs que l'appelante ne précise pas le fondement juridique de son argumentation, alors que l'action en garantie des vices cachés a été transmise aux acquéreurs.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 2 janvier 2014.
MOTIFS de la DECISION :
Dans le cadre de ses opérations d'expertise, M. Fil a relevé que la mortalité des plants de grenache blanc concernait essentiellement la parcelle de Mme Roves située à [...], sur laquelle était constatée l'existence de 3358 plants morts sur les 6658 plantés.
L'expert a établi que le lot concerné par la mortalité était principalement celui greffé sur Paulsen 1103, qui avait été livré, les 21 et 23 juin 2010, par la société Dayde à la société Casadesus, soit au total 3000 plants (1140 + 1860) ; or ces plants avaient été aussitôt revendus à Mme Roves, viticultrice, qui en avait elle-même reçu livraison de la part de la société Casadesus, les 22 et 23 juin 2010, avec d'autres plants -10 000 environ- greffés sur R 110, qui avaient été livrés antérieurement, le 10 juin 2010, par la société Dayde à la société Casadesus.
Les conclusions de M. Fil, selon lesquelles la cause de la mortalité des plants tient à leur défaut d'acclimatation aux conditions extérieures, ne sont pas contestées, alors que leur conservation en pépinière, leur plantation et les soins culturaux, dont ils ont bénéficié, ont été satisfaisants.
Les conditions générales de vente de la société Dayde énoncent, sous la rubrique "La plantation en pots : ceci est important", que les cagettes que nous livrons à domicile peuvent être conservées durant quelques jours, sous un hangar (pas trop sombre) ou à l'extérieur, dans un endroit ombragé, hors du passage des animaux ; il s'en déduit que les plants vendus en pots, s'il peuvent être conservés quelques jours sous un hangar ou à l'extérieur, sont susceptible d'être immédiatement plantés, ce dont il résulte qu'ils sont nécessairement vendus "acclimatés" ; l'acclimatation des plants de vigne greffés soudés en pots incombait donc à la société Dayde en tant que producteur des plants, ce qui est d'ailleurs conforme à la pratique, puisqu'il est produit l'attestation d'un autre pépiniériste (M. Dubois) selon lequel l'acclimatation des plants en pots, à l'extérieur dans un endroit ombragé, s'effectue obligatoirement avant la livraison aux clients.
La société Casadesus, qui impute à juste titre à la société Dayde la responsabilité de l'acclimatation des plants en pots, ne précise pas toutefois le fondement juridique de ses demandes indemnitaires ; celui-ci ne peut être que la garantie des vices cachés découlant des articles 1641 et suivants du Code civil, dès lors qu'à l'évidence, le défaut d'acclimatation des plants vendus, dont est résultée, après plantation sur la parcelle de Mme Roves, une mortalité supérieure à 10 %, était bien de nature à rendre ces plants impropres à leur usage.
Or, un acheteur professionnel, de la même spécialité que le vendeur, est présumé connaître les vices de la chose, sauf à lui de renverser cette présomption en établissant le caractère indécelable des vices ; au cas d'espèce, la société Casadesus se borne à affirmer qu'elle n'avait aucun moyen pour vérifier l'acclimatation des plants vendus, mais sans apporter aucun élément lui permettant de justifier une telle affirmation, alors que selon l'avis exprimé par l'expert (M. Loubatières) du cabinet PolyExpert, intervenu pour le compte de la société Dayde, l'acclimatation est forcément visible car cette pratique consiste à maintenir une végétation trapue avec une tige solide et ainsi favoriser le durcissement de la plante pour résister aux conditions climatiques extérieures.
Dès lors, la société Casadesus n'est pas fondée à rechercher la garantie de la société Dayde relativement aux plants litigieux, n'ayant fait aucune réserve, lors de la livraison, sur la qualité des plants, dont elle était présumée connaître le vice lié au défaut d'acclimatation ; c'est donc à juste titre que le premier juge l'a débouté de ses demandes indemnitaires et condamné à payer à la société Dayde la somme de 10 090,83 euro restant due sur les factures, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2010.
S'agissant de la demande en paiement de la somme de 1 890 euro HT correspondant à de prétendus frais de main d'œuvre pour une prestation complémentaire d'éborgnage, la société Dayde ne produit aucune facture, comme l'a relevé le premier juge, et ne justifie pas que ces travaux lui ont été effectivement commandés.
Il n'est pas établi en quoi le refus de la société Casadesus de s'acquitter du solde de la facturation, alors qu'un litige sérieux opposait les parties à propos de la mortalité d'une partie des plants vendus, serait constitutif d'un abus de droit caractérisé de sa part ; le jugement doit encore être confirmé en ce qu'il a débouté la société Dayde de sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef.
Succombant sur son appel, la société Casadesus doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Dayde la somme de 1 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Carcassonne en date du 26 novembre 2012, Condamne la société Casadesus aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Dayde la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.