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Décisions

CJUE, 10e ch., 21 novembre 2013, n° C-581/12 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Kuwait Petroleum Corp., Kuwait Petroleum International Ltd, Kuwait Petroleum (Nederland) BV

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Juhász

Avocat général :

Mme Kokott

Juges :

MM. Rosas, Šváby (rapporteur)

Avocats :

Mes Hull, Berrisch

CJUE n° C-581/12 P

21 novembre 2013

LA COUR (dixième chambre),

1 Par leur pourvoi, Kuwait Petroleum Corp. (ci-après "KPC"), Kuwait Petroleum International (ci-après "KPI") et Kuwait Petroleum (Nederland) BV (ci-après "KPN") demandent l'annulation de l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 27 septembre 2012, Kuwait Petroleum e.a./Commission (T-370-06, non encore publié au Recueil, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l'annulation, en tant qu'elle les concerne, de la décision C (2006) 4090 final de la Commission, du 13 septembre 2006, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] [affaire COMP/F/38.456 - Bitume (Pays-Bas), ci-après la "décision litigieuse"], et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l'amende infligée aux requérantes par ladite décision.

Le cadre juridique

2 Les points 21 et 23 de la communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la "communication sur la coopération de 2002") prévoient:

"21. Afin de pouvoir prétendre à une telle réduction, une entreprise doit fournir à la Commission des éléments de preuve de l'infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission, et doit mettre fin à sa participation à l'activité illégale présumée au plus tard au moment où elle fournit ces éléments de preuve.

[...]

23. Dans toute décision finale arrêtée au terme de la procédure administrative, la Commission déterminera:

a) si les éléments de preuve fournis par une entreprise ont représenté une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments déjà en possession de la Commission ;

b) le niveau de réduction dont l'entreprise bénéficiera, qui s'établira comme suit par rapport au montant de l'amende qu'à défaut la Commission aurait infligée:

- Première entreprise à remplir la condition énoncée au point 21: réduction comprise entre 30 et 50 % ;

- Deuxième entreprise à remplir la condition énoncée au point 21: réduction comprise entre 20 et 30 % ;

- Autres entreprises remplissant la condition énoncée au point 21: réduction maximale de 20 %.

Pour définir le niveau de réduction à l'intérieur de ces fourchettes, la Commission prendra en compte la date à laquelle les éléments de preuve remplissant la condition énoncée au point 21 ont été communiqués et le degré de valeur ajoutée qu'ils ont représenté. Elle pourra également prendre en compte l'étendue et la continuité de la coopération dont l'entreprise a fait preuve à partir de la date de sa contribution.

En outre, si une entreprise fournit des éléments de preuve de faits précédemment ignorés de la Commission qui ont une incidence directe sur la gravité ou la durée de l'entente présumée, la Commission ne tiendra pas compte de ces faits pour fixer le montant de l'amende infligée à l'entreprise qui les a fournis."

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

3 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 15 de l'arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.

4 À la suite d'une demande de British Petroleum visant à obtenir une immunité d'amendes au titre de la communication sur la coopération de 2002 s'agissant d'une entente présumée sur le marché du bitume routier aux Pays-Bas, la Commission a procédé, les 1er et 2 octobre 2002, à des vérifications surprises, notamment dans les locaux de KPN et a adressé des demandes de renseignements à plusieurs sociétés, dont KPN, le 30 juin 2003 et le 5 avril 2004. Celle-ci y a répondu le 16 septembre 2003 et le 30 avril 2004.

5 KPN a introduit, le 12 septembre 2003, une demande d'application de la communication sur la coopération de 2002. Elle a fourni des informations complémentaires écrites le 16 septembre 2003 et certains salariés de cette société impliqués dans l'entente ont été entendus par la Commission les 1er et 9 octobre 2003. Au cours de cette procédure, la société Total, le 13 septembre 2003, puis la société Nynas, le 2 octobre 2003, ont apporté, par leurs réponses à la première demande de renseignements, de nombreuses informations à la Commission.

6 Le 14 octobre 2004, conformément aux dispositions du point 26 de la communication sur la coopération de 2002, la Commission a informé KPN de son intention de lui accorder une réduction de 30 % à 50 % du montant de l'amende dont elle devrait être passible, étant parvenue à la conclusion provisoire que les éléments de preuve que cette société avait communiqués apportaient une valeur ajoutée significative, au sens du point 22 de cette communication. À la suite d'une demande de KPC et de KPI, la Commission leur a confirmé, par courrier du 2 décembre 2004, qu'elles bénéficieraient également de la réduction du montant d'amende accordée à KPN au titre de ladite communication.

7 Le 13 septembre 2006, la Commission a adopté la décision litigieuse par laquelle elle a indiqué que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l'article 81 CE, consistant à fixer ensemble régulièrement, durant les périodes concernées, pour la vente et l'achat de bitume routier aux Pays-Bas, le prix brut, une remise uniforme sur le prix brut pour les constructeurs routiers participant à l'entente et une remise maximale réduite sur le prix brut pour les autres constructeurs routiers.

8 Les requérantes ont été reconnues coupables de cette infraction, pour la période du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, et se sont vu infliger, solidairement, une amende de 16,632 millions d'euros.

9 Aux fins du calcul de l'amende, la Commission n'a retenu aucune circonstance aggravante à l'égard des requérantes. Elle a, en revanche, accepté de les faire bénéficier de la communication sur la coopération de 2002 et leur a accordé, à ce titre, une réduction de 30 % du montant de leur amende. Elle a considéré que les informations fournies les 12 et 16 septembre 2003 et les 1er et 9 octobre 2003 avaient renforcé, par leur niveau de précision, la capacité de cette institution à établir l'existence de l'infraction. La Commission a cependant estimé qu'elle devait prendre en compte le fait, en premier lieu, que la demande de clémence n'avait été introduite que onze mois après l'intervention des vérifications surprises et après l'envoi de sa demande de renseignements, en deuxième lieu, qu'elle disposait déjà de certains éléments de preuve communiqués entretemps par d'autres sociétés les 13 septembre et 2 octobre 2003 et, en troisième lieu, que KPN était revenue sur certaines de ses déclarations.

La procédure devant le Tribunal et l'arrêt attaqué

10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 décembre 2006, les requérantes ont demandé l'annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, la réduction du montant de l'amende infligée.

11 À l'appui de leur requête, les requérantes ont soulevé deux moyens, tirés, le premier, d'une violation des dispositions du point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002 et, le second, d'erreurs commises par la Commission en arrêtant le pourcentage de réduction du montant de leur amende.

12 Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a écarté tous ces moyens.

Les conclusions des parties

13 KPC, KPI et KPN demandent à la Cour:

- d'annuler l'arrêt attaqué ;

- de statuer elle-même sur le litige en annulant l'article 2, sous i), de la décision litigieuse dans la mesure où il inflige une amende aux requérantes ou en réduisant le montant de celle-ci ;

- à titre subsidiaire, de renvoyer l'affaire devant le Tribunal, et

- de condamner la Commission aux dépens du pourvoi et du recours devant le Tribunal.

14 La Commission demande à la Cour:

- de rejeter le pourvoi et

- de condamner les requérantes aux dépens de l'instance.

Sur le pourvoi

15 En vertu de l'article 181 de son règlement de procédure, lorsqu'un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l'avocat général entendu, le rejeter par voie d'ordonnance motivée, et ce sans ouvrir la procédure orale. Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent pourvoi.

Sur le premier moyen, tiré d'une erreur de droit dans l'interprétation du point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002

Argumentation des parties

16 Par leur premier moyen, les requérantes reprochent, en substance, au Tribunal d'avoir violé le point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002 en décidant, à l'instar de la Commission, que cette disposition s'applique uniquement à une société partie à une entente qui fournit une information nouvelle à la Commission, relative à la gravité ou à la durée de l'infraction et non à une société qui n'a fait que fournir des éléments permettant de renforcer les preuves relatives à l'existence de l'infraction.

17 Ce moyen vise les points 33 à 37 et 39 à 40 de l'arrêt attaqué. Les points 33 et 36 de cet arrêt sont rédigés comme suit:

"33 Le Tribunal estime qu'il convient de retenir une interprétation restrictive du paragraphe 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002, en la limitant aux cas où une société partie à une entente fournit une information nouvelle à la Commission, relative à la gravité ou à la durée de l'infraction, et en excluant les cas où la société n'a fait que fournir des éléments permettant de renforcer les preuves relatives à l'existence de l'infraction.

[...]

36 Or, l'interprétation préconisée par les requérantes conduirait à priver d'effet la distinction opérée par la Commission dans sa communication entre l'unique entreprise pouvant bénéficier d'une immunité d'amende (titre A de la communication sur la coopération de 2002) et celles qui ne peuvent prétendre qu'à une réduction du montant de l'amende (titre B de la communication sur la coopération de 2002), dès lors qu'elle reviendrait à faire également bénéficier ces dernières d'une immunité d'amende totale. La communication sur la coopération de 2002 établit ainsi une distinction entre l'entreprise qui a été la première à fournir des éléments de preuve de nature à permettre à la Commission de constater une infraction ou de lui permettre d'adopter une décision ordonnant des vérifications, qui bénéficie d'une immunité d'amende totale, et les autres entreprises, qui ne remplissent pas ces conditions et qui ne pourront bénéficier que d'une réduction du montant de l'amende de 50 % au maximum."

18 Selon les requérantes, les termes "faits précédemment ignorés de la Commission", employés par la disposition en cause, doivent être interprétés comme visant non pas les faits inconnus de la Commission, mais, comme en l'espèce, les faits dont elle pouvait avoir préalablement connaissance mais qu'elle n'était pas en mesure de prouver, sauf à affaiblir l'efficacité de son programme de clémence, en décourageant les sociétés qui en sollicitent le bénéfice de fournir le plus d'informations possible. Les requérantes invoquent, à l'appui de leur argument, notamment, la différence de formulation quant aux critères d'octroi de l'"immunité partielle" pouvant apparaître entre le point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002 et le point 26, dernier alinéa, de la communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17, ci-après la "communication sur la coopération de 2006").

Appréciation de la Cour

19 Force est de constater que les termes "faits [...] ignorés de la Commission" sont dénués d'ambiguïté et autorisent l'interprétation retenue par le Tribunal au point 33 de l'arrêt attaqué.

20 À cet égard, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit, au point 36 de l'arrêt attaqué, lorsqu'il a répondu à l'argument des requérantes tiré de l'objectif du programme de clémence et de la perte d'efficacité de celui-ci si le point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002 était interprété dans le sens préconisé par la Commission.

21 Par ailleurs, l'argument des requérantes selon lequel la différence de formulation quant aux critères d'octroi de l'"immunité partielle" pouvant apparaître entre la communication sur la coopération de 2002 et celle de 2006 est dépourvu de pertinence, dès lors qu'il est constant que la communication sur la coopération de 2006 n'est pas applicable ratione temporis au cas d'espèce.

22 À la lumière de cette interprétation du point 23, sous b), dernier alinéa de la communication sur la coopération de 2002, c'est sans commettre d'erreur de droit que le Tribunal, après avoir procédé à des appréciations de fait qu'il n'appartient pas à la Cour de contrôler, a conclu, au point 40 de l'arrêt attaqué, que KPN n'a apporté aucun élément de preuve de faits précédemment ignorés de la Commission qui auraient eu une incidence directe sur la gravité ou la durée de l'infraction.

23 Partant, le premier moyen invoqué au soutien du présent pourvoi doit être rejeté comme manifestement non fondé.

Sur le second moyen, tiré de la violation du point 23, sous b), deuxième alinéa, de la communication sur la coopération de 2002

Argumentation des parties

24 Par leur second moyen, les requérantes font grief au Tribunal d'avoir commis une erreur de droit en jugeant, aux points 65 et 66 de l'arrêt attaqué, que la Commission n'avait pas commis d'erreur d'appréciation en retenant que cette dernière était en droit de limiter la réduction de leur amende à 30 % de son montant par défaut au motif que la valeur ajoutée des preuves apportées par KPN avait été affaiblie par celle des éléments transmis préalablement par d'autres entreprises.

25 Au soutien de leur moyen, les requérantes font valoir que, pour confirmer le niveau de réduction de l'amende retenue par la Commission, le Tribunal a uniquement fondé son appréciation sur l'antériorité de la transmission de certains éléments de preuve par ces autres entreprises, sans prendre en considération les éléments de preuve présentés par KPN qui, en tant que tels, démontraient que les preuves apportées par ces autres entreprises ne revêtaient aucune valeur ajoutée significative affaiblissant la valeur des preuves transmises ultérieurement par KPN. Partant, le Tribunal aurait méconnu le point 23, sous b), deuxième alinéa, de la communication sur la coopération de 2002.

Appréciation de la Cour

26 D'emblée, il convient de relever que le présent moyen procède d'une lecture manifestement erronée de l'arrêt attaqué. Il découle, en effet, des points 60 à 62, 64 et 66 ainsi que 67 à 69 de cet arrêt que le Tribunal a pris en considération non seulement l'antériorité des transmissions de preuves effectuées par d'autres entreprises que KPN, mais également la date d'introduction de la demande de clémence de KPN, le contenu des preuves communiquées par cette société ainsi que le fait que KPN a modifié sa position quant à la participation à l'entente d'une entreprise.

27 De plus, il ressort des points 64 et 66 de l'arrêt attaqué que le Tribunal s'est livré à une appréciation de nature tant quantitative que qualitative des preuves fournies respectivement par KPN et par les autres entreprises, constatant ainsi que les preuves transmises par la première au mois d'octobre 2003 n'avaient pas apporté d'informations nouvelles déterminantes compte tenu des nombreuses informations communiquées précédemment par les secondes.

28 En tout état de cause, en ce que le présent moyen conteste l'appréciation des éléments de preuve effectuée par le Tribunal, il convient de rappeler que cette appréciation relève du pouvoir souverain du Tribunal, de sorte que celle-ci échappe au contrôle de la Cour, à moins que les requérantes ne fassent grief au Tribunal d'avoir dénaturé les éléments de preuve qui lui étaient soumis. En effet, conformément à l'article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et à l'article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l'Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est dès lors seul compétent pour apprécier les éléments de preuve. L'appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue dès lors pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi (ordonnance du 21 mars 2013, Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi/OHMI, C-393-12 P, point 38 et jurisprudence citée).

29 En conséquence, le second moyen du présent pourvoi doit être rejeté comme, pour partie, manifestement non fondé et, pour partie, manifestement irrecevable.

30 Partant, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

Sur les dépens

31 Aux termes de l'article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

32 La Commission ayant conclu à la condamnation de KPC, de KPI ainsi que de KPN et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Kuwait Petroleum Corp., Kuwait Petroleum International Ltd et Kuwait Petroleum (Nederland) BV sont condamnées aux dépens.