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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 20 mars 2014, n° 12-02808

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Visiplus (SAS)

Défendeur :

Gallego ; Optimize Web (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Avocats :

Mes Sider, Tollinchi

TGI. Grasse, du 8 nov. 2011

8 novembre 2011

FAITS PROCEDURE DEMANDES :

Monsieur Fabien Gallego, embauché le 17 août 2007 par la SAS.U. Visiplus ayant pour gérant Monsieur Régis Micheli, et engagé par avenant du 12 septembre 2008 en qualité d'attaché commercial à compter du 27 août 2007, a démissionné par lettre du 18 septembre 2008 à compter du lendemain.

Le 2 octobre 2008 a été immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés la SARL. Optimize Web, avec des statuts signés le 20 octobre 2011 qui mentionnent 5 associés : Messieurs Gallego, Jean-Philippe Le Gleuher, Gilles Laffay et Sportes ainsi que la SAS. New York. Le capital de 200 parts, initialement réparti entre Monsieur Gallego pour 100, Monsieur Le Gleuher pour 80 et Monsieur Laffay pour 20, est aujourd'hui en suite de cessions intervenues le 25 novembre 2011 partagé entre Monsieur Gallego pour 100 parts, Monsieur Sportes pour 80 parts et la société New York pour 20 parts. Depuis l'origine le gérant de la société Optimize Web est Monsieur Gallego.

Le 3 novembre 2008 la société Visiplus a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque verbale "optimize web" sous le n° 08 3 608 841.

Monsieur Le Gleuher a été employé en qualité d'attaché commercial par la société Hob France du 1er septembre 2008 au 16 mars 2009.

Un jugement définitif du Conseil de Prud'hommes de Grasse rendu le 3 février 2011, retenant notamment que Monsieur Gallego :

- a utilisé les moyens mis à sa disposition par la société Visiplus, pendant l'exécution de son contrat de travail, pour créer une société concurrente,

- a détourné des prospects qui avaient été approchés par la société Visiplus au profit de sa future société,

- a continué à utiliser des contacts Visiplus pour conclure des contrats pour le compte de sa société,

et qu'ainsi il n'a pas respecté les obligations de loyauté dans l'exécution de son contrat de travail, l'a condamné à payer à la société Visiplus la somme de 1 351 euro 01 (soit 1 mois de salaire) au titre d'indemnité pour violation de cette obligation.

Le 16 mars 2009 la société Visiplus a assigné Monsieur Gallego et la société Optimize Web en dénigrement et parasitisme économique devant le Tribunal de Grande Instance de Grasse, qui par jugement du 8 novembre 2011 a notamment :

Vu l'article 1382 du Code civil débouté la demanderesse de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

débouté les défendeurs de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS.U. Visiplus a régulièrement interjeté appel le 16-17 février 2012. Par conclusions du 13-22 septembre 2012 elle soutient notamment que :

- spécialisée dans le référencement des sites Internet elle a été créée le 28 août 2002 à une époque où cette activité n'en était qu'à ses balbutiements; Monsieur Gallego savait donc que les techniques d'elle-même étaient novatrices; la société Optimize Web qu'il a créée, avec un ancien collègue de travail Monsieur Le Gleuher qui avait été licencié, a la même activité qu'elle; Monsieur Gallego a créé cette société pendant l'exécution de son contrat de travail, et a détourné pour les besoins de celle-ci des prospects démarchés par et/ou pour elle-même ;

- le parasitisme économique apparaît comme une illustration de la concurrence déloyale à laquelle il est aujourd'hui intégré; celle-ci comprend également l'imitation destinée à créer une confusion, le dénigrement, le débauchage de personnel et la violation des secrets d'affaires ;

- elle est devenue un acteur majeur en France avec un savoir-faire reconnu et une notoriété importante ;

- Monsieur Gallego a eu un comportement déloyal au profit de la SARL Optimize Web: lorsqu'il était encore son salarié il a donné par messages électroniques des contacts commerciaux à Monsieur Le Gleuher travaillant pour un concurrent; il l'a dénigrée auprès des anciens prospects sur le coût du référencement ; cette déloyauté sanctionnée par le Conseil de Prud'hommes ne constitue qu'un des critères de la concurrence déloyale ;

- Monsieur Gallego a utilisé sa notoriété : lui et Monsieur Le Gleuher ne disposaient aucunement des compétences universitaires et professionnelles à la hauteur de celle de Monsieur Micheli, et se présentent comme 2 anciens chefs de projet alors qu'ils n'ont jamais occupé un tel poste; la société Optimize Web entend se placer dans son sillage pour influencer les éventuels clients et profiter de sa notoriété pour apparaître sérieuse et compétente ;

- les intimés ont utilisé ses documents commerciaux et son site web ;

- les bons de commande respectifs des 2 sociétés sont en tous points ressemblants, alors que ceux d'autres sociétés ne le sont pas : typographie, couleur grisée et emplacement des mots "Bon de commande";

- les conditions générales de vente (articles 1, 2.1, 3.1, 4, 5, 6.1, 6.2, 7, 8.1, et 9 à 15) sont largement identiques au niveau des contenu, titre et numérotation, à l'exception de la durée du contrat ;

- les propositions et commerciales sont identiques pour la première page et la stratégie de présentation dont les chiffres relatifs au monde Internet ;

- la seule différence avec la société Optimize Web est qu'elle a développé une activité de formation; leurs statuts présentent un objet identique; son support de présentation comporte une carte du monde, idée reprise par la société Optimize Web; les accroches commerciales ne se ressemblent pas puisqu'il y a similitudes et recopiage; les images et les propos sont quasiment identiques ;

- la société Optimize Web a adressé un mail le 18 avril 2012 à Monsieur Albericci de la société Astrium Services qui est un prospect d'elle-même, par Monsieur Gilles Laffay associé et membre de l'équipe de la société Optimize Web ;

- elle a été contrainte de refaire intégralement son site web suite à la découverte de la copie par la société Optimize Web ce qui a engendré un coût très important, a subi un préjudice en terme d'image de marque car elle est considérée par ses prospects et clients comme l'un des leaders du référencement en France, et son discours d'entreprise innovant est mis à mal; les agences de référencement en France ne sont pas nombreuses, et encore moins dans la région de Sophia Antipolis.

L'appelante demande à la cour, vu l'article 1382 du Code civil, d'infirmer le jugement et de :

- dire et juger que Monsieur Gallego et la société Optimize Web ont commis des agissements de parasitisme en cherchant à profiter du savoir-faire et des investissements d'elle-même ;

- dire et juger que ces agissements parasitaires lui causent un préjudice commercial ;

- condamner in solidum Monsieur Gallego et la société Optimize Web à lui payer la somme de 50 000 euro en réparation du préjudice subi du fait du parasitisme économique commis à son encontre ;

- condamner in solidum les mêmes à lui payer la somme de 3 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonner la publication de la décision dans un journal spécialisé du Web, aux frais des intimés.

Concluant le 13 juillet 2012 Monsieur Fabien Gallego et la SARL. Optimize Web répondent notamment que :

- la seconde a pour activité le référencement de sites Internet ;

- est irrecevable la demande de la société Visiplus formulée à l'encontre du premier relativement au comportement déloyal de ce dernier, qui se heurte à l'autorité de la chose jugée; cette société invoque des faits commis alors que Monsieur Gallego était encore son salarié, mais qui déjà été sanctionnés par le Conseil de Prud'hommes ;

- le nom de la société Visiplus n'apparaît absolument pas sur le site de la société Optimize Web, et n'est communiqué qu'aux prospects qui le demandent individuellement; Monsieur Le Gleuher n'a pas aidé Monsieur Gallego à créer sa société, car il a été embauché le 1er septembre 2008 par la société Hob France ;

- les documents commerciaux de la société Visiplus n'ont pas nécessité des efforts tant intellectuels que financiers, son nom commercial ne jouit pas d'une réputation ou d'une notoriété particulière résultant notamment d'une publicité très onéreuse ;

- depuis le 9 mars 2011 la société Optimize Web a une activité de création de sites Internet, logos et contenus textuels que n'a pas la société Visiplus;

- il n'y a aucune similitude entre leurs sites Internet; toutes les sociétés de référencement Internet expose dans une démarche commerciale classique les enjeux et les intérêts en les décrivant avec des données chiffrées; la notion de vue et de visibilité est la définition même du référencement ;

- les bons de commande sont des actes simplistes ne nécessitant aucun réflexion intellectuelle ou savoir-faire particulier quant à sa rédaction ;

- les conditions générales de vente ont plusieurs différences notables, et diffèrent fondamentalement par la reconduction du contrat chez la société Visiplus mais pas chez la société Optimize Web ;

- les propositions commerciales sont différentes, même si elles contiennent la présentation de la société qui est un éclaircissement à destination de la clientèle ;

- le contact de Monsieur Albericci de la société Astrium Services a été transmis à la société Optimize Web, avec 6 500 autres, par Monsieur Gilles Laffay conseiller en développement durable indépendant ;

- la société Visiplus a déposé la marque Optimize Web après la création de la société éponyme ;

- la même ne démontre pas son préjudice, faute de perte de clientèle se traduisant par une réduction du chiffre d'affaires; ce dernier et son bénéfice ont grandement progressé entre 2007 et 2011.

Les intimés demandent à la cour, vu l'article 1382 du Code civil, de :

- constater que le "comportement déloyal" dont fait état la société Visiplus à l'encontre de Monsieur Gallego a déjà fait l'objet d'une réparation par l'octroi de dommages et intérêts alloués par le Conseil de Prud'hommes de Grasse par décision du 3 février 2011 ;

- constater que la société Visiplus ne rapporte pas la preuve d'une faute constitutive de parasitisme économique ;

- constater que la même ne peut justifier d'un quelconque préjudice traduit par une perte de clientèle ;

- confirmer le jugement ;

- condamner la société Visiplus à payer à la société Optimize Web la somme de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 janvier 2014.

MOTIFS DE L'ARRET :

Les agissements parasitaires consistent à s'immiscer dans le sillage d'autrui afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.

Sur les demandes contre Monsieur Gallego :

La société Visiplus reproche à l'intéressé des faits (création de la société Optimize Web pendant l'exécution de son contrat de travail, détournement de ses prospects, transmissions électroniques de ses contacts commerciaux) qui tous sont datés de la période où il était salarié soit du 17 août 2007 au 19 septembre 2008, sauf pour le message à Madame Anne-Marie Fleury du 7 novembre 2008. Pour cette période Monsieur Gallego a été condamné définitivement par le jugement du Conseil de Prud'hommes de Grasse du du 3 février 2011 à indemniser la société Visiplus pour violation de son obligation de loyauté dans l'exécution de son contrat de travail. Par suite c'est à bon droit que le Tribunal de Grande Instance a débouté celle-ci de ses demandes contre celui-là car elles font double emploi avec cette condamnation.

Le message précité du 7 novembre 2008 contient 2 appréciations de Monsieur Gallego sur la société Visiplus : "franchement imposer des 3 000 euro à un gîte, petite pm pour leur référencement je trouvais cela trop voire de l'arnaque (...) mon patron m'a dit de toute faire pour faire oublier l'article [des conditions générales de vente stipulant la reconduction tacite du contrat si pas de lettre AR dans les deux mois max avant l'échéance] à la cliente qui a effectivement signé"; elles sont critiques mais pour autant ne constituent pas des agissements de parasitisme, ce qui conduit la cour à rejeter la demande indemnitaire de la société Visiplus contre Monsieur Gallego fondée sur ce message postérieur à la fin de son contrat de travail.

Sur les demandes contre la société Optimize Web :

La page d'accueil du site internet de cette société mentionne : "Aujourd'hui dans le monde il existe des milliards de pages web, des milliers voire des millions traitant d'un même sujet. (...) C'est dans le but de vous faire émerger de la concurrence qu'a été créée l'agence de référencement Optimize Web", tandis que celle de la société Visiplus précise : "Il existe aujourd'hui dans le monde plus de 20 milliards de pages web. (...) C'est avec l'ambition de sortir votre site web de l'anonymat que nous avons créé Visiplus"; et toutes deux comportent une carte du monde, sur toute une page pour la seconde société et sur moins de 10 % de la page pour la première.

Dans la page "Le contexte du référencement & son utilité aujourd'hui" la société Optimize Web expose : "Il existe à ce jour plus de 26 millions de site Internet, et parmi celui-ci le vôtre perdu dans l'immensité du Web . Il ne suffit pas d'avoir un site Internet aujourd'hui pour être vu, encore faut-il que l'on vous trouve !!", alors que la société Visiplus indique : "Au milieu de cette immensité [des pages web] : votre site internet. Et peu importe si votre site est fonctionnel, à jour, et utilise les techniques les plus récentes ... Il ne suffit malheureusement pas d'être "en ligne" pour être vu ...".

L'activité de référencement des sites internet que pratiquent ces 2 sociétés, et sur laquelle la société Visiplus ne peut avoir d'exclusivité au prétexte qu'elle en serait pionnère, impliquent par nature des textes accrocheurs vis-à-vis de la future clientèle notamment pour se mettre en valeur; en cette matière la création tant intellectuelle que financière en efforts et en savoir-faire est ainsi très difficile et n'est pas démontrée par la société Visiplus, non plus que la singularité de ces textes; en outre la présence d'une carte du monde évoque la dimension internationale de l'entreprise, qui est l'essence même d'internet.

Les 3 exemples chiffrés sur la proportion d'internautes vis-à-vis des moteurs recherches émanent de sondages sur lesquels la société Visiplus ne peut avoir l'exclusivité puisqu'elle ne les pas commandés, ce qui permet aux tiers comme la société Optimize Web de les utiliser librement même en reprenant mot pour mot les phrases de celle-là, d'autant que la première société a mentionné au total 11 autres résultats de sondages.

Les bons de commande de ces sociétés sont très ressemblants sauf pour la police de caractères et le retour de celui de la société Visiplus prévu par fax, mais ce sont là des documents dépourvus de savoir-faire créateur de la part de cette société.

La société Optimize Web dans ses conditions générales de vente a reproduit à l'identique les articles 1, 2.1, 3.1, 4, 5, 6.1, 6.2, 7, 8.1, et 9 à 15 de celles de la société Visiplus, tandis que les autres articles sont très ressemblants; mais les premières limitent la durée du contrat avec le client à 12 mois, tandis que les secondes à l'échéance de ce délai stipulent un renouvellement d'année en année par tacite reconduction; et là également la seconde n'a pas fait montre d'efforts particuliers de création, les conditions générales de vente d'entreprises du même secteur d'activité étant par nature ressemblables.

Le fait que Messieurs Gallego et Le Gleuher, dans la présentation de la société Optimize Web, s'intitulent chefs de projet [de la société Visiplus], même s'il est inexact, ne constitue pas pour autant un agissement parasitaire au détriment de celle-ci.

Par courriel du 18 avril 2012 émanant de Monsieur Gallego la société Optimize Web a proposé les services de celle-ci à Monsieur Pascal Albericci, lequel lui a répondu le même jour pour lui demander comment elle avait eu son adresse email qui n'est plus officielle. L'imputation à Monsieur Laffay, associé initial de la société Optimize Web, de la transmission à celle-ci de cette adresse dont le titulaire est un prospect de la société Visiplus n'est pas une faute suffisante à caractériser un acte de parasitisme.

Enfin les éléments de la comptabilité de la société Visiplus pour les 4 années des exercices 2007/2008 à 2010/2011, s'ils mentionnent une baisse de la publicité qui passe de 28 679 euro à 12 203 euro, indiquent une très forte progression de la publicité intracom qui augmente de 20 772 euro à 424 100 euro. Le préjudice allégué par cette société n'est ainsi pas démontré.

C'est en conséquence à juste titre que le Tribunal de Grande Instance a débouté la société Visiplus faute de preuve de l'existence d'agissements parasitaires commis par la société Optimize Web; le jugement est confirmé.

Enfin ni l'équité, ni la situation économique de la première société, ne permettent de rejeter la demande faite par la seconde au titre des frais irrépétibles d'appel.

DECISION

La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire; Confirme le jugement du 8 novembre 2011; Condamne en outre la SAS.U. Visiplus à payer à la SARL. Optimize Web une indemnité de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel Rejette toutes autres demandes ; Condamne la SAS.U. Visiplus aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.