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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 26 mars 2014, n° 13-20063

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société d'Economie Mixte Tahiti Nui Télévision

Défendeur :

Smadja, Mobilevent (SARL), Association pour la Promotion de L'image, de la Création et des Arts en Polynésie Française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avocats :

Mes Hascoet, Grangé, Meynard, Nevo, Michel, Ang

TGI. Paris, du 16 avr. 2013

16 avril 2013

Vu l'ordonnance contradictoire du 3 octobre 2013 rendue par le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 17 octobre 2013 par la Société d'Economie Mixte Tahiti NUI Télévision (TNTV),

Vu les dernières conclusions du 18 décembre 2013 de la société appelante,

Vu les uniques conclusions du 17 janvier 2014 de l'Association pour la Promotion de l'Image, de la Création et des Arts en Polynésie Française (Apica), intimée et incidemment appelante,

Vu les conclusions des 10 et 20 janvier 2014 de la société Mobilevent et de Bruno Smadja, intimés,

SUR CE, LA COUR,

Considérant que la société Mobilevent, ayant Bruno Smadja pour gérant, se prévaut de la conception d'un festival de courts métrages réalisés avec des téléphones mobiles, dénommé "Mobile Film Festival" auquel est dédié le site internet "mobilefilm festival", et de la propriété des marques françaises :

- verbale "Mobile Film Festival" enregistrée sous le n° 3 334 484 en classes 35, 38, 41 et 42 déposée le 12 janvier 2005 par Bruno Smadja qui lui a été cédée par ce dernier selon inscription au Registre national des marques du 22 octobre 2012,

- semi-figurative en couleurs "Mobilefilm Festival" enregistrée sous le n° 3529 833 en classes 35, 38 et 41 déposée le 9 octobre 2007 ;

Qu'elle soutient qu'elle a conclu le 1er octobre 2009 un contrat de partenariat, venu à échéance le 31 décembre 2011, pour l'organisation d'une déclinaison de son festival concédant à cet effet une licence de sa marque n° 3529833 à une association dont le président dirigerait la société TNTV, partenaire officiel des trois éditions 2009, 2010 et 2011 de ce festival, et que l'Apica se serait ensuite rapprochée d'elle pour organiser à son tour ce festival, mais aurait mis fin aux discussions entreprises ;

Qu'ayant découvert que l'Apica organiserait néanmoins un événement dénommé "Vini Film Festival", qui consisterait dans un concours de courts métrages tournés avec un téléphone mobile ou une tablette et qui, selon elle, reposerait sur le même concept avec imitation de ses marques et s'appuierait sur des sponsors et partenaires communs dont la société TNTV, la société Mobilevent a vainement mis en demeure les intéressés de cesser ces agissements le 8 novembre 2012 puis adressé un rappel par courriels du 26 novembre 2012;

Considérant que, dans ces circonstances, la société Mobilevent a fait assigner, le 6 décembre 2012, devant le Tribunal de grande instance de Paris la société TNTV en concurrence déloyale et parasitaire puis la société Mobilevent et Bruno Smadja ont fait assigner, le 7 décembre 2012, l'Apica devant ce même tribunal en contrefaçon de marques et concurrence déloyale et parasitaire, et les deux instances ont été jointes ;

Que, par conclusions du 16 avril 2013 l'Apica a soulevé devant le Tribunal de grande instance de Paris une exception d'incompétence se prévalant de l'absence de protection sur le territoire de la Polynésie Française des marques invoquées et de ce que les prétendus faits de concurrence déloyale se seraient déroulés en Polynésie Française ;

Que par conclusions d'incident postérieures la société TNTV et l'Apica ont chacune demandé au juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Paris de se déclarer incompétent au profit du Tribunal civil de première instance de Papeete ; que la société Mobilevent, qui a notamment fait dresser un procès-verbal de constat sur le site Internet "vinifilmfestivaltntv", et Bruno Smadja s'y sont opposés ;

Considérant que l'ordonnance entreprise a :

- déclaré irrecevable, pour avoir été soulevée après une fin de non-recevoir et une défense au fond, l'exception d'incompétence opposée par l'Apica, et mal fondée celle formée par la société TNTV,

- débouté la Société Mobilevent et Bruno Smadja de leur demande fondée sur l'article 700 ducode de procédure civile, renvoyé l'affaire à la mise en état pour conclusions et fixation de la date des plaidoiries, et réservé les dépens ;

Que le juge de la mise en état a essentiellement retenu que :

- l'Apica, tant dans ses conclusions du 16 avril 2013 que dans celle le saisissant, invoquait une fin de non-recevoir "sans utilité pour expliciter son exception d'incompétence" et présentait une défense au fond alors que "la compétence d'une juridiction ne résulte pas du bien-fondé des demandes dont elle est saisi",

- la demande en concurrence déloyale formée à l'encontre de la société TNTV était connexe aux demandes en contrefaçon de marques, la jonction des instances ayant "d'ailleurs" été ordonnée "pour ce Motif" ;

Considérant que la société TNTV, appelante, maintient qu'il n'existerait aucun motif légitime de faire échec aux règles de compétence territoriale, alors qu'elle a son siège social en Polynésie Française, lieu du prétendu fait dommageable, et conteste tout lien de connexité entre l'action en contrefaçon de marques et l'action en concurrence déloyale, seule introduite à son encontre, qui a un fondement distinct ;

Que l'Apica, qui s'est jointe à ces conclusions, soutient à nouveau que le contentieux de marques aurait été soulevé de façon artificielle pour échapper à la compétence des juridictions polynésiennes alors que le seul véritable objet du litige serait celui d'une concurrence prétendument déloyale ; qu'elle reproche au juge de la mise en état de ne pas avoir examiné le sérieux de la demande, alors en particulier que pour la période litigieuse les marques opposées ne seraient pas protégées en Polynésie Française, qu'il n'existerait aucune similitude entre le signe utilisé sur le site internet incriminé et la marque invoquée et que la règle de dérogation de compétence appliquée romprait l'équilibre entre les parties, étant établie à 18 000 kilomètres des juridictions saisies, et ne serait pas justifiée, le festival incriminé se déroulant en Polynésie française sans drainer le public métropolitain ;

Considérant que la société Mobilevent et Bruno Smadja qui ont conclu en premier lieu à l'encontre de la société TNTV, et en second lieu à l'encontre de la société Apica, en réponse aux écritures de cette dernière, maintiennent que l'exception d'incompétence soulevée par la société TNTV serait infondée et que celle opposée par l'Apica serait irrecevable et, en tout état de cause, non fondée ;

Considérant que le juge de la mise en état a exactement jugé que la question de la validité des titres invoqués, comme le bien fondé des demandes étaient sans incidence pour définir la juridiction compétente, alors que les dispositions légales donnent compétence exclusive au Tribunal de grande instance de Paris pour connaître des actions en contrefaçon de marque et des actions en concurrence déloyale connexes, intéressant le ressort de la Cour d'appel de Paris ainsi que de la Cour d'appel de Papeete, ce qui n'est en fait pas discuté ;

Qu'en réalité, le fait que les marques invoquées déposées postérieurement au 3 mars 2004 soient ou non protégées en Polynésie Française relève bien du droit d'agir et non de la compétence, et l'existence ou non d'une contrefaçon de marque d'une appréciation au fond par la juridiction compétente ; que la décision entreprise ne peut qu'être approuvée de ces chefs ;

Que l'exception soulevée par l'Apica consistant en une fin de non-recevoir et en une défense au fond ne s'avère pas régulièrement opposée et ne saurait prospérer ;

Qu'il n'est pas sans intérêt d'ajouter qu'il n'est pas dénié que le site internet incriminé "vinifilmfestivaltntv" dédié à l'événement par elle organisé est accessible dans le ressort de la juridiction saisie, même s'il est principalement destiné aux polynésiens ; que le lieu où le prétendu fait dommageable de concurrence déloyale est susceptible de s'être produit, permet d'attraire l'Apica certes devant la juridiction de son domicile, dont il n'est pas discuté qu'il se situe en Polynésie Française, mais également devant celle du lieu de matérialisation du dommage, sans que puisse être retenue une rupture d'égalité du seul fait d'un éloignement géographique ;

Considérant, par ailleurs, que c'est à bon droit que l'exception d'incompétence soulevée par la société TNTV a été rejetée comme mal fondée ; qu'en effet les demandes en concurrence déloyale, jointes aux demandes formées à l'encontre de l'Apica, apparaissent bien connexes aux demandes en contrefaçon de marques formées à l'encontre de cette dernière, dès lors qu'il est prétendu que les marques seraient imitées et utilisées dans le cadre du festival qui concurrencerait illicitement ou parasiterait le festival préexistant revendiqué, et que la société TNTV est recherchée comme associée au festival incriminé, en sa qualité de partenaire officiel de l'Apica ;

Qu'il sera en outre relevé qu'il s'infère des développements qui précèdent, sur le lieu de matérialisation du dommage allégué, que les faits de parasitisme tels que reprochés à la société TNTV, comme participant à l'exploitation et à la diffusion qui serait faite par l'Apica de l'événement litigieux, seraient également situés dans le ressort du Tribunal de grande instance de Paris et non limités à la Polynésie Française ;

Considérant, en conséquence, que la décision entreprise ne peut qu'être confirmée ;

Par ces motifs, Confirme la décision entreprise ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société Tahiti NUI Télévision (TNTV) aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel.