Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 6 mars 2014, n° 12-17192

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Billard Français Américain (SARL), Ezavin (ès qual.); Selarl Gauthier-Sohm (ès qual.)

Défendeur :

Chevillotte (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mmes Durand, Verdeaux

Avocats :

Mes Desombre, Crepeaux, Simon-Thibaud, Sale-Moniaux

T. com. Antibes, du 2 juill. 2010

2 juillet 2010

Vu le jugement frappé d'appel rendu le 2 juillet 2010 par le Tribunal de commerce d'Antibes ;

Vu les conclusions notifiées le 20 janvier 2014 par la société Billard Français et Américain (BFA), appelante ;

Vu les conclusions notifiées le 14 janvier 2014 par la société Chevillotte, intimée ;

Attendu que par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile il est renvoyé aux conclusions visées ci-dessus pour l'exposé des prétentions et moyens des parties ;

Attendu que la société Établissements Chevillotte, qui fabriquait et commercialisait des billards, était liée à la société Billard Français et Américain (BFA) par un contrat de distribution exclusive en région lyonnaise en date du 10 novembre 2006 et par une convention commerciale de confidentialité en date du 20 avril 2006 ; qu'elle a fait l'objet le 21 novembre 2007 d'une procédure de redressement judiciaire qui a abouti à un plan de cession arrêté le 19 juin 2008 au profit de la société Horus qui s'est substituée la société Chevillotte; que cette dernière a réclamé à la société BFA une somme de 34 839,48 euro correspondant à des factures impayées antérieures à la cession ainsi qu'une somme de 26 637,25 euro correspondant à une facture émise postérieurement; qu'après l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société BFA le 7 novembre 2008 la société Chevillotte a mis en cause les organes désignés, Me Ezavin, administrateur judiciaire, et la société Gauthier-Sohm, mandataire judiciaire, lesquels, invoquant la violation des conventions précitées et d'un engagement du 24 novembre 2003, ont réclamé reconventionnellement, conjointement avec la société BFA, une somme de 211 710 euro à titre de dommages-intérêts ; que la société Chevillotte a notifié le 5 décembre 2008 la résiliation du contrat de distribution exclusive du 10 novembre 2006 à l'administrateur judiciaire qui en a réclamé la poursuite le 9 janvier 2009 ; que par ordonnance en date du 17 juin 2009 le juge-commissaire a autorisé la société BFA à céder le droit au bail de son établissement de Lyon au prix de 190 000 euro ;

Attendu que par le jugement attaqué le Tribunal de commerce d'Antibes a fixé la créance de la société Chevillotte au passif de la société BFA à la somme de 34 839,48 euro avec les intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2008, validé des mesures conservatoires, constaté la résiliation de la convention de distribution du 10 novembre 2006, rejeté les demandes de la société BFA et des organes de sa procédure collective, et interdit à la société BFA sous peine d'astreinte d'utiliser la marque Chevillotte, en relevant que les factures impayées étaient indiscutables, que la violation par la société Chevillotte de la convention du 20 avril 2006 et d'un accord du 24 novembre 2003 n'était pas démontrée, et que la convention du 20 avril 2006 avait été régulièrement dénoncée par la société Chevillotte faute de règlement des factures en souffrance ;

SUR CE,

Sur les factures en souffrance.

Attendu que la société Chevillotte a été créée par la société Horus, cessionnaire de l'entreprise de la société Établissements Chevillotte désignée par le jugement d'arrêté de plan du 19 juin 2008 ; que ce jugement précise que sont cédées à la repreneuse les créances clients "nettes d'acomptes versés par les clients" ; que l'acte de cession conclu ultérieurement le 23 juin 2009, conforme au jugement, mentionne ces créances au nombre des éléments incorporels repris ; que, la cession des créances clients nettes d'acomptes s'entendant du transfert de l'intégralité du portefeuille clients, le moyen de la société BFA pris du défaut de qualité de la société Chevillotte à agir en recouvrement des créances antérieures à la cession sera rejeté ;

Attendu que la société Chevillotte réclame la fixation de sa créance au passif pour la somme de 34 839,48 euro correspondant à quatre factures échelonnées du 14 janvier 2008 au 21 juillet 2008 ; que la société BFA ne conteste pas le bien-fondé de la facturation mais entend en déduire deux acomptes de 5 000 et 1 890 euro apparaissant au débit de son compte bancaire, le premier à la date du 29 février 2008, le second à celle du 7 décembre 2007 ; que cette prétention a été rejetée à juste titre par les premiers juges par des moyens adaptés dès lors que la société BFA met expressément les acomptes invoqués en correspondance avec des commandes et factures qui ne sont pas celles en litige et que, ayant la charge de la preuve de l'imputation, elle ne démontre pas qu'ils doivent venir en déduction des sommes réclamées ; qu'il est pris acte de ce que l'admission à titre nanti n'est plus critiquée; que les intérêts de retard ne peuvent être accordés au taux légal que jusqu'à l'ouverture de la procédure collective qui en a arrêté le cours ;

Attendu que la société Chevillotte réclame également une somme de 26 637,25 euro correspondant au solde d'une facture sur laquelle la société BFA a encaissé trois acomptes d'un total de 27 000 euro entre le 28 septembre 2007 et le 2 avril 2008, antérieurement à l'ouverture de sa procédure collective ; qu'il résulte à cet égard des propres explications de la société Chevillotte qu'elle a exécuté elle-même la commande en cause postérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société BFA, de sorte que donnaient lieu à déclaration au passif de cette dernière le manque-à-gagner prétendu né d'une inexécution ou d'un encaissement indû antérieurs; que, la déclaration n'ayant pas été faite, la demande de condamnation est irrecevable comme soutenu par la société BFA ;

Sur la mainlevée de saisies conservatoires.

Attendu qu'avant la date de cessation des paiements de la société BFA fixée au 7 novembre 2008, la société Chevillotte a régulièrement pratiqué deux saisies conservatoires, l'une sur des comptes bancaires le 6 octobre 2008, l'autre sur des biens meubles le 30 octobre 2008 ; qu'encore que ces saisies ne tombent pas sous le coup des nullités de la période suspecte elles ne peuvent plus, comme soutenu par la société BFA, être converties en saisies attribution en vertu des dispositions de l'article L. 622-21 du Code de commerce dans sa rédaction de la loi du 26 juillet 2005 qui dispose que le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute voie d'exécution de la part des créanciers sur les meubles et sur les immeubles ; que mainlevée sera en conséquence donnée ;

Sur la rupture du contrat de distribution exclusive en date du 10 novembre 2006 afférent à la région Rhône-Alpes.

Attendu que la société Chevillotte reconnaît que ce contrat, mentionné dans l'acte de cession du fonds de la société Établissements Chevillotte du 23 juin 2009, lui est opposable ; qu'elle a déclaré le résilier avec effet immédiat le 5 décembre 2008 par un courrier adressé à l'administrateur judiciaire au motif que dans le secteur concerné le chiffre d'affaires s'était effondré, qu'aucune prospection n'avait été effectuée, que les clients n'avaient pas été suivis, les échéances pas respectées, des commandes pas transmises ou pas livrées, et les délais pas respectés ; que, ayant réceptionné ce courrier le 10 décembre 2008, l'administrateur judiciaire a informé la société Chevillotte le 9 janvier 2009 de ce qu'il optait pour la poursuite du contrat; qu'il a ensuite cédé le droit au bail de l'établissement de Lyon à une société Bernard Participations au prix de 190 000 euro en exécution d'une ordonnance du juge commissaire en date du 17 juin 2009; que par la suite la société BFA n'a pris aucune initiative afin de récupérer le contrat de distribution exclusive pour éventuellement l'exploiter à une autre adresse ; que la requête adressée au juge-commissaire le 22 avril 2009 en vue de la cession du droit au bail mentionne d'ailleurs expressément que "dans le cadre de la restructuration de la société la fermeture du magasin de Lyon a été décidée et un appel d'offre a été diligenté pour céder cet actif" ; que, les manquements invoqués dans ce commandement étant antérieurs à l'ouverture de la procédure collective de sorte que, comme précisé ci-dessous, la demande de dommages-intérêts présentée sur ce fondement par la société Chevillotte est irrecevable en l'absence de déclaration au passif, et seuls des dommages-intérêts étant réclamés par la société BFA, il s'ensuit que demeure seule en litige la question de savoir si cette dernière a subi un préjudice du fait de la rupture ;

Attendu que dès lors que le droit au bail a été cédé l'existence d'un préjudice subi par la société BFA du fait de la résiliation ne pourrait être retenue qu'à condition qu'il soit démontré, soit que compte tenu de la situation financière particulière du fonds de Lyon et de l'activité générée son inclusion dans le plan de continuation ultérieurement arrêté était envisageable et aurait été profitable, soit qu'un prix supérieur aurait pu être obtenu si la cession avait porté sur l'entier fonds avec transmission du contrat de distribution ; qu'aucune démonstration de cette sorte n'est administrée, la situation financière exacte ne pouvant être appréciée faute de production des documents comptables spécifiques au fonds; qu'elle ne résulte pas des pièces versées aux débats, celles-ci démontrant qu'en 2008 l'activité avait été fort réduite voire nulle; que des motifs de la requête adressée au juge-commissaire en vue de la cession du droit au bail il faut par ailleurs déduire que la fermeture du fonds a été décidée en considération, non de la dénonciation du contrat de distribution exclusive, mais du manque de rentabilité économique à l'origine de la restructuration de l'entreprise ; qu'il ne peut dans ces conditions être retenu que l'initiative de la société Chevillotte a préjudicié en quoi que ce soit aux intérêts financiers de la société BFA et de sa procédure collective, de sorte que pour seul motif la demande en dommages-intérêts de cette dernière fondée sur cette rupture a été rejetée à juste titre par les premiers juges ;

Attendu qu'au mépris de l'arrêt des poursuites individuelles la société Chevillotte réclame la condamnation de la société BFA au paiement d'une somme de 20 000 euro à titre de dommages-intérêts en raison des manquements antérieurs à l'ouverture de la procédure collective dans l'exécution du contrat de distribution exclusive relatif à la région lyonnaise dénoncés dans son courrier de résiliation du 5 décembre 2008 ; qu'à considérer que la fixation de la créance au passif pourrait intervenir, y mettrait obstacle l'absence de déclaration, seule ayant été déclarée le 12 décembre 2008 à titre chirographaire une créance de 8 000 euro correspondant à concurrence de 4 000 euro à des dommages-intérêts pour résistance abusive et de 4 000 euro à des frais irrépétibles ;

Sur la rupture du contrat de distribution exclusive du 24 novembre 2003 et de la convention de confidentialité du 20 avril 2006.

Attendu que le jugement d'arrêté du plan du 19 juin 2008 a ordonné la transmission à la société Horus de l'ensemble des éléments corporels et incorporels du fonds de commerce de la société Établissements Chevillotte ainsi que de huit contrats, dont deux de bail, deux relatifs à des photocopieurs, et quatre afférents à des locations de véhicules ; que dans ses motifs le jugement précise qu'est ordonnée la reprise des seuls contrats en cours mentionnés dans l'offre déposée ; que ni l'offre ni le jugement ni l'acte de cession ne font une quelconque allusion aux conventions du 24 novembre 2003 et du 20 avril 2006 correspondant selon la société BFA, la première à un contrat de distribution exclusive pour le Sud-Est, Monaco et l'Italie frontalière, et la seconde à un accord de confidentialité et de fourniture ; que cette omission s'explique aisément, l'administrateur au redressement judiciaire de la société Établissements Chevillotte, assigné en responsabilité dans une instance distincte, faisant valoir en défense qu'il ignorait tout du contrat du 24 novembre 2003 et n'a appris l'existence de celui du 20 avril 2006 que 15 jours avant la signature de l'acte de cession; que, cette assertion ne faisant l'objet d'aucune démonstration contraire, il peut être retenu que la société Horus était aussi ignorante que l'administrateur ;

Attendu qu'alors que nécessairement les tractations en vue de la reprise n'ont pas porté sur les contrats litigieux ignorés de l'administrateur, leur transmission à la repreneuse ne pourrait se déduire que d'actes d'acceptation positifs non équivoques s'ajoutant aux engagements du plan ; que n'est pas de nature à caractériser un tel acte le business plan de la société Établissements Chevillotte établi en vue de la cession qui fait apparaître des concessions exclusives à Nice et à Aix-en-Provence mais n'a en toute hypothèse suscité aucune acceptation de la part de la société Chevillotte qui n'était pas contrainte de les reprendre à supposer que ce seul document ait suffi à la convaincre de leur existence ; qu'il en est de même de la mention, constatée par un huissier le 26 mars 2013, sur le site Internet en langue allemande de la société Chevillotte, d'établissements Chevillotte à Aix-en-Provence et Saint-Laurent du Var, seule la qualité de revendeur autorisé, revendiquée par la société BFA, pouvant en être déduite en l'absence de tout rapprochement prouvé entre les parties en vue du maintien d'une exclusivité, antérieurement ou postérieurement à la reprise de la société Établissements Chevillotte; que ne peuvent concourir à une telle caractérisation les relations et conflits au cours de la période d'observation de la société Établissements Chevillotte entre cette dernière et la société BFA, la société Chevillotte y étant étrangère ; que pour le surplus cette dernière, après la consécration de sa qualité de repreneuse, n'a à aucun moment reconnu expressément ou implicitement la qualité de concessionnaire exclusif de la société BFA ;

Attendu que, l'acte de cession excluant expressément les contrats non visés dans l'offre, ceux, supplémentaires, dont se prévaut à présent la société BFA se trouvent exclus du périmètre de la reprise; qu'en vain à cet égard, compte tenu de la précision et de la limitation de l'offre, du jugement et de l'acte de cession, la société BFA fait valoir que les contrats en cause sont inclus dans les éléments incorporels du fonds ; qu'en l'absence de preuve non équivoque de la poursuite de ces contrats par la société Chevillotte, elle ne peut en conséquence prétendre avoir subi du fait de leur rupture un préjudice dont cette dernière devrait répondre de sorte que le jugement attaqué sera également confirmé sur ce point ;

Attendu que la société BFA soutient encore que des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce interdisaient à la société Chevillotte de rompre brutalement la relation sans un préavis tenant compte de sa durée et reproche à cette dernière d'avoir, au mépris des règles de la procédure collective, refusé de vendre, détourné des commandes, dénigré et même commis des actes de concurrence déloyale d'une particulière gravité ; que cette demande, qui tend aux mêmes fins que celle fondée sur la rupture de la convention de distribution exclusive, est recevable pour la première fois en appel ; qu'au fond sont invoqués des faits relatifs à la concession de la région sud-est pour laquelle la société Chevillotte n'était liée par aucun contrat, rapportés au surplus par des témoins qui ont délivré des attestations sujettes à caution en raison de leur nombre réduit; que, la société Chevillotte faisant remarquer à juste titre qu'elle ne pouvait se voir imposer les conditions, notamment tarifaires, dont la société BFA bénéficiait de la part de la société Établissements Chevillotte, les fautes alléguées ne peuvent être considérées comme démontrées ; que, le préjudice invoqué ayant au surplus été calculé de manière globale, exclusivement sur la base de la moyenne des chiffres d'affaires de trois années et d'un préavis de 18 mois, de sorte que la part afférente aux manquements supplémentaires dénoncés ne peut être individualisée, aucune indemnité réparatrice ne peut être accordée de ce chef à la société BFA ;

Sur l'interdiction d'user du nom de Chevillotte.

Attendu que la condamnation prononcée par le tribunal de commerce n'est pas critiquée par un moyen précis des conclusions de la société BFA ; qu'elle sera en conséquence confirmée ;

Par ces motifs LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare les appels réguliers et recevables en la forme. Au fond, confirme le jugement attaqué en ce qu'il a par ses dispositions critiquées : rejeté les demandes en dommages-intérêts de la société BFA et des organes de la procédure collective de cette dernière en paiement de dommages-intérêts fondés sur la rupture de deux conventions de distribution exclusive et d'une convention de confidentialité et de fourniture. rejeté la demande en exécution de trois commandes de billards. rejeté les demandes reconventionnelles de la société Chevillotte. interdit à la société BFA sous astreinte, avec fixation de modalités précises, d'utiliser à l'avenir la marque Chevillotte. mis les dépens de première instance à la charge de la société BFA et de sa procédure collective et accordé à la société Chevillotte une somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles. Le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau, Admet la créance de la société Chevillotte à titre nanti au passif de la société BFA pour la somme de 34 839,48 euro avec les intérêts au taux légal du 9 septembre 2008 au 7 novembre 2008. Déclare irrecevable la demande la société Chevillotte en condamnation de la société BFA au paiement d'une somme de 26 637,25 euro ou en admission de cette créance au passif. Constate qu'aucune des parties ne sollicite la poursuite de la convention de distribution exclusive du 10 novembre 2006 relative à la région lyonnaise et déclare en conséquence sans objet la demande en constatation de la résiliation de cette convention. Ordonne la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées par la société Chevillotte pour garantie de sa créance. Déclare irrecevable faute de déclaration au passif la demande de la société Chevillotte en condamnation de la société BFA au paiement d'une somme de 20 000 euro à titre de dommages-intérêts pour inexécution fautive de la convention de distribution exclusive relative à la région lyonnaise. Fait masse des dépens d'appel et les partage à raison d'un tiers à la charge de la société Chevillotte et de deux tiers à celle de la société BFA. Condamne la société BFA à payer à la société Chevillotte au titre des frais irrépétibles une somme de 5 000 euro pour l'instance d'appel. Accorde aux représentants de la société Chevillotte le bénéfice de distraction de l'article 699 du Code de procédure civile