CA Versailles, 14e ch., 9 septembre 2009, n° 07-05200
VERSAILLES
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fedou
Conseillers :
Mmes Mouys, Audrich
Avocats :
SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, SCP Fievet-Lafon, Mes Bilalian, Kanoui
FAITS ET PROCEDURE.
Le 14 septembre 2005, Madame M R a souscrit à l'offre tarifaire dite "100 % illimité 24h/24" de la société F, avec effet au 6 octobre suivant; cette offre lui permettait, moyennant le paiement d'un abonnement mensuel de 79 TTC, de passer 24h/24e et 7 jours sur 7, sans limitation, les communications téléphoniques suivantes :
-communications depuis son téléphone fixe vers les numéros de téléphone fixes en France métropolitaine (local et national), et dans les départements d'outre-mer ;
-communications depuis son téléphone fixe vers les numéros de téléphone mobiles en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer ;
-communications depuis son téléphone fixe vers les numéros de téléphone fixes et mobiles des pays d'Europe (25 pays de l'Union Européenne, ainsi que la Suisse, la Norvège, Monaco, le Liechtenstein et Andorre) et d'Amérique du Nord.
Par courrier du 19 avril 2006, la société F a informé Madame R de l'évolution de l'offre à laquelle elle avait souscrit, en portant à sa connaissance qu'à compter du 30 mai 2006, l'offre tarifaire dont elle bénéficiait comprendrait désormais 600 minutes (10 heures) par mois de communications vers les mobiles, les communications fixes vers fixes en France (métropole et DOM), en Europe et en Amérique du Nord demeurant pour leur part illimitées.
Par lettres recommandée des 24 et 27 avril 2006, Madame R a contesté la régularité de cette modification et mis F. en demeure de poursuivre le contrat aux conditions initiales; par courrier du 17 mai 2006, F lui a répondu qu'il ne pourrait être donné une suite favorable à sa mise en demeure.
Excipant du refus obstiné de F de rétablir son contrat "100 % illimité", Madame R a, par acte du Il décembre 2006, assigné à jour fixe cette dernière aux fins de la voir, à titre principal, condamner à poursuivre le contrat conclu avec elle aux conditions initiales avec effet rétroactif au 30 mai 2006, sous astreinte de 500 par jour de retard, et, à titre subsidiaire, condamner à lui verser la somme de 15 000 à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices matériel et moral subis.
Aux termes de ses dernières écritures de première instance, elle déclarait contester notamment l'applicabilité de l'article L. 121-84 du Code de la consommation au contrat souscrit auprès de la société F , la validité de la modification effectuée par cette dernière au regard des articles L. 121-20-3 et R. 132-1 du Code de la consommation et la légalité de l'article 14 des conditions générales du contrat au regard tant de la législation encadrant les clauses abusives que du principe de l'intangibilité des conventions.
La société F a répliqué que l'article L. 121-84 du Code de la consommation s'appliquait incontestablement au contrat en cause et que la mise en œuvre de la modification des conditions contractuelles de l'offre" 100 % illimité" était parfaitement régulière.
Par jugement du 18 mai 2007, le Tribunal de grande instance de Nanterre a :
- déclaré abusif et de nul effet l'article 14 des conditions générales d'abonnement applicables au contrat souscrit le 14 septembre 2005 auprès de la société F par Madame M R ;
-déclaré nulles et non avenues les modifications des termes de l'offre "100 % illimité" souscrites le 14 septembre 2005 par Madame R, telles que mentionnées par la lettre du 19 avril 2006 ;
-ordonné à la société F de poursuivre le contrat conclu avec Madame R aux conditions initiales du 14 septembre 2005 avec effet rétroactif au 1 er juin 2006, ce dans le délai de quinze jours de la signification de cette décision et sous astreinte de 200 par jour de retard pendant deux mois ;
-condamné la société F à rembourser à Madame R les communications facturées indûment vers la Grande-Bretagne en février et en avril 2006, puisque incluses dans l'offre "100 % illimitée" et ce à hauteur respective de 10 205 et de 3,21 ;
-condamné la société F à rembourser à Madame R la somme de 683,10 , à titre de neuf mois d'abonnement complémentaire (du 26 août 2006 au 18 mai 2007) ;
-condamné la société F à verser à Madame R les sommes de 592,80 au titre du gain manqué et de 1 000 au titre de son préjudice moral ;
-condamné la société F à verser à Madame R la somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
-débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
-condamné la société F aux entiers dépens.
La société anonyme F a interjeté appel de ce jugement.
Elle invoque la régularité de la modification des conditions contractuelles de l'offre "100 % illimité" mise en œuvre le 30 mai 2006, et à cet égard, elle fait valoir que :
-elle a mis en œuvre la faculté légale de modification de ses prestations prévue par l'article L. 121-84 du Code de la consommation qui est au surplus reprise par l'article 14 des conditions générales d'abonnement au service téléphonique ;
-allant même au-delà des exigences légales en la matière, elle a mis en place un service d'information gratuit dédié à cette information ;
-ce faisant, elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.
Elle expose qu'une clause contractuelle dont le contenu est autorisé et/ou imposé par la loi, comme c'est le cas de l'article 14 des conditions générales d'abonnement au service téléphonique de la société F, échappe par nature au contrôle juridictionnel de l'abus, de telle sorte que la déclarer abusive n'a aucun sens.
Elle observe que, quand bien même la clause contractuelle critiquée ne serait pas la reprise textuelle de l'article L. 121-84 du Code de la consommation, l'article L. 132-1 du Code de la consommation ne permettrait pas d'arguer valablement de son caractère abusif.
Elle indique que la modification des conditions contractuelles de l'offre "100 % illimité" n'a jamais eu pour effet d'interrompre les services rendus par elle à ses clients, mais a eu seulement une incidence sur la composante tarifaire de l'offre.
Elle précise qu'admettre, comme l'ont fait les premiers juges, que l'application de l'article L. 121-84 du Code de la consommation ne pourrait se faire que dans les limites des conditions de l'article R. 132-2 du même Code contrevient, non seulement à la volonté du législateur de 2004, mais est directement contraire aux principes qui régissent la hiérarchie des normes.
Elle souligne que l'article L. 121-84 du Code de la consommation est d'application autonome et n'a nullement vocation à être mis en œuvre dans les limites ou en combinaison avec d'autres textes du Code de la consommation, et en particulier de son article R. 132-2.
Elle conclut que cette disposition légale autorise la modification de toutes conditions contractuelles d'un contrat de services de communications électroniques, sous la seule réserve du formalisme qu'elle impose au prestataire.
Elle en déduit que cette disposition, issue de la loi du 9 juillet 2004, doit prévaloir sur toute disposition réglementaire antérieure et que l'article 14 des conditions générales d'abonnement au service téléphonique de F , conforme à la lettre et à l'esprit de l'article L. 121-84, ne peut être jugé abusif au regard des dispositions de l'article R. 132-2 du Code de la consommation.
Elle relève qu'elle a parfaitement satisfait à l'obligation d'information qu'a entendu lui imposer le législateur aux termes du 3 ème alinéa de l'article L. 121-84 du Code de la consommation.
Elle objecte que, l'offre "100 % illimitée" étant un contrat d'adhésion, il lui était impossible de respecter l'obligation d'information posée par le troisième alinéa précité autrement que par une mention informative contenue dans ses conditions particulières,
Elle estime n'avoir méconnu, ni les dispositions de l'article L. 121-20 du Code de la consommation relatif aux contrats conclus à longue distance, ni celles de l'article L. 121-1 du même Code relatif à la publicité mensongère, F n'ayant dans la publicité qu'elle a pu faire de son offre "100 % illimité" jamais promis ou laissé entendre qu'elle prenait un engagement "immuable", ni même "pour plusieurs mois ou années", et le courrier d'information destiné à informer les abonnés de la modification contractuelle mise en œuvre ne revêtant aucun caractère trompeur
Elle ajoute que les demandes d'indemnisation formulées par la partie adverse sont injustifiées à titre principal dans leur principe, subsidiairement dans leur quantum.
Aussi, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a admis que l'article L. 121-84 du Code de la consommation était applicable au contrat litigieux et en ce qu'il a jugé que la société F ne s'était pas rendue coupable de publicité trompeuse, de constater qu'elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité envers Madame R, de débouter cette dernière de l'ensemble de ses réclamations et de la condamner au paiement de la somme de 10 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Madame M R conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a :
-déclaré abusif et de nul effet l'article 14 des conditions générales d'abonnement applicables au contrat souscrit le 14 septembre 2005 ;
-déclaré nulles et non avenues les modifications des termes de l'offre "100 % illimité" souscrites par elle le 14 septembre 2005, telles que mentionnées par lettre du 19 avril 2006 ;
-ordonné à la société F de poursuivre le contrat conclu par elle aux conditions initiales du 14 septembre 2005 avec effet rétroactif au 1 er juin 2006, ce dans le délai de 15 jours de la signification de cette décision sous astreinte de 200 par jour de retard pendant deux mois ;
-admis le principe du droit à réparation de ses préjudices.
Elle réplique que ce sont les caractéristiques du service proposé par le contrat "100 % illimité" qui ont été modifiées unilatéralement par la société F, puisque le service à rendre, qui était jusqu'alors de permettre d'émettre des appels téléphoniques vers les mobiles de manière illimitée pour un montant de 79 , n'était plus après cette modification, s'agissant des mobiles, que de permettre d'émettre des appels téléphoniques pendant une durée de 10 heures par mois pour le même montant.
Elle fait valoir que l'article L. 121-84 du Code de la consommation doit être appliqué dans les limites de l'article L. 132-2 du même Code, de telle sorte que, dès lors qu'une modification des conditions de fourniture d'un service a pour objet ou pour effet de modifier les caractéristiques du service promis, les articles L. 121-84 et R. 132-2 du Code de la consommation doivent être appliqués de manière combinée.
Elle relève que la commission des clauses abusives n'admet pas que le professionnel puisse modifier les caractéristiques du service promis sans motif et de manière unilatérale, même sous réserves d'une notification préalable et de la faculté de résilier faite au consommateur.
Elle précise que tout ce qui concerne les conditions de fourniture du service, visées expressément par l'article L. 121-84 du Code de la consommation, peut faire l'objet de modification unilatérale sous réserve du respect des conditions posées par ce texte, et non pas la définition du service lui-même, réservée par l'article R. 132-2 de ce Code.
Elle soutient que l'article 14 des conditions générales d'abonnement de la société F, par sa rédaction trop large, loin d'être la reprise de l'article L. 121-84 du Code de la consommation, est à la fois contraire à l'article L. 121-84 et à l'article R. 132-2 du Code de la consommation.
Elle constate que la modification opérée unilatéralement par la partie adverse a porté exclusivement sur le service offert par cette dernière, et a constitué une interruption du service ayant consisté dans la faculté d'appeler en illimité vers les mobiles sans aucune modification de tarif.
Elle en déduit que l'article 14 susvisé est une clause abusive en ce qu'il permet à F d'interrompre son service, sans dédommage le consommateur créant au détriment de ce dernier, qui ne peut se libérer de la sorte, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Elle souligne que l'information spécifique qui doit être délivrée au stade de l'offre de fourniture d'un service de communication électronique n'a pas été donnée aux consommateurs lors de la souscription du contrat "100 % illimité",
Elle considère que la comparaison entre les engagements de F, tels qu'ils résultent des documents produits et les engagements tenus permet de conclure que cette dernière s'est livrée à des actes de publicité mensongère, sans que la fraude alléguée par la partie adverse puisse justifier la modification unilatérale du service.
Se portant incidemment appelante du jugement entrepris en ce qu'il a statué sur le quantum de ses réclamations et en ce qu'il a écarté sa demande du chef de publicité trompeuse, elle demande à la cour de condamner la société F à lui payer les sommes de :
-1 126,80 , à titre de remboursement de douze mois d'abonnement complémentaire au forfait N ;
-3 149,02 , au titre du gain manqué
-7 500 , au titre de son préjudice moral ;
-1 500 , pour publicité trompeuse par omission.
Elle sollicite, en outre, la condamnation de P à lui verser la somme de 1 600 pour appel abusif, la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans trois journaux nationaux, à la charge de la partie adverse et à concurrence de 5 000 par insertion ainsi que sur la page d'accueil de son site Internet pendant un mois, outre la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
MOTIFS DE L'ARRÊT.
Considérant que selon contrat du 14 septembre 2005, Madame R moyennant
le paiement d'un abonnement mensuel de 79 toutes taxes comprises pouvait notamment passer vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, sans limitation, les communications téléphoniques depuis son téléphone fixe vers les numéros de téléphone mobiles en France métropolitaine et dans les départements d'Outremer ;
Que selon courrier du 19 avril 2006 la société F l'a informée de ce qu'à compter du 30 mai 2006, les communications téléphoniques depuis son téléphone fixe vers les numéros de téléphone mobiles entrant dans le montant forfaitaire inchangé, seraient limitées à 600 minutes (10 heures)par mois
Considérant que le contrat du 14 septembre 2005 est un contrat à durée indéterminée et que la société F se prévaut de l'application des dispositions de l'article L. 121-84 du Code de la consommation et du respect des dispositions de cet article dont la teneur est reprise par l'article 14 des conditions générales de l'abonnement au service téléphonique auquel renvoie l'article 1 des conditions spécifiques de l'offre à laquelle Madame R a adhéré ;
Considérant que Madame R fait valoir que l'article L. 121-84 du Code de la consommation ne permet au fournisseur d'un service de communications électroniques que la modification des conditions contractuelles du service et non pas la modification du service en lui-même, ce qui est prohibé par l'article R. 132-2 du Code de la consommation interdisant au professionnel de modifier unilatéralement les caractéristiques ou le prix du service à rendre ;
Considérant que si, en l'espèce, la modification porte à l'évidence sur les caractéristiques et à des conséquences sur le prix du service rendu, la substitution dans le forfait dont le montant reste inchangé, d'un temps inclus de 600 minutes par mois au lieu de 40 320 minutes environ que comporte un mois, ne porte que sur les conditions contractuelles du service rendu par l'opérateur qui reste le même et qui, contrairement aux conclusions de l'intimé n'a été, en l'espèce, ni supprimé, ni interrompu;
Que l'article 14 des conditions générales dispose (en dehors de la suppression des prestations ou d'une modification des conditions matérielles d'utilisation relevant du respect d'un préavis de six mois, dont la licéité n'est pas en cause) que : "F informe le client de toute modification de ses prestations ou de toute modification contractuelle au moins un mois avant son entrée en vigueur" et contient information de ce qu'en ce cas, le client peut résilier son contrat sans frais ;
Considérant que la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 promulguée au journal officiel de la République Française, le 10 juillet 2004, a pour objet et effet de soustraire les fournisseurs de service de communications électroniques au droit commun des contrats et aux règles applicables à ceux souscrits entre un professionnel et un non professionnel, leur réservant un régime dérogatoire aux autres dispositions protectrices du Code de la consommation, sous réserve, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée qu'une information soit donnée avec un préavis d'un mois et qu'une faculté de résiliation sans aucun frais soit offerte au consommateur, telles que déjà prévues à l'annexe 2-b de l'article L. 132-1 du Code de la consommation dans sa rédaction issue de l'Ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001, en vigueur jusqu'au 1 er janvier 2009 ;
Que l'application de l'article L. 121-84 du code de la consommation rend inopérantes les dispositions réglementaires des articles R. 132-1 et suivants du même code;
Considérant que le débat sur l'exactitude ou non de la reprise par l'article 14 des conditions générales des dispositions de l'article L. 121-84 du Code de la consommation est sans portée dans le présent litige dès lors qu'un texte de loi permet au fournisseur d'un service de communications électroniques de procéder à la modification des conditions contractuelles, sous réserve d'en informer le consommateur au moins un mois avant son entrée en vigueur de la faculté, tant qu'il n'a pas expressément accepté les nouvelles conditions, de résilier le contrat sans pénalité de résiliation et sans droit à dédommagement jusque dans un délai de quatre mois après l'entrée en vigueur de la modification;
Que qualifier cette clause d'abusive en sa partie relative à la modification des conditions contractuelles de fourniture du service, reviendrait à qualifier d'abusif l'article L. 121-84d u Code de la consommation issu de la loi du 10 juillet 2004 et le jugement entrepris doit être infirmé;
Considérant que la régularité de la mise en œuvre des dispositions légales et contractuelles relatives à la modification doit être examinée et au cas particulier, force est de constater que la société F qui ne pouvait mettre en œuvre la modification dont elle a informé l'intimée le 19 avril 2006 qu'à compter du 20 mai 2006, a maintenu les conditions contractuelles initiales du contrat jusqu'au 30 mai 2006, et a informé à compter du 19 avril 2006 à plusieurs reprises Madame R de la faculté de résilier à tout moment le contrat du 14 septembre 2005 ;
Que la modification des conditions contractuelles de l'offre dite 100 % illimité a été régulièrement mise en œuvre et dès lors Madame R doit être déboutée de ses demandes tendant au maintien du contrat à ses conditions initiales et, à défaut de démonstration d'une faute imputable à la société F de celles tendant à la réparation des préjudices invoqués ;
Par ces motifs: LA COUR, Statuant contradictoirement et en dernier ressort ; Infirme le jugement rendu entre les parties, le 18 mai 2007, par le Tribunal de grande instance de Nanterre;