CA Rennes, 3e ch. com., 1 avril 2014, n° 12-01150
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Chatillon Chocolatier
Défendeur :
Tanguy
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poumarède
Conseillers :
Mmes André, Guéroult
Avocats :
Mes Lhermitte, Pomiès, Demidoff, Leloup
I - EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 1er juin 2006 la société Chocolaterie Chatillon, domiciliée dans le Finistère a conclu avec Jean-Henri Tanguy un contrat d'agent commercial à l'effet de négocier et de vendre, en son nom et pour son compte, des produits fabriqués ou distribués par elle sous les marques Les Amours Florentins, véritables Florentin, Granit Breton, sur les 5 départements bretons. Le contrat était prévu à durée indéterminée après une période d'essai de trois mois.
Par lettre recommandée du 15 décembre 2008 la société Chatillon Chocolatier a notifié à Jean-Henri Tanguy la rupture du contrat à effet du 1er janvier 2009.
Par jugement contradictoire du 7 février 2012, le Tribunal de grande instance de Quimper a :
Déclaré recevable la demande en paiement formée par Jean-Henri Tanguy à l'encontre de la société Chatillon Chocolatier ;
Déclaré irrecevable la demande reconventionnelle de la société Chatillon Chocolatier tendant à voir dire que Jean-Henri Tanguy a commis une faute grave le privant de tout droit à indemnités (préavis ; réparation du préjudice causé par la rupture) ;
Condamné La société Chatillon Chocolatier à payer à Jean-Henri Tanguy les sommes suivantes :
- au titre du solde de commissions dues pour le troisième trimestre 2008 : 596,30 euro ;
- au titre de l'indemnité compensatrice de préavis : 2 900 euro ;
- au titre de l'indemnité réparatrice des conséquences de la rupture du contrat d'agence commerciale : 23 201,52 euro ;
le tout avec intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2009, et capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
Déclaré que la demande de Jean-Henri Tanguy tendant à lui "décerner acte (...) de ce qu'il se réserve le droit de compléter sa demande au titre de son commissionnement au titre du 4e trimestre 2008" ne constitue pas une demande au sens d'une constitution de partie civile ;
Condamné la société Chatillon Chocolatier à payer à Jean-Henri Tanguy une indemnité de 1 800 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné la société Chatillon Chocolatier, sur le fondement de l'article 696 du Code de procédure civile, aux entiers dépens, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Ordonné l'exécution provisoire.
La société Chatillon Chocolatier a déclaré faire appel de cette décision le 16 février 2012.
Par arrêt rendu le 2 juillet 2013 la Cour d'appel de Rennes a prononcé la réouverture des débats et renvoyé l'affaire à l'audience du 18 septembre 2013 et invité les parties à faire toutes observations utiles quant à l'absence de communication de pièces en cause d'appel et sur les éventuelles conséquences qui peuvent s'y attacher.
Appelante, la société Chatillon Chocolatier demande à la cour de :
Vu l'article 1134 du Code Civil,
Vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de Commerce, notamment l'article L. 134-13, 1°
Vu le contrat d'agent commercial du 1er juin 2006,
Par réformation du jugement entrepris :
- Dire que la rupture du contrat d'agent commercial liant la société Chatillon Chocolatier et Monsieur Jean-Henri Tanguy est justifiée par la faute grave de Monsieur Jean-Henri Tanguy.
- Dire en conséquence n'y avoir lieu à paiement d'indemnité compensatrice de préavis et de rupture à Monsieur Jean-Henri Tanguy.
- Débouter Monsieur Jean-Henri Tanguy de sa demande au titre d'un rappel de commission auquel il n'a pas vocation.
Subsidiairement, dire que l'indemnité de rupture au titre du préjudice subi ne saurait être supérieure à trois mois de commissions, soit 2 900 euro.
- Débouter Monsieur Jean-Henri Tanguy de toutes ses autres demandes.
- Condamner Monsieur Jean-Henri Tanguy à payer à la société Chatillon Chocolatier la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner le même aux entiers dépens, dont distraction à la sep Gautier & Lhermite conformément à l'article 699 du CPC
M. Tanguy, intimé demande à la cour de :
Rejeter comme tardives les conclusions adverses du 13 décembre 2013 et les pièces adverses citées 51-1 à 51-17, 52-1 à 52-20, 53-1 à 53-20, 54-1 à 54 23 communiquées le 18 décembre 2013,
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Quimper le 7 février 2012.
Y ajoutant
Condamner la société Chatillon Chocolatier à payer à Monsieur Jean-Henri Tanguy la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile
Condamner la société Chatillon Chocolatier aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Gauvain Demidoff, Avocat conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est du 26 décembre 2013.
Sur la procédure
S'agissant des conclusions, force est de constater que les conclusions de l'appelant du 13 décembre 2013 sont identiques aux demandes et moyens des précédentes conclusions, à l'exception d'une correction d'une phrase de citation d'une pièce et d'une précision parfaitement anodine, ainsi que la mention du numéro de quelques pièces, ce qui n'appelle aucune réponse de l'adversaire. Il n'y a pas ni violation du principe de la contradiction ni grief. Elles ne seront donc pas écartées des débats.
Concernant les pièces 51-1 à 51-17, 52-1 à 52-20, 53-1 à 53-20, 54-1 à 54-23 communiquées le 18 décembre 2013, à la veille des congés de Noël et alors que la clôture est intervenue le 26 décembre 2013, soit 4 jours ouvrables avant celle-ci il y a lieu de relever qu'il s'agit en réalité de 80 pièces, lesquelles datent en outre de 2007 et 2008 et qui pouvaient être produites depuis longtemps.
L'intimé, dont il est justifié en outre de graves difficultés de santé, n'a matériellement pu en prendre connaissance. Ces pièces communiquées tardivement et qui ne respectent pas le principe de la contradiction seront en conséquence écartées des débats.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties la cour se réfère donc aux énonciations de la décision déférée et aux dernières conclusions des parties :
- du 13 décembre 2013 pour l'appelant
- du 24 décembre 2013 pour l'intimée
III- MOTIFS
Sur la demande au titre d'un arriéré de commission
Au titre de la rémunération il est convenu au contrat que l'agent recevra un commissionnement à hauteur de 5 % du montant hors taxes des factures de toutes les commandes directes et indirectes sur son secteur. La rémunération est due sur toutes les affaires acceptées par le manda(n)t, sauf si celui-ci prouve que l'absence de livraison n'est pas de son fait. Les commissions sont réglées mensuellement après règlement des factures par les clients.
M. Tanguy produit aux débats une facture établie le 20 octobre 2008 afférente aux commissions du 3e trimestre 2008 pour un montant de 2 470,11 euro HT soit 2 612,97 euro TTC.
Le compte Chatillon produit par l'intimée mentionne ce même montant de commissions avec l'observation que 596,30 euro n'ont pas été réglés.
La société Chatillon Chocolatier ne produit pas les avoirs qu'elle aurait consentis, se contente de produire des documents intitulés Stat Clients Tanguy 2008, sur lesquels figurent au titre d'avoirs la somme totale de 607,70 euro, pièce dont on ne sait à partir de quels documents ils ont été établis et qui sont inexploitables, faute d'explication suffisante. Par ailleurs les factures de commissions produites aux débats par M. Tanguy depuis le début de son contrat ne sont nullement contestées. La société Chatillon Chocolatier ne démontre pas que les factures n'auraient pas été réglées par le ou les clients et ainsi que le solde de commission réclamé ne serait pas dû. En outre, le mandant n'indique pas les raisons des éventuels avoirs. Le contrat d'agent commercial prévoit que les commissions sont dues sauf si le mandant prouve que l'absence de livraison n'est pas de son fait. Force est de constater que la société Chatillon Chocolatier ne prouve pas que les avoirs correspondent à des livraisons qui n'auraient pas été effectuées de son fait. Elles sont donc dues. Il convient de confirmer le jugement sur ce point.
Sur la rupture du contrat d'agent commercial
Seule la faute grave, c'est-à-dire celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, est privative de l'indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale et il appartient au mandant de rapporter la preuve d'une telle faute par application des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce.
(Article L. 134-12 du Code du commerce :
En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
(...)
Article L. 134-13
La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
(...)
Le simple fait que la société Chatillon Chocolatier ait, dans la lettre de notification de la rupture du contrat en date du 15 décembre 2008, offert une indemnité de rupture, au demeurant qui ne correspond pas aux sommes auxquelles le mandataire peut prétendre au titre de l'indemnité compensatrice de rupture, ne permettait pas aux premiers juges de fond d'en conclure que le mandant ne pouvait ensuite soutenir à l'existence d'une faute grave à l'origine de la rupture, précision au demeurant apportée que la société Chatillon y évoque des reproches précis qu'il convient en conséquence d'étudier.
- sur l'absence de visites et de suivi de la clientèle, dans des magasins de la grande distribution.
La société Chatillon Chocolatier n'établit pas que son agent ait pris l'engagement d'embaucher au sein de son agence une personne pour assurer la visite de la clientèle, le contrat prévoyant simplement "s'il engage du personnel..." ni ne justifie de la clientèle existante que M. Tanguy a repris puisque figurant à un annexe 3 du contrat avec le chiffre d'affaire généré par ces clients, non produit aux débats.
Elle évoque en 2007 et 2008 une diminution du chiffre d'affaires relatif au client le plus important de sa clientèle majoritairement constitué d'enseignes de grande surface, à savoir Intermarché, sur deux bases, mais ne produit aucun justificatif des chiffres d'affaires qu'elle invoque à ce titre pour en justifier.
M. Tanguy bénéficiait de la représentation du mandat en exclusivité pour les clients définis en annexe "avenant n° 1", essentiellement des enseignes de la grande distribution.
Le mandant mentionne qu'en dehors des bases Intermarché, 80 % du chiffre d'affaire a été réalisé par des opérations directement conclues entre M. Chatillon, gérant de la société et les bases régionales car la société serait adhérente au groupement "Produits en Bretagne" et non par les visites dans les magasins que M. Tanguy n'assumait pas. Elle ne produit pas d'éléments qui permettraient de conclure à l'absence d'activité et donc l'inefficience ou l'inexistence du travail de son agent sur la majorité de son chiffre d'affaires. Les lettres d'Intermarché concernant les problèmes d'approvisionnement de certains produits spécifiques ne sont pas probantes ni quant à l'imputabilité de ces difficultés au mandataire ni quant à l'existence de manquements importants de ce dernier à ses obligations.
Par ailleurs s'il résulte des multiples mails d'information ou de relances que la société Chatillon a régulièrement depuis novembre 2006 demandé à son agent d'assurer la visite de ses clients des grandes surfaces, il évoque lui-même dans un mail en date du 15 octobre 2008 qu'il "comprend bien que vous ne pouvez pas, seul, visiter tous les magasins", que ce point reste en litige entre eux et que cela occasionne une perte de chiffre d'affaires, et il pointe la nécessité de revoir la politique commerciale, et informe l'agent du recrutement d'un directeur commercial basé à Paris, chargé de négocier les accords nationaux et avec lequel la société préparait un tarif national ainsi que les conditions générales de vente 2009, ce qui établit que M. Tanguy ne pouvait, de fait, assumer la charge totale des diligences nécessaires à la performance et l'entrée accrue des produits à commercialiser. Il convient de relever d'ailleurs que l'agent a entrepris diverses démarches, tel que le référencement sur entrepôt de la société Chatillon auprès de la centrale d'achats des magasins Leclerc, dénommée Scarmor, opéré par M. Tanguy en 2007 et ce qui permettait d'obtenir des débouchés sur le groupe Leclerc en Bretagne, et qui a été renouvelé en février et septembre 2008, avec de nouveaux magasins Leclerc.
Si l'agent évoque une augmentation du chiffre d'affaire auprès de Leclerc, passé de 56 287 euro en 2007, à 78 060 euro en 2008 les fiches de visites produites ne permettent pas de l'établir, seule la mention du chiffre d'affaire 2007 y figurant.
Cependant il est établi que suite au non-respect de règlement de ristournes, la Scamor a pu facturer des pénalités de retard à la société Chatillon.
Les conditions dans lesquelles des fabrications de chocolats auraient été lancées en fin d'année 2008 en vain ne sont pas établies par le mandant alors que le mandataire indique que l'absence de commercialisation de ces produits est imputable au retard mis par la société Chatillon à remplir les formalités exigées par les enseignes de la grande distribution. Il n'est pas établi que M. Tanguy ait été à l'origine de la mise en fabrication puis de l'absence de vente de ces produits.
Compte tenu de ces éléments et faute pour le mandant de rapporter l'existence d'une faute grave, les indemnités légales sont dues à l'agent.
L'indemnité de préavis est par application de l'article L. 134-11 alinéa 3 de trois mois. M. Tanguy sollicite à ce titre une somme de 2 900 euro. Il résulte des pièces produites aux débats que cette somme correspond à trois mois de commissions, ce que le mandant reconnaît lui-même dans ses conclusions. Il sera fait droit à la demande du mandataire à ce titre, tout comme il sera fait droit pour les mêmes motifs à sa demande au titre de l'indemnité de rupture soit, la somme de 23 201,52 euro qui correspond au préjudice subi par le mandataire au vu des éléments produits aux débats afférents aux commission versées avant la rupture.
Le jugement sera confirmé sur ces sommes, avec intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2009, date de réception de la mise en demeure, et capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société Chatillon Chocolatier qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens et ne peut de ce fait prétendre aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. L'équité commande en revanche de faire droit à la demande de M. Tanguy sur le fondement de ce texte. Il lui sera alloué de ce chef une somme de 3 000 euro qui s'ajoutera à celle déjà fixée à ce titre par les premiers juges.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions, Condamne la société Chatillon Chocolatier à verser à M. Tanguy la somme de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Chatillon Chocolatier aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.