CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 avril 2014, n° 14-1142
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nageleisen, Acacias (Sté), Eagle (Sté)
Défendeur :
Alain Afflelou Franchiseur (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Bouzidi-Fabre, Allouche, Herscovici, Sulzer
Le 25 janvier 2011, la SASU Alain Afflelou Franchiseur (Afflelou) a conclu un contrat de franchise avec la SAS Eagle (anciennement dénommée "Nagel"), portant sur l'adhésion de la société Eagle au réseau de franchise exploité sous l'enseigne "Alain Afflelou", pour l'exploitation de magasins situés à Illzach, Riedisheim, Mulhouse, Belfort et Montbéliard.
Dans le même contrat, la société Afflelou a concédé dans les mêmes termes, deux franchises ayant le même objet, respectivement à la société Acacias pour l'exploitation d'un magasin à Thann et à M. Nageleisen pour l'exploitation d'un magasin situé dans le centre commercial de Carrefour à Illzach.
Ce contrat de franchise a été conclu pour une durée de trois ans, prenant rétroactivement effet le premier janvier 2010 et expirant le 31 décembre 2012. Il pouvait être prorogé tacitement, année par année, sauf dénonciation par l'une des parties le 30 septembre de chaque année au plus tard, par lettre recommandée.
La société Afflelou a reproché aux sociétés Acacias et Eagle ainsi qu'à Monsieur Nageleisen des manquements contractuels qu'elle a estimé être graves.
Elle a vainement mis en demeure Jean Nageleisen, Laurent Nageleisen, les sociétés Acacias et Eagle par divers courriers recommandés avec accusé de réception du 21 septembre 2012, de respecter la politique Tchin Tchin, du 27 septembre 2012, d'adresser les comptes annuels certifiés, du premier octobre 2012, de lui adresser une copie de l'assignation délivrée par Optical Center devant le Tribunal de grande instance de Mulhouse.
Par courriers recommandés avec accusé de réception du 23 octobre 2012, la société Afflelou a notifié la résiliation du contrat de franchise à effet le jour même à la société Eagle, à la société Acacias et à Jean Nageleisen.
Les sociétés Acacias et Eagle et Monsieur Nageleisen ont reproché à la société Afflelou la rupture brutale du contrat de franchise.
Par exploit en date du 22 novembre 2012, la société Afflelou a assigné les sociétés Acacias et Eagle et Monsieur Nageleisen devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat à leurs torts.
Par jugement prononcé le 23 décembre 2013 assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :
- constaté la résiliation du contrat de franchise du 25 janvier 2011 liant d'une part la société Afflelou et d'autre part les sociétés Eagle anciennement dénommée Nagel et Acacias et Monsieur Nageleisen, aux torts de ces derniers ;
- ordonné à chacun des défendeurs, les sociétés Eagle anciennement dénommée Nagel et Acacias et Monsieur Nageleisen, sous astreinte de 8 000 euro par jour de retard un mois après la signification du présent jugement, de :
- cesser d'exploiter la franchise concédée en vertu du contrat résilié et de se présenter comme un franchisé Alain Afflelou,
- faire disparaître toute enseigne extérieure ou intérieure, toute publicité ou inscription de quelque nature que ce soit indiquant la qualité de franchisé de la marque Alain Afflelou et des logotypes symbolisant la franchise ainsi que détruire tous papiers commerciaux ou autres, comportant ces indications ;
- ne plus utiliser les marques et slogans déposés par le franchiseur sous quelque forme que ce soit ou utiliser des enseignes pouvant créer confusion ou assimilation avec l'enseigne et la marque concédées ;
- cesser toute utilisation, de quelque manière que ce soit, des méthodes, techniques et formules liées à la franchise Alain Afflelou, qui auraient été communiquées par le franchiseur ;
- entreprendre sans délai toute démarche utile pour faire disparaître leur qualité de franchisé Alain Afflelou de toute publication, répertoire et plus généralement tout document et d'en justifier à première réquisition de la société Afflelou ;
- ordonné à chacun des défendeurs, les sociétés Eagle, Acacias et Monsieur Nageleisen, sous astreinte de 8 000 euro par jour de retard un mois après la signification du présent jugement de retirer des magasins à :
Pour Eagle :
Pour Acacias :
Pour Monsieur Nageleisen :
<adresses>,
- tous les éléments de ralliement de la franchise tels que figurant au cahier des charges, y compris, sans que cette liste soit exhaustive, les éléments de façade, la décoration des sols et des murs, plafonds et éclairage, la totalité du mobilier et objets meubles, les présentoirs ;
- ordonné à chacun des défendeurs, les sociétés Eagle, Acacias et Monsieur Nageleisen, de communiquer à la société Afflelou leurs bilans et comptes de résultat, certifiés par un expert-comptable, pour les exercices 2010, 2011 et 2012, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard, huit jours après la signification du présent jugement ;
- dit que les astreintes ainsi prononcées courront pendant un délai de trois mois, passé lequel il sera à nouveau fait droit ;
- désigné Monsieur Wernert, expert-comptable, commissaire aux comptes, expert près la Cour d'appel de Colmar, <coordonnées>, en qualité d'expert, avec pour mission de :
- se faire remettre par la société Eagle, la société Acacias et Monsieur Nageleisen l'ensemble des pièces et documents comptables, balances comptables annuelles, grands libres comptables annuels généraux, clients et fournisseurs des exercices 2010, 2011 et 2012, cela sous astreinte de 500 euro par jour de retard passé le 15e jour suivant la réception de la demande de l'expert, a dit que cette astreinte courra pendant un délai d'un mois, passé lequel il sera à nouveau fait droit ;
- procéder, pour les mêmes exercices, par lui-même principalement ou par tout collaborateur de son choix, à toute investigation sur pièces ou sur place, permettant de vérifier l'exactitude de la comptabilité relative aux chiffres d'affaires et aux achats, par recoupement notamment avec les factures clients et fournisseurs, les documents d'inventaires de stocks, les correspondances clients et fournisseurs et tout document analytique du chiffres d'affaires ou d'achats ;
- comparer ces éléments aux déclarations faites à la société Afflelou par la société Eagle, la société Acacias et Monsieur Nageleisen ;
- fixé à 60 000 euro le montant de la provision à consigner par la société Afflelou avant le 15 février 2014 au greffe de ce tribunal, par application des dispositions de l'article 269 du Code de procédure civile ;
- dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, la désignation de l'expert sera caduque en application de l'article 271 du Code de procédure civile ;
- dit que l'expert, s'il estime la provision insuffisante, présentera dans un délai de trois mois à compter de la consignation, une estimation de ses frais et rémunération, qu'il devra communiquer aux conseils des parties ou aux parties elles-mêmes, s'il y a lieu, étant précisé qu'elles disposeront de trois semaines pour faire valoir leurs observations ; ladite estimation permettant au tribunal d'ordonner éventuellement le versement d'une provision complémentaire et de proroger le délai ;
- dit que si les parties ne viennent à composition entre elles, le rapport de l'expert devra être déposé au greffe dans un délai de six mois à compter de la consignation de la provision et, dans l'attente de ce dépôt, inscrit la cause au rôle des mesures d'instruction ;
- dit que le juge chargé du contrôle des mesures d'instruction suivra l'exécution de la présente expertise ;
- débouté la société Afflelou de sa demande de dommages-intérêts ;
- débouté les sociétés Eagle anciennement dénommée Nagel et Acacias et Monsieur Nageleisen de toutes leurs demandes ;
- condamné les sociétés Eagle anciennement dénommée Nagel et Acacias et Monsieur Nageleisen in solidum à payer à la société Afflelou 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif.
Le 16 janvier 2014, Monsieur Nageleisen et les sociétés Acacias et Eagle ont interjeté appel de cette décision.
Autorisés à assigner la société Afflelou Franchiseur à jour fixe, Monsieur Nageleisen et les sociétés Acacias et Eagle demandent à la cour de :
- recevoir les sociétés Eagle, Acacias et Monsieur Nageleisen en leur appel ;
En conséquence :
- infirmer le jugement prononcé le 23 décembre 2013 (RG 13/05328) par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il débout les sociétés Eagle, Accacias et Monsieur Nageleisen de l'intégralité de leurs demandes :
Statuant à nouveau :
- dire et juger que Monsieur Nageleisen, les sociétés Eagle et Acacias ont été victimes d'une rupture brutale de leurs contrats de franchises conclus avec la société Afflelou ;
- dire et juger en conséquence que la société Afflelou a engagé sa responsabilité contractuelle ;
- constater que la rupture intervenue est fautive, la déclarer illicite ;
En conséquence :
- maintenir les effets des contrats de franchise litigieux dans un délai de 6 mois commençant à courir à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- condamner la société Afflelou à payer la somme de 4 655 860,25 euro à Monsieur Nageleisen et celle de 11 015 979,83 euro à la société Eagle, celle de 1 260 319,10 euro à la société Acacias en réparation de leur préjudice ;
- dire et juger que la condamnation à intervenir produira intérêts conformément à la loi et que les intérêts échus courus sur une période d'un an seront capitalisés sur le fondement de l'article 1154 du Code civil et produiront eux-mêmes intérêts ;
- condamner la société Afflelou à payer à chacun des franchisés la somme de 20 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
A titre préliminaire, les sociétés Acacias et Eagle et Monsieur Nageleisen estiment démontrer le péril menaçant leurs droits, en soulignant que la résiliation du contrat de franchise concerne l'exploitation de leurs sept magasins et entraine par conséquent, la perte de leur fonds de commerce.
Sur le fond, ils soutiennent que la société Afflelou Franchiseur n'a pas respecté la procédure de résiliation, exposant que leurs contrats, de durée limitée, ne pouvaient faire l'objet d'une résiliation anticipée et ajoutant que la société Afflelou Franchiseur ne les a pas mis en demeure de s'exécuter. Ils font également valoir que le franchiseur est tenu de respecter un délai de préavis dans toute rupture du contrat, sur le fondement de la jurisprudence et du Code de déontologie européen de la franchise, afin de laisser la possibilité de se réorganiser, ayant sept magasins et près de 45 salariés. Ils demandent qu'un délai de six mois leur soit octroyé à compter de l'arrêt à intervenir.
Ils soutiennent que les motifs de rupture invoqués ne sont pas justifiés : le non-respect de la politique commerciale de l'enseigne n'est pas avéré ; les comptes annuels certifiés qui n'avaient jamais été demandés avant le 27 septembre 2012 ont été communiqués en cours de procédure et par ailleurs, la non communication des comptes du franchisé est absente de la liste contractuelle des motifs de rupture anticipée du contrat. Ils indiquent que la responsabilité de la société Eagle ne peut être engagée sur le dernier motif, aucune décision n'ayant été rendue.
Enfin, ils sollicitent la réparation de leurs préjudices constitués de gains manqués, de pertes subies.
Par conclusions du 11 février 2014, la société Afflelou Franchiseur demande à la cour de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts,
y faisant droit,
- condamner la société Eagle à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamner la société Acacias à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamner Monsieur Nageleisen à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamner in solidum les sociétés Acacias, Eagle et Monsieur Nageleisen à lui payer la somme de 15 000 euros pour frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- condamner in solidum les mêmes en tous dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.
La société Afflelou Franchiseur expose que selon les dispositions contractuelles, il y a résiliation automatique dès qu'il y a manquement grave, ce qui est avéré en l'espèce : les franchisés n'ont pas mis en œuvre la politique commerciale d'Afflelou ne proposant pas aux clients l'offre Tchin Tchin, ont refusé de communiquer les comptes annuels et d'ouvrir des livres ce qui a compromis le climat de confiance nécessaire à la poursuite des relations des parties ; ils ont commis des fraudes au préjudice des organismes complémentaires d'assurance maladie, des mutuelles, assureurs et de la sécurité sociale, ce qui est contraire à l'éthique et de nature à engager sa responsabilité civile et pénale, tout en portant atteinte à la réputation de l'enseigne. Elle rappelle sur ce dernier point qu'elle doit faire la police de son réseau et que les franchisés ne peuvent invoquer le bénéfice d'une charte qui n'a pas d'effet rétroactif. Elle rappelle que la rupture résulte du jeu de la clause résolutoire insérée dans le contrat, qui intervient après mise en demeure vaine.
La société Afflelou Franchiseur demande que les conséquences liées à la fin du contrat soient tirées, les éléments constitutifs de la franchise restitués, que les obligations de communication des comptes soient respectées. Elle estime qu'aucun délai de prolongation de la relation contractuelle ne doit être accordé. Elle estime avoir subi une atteinte à sa réputation et à l'image de son réseau, indique avoir du restructurer son réseau sur le plan régional.
Subsidiairement, elle soutient que la demande d'indemnisation des franchisés n'a pas de pertinence.
SUR CE :
Sur la rupture du contrat :
Considérant que le contrat de franchise signé par les parties précise en son article XIX "Résiliation anticipée" :
....
b) en cas d'inexécution par le franchisé des obligations pesant sur lui autres que celles éventuellement visées au a) ci-dessus, il convient de distinguer selon que l'inexécution est grave ou non :
1) si l'inexécution du franchisé n'est pas grave, le franchiseur doit par lettre recommandée avec accusé de réception mettre en demeure le franchisé de remédier à sa défaillance en lui indiquant très exactement le comportement fautif qui lui est reproché et les remèdes à y apporter. Si le comportement du franchisé n'est pas corrigé dans le délai d'un mois à compter de la première présentation de la lettre recommandée, le contrat prend fin de plein droit sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire ou non, à la fin dudit délai d'un mois.
2) si l'inexécution du franchisé est grave, le contrat est résilié de plein droit, à compter de la notification qui en est faite par le franchiseur par lettre recommandée avec accusé de réception indiquant la faute commise par le franchisé.
"sont notamment considérées comme des inexécutions graves les cas suivants, dont la liste n'est pas exhaustive :
....
le non-respect du savoir-faire et de la politique commerciale",
Considérant que l'art XVIII bis "respect de la réglementation et des usages" précise également :
"le franchiseur considère comme une obligation essentielle le strict respect par le franchisé de la réglementation et des usages du commerce en général et en particulier ceux qui s'appliquent à la profession d'opticien lunettier, notamment :
....
- l'interdiction de proposer ou de faire droit à des sollicitations tendant à modifier l'offre en vue de favoriser frauduleusement le remboursement du client par les organismes sociaux, mutuelles et/ou assurances...
...
Il est expressément convenu que le non-respect d'une seule des obligations ci-dessus sera considéré comme une inexécution grave pouvant entraîner la mise en œuvre par le franchiseur des dispositions de l'article XIX-b-2° ... et notamment la résiliation de plein droit du présent contrat.",
Considérant que par trois lettres recommandées avec accusé de réception du 23 octobre 2012, la société Afflelou qui décrivait les manquements qu'elle imputait aux appelants et qu'elle considérait comme graves, "notifiait la résiliation du contrat de franchise... en date du 25 janvier 2011",
Considérant que la société Afflelou reprochait aux appelants de ne pas avoir respecté la politique commerciale d'Afflelou, d'avoir refusé de communiquer les comptes, d'avoir commis des fraudes au préjudice des Ocam, que ces griefs sont tous contestés par les appelants ;
Considérant que la liste des manquements graves a été donnée dans l'article XIX b 2) mais n'est pas limitative ; qu'en effet, l'article XVIII bis définit un des manquements "graves" qui n'est pas repris dans la liste de l'art XIX b 2) ; qu'il se déduit de ces dispositions contractuelles que le manquement considéré comme grave par les parties est défini contractuellement et a pour conséquence la résiliation immédiate du contrat après l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception ; que le juge n'a pas de pouvoir d'appréciation et se borne à vérifier que les manquements graves sont effectifs ;
Considérant en l'espèce, que doivent être examinés deux manquements que le contrat définit comme "graves", le défaut de respect de la politique commerciale du franchiseur et la fraude aux organismes complémentaires d'assurance maladie (Ocam) ;
Considérant que la société Afflelou a pour politique commerciale d'offrir systématiquement, pour un équipement d'optique, une deuxième voire d'une troisième paire de lunette "Collection Alain Afflelou" pour un euro dans le cadre de l'opération Tchin Tchin, qu'elle estime que les appelants n'ont pas mis en œuvre cette politique et soutient que les appelants ont reconnu ne pas avoir proposé aux clients la deuxième paire et estime justifier ce grief ; que les appelants soutiennent ne jamais avoir reconnu ce fait et indiquent que les différents moyens et pièces versées aux débats par la société Afflelou ne permettent pas d'établir un tel manquement de leur part et qu'aucun client ne s'est plaint ;
Considérant que la mise en demeure faite par courrier du 21 septembre 2012 par Afflelou à Monsieur Nageleisen de se conformer à sa politique commerciale ne peut s'analyser en une renonciation à se prévaloir du manquement résultant de l'absence de mise en œuvre de la politique commerciale de Afflelou ;
Considérant que la société Afflelou démontre que sa politique commerciale Tchin Tchin n'est pas systématiquement appliquée en se référant aux chiffres d'affaires déclarés par les appelants, aux chiffres de vente de la Centrale de paiements Afflelou, aux chiffres déclarés par la société Cristallin ; qu'elle démontre par exemple que pour l'année 2011, Afflelou a facturé 5 703 montures Tchin Tchin contre 12 447 équipements soit 475 par mois, que pour l'année 2012, elle a facturé 7 746 montures Tchin Tchin contre 11367 équipements soit 645 par mois, qu'à partir du mois d'octobre 2012 et jusqu'en mai 2013, elle a facturé 10 911 montures Tchin Tchin soit 1364 montures par mois, soit une augmentation des livraisons de 200 % des montures Afflelou livrées pour second et troisième équipement Tchin Tchin ; que la démonstration qu'elle fait lui permet d'imputer globalement aux franchisés l'absence de respect de sa politique commerciale ; que toutefois, elle ne démontre pas le manquement de chacun d'eux précisément alors que la résiliation du contrat de franchise pour manquement grave suppose que soit rapportée la faute contractuelle commise par chacun des franchisés ;
Considérant que pour ce motif, le reproche lié au non-respect de la politique commerciale du franchiseur, considéré comme un manquement grave aux obligations du franchisé ne peut être retenu contre aucun des franchisés ;
Considérant encore que la société Afflelou expose que sa politique commerciale (offre Tchin Tchin) n'a pas été respectée en expliquant que le franchisé devait, selon le contrat de franchise s'approvisionner auprès des fournisseurs de son choix à condition que le paiement de ses achats soit effectué par la centrale de paiements du franchiseur mais que, selon un tableau "achats hors centrale de paiement" établi par Afflelou et que les appelants ne viennent pas discuter, il apparaît que les cinq magasins exploités sous l'enseigne Afflelou par la société Eagle à Riedisheim, Illzach, Montbéliard, Mulhouse et Belford font de nombreux achats de montures qui ne passent pas par la Centrale de paiement Afflelou et qu'il en va de même pour le magasin de la société Acacias exerçant sous l'enseigne Afflelou à Thann et pour le magasin exploité par Monsieur Nageleisen au centre Carrefour de Illzach ; qu'elle expose que, si les franchisés ont respecté sa politique commerciale, la question de la provenance véritable des équipements remis dans le cadre de l'offre Tchin Tchin peut être alors posée, sur laquelle les appelants n'apportent aucune réponse ;
Mais considérant que si ces démonstrations peuvent traduire des manquements à la politique commerciale Tchin Tchin, rien n'établit la part que chacun des appelants a prise dans leur réalisation ;
Considérant que la société Afflelou reproche aux appelantes d'avoir commis des fraudes à l'encontre des organismes de sécurité sociale et des organismes complémentaires d'assurance maladie (Ocam) ; qu'elle rappelle avoir mis en garde ses franchisés contre ces pratiques et doit assurer la police de son réseau ; qu'elle expose qu'une procédure en concurrence déloyale a été engagée en raison de ces fraudes par la société Optic Center devant le Tribunal de grande instance de Mulhouse contre la société Eagle et qu'elle est intervenue volontairement à la procédure ; que les intimées exposent qu'aucune décision n'est intervenue qui met en jeu la responsabilité de la société Eagle, seule concernée par cette procédure ;
Considérant que la société Afflelou fait état dans la présente instance de manquements graves constitués par les fraudes aux Ocam commises par les appelants, qu'il convient de se prononcer sur ceux-ci dans cette instance quel que soit l'état de la procédure pendante devant le Tribunal de Mulhouse ; que la charte adoptée pour éviter le renouvellement de "situations particulièrement préjudiciables au réseau et au franchiseur" ne s'applique pas aux faits commis avant son adoption par un franchisé ;
Considérant que selon la société Afflelou, un "client mystère" s'est présenté le 29 novembre 2011 dans le magasin portant l'enseigne Afflelou exploité par la société Eagle à Illzach et que le magasin a sur-facturé l'équipement correcteur afin que le client soit remboursé par la mutuelle d'une paire de lunette de soleil, qu'elle verse aux débats une attestation établie par ce "client mystère" qui a fait la même expérience dans des magasins exploités dans la région par la société Eagle sous d'autres enseignes qu'Afflelou ; que la société Eagle se borne à faire ici valoir que ces faits ne sont pas jugés ;
Considérant que la société Afflelou apporte la preuve du manquement grave de la société Eagle sans en revanche l'établir à l'encontre des autres intimés ;
Considérant enfin, que la société Afflelou reproche aux appelants de ne pas avoir respecté les termes de l'article IV b du contrat selon lequel le franchisé doit, dans les six mois de la clôture de son exercice comptable, lui transmettre une copie de son bilan et de son compte de résultat certifié par un expert-comptable ; qu'il apparaît que la non-communication des comptes du franchisé peut constituer un manquement que les parties n'ont manifestement pas considéré comme "grave" au sens de l'article XIX b 2, mais qui peut selon l'art XIX b 1, entraîner la résiliation de plein droit du contrat à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la mise en demeure restée infructueuse, ce que rappelle à juste titre la société Afflelou dans ses écritures ;
Considérant que selon l'article IV du contrat, la communication des bilans et comptes par le franchisé doit être spontanée et que le franchiseur n'a donc pas à les demander ; que le franchiseur a un pouvoir de contrôle et de vérification de l'exactitude de la comptabilité, grâce à la copie du bilan et du compte de résultats certifié que le franchisé doit transmettre, qu'il doit pouvoir vérifier la concordance entre le chiffre d'affaires déclaré et le chiffre de ventes réalisées par le franchisé, vérifier le respect de l'exclusivité de l'approvisionnement en produits exclusifs, peu important ici que les redevances payées par le franchisé n'aient jamais été discutées ; que la demande de communication des pièces faites par Afflelou rendue nécessaire par leur abstention n'est pas une difficulté "artificielle" comme tentent de la présenter les appelants ;
Considérant en l'espèce, que les comptes demandés n'ont pas été communiqués dans le délai, que ceux qu'ont communiqués les appelants lors de la procédure demeurent incomplets, que les sociétés Eagle et Acacias ne sauraient soutenir que ces comptes peuvent être obtenus auprès du greffe du tribunal alors qu'elles doivent communiquer spontanément, alors qu'au surplus l'un de ces sociétés n'a pas publié ses comptes en 2010 et 2011 et que Monsieur Nageleisen n'a aucune obligation à cet égard ;
Considérant en définitive qu'il résulte de ces différents motifs que les appelants ont commis des manquements justifiant la résolution de plein droit des contrats de franchise ; que les appelants ne sauraient ainsi invoquer une rupture brutale de leurs relations avec la société Afflelou et demander des délais ;
Sur le préjudice de la société Afflelou :
Considérant que selon la société Afflelou, le refus d'appliquer la politique commerciale de la société Afflelou et les pratiques illicites et frauduleuses au détriment de la sécurité sociale et des Ocam ont porté atteinte à la réputation et l'intégrité du réseau et ont contraint la société Afflelou à restructurer le réseau au niveau régional ;
Considérant que le non-respect de la politique commerciale de la société Afflelou n'est pas rapporté, que toute demande d'indemnité contre chacun des franchisés à ce titre sera rejetée ;
Considérant toutefois que l'implication de la société Eagle dans une procédure de fraude à la sécurité sociale et aux organismes complémentaires cause inévitablement une atteinte à la réputation et l'image du réseau Afflelou, que la société Eagle versera à la société Afflelou la somme de 50 000 euros en réparation de ce préjudice ;
Sur les autres dispositions du jugement :
Considérant que celles-ci ne sont pas discutées par les parties, que les dispositions relatives à la cessation des contrats de franchise, à la communication des comptes seront confirmées de même que la disposition relative à l'expertise ;
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement sur la demande de dommages-intérêts formée par la société Afflelou, Statuant à nouveau, Condamne la société Eagle à payer à la société Afflelou la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts, Déboute la société Affelou du surplus de ses demandes, Confirme le jugement pour le surplus, Condamne la société Eagle à payer à la société Afflelou la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, Dit n'y avoir lieu à indemnité pour frais irrépétibles au profit de la société Acacias et Monsieur Neigeleisen, Condamne la société Eagle aux dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.