Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 avril 2014, n° 12-02932

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fenwick-Linde

Défendeur :

Lenormant Manutention

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Henry, Hensel, Fisselier, Guillin, Selarl Recamier Avocats Associés, SCP Paetzold Associés, SCP Threard Bourgeon Meresse & Associés

T. com., 13 ch., du 30 janv. 2012

30 janvier 2012

Vu le jugement du 30 janvier 2012, assorti de l'exécution provisoire, par lequel le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Fenwick-Linde à payer à la société Lenormant Manutention la somme de 261 483,10 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2010, débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes et condamné la société Fenwick-Linde à payer à la société Lenormant Manutention la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 16 février 2012 par la société Fenwick-Linde et ses conclusions du 17 septembre 2012, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des moyens et aux termes desquelles il est demandé à la cour d'infirmer le jugement déféré, dire et juger que la demande de la société Lenormant Manutention concernant la reprise des vérins et des kits commandés d'un montant total de 64 722 euro HT n'a plus lieu d'être, la société Fenwick-Linde ayant émis un avoir de ce montant en date du 10 juin 2010, dire et juger que les fissures sur les mâts fixes des chariots rétractables type 116 jusqu'au numéro de série G1X116Z0054 inclus ne constituent ni un vice caché au sens des articles 1641 et suivants du Code civil, ni un vice de fonctionnement au sens des conditions générales de vente de la société Fenwick-Linde, subsidiairement, dire et juger que le lien de causalité entre le vice allégué et le préjudice n'est pas établi, en conséquence, très subsidiairement, dire et juger que la société Lenormant Manutention ne démontre pas la réalité de son prétendu préjudice subi, en conséquence, débouter la société Lenormant Manutention de toutes ses demandes, condamner la société Lenormant Manutention à restituer à la société Fenwick-Linde la somme qu'elle a perçue dans le cadre de l'exécution provisoire, à savoir, 268 947,54 euro, avec intérêts au taux légal à compter du jour dudit versement, subsidiairement, dire et juger que concernant la demande à hauteur de 189 645 euro HT correspondant au prétendu coût des matériels de remplacement mis à dispositions de GVF du 13 mars au 31 décembre 2009, il conviendra d'en déduire la somme totale de 73 454,38 euro HT, en tout état de cause, condamner la société Lenormant Manutention à payer à la société Fenwick-Linde la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 16 juillet 2012 de la société Lenormant Manutention auxquelles il convient de se référer pour l'exposé plus ample des moyens et aux termes desquelles il est demandé à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 30 janvier 2012, condamner la société Fenwick-Linde à payer à la société Lenormant Manutention une somme complémentaire de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Fenwick-Linde a comme activité la fabrication, la vente, l'après-vente et la location de chariots de manutention industrielle. La société Lenormant Manutention, l'un de ses concessionnaires, a livré à la société Groupe Volkswagen France, entre octobre 2008 et mai 2009, 18 chariots élévateurs rétractables, modèle R 16 X série 116.

Le 4 mars 2009, des fissures ont été découvertes sur les mâts de 14 de ces chariots installés au siège de la société Groupe Volkswagen France par le technicien d'assistance de la société Fenwick-Linde.

Le 7 mars 2009, la société Lenormant Manutention a mis en place des chariots de remplacement chez son client.

Le 23 mars 2009, la société Fenwick-Linde a adressé à tous ses concessionnaires une note FASN 20094011 concernant ces fissures, en indiquant les modalités d'une inspection visuelle et dans quelles conditions les chariots pouvaient être laissés en service.

Le 8 avril 2009, la société Lenormant Manutention a transmis par mail le rapport de mesure des fissures à la société Fenwick-Linde, laquelle a répondu par mail le 9 avril 2009 que les chariots pouvaient rester en service.

La société Groupe Volkswagen France, après avoir accepté le 15 avril 2009 le maintien en service des chariots, a demandé l'enlèvement des chariots de remplacement, puis a informé le 14 mai 2009 la société Lenormant Manutention qu'elle refusait strictement que les matériels fissurés soient utilisés.

Le 18 mai 2009, la société Fenwick-Linde a écrit à la société Lenormant Manutention que "les résultats des tests (en appliquant 5 fois la charge) ne montrent pas de problèmes critiques quant à la stabilité des mâts".

Aux termes d'un rapport en date du 24 juin 2009 de la société DEKRA, organisme de contrôle indépendant mandaté par la société Groupe Volkswagen France, il est conclu à des "anomalies constatées et mise à l'arrêt conseillée" et mentionné que "cet appareil doit faire l'objet d'un examen d'adéquation et d'épreuves avant remise en service".

Dans un courrier en date du 24 juillet 2009, la société Fenwick-Linde a proposé le remplacement du matériel litigieux à titre purement commercial et la prise en charge des coûts liés aux pièces de rechange ainsi que les frais de formation, transports et grutages éventuels, le reste des frais restant à la charge de la société Lenormant Manutention.

Refusant ces modalités, la société Lenormant Manutention a rappelé du 7 août 2009 et par mise en demeure du 24 mars 2010, à la société Fenwick-Linde, ses obligations en matière de garantie sur les produits contractuels et lui a demandé, dans la dernière lettre, d'assurer l'entière responsabilité des opérations de remplacement, et le paiement du coût de la mise à disposition du matériel et du montage-remontage des mâts défectueux effectués entre décembre 2009 et janvier 2010.

Sa demande étant restée sans suite, la société Lenormant Manutention a, par acte du 27 mai 2010, assigné la société Fenwick-Linde devant le Tribunal de commerce de Paris, qui lui a donné gain de cause, dans le jugement entrepris.

Sur l'existence de vices cachés ou de défauts de fonctionnement

Considérant que la société Fenwick-Linde soutient l'absence de vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil, que les chariots litigieux ont toujours fonctionné et que rien n'empêchait de les laisser en service ; que tous les chariots élévateurs présentant les mêmes défauts (même modèle, même série) installés dans différentes agences et concessions n'ont jamais fait l'objet d'une mise à l'arrêt ;

Considérant que la société Lenormant Manutention soutient que les fissures apparues sur les mâts des chariots constituent un vice caché ou, à tout le moins, un défaut entrant dans la garantie contractuelle et que la société ne peut, en conséquence, échapper à la mise en cause de sa responsabilité ;

Considérant que le vendeur est tenu de la garantie en raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise et n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus, que la garantie contractuelle prévoit que le vendeur s'engage à remédier à tout vice de fonctionnement de matériels neufs provenant d'un défaut dans la conception, l'exécution ou les matières elles-mêmes ;

Considérant qu'il n'est pas discuté que, le 4 mars 2009, des fissures sont apparues sur les mats de 14 des chariots élévateurs vendus par la société Fenwick-Linde, installés au siège de la société Groupe Volkswagen France ;

Considérant que la société Fenwick-Linde a jugé que les fissures constatées par la société Lenormant Manutention chez son client Groupe Volkswagen France n'exigeaient pas une mise hors service des chariots élévateurs, au sens de sa notice FASN 200994011 du 23 mars 2009, précisant que seuls les chariots dont les mâts présentaient des fissures sur les surfaces extérieures ou des fissures d'une certaine taille sur les surfaces intérieures devaient être mis hors service ;

Considérant, cependant, que la société Fenwick-Linde n'établit pas que les chariots étaient effectivement propres à leur usage ;

Considérant, en premier lieu, que la société Dekra, sollicitée par le Groupe Volkswagen France, a conclu à "une mise à l'arrêt conseillé" , aux termes de ses rapport du 24 juin 2009, après avoir constaté que tous les mâts des chariots élévateurs étaient affectés de fissures sur la partie basse ; que selon les termes du rapport simplifié, les observations justifiant une mise à l'arrêt conseillé sont "des anomalies ou défectuosités jugées essentielles et donc, de nature à ne pas permettre aux chefs d'établissement de maintenir en service l'équipement de travail avant d'y avoir remédié" ; qu'était également stipulé, dans ces rapports, que les appareils en cause devaient "faire l'objet d'un examen d'adéquation et d'épreuves avant remise en service" ;

Considérant que la société Fenwick-Linde ne conteste pas utilement les conclusions des rapports Dekra ; qu'elle soutient, en effet, pour remettre en cause la fiabilité de ceux-ci, que ces rapports seraient provisoires ;

Mais considérant que leur caractère provisoire ne leur enlève pas leur crédibilité, les constatations effectuées par Dekra devant être confirmées par des examens d'adéquation et d'épreuves postérieures ; que si la société fabricante prétend avoir fourni des examens incontestables démontrant, à la suite des rapports Dekra, la sécurité des installations, elle n'en apporte pas la preuve, aucun rapport d'épreuve statique n'étant versé aux débats ;

Considérant que la société Fenwick-Linde allègue, que la société Dekra aurait reconnu la conformité de mats identiques, comportant des fissures, au siège des sociétés Doras et Asbro ;

Mais considérant que rien ne permet d'affirmer que ces mâts étaient de la même série que ceux posés sur les chariots vendus à la société Groupe Volkswagen France, ces chariots étant des modèles RX 14 et non RX 16, avec des mâts plus petits que ceux vendus à la société Volkswagen ; que les contrôles effectués par l'Apave et par la société Levage Contrôle Formation n'indiquent pas la présence de fissures ;

Considérant, en second lieu, que les preuves de conformité des chariots élévateurs de la société Fenwick-Linde émanent de ses propres services ; que dans la dernière note de service du 28 septembre 2009, le fabricant a décidé de modifier pour l'avenir la série de chariots élévateurs, reconnaissant ainsi l'importance des défauts constatés : "une modification de série a été mise en place ; elle comprend des changements de la forme des pièces moulées du mât dans la zone en question, par exemple augmentation de l'épaisseur du matériau, soudure renforcée entre la pièce moulée et le châssis de mât, ainsi que des changements de forme et la soudure d'une plaque de renfort sur l'ensemble de la fabrication (...)" ;

Considérant par ailleurs que dans un courriel du 18 mai 2009, adressé par le responsable technique après-vente de la société Fenwick-Linde à la société Lenormant Manutention, il était annoncé : "l'usine prévoit une solution pour les chariots en service. Des tests seront réalisés très prochainement (banc de test de fatigue). Je vous tiendrai informé dès que possible" ; que dans la note de service du 28 septembre 2009, était aussi annoncée la réalisation d'autres tests : "un programme complet d'analyse d'essai a été mené à la fois au niveau des composants et du chariot sur une période de quatre mois pour résoudre ce problème. D'autres essais vont être effectués tout au long de l'année 2009 afin de vérifier les conceptions approuvées" ; qu'il n'est pas établi que ces tests annoncés aient été réalisés et communiqués aux sociétés Groupe Volkswagen France et Lenormant Manutention ;

Considérant, enfin, que c'est à la suite des rapports Dekra établis pour le compte de la société Groupe Volkswagen France que la société Fenwick-Linde a accepté de remplacer les mâts litigieux installés chez la société Groupe Volkswagen France ; que si elle a bien pris la précaution de signaler le caractère commercial de cette décision qui ne saurait valoir reconnaissance d'un vice caché ou d'un vice de fonctionnement, ce remplacement ne saurait s'expliquer que par le caractère grave des défauts relevés ; que si le fabricant prétend qu'un examen des fissures était préconisé par le fabricant toutes les 1 000 heures d'utilisation, et suffisait à régler la question sans nécessiter le remplacement des mâts, la liste versée par Fenwick Linde, concernant les machines du parc concernées par ces examens, ne concerne que les modèles R 14 ;

Considérant, donc, que les éléments versés aux débats par la société Lenormant Manutention caractérisent l'existence d'un vice caché, au sens qu'il est rapporté la preuve que les fissures litigieuses empêchaient l'utilisation des chariots ; que pour les mêmes raisons, le vice de fonctionnement tel que défini par l'annexe D du contrat de concession ne peut être que retenu ;

Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Fenwick-Linde, conformément aux articles 2. 5, 3 de l'annexe G et 10-'"garantie" de l'annexe D du contrat de concessionnaires vente et après-vente, devait "assumer la responsabilité des opérations de remplacement, payer le coût des mises à disposition du matériel, et de montage-remontage des mats défectueux, effectué par la société Lenormand " ;

Sur les frais de remplacement des mâts

Considérant que la société Lenormant Manutention a versé aux débats l'ensemble de ses dossiers relatifs au démontage et remontage des mâts litigieux et le temps de travail passé sur chaque chariot ; que la société Fenwick-Linde ne conteste pas utilement ces documents ; que les ordres de travail communiqués par la société Lenormant Manutention, faisant état d'une moyenne de 32 à 34 heures de travail par chariots, ne semble pas faire état de chiffres excessifs ; qu'il y a donc lieu de la condamner à payer à la société Lenormant Manutention la somme 28 986,36 euro et de confirmer le jugement entrepris sur ce point ;

Sur le coût des matériels de remplacement mis à disposition de la société Groupe Volkswagen France

Considérant que la société Fenwick-Linde prétend qu'il n'y aurait aucun lien de causalité entre les défectuosités constatées et la mise en place du matériel de remplacement et que la société Lenormand aurait aggravé son propre préjudice en mettant à la disposition de son client, immédiatement, et sans accord préalable de la société Fenwick-Linde, les chariots de remplacement ;

Mais considérant qu'ainsi que les premiers juges l'ont justement décidé, la société Lenormant Manutention n'est pas fautive d'avoir mis en place des chariots de remplacement, sans avoir préalablement obtenu l'accord de Fenwick-Linde ; qu'en effet, la société groupe Volkswagen France a informé la société Lenormant Manutention que, malgré les informations rassurantes données par le constructeur, elle refusait que les matériels fissurés soient utilisés ; qu'elle ne pouvait, compte tenu des rapports Dekra, prendre le risque d'utiliser des chariots dont l'arrêt était préconisé ; qu'ainsi, loin de majorer son préjudice, et celui de son concédant, la société Lenormant Manutention a au contraire évité la probable résolution de la vente des chariots litigieux par la société Groupe Volkswagen France, qui, confrontée à l'apparition des fissures, dont le bureau Dekra avait souligné le caractère suspect, a refusé d'utiliser les chariots litigieux et serait restée, sans la mise à disposition des chariots de remplacement, sans matériels disponibles ;

Considérant en conséquence que la société Fenwick-Linde sera également tenue de rembourser les coûts de la mise en location du matériel dans l'attente du remplacement desdits mâts ; qu'elle ne saurait reprocher à la société Lenormant Manutention la longueur de cette mise à disposition, en étant elle-même responsable puisqu'elle n'a livré ceux-ci qu'entre le 2 novembre et le 16 décembre 2009 ; qu'elle ne présente aucun argument de nature à réduire les factures versées aux débats par Lenormant Manutention ; qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Fenwick-Linde à payer à la société Lenormant Manutention la somme de 189 645 euro concernant les chariots de remplacement mis en œuvre au sein de la société Volkswagen ;

Considérant, en définitive, qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Par ces motifs : LA COUR, - Confirme le jugement entrepris, - Condamne la société Fenwick-Linde aux dépens de l'instance d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, - Condamne la société Fenwick-Linde à payer à la société Lenormant Manutention la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.