CA Montpellier, 2e ch., 17 décembre 2013, n° 12-08320
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
CPL 12 (SARL)
Défendeur :
Auto Bilan France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chassery
Conseillers :
M. Prouzat, Mme Olive
Avocats :
Mes Pepratx Negre, Limasset, Salvignol Guilhem, Munnier
FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES
La société à responsabilité limité CPL 12 exploite un fonds de commerce de contrôle technique automobile de véhicules lourds depuis le 2 février 2005 dans la zone artisanale d'Arsac située à Sainte Radegonde (12850).
La société Auto Bilan France exerçant sous l'enseigne Dekra a implanté un établissement ayant une activité similaire à Onet-le-Château, le 28 janvier 2008.
Reprochant à la société Auto Bilan France des actes de concurrence déloyale, la société CPL 12 l'a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Rodez afin d'obtenir paiement d'une somme de 100 000 euro, à titre de dommages et intérêts et de la condamner, sous astreinte, à remettre ses prix en conformité avec ceux pratiqués dans le réseau Dekra et à retirer de ses liasses de procès-verbaux de contrôle technique la référence "Point Conseil Dekra", en cessant toute activité s'y rapportant.
Par jugement contradictoire du 2 octobre 2012, le Tribunal de commerce de Rodez a débouté la société CPL 12 de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Auto Bilan France la somme de 1 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens de l'instance.
La société CPL 12 a régulièrement interjeté appel de ce jugement en vue de son infirmation, en demandant à la cour de condamner la société Auto Bilan France à lui payer une somme de 158 063 euro, à titre de dommages et intérêts sauf à parfaire par le biais d'une expertise et dans ce cas, lui allouer une provision de 50 000 euro. Elle conclut à la condamnation de l'intimée, sous astreinte de 200 euro par jour de retard à compter de la signification de la décision, à retirer de ses liasses de procès-verbaux de contrôle technique la référence "Point Conseil Dekra", en cessant toute activité s'y rapportant et selon les mêmes modalités à remettre ses prix en conformité avec ceux du réseau Dekra. Elle sollicite la publication du dispositif du jugement (sic) sur la page d'accueil du site Internet Dekra sur un espace égal à la moitié de l'écran pendant une durée de un mois, à compter de la signification du jugement à intervenir aux frais de la société Dekra, sous astreinte de 200 euro par jour de retard et réclame une somme de 2 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
- la société Auto Bilan France ne respecte pas les dispositions réglementaires de l'article R. 323-8 du Code de la route qui interdit à un réseau de contrôle technique d'exercer une autre activité ;
- en effet, la société intimée offre des services de gestion et de formations complémentaires ne ressortant pas de l'activité de contrôleur technique à ses clients garagistes en leur proposant de devenir un partenaire "point conseil Dekra" ;
- elle a ainsi développé un réseau de "point conseil Dekra" auprès des réparateurs professionnels ; la charte dont la société Auto France Bilan se prévaut ne saurait justifier la violation de la réglementation en la matière et le fait que les activités annexes soient utiles au public est sans effet ;
- la gratuité des pratiques non réglementaires donnent un avantage compétitif sur les concurrents et notamment sur la société CPL 12 dont une partie de la clientèle a été attirée par les avantages offerts ;
- la société Auto Bilan France ne respecte pas la réglementation relative à l'apposition des timbres de contrôle sur les certificats d'immatriculation en contravention avec la norme SRV P05 (article 10 de l'arrêté du 27 juillet 2004) ; pour éviter à ses clients de faire établir un nouveau certificat d'immatriculation, elle apposait un nouveau timbre sur les emplacements déjà utilisés, ce qui était interdit avant le 1er avril 2011 ;
- en s'affranchissant des réglementations ou prohibitions légales, la société intimée désorganise le marché et se place dans une situation anormalement favorable par rapport à ses concurrents, ce qui génère pour ces derniers un trouble commercial ; elle détourne ainsi la clientèle en place en prenant un avantage irrégulier par rapport à la concurrence qui respecte les obligations réglementaires, même si celles-ci s'avèrent contraignantes ;
- les prix pratiqués par la société Auto Bilan France sont inférieurs à ceux du réseau Dekra ; la pratique de prix "cassés" caractérise une concurrence déloyale ;
- les actes reprochés à la société Auto Bilan France ont eu un impact négatif sur son activité qui n'a cessé de baisser depuis l'ouverture du centre Dekra ; son chiffre d'affaires a chuté et elle a subi une perte de 395 158 euro sur 4 exercices ; son taux de marge brute étant de 47 %, la perte de marge brute sur son chiffre d'affaires s'élève à la somme de 158 063 euro ;
- une telle baisse ne peut pas résulter du simple partage du marché lié à l'arrivée d'un concurrent ;
- subsidiairement, si la cour s'estime insuffisamment informée, il y aura lieu d'ordonner une expertise pour liquider le préjudice ;
- la société Auto Bilan France doit être condamnée à cesser les actes de concurrence déloyale sous astreinte.
La société Auto Bilan France a conclu à la confirmation du jugement et à l'allocation de la somme de 5 000 euro, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle réplique :
- l'article R. 323-8 du Code de la route a pour but d'empêcher les contrôleurs techniques d'exercer une activité susceptible de nuire à leur indépendance, telle la réparation des véhicules ;
- en proposant à ses clients garagistes ou réparateurs de devenir "partenaire point conseil Dekra" et en leur offrant un package de services comprenant un support d'aide à la préparation du contrôle, une formation au process du contrôle, un accès privilégié au logiciel technique Dekra et des supports de communication identifiant une démarche qualité, elle ne fait que diffuser une information fiable et utile afin d'améliorer le service ;
- l'aide à la préparation du contrôle technique et la formation des techniciens sont fournis par la remise d'un feuillet répertoriant de façon simplifiée et par rubriques les points soumis au contrôle et les sanctions y afférentes en termes d'obligation ou non de contre-visite ; le client peut ainsi optimiser, à titre préventif, la préparation du véhicule au contrôle technique et faire diligence pour éviter la contre-visite ;
- il s'agit d'une démarche pédagogique qui ne procède pas d'une concurrence déloyale ; elle s'inscrit dans la charte de partenariat signée le 23 juin 2008 entre le groupe Dekra Automotive et la délégation interministérielle de la sécurité routière, la Direction de la sécurité et de la circulation routière et la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ;
- l'audit effectué par la société Exora précise qu'elle n'assure pas d'autre activité que le contrôle VL et PL et que les activités annexes (prêt de remorque et délivrance d'informations techniques-point conseil) ne sont pas incompatibles avec le contrôle technique ;
- si l'administration lui a reproché de faire mention de l'existence des garages et réparateurs "point conseil" dans ses documents commerciaux et publicitaires, elle a immédiatement fait le nécessaire pour supprimer toute référence à ces réparateurs sur ses procès-verbaux et ses documents publicitaires ; l'activité d'information "point conseil" n'a pas été remise en cause ni jugée contraire à la réglementation ;
- les prix sont librement déterminés par le jeu de la concurrence selon l'article L. 410-2 alinéa 1 du Code de commerce ; l'article L. 420-1 du même code prohibe les accords ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
- les réseaux ne peuvent donc pratiquer que la technique du prix de vente "conseillé" ;
- elle est libre de proposer en son établissement d'Onet-le-Château des tarifs légèrement inférieurs à ceux mentionnés à titre indicatif sur le site Internet du réseau ; il n'est pas démontré que les prix pratiqués se situeraient à un niveau inférieur aux coûts énumérés à l'article L. 420-5 du Code de commerce et auraient pour but l'élimination du marché de ses concurrents ;
- les prix pratiqués sont dictés par la nécessité de s'adapter à la concurrence ; à cet égard l'appelante lui reproche de facturer une prestation TCP 94 euro TTC au lieu de 103 euro (prix réseau), alors qu'elle-même affiche un prix de 88,84 euro TTC pour la même prestation auquel elle ajoute une remise de 7 % ;
- la société CPL 12 ne démontre pas que la baisse de son chiffre d'affaires résulte des prix pratiqués par l'établissement concurrent ;
- le contrôle technique des poids lourds a fait l'objet d'une privatisation en 2005 ayant généré une recrudescence des installations dont le nombre est passé de 160 en 2005 à 430 aujourd'hui et par suite une augmentation de la concurrence ;
- ainsi la société CPL 12 qui était en activité avant la réforme a connu une baisse inévitable et graduelle de sa fréquentation et de son chiffre d'affaires qui s'est amorcée bien avant l'installation du centre à Onet le Château ;
- la pratique de l'apposition du timbre certifiant le contrôle technique sur le plus ancien des timbres figurant sur le certificat d'immatriculation lorsque les cases de celui-ci sont complètes, certes non conforme à l'article 5.4 de l'instruction SR V P05, a été admise par le ministère de tutelle et définitivement tolérée par le Ministère de l'intérieur.
C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 24 octobre 2013.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article R. 323-8 du Code de la route, un réseau de contrôle technique ne peut exercer aucune autre activité que celle de contrôle technique.
Une telle disposition a pour finalité d'assurer l'indépendance des contrôleurs techniques qui ne peuvent pas exercer des activités de réparateur.
La société CPL 12 reproche à la société Auto Bilan France d'offrir à ses clients des prestations complémentaires non réglementaires caractérisant des actes de concurrence déloyale.
Le fait que la société Auto Bilan France informe sa clientèle des diligences à effectuer avant la présentation des poids lourds au contrôle technique afin d'éviter les contre-visites, par le biais d'un document intitulé "points clé avant le contrôle technique" ne constitue pas une activité prohibée par l'article R. 323-8 du Code de la route, s'agissant de conseils destinés à mieux préparer les véhicules dans le cadre de l'entretien réalisé préalablement au contrôle.
Ces supports à visée informative et pédagogique n'affectent pas l'indépendance du contrôleur technique.
La diffusion de documents et procès-verbaux de contrôle technique désignant des réparateurs de véhicules poids lourds comme "point conseil Dekra", qui constituait une publicité au profit de ceux-ci a cessé à compter de janvier 2011 suite à une injonction du ministère de tutelle. Si cette publicité pouvait favoriser les réparateurs ayant choisi le réseau Dekra pour faire procéder au contrôle technique des véhicules poids lourds confiés par leurs clients, elle n'a pas eu, au demeurant, pour effet de remettre en cause la légitimité de l'activité d'information "point conseil". Il n'est pas démontré qu'une telle publicité qui a profité aux seuls réparateurs ait constitué un procédé déloyal de nature à porter atteinte au jeu de la libre concurrence.
En conséquence, c'est à juste titre que le premier juge n'a pas considéré que l'activité "point conseil" était prohibée par la réglementation et n'a pas retenu la concurrence déloyale invoquée par la société CPL 12, de ce chef.
Il est de principe que la pratique de prix bas ou inférieurs à ceux conseillés par un réseau n'est pas fautive en soi.
La société CPL 12 reproche à la société Auto Bilan France de pratiquer, au sein de son établissement exploité à Onet-le-Château, des prix inférieurs à ceux conseillés par le réseau Dekra.
L'intimée n'a pas l'obligation d'appliquer les prix mentionnés à titre indicatif par le réseau Dekra et il ne peut lui être reproché valablement d'adapter ses prix en fonction du jeu de la concurrence.
Ainsi, si la société Auto Bilan France facture la prestation dite TCP à 94 euro TTC alors que le prix conseillé sur le site Internet Dekra est égal à 103 euro, il apparaît que ce prix a été déterminé en fonction de celui pratiqué par la concurrence ; la société CPL 12 facture la même prestation à 88,84 euro TTC.
Il n'est pas établi que les prix proposés par la société Auto Bilan France dans son établissement d'Onet-le-Château sont anormalement bas au regard du coût réel des prestations et traduisent une volonté d'éviction du ou des concurrents.
La pratique de l'apposition du timbre certifiant le contrôle technique sur le plus ancien des timbres figurant sur le certificat d'immatriculation lorsque les cases de celui-ci sont complètes, non conforme à l'article 5-4 de l'instruction SR V P05, a été tolérée par la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, organisme qui assurait le contrôle technique des poids lourds jusqu'en 2005 (cf. courriel de Mme Bieth en date du 16 juin 2010), avant d'être définitivement admise par le ministère de l'intérieur à compter d'avril 2011.
Une telle pratique ne saurait donc être qualifiée de déloyale, étant observé qu'il n'est justifié d'aucune désorganisation ou perte de clientèle en résultant.
Enfin et à l'instar du premier juge, la cour observe que le partage du marché du contrôle technique depuis sa privatisation courant 2005 a nécessairement eu une incidence sur la baisse d'activité enregistrée par la société CPL 12 depuis le 1er octobre 2007.
La société CPL 12 qui n'établit pas le comportement fautif et déloyal de la société Auto Bilan France sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Succombant en son appel, la société CPL 12 sera condamnée à payer à la société Auto Bilan France la somme de 2 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, verra sa propre demande de ce chef rejetée et supportera la charge des dépens d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris ; Condamne la société CPL 12 à payer à la société Auto Bilan France la somme de 2 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Déboute la société CPL 12 de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société CPL 12 aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.