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Décisions

CA Amiens, 1re ch. sect. 1, 24 octobre 2013, n° 12-03877

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lecroq (Epoux)

Défendeur :

SNE Expertises (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Civalero

Conseillers :

Mmes Lorphelin, Piet

Avocats :

Mes Baclet, Roucoux

TGI Beauvais, du 23 juill. 2012

23 juillet 2012

Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq sont propriétaires à [...], d'une maison d'habitation qui a été totalement détruite par un incendie, le 28 juin 2010. Le jour même du sinistre, ils ont signé avec la SARL SNE Expertises un contrat d'assistance dans les opérations d'évaluation de leurs dommages.

Par un acte d'huissier du 14 avril 2011, Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq ont fait assigner la société SNE Expertises aux fins de voir prononcer la nullité du contrat de démarchage à domicile, voir débouter la société SNE Expertises de toute demande en paiement et la voir condamnée à leur régler la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société SNE Expertises a conclu au débouté des demandeurs et a sollicité, à titre reconventionnel, leur condamnation à lui régler, au titre de ses honoraires, une somme de 13 109,04 euros, subsidiairement celle de 7 104,24 euros correspondant à ses frais fixes, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, outre une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus du droit d'agir en justice et déloyauté contractuelle et une somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile

Par un jugement du 23 juillet 2012, le Tribunal de grande instance de Beauvais a :

- prononcé la nullité du contrat de démarchage à domicile signé le 28 juin 2010 entre Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq et la SARL SNE Expertises ;

- condamné Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq à verser à la SARL SNE Expertises la somme de 3 300 euros au titre de l'indemnisation de la prestation de service effectuée en vertu du contrat nul, assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- débouté la SARL SNE Expertises de sa demande de dommages et intérêts ;

- débouté Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq et la SARL SNE Expertises de leur demande respective d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la SARL SNE Expertises aux entiers dépens avec distraction au profit de la SCP BACLET et BACLET-MELLON conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Monsieur François Lecrocq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq ont formé appel de ce jugement par une déclaration d'appel du 29 août 2012.

Vu les ultimes conclusions du 4 janvier 2013, Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq prient la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de :

- dire que la SARL SNE Expertises ne peut solliciter le paiement d'une quelconque somme aux époux Lecroq ;

- condamner la SARL SNE Expertises à payer à Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouter la SARL SNE Expertises de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la SARL SNE Expertises aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Baclet- Baclet- Bellon conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile .

Vu les ultimes conclusions du 13 novembre 2012, aux termes desquelles la SARL SNE Expertises, formant appel incident, prie la cour, au visa des articles 1108, 1134 et 1382 du Code civil et des articles 699 et 700 du Code de procédure civile, d'infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat conclu le 58 juin 2010, et de :

- débouter Monsieur François Lecrocq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecrocq de leurs demandes et de toutes fins qu'elles comportent ;

- prononcer la validité du contrat de mission conclu le 28 juin 2010 et condamner solidairement Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq au paiement au principal des honoraires convenus et objets de la facture du 20 avril 2011 d'un montant de 13 109,04 euros, majoré des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

En cas de confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de mission du 28 juin 2010,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq à verser la société SNE Expertises la somme de 3 300 euros ;

Y ajoutant,

- condamner Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq au paiement des sommes complémentaires suivantes :

- 3 804,24 euros à titre d'indemnité

- 6 000 euros à titre de dommages et intérêts

- 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Monsieur François Lecroq et Madame Caroline Vanbelle épouse Lecroq aux dépens avec distraction au profit de la SCP Garnier Roucoux et Associés.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties pour l'exposé de leurs moyens et de leurs prétentions.

CECI EXPOSE :

- Sur la nullité du contrat :

Il est acquis aux débats que le contrat intitulé "mission d'expertise" a été signé par les époux Lecroq dans le cadre d'un démarchage à domicile, ainsi que le font apparaître les références législatives reproduites au verso du contrat.

Pour prononcer la nullité du contrat, le tribunal a justement relevé que le bordereau détachable de rétractation joint au contrat ne répond pas aux exigences posées par les articles L 121-23 et suivants du Code de la consommation en ce que :

- la mention "annulation de la mission loi n° 93-949 du 26 juillet 1993" n'est pas reproduite sur la partie détachable du contrat et figure sur le verso des signatures des contractants ;

- les mentions relatives aux conditions d'annulation prévues par l'article R 121-5-2° ne sont pas reproduites ;

- il est laissé trop peu de place au client pour remplir les lignes "signature du client, nature du service commandé, date de la commande et non du client" et pour signer le bordereau.

C'est vainement que la société SNE soutient en appel qu'il s'agirait de "menues irrégularités", alors que la présentation du bordereau de rétractation ne correspond pas aux exigences de forme et de contenu fixées aux articles R 121-3 à R 121-5 du Code de la consommation. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir que les irrégularités relevées ne feraient pas grief aux époux Lecroq, alors que, s'agissant de textes destinés à la protection des consommateurs, le formalisme prévu aux articles L 121-3 et L 121-4 du Code de la consommation est sanctionné par une nullité d'ordre public.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat.

- Sur les conséquences de la nullité du contrat :

Le premier juge a justement rappelé qu'en application de l'article 1108 du Code civil, la nullité du contrat emporte son effacement rétroactif, que les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant cette exécution, que, si cette remise en état se révèle impossible, la partie qui a bénéficié d'une prestation qu'elle ne peut restituer, doit s'acquitter du prix correspondant et qu'il convient de prendre en compte le prix objectif, sans notion de profit et sans que le prestataire ne puisse invoquer le prix contractuellement prévu.

Au cas d'espèce, le premier juge a fait une analyse exacte des relations contractuelles des parties en constatant que, bien qu'il soit nul, le contrat a été exécuté par la SARL SNE Expertises qui justifie d'une prestation de service par la production de différents courriers envoyés à l'assureur et à son expert et de deux rapports sur l'état des pertes concernant le bâtiment et le mobilier.

Les époux Lecroq n'établissent pas que les estimations, qui leur ont été transmises les 6 et 13 juillet 2010, soit dans la quinzaine ayant suivi le sinistre, ne correspondraient pas à la réalité de leurs pertes, étant relevé que s'ils ont fait le choix, par une assignation du 8 décembre 2010, de saisir le juge des référés du Tribunal de Beauvais d'une demande d'expertise, ils ne produisent pas aux débats le rapport d'expertise qui a été déposé par Monsieur Jacques Chaineaux, expert désigné par l'ordonnance de référé du 3 février 2011, et affirment dans leurs écritures d'appel "il est certain que l'évaluation que l'expert judiciaire fera des travaux de réparation n'aura rien à voir avec l'évaluation que la SARL SNE Expertises a réalisée", sans pour autant en apporter la preuve. Ils échouent donc à établir que les prestations qui leur ont été fournies en exécution du contrat par la société SNE Expertises ne seraient pas conformes à la mission prévue au contrat, ni qu'elles se seraient révélées parfaitement inutiles.

Enfin, le premier juge retient a justement retenu que la SARL SNE Expertises ayant été désignée seulement en qualité d'expert pour l'évaluation des dommages sur bâtiment, matériel, valeur vénale du fonds de commerce, marchandises, mobilier et perte d'exploitation, les époux Lecroq ne sont pas fondés à lui reprocher un défaut d'assistance dans leurs démarches auprès de leur compagnie d'assurance, ni un défaut de conseil quant aux suites judiciaires à donner en l'absence de réponse à leur demande d'indemnisation de leur compagnie d'assurance. Il convient en outre de relever que, dans ses courriers des 6 août et 14 octobre 2010, la société Sogessur a informé la société SNE Expertise qu'elle était dans l'attente de certains éléments lui permettant d'établir si la garantie "Incendie" du contrat souscrit par M. et Mme Lecroq était acquise, ce qui démontre que la société SNE Expertise n'est pas restée inactive en ce qui concerne la demande d'indemnisation et que le retard qui a pu être apporté dans la prise en charge du sinistre par l'assureur, ne lui est pas imputable.

Le premier juge a fait une exacte appréciation de la rémunération de la société SNE Expertises pour la prestation fournie aux époux Lecroq.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu que les époux Lecroq ont bénéficié d'une prestation qu'ils ne peuvent restituer et les a condamnés à régler la somme de 3 300 euros à la société SNE Expertises.

- Sur la demande de dommages et intérêts des époux Lecroq :

Pour débouter les époux Lecroq de leur demande de dommages et intérêts, le premier juge a considéré que ceux-ci n'établissent pas en quoi le non-respect du formalisme édicté par le Code de la consommation leur a causé un préjudice autre que celui déjà réparé par la nullité du contrat de démarchage à domicile.

En appel, les époux Lecroq soutiennent avoir été victimes du comportement dolosif de la société SNE Expertises en faisant valoir qu'en souscrivant le contrat d'expertise, ils lui ont fait confiance et qu'ils n'ont rien obtenu en contrepartie.

En considération des éléments développés ci-dessus concernant la prestation effectivement réalisée par la société SNE Expertises, il ne peut être considéré qu'elle aurait trompé la confiance des époux Lecroq.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté ceux-ci de leur demande de dommages et intérêts.

- Sur la demande de dommages et intérêts de la SARL SNE Expertises :

En appel la société SNE Expertise demande à la cour de sanctionner les appelants d'une attitude procédurale consistant à faire un usage dévoyé de textes destinés à protéger des victimes consuméristes et non des justiciables instrumentalisant la justice, à jeter le discrédit sur sa personne morale et à faire un usage abusif de la procédure pour retarder le paiement de ses honoraires pour des travaux qu'elle a correctement effectués.

Le premier juge a justement retenu que la société SNE Expertises n'établit pas la mauvaise foi des époux Lecroq, qui ne font que se prévaloir des règles protectrices du Code de la consommation, et qu'elle ne saurait leur opposer une quelconque responsabilité alors qu'elle est seule responsable du non-respect du formalisme dans son contrat. Pour les mêmes motifs, il a écarté tout abus de droit de la part des époux Lecroq.

La cour relève que les éléments de la cause ne justifient pas l'octroi de dommages et intérêts à la société SNE Expertises qui n'établit pas que les époux Lecroq auraient, en poursuivant leur action au fond tant en première instance qu'en appel, dépassé le cadre nécessaire de la défense de leurs intérêts ou commis un abus de droit méritant d'être sanctionné par application des dispositions de l'article 1382 du Code civil.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts, laquelle doit être également rejetée en appel.

- Sur les dépens :

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société SNE Expertise aux dépens et dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de l'une ou de l'autre des parties.

Chacune des parties succombant en ses prétentions devant la cour, il convient de prévoir qu'elles conserveront la charge de leurs dépens d'appel et celle des frais irrépétibles exposés dans le cadre de cette instance.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, - Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 juillet 2012 par le Tribunal de grande instance de Beauvais ; - Déboute les parties du surplus de leurs demandes tendant à l'octroi de dommages et intérêts et d'une indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; - Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.