CA Fort-de-France, premier président, 12 décembre 2013, n° 13-00360
FORT-DE-FRANCE
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Société Martiniquaise des Eaux (SA)
Défendeur :
Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Steinmann
Avocat :
SCP D & Associes
FAITS ET PROCÉDURE
Par note en date du 29 mars 2013, la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a, par délégation du ministre chargé de l'Economie, confié à la Direction des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (ci-après "DIECCTE") de Martinique une enquête relative à la recherche de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la distribution de l'eau et du traitement des eaux usées.
Le directeur départemental de la DIECCTE de la Martinique et chef de la brigade interrégionale des enquêtes de concurrence (BIEC) Antilles-Guyane, a déposé une requête enregistrée au Greffe du Tribunal de grande instance de Fort-de-France, le 15 avril 2013, sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce, en vue d'être autorisé à faire procéder à des visites domiciliaires dans les locaux des opérateurs pour lesquels il existait des présomptions d'agissements anticoncurrentiels.
Une ordonnance a été rendue le 10 mai 2013 par le juge des libertés et de la détention près le Tribunal de grande instance de Fort-de-France autorisant des visites domiciliaires auprès des opérateurs suivants :
- SA Société Martiniquaise des Eaux (SME) <adresse> ;
- Syndicat Interprofessionnel du Centre et du Sud de la Martinique (SICSM) <adresse>.
Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées le mardi 11 juin 2013, dans les locaux des opérateurs précités.
A la suite de ces opérations, la SA Société Martiniquaise des Eaux (SME) a interjeté appel de l'ordonnance d'autorisation précitée devant le premier président de la Cour d'appel de Fort-de-France, sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce.
La SA Société Martiniquaise des Eaux (SME) soutient que cette ordonnance est entachée d'irrégularités tenant à la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce.
Elle fait valoir que :
- la SME n'aurait pu formellement accéder à la requête de la DIECCTE et aux documents au soutien de cette dernière pour interjeter appel de l'ordonnance de visite et de saisie ;
- la requête aux fins d'autorisation de visite et de saisie présentée par la DIECCTE au JLD ne comporterait pas tous les éléments d'information en sa possession ou se fonderait sur de fausses informations ;
- les arguments de la requête aux fins d'autorisation de visite et de saisie présentée par la DIECCTE au JLD ne seraient manifestement pas fondés ;
- l'absence de position dominante et de lien de causalité interdiraient la qualification d'un présumé abus de position dominante ;
- aucun élément ne caractérise un abus de position dominante ;
- le JLD aurait à tort apprécié la légalité d'un contrat administratif et le bien-fondé d'une remise de dette.
Aussi, la Société Martiniquaise des Eaux demande au Premier Président :
- d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Fort-de-France du 10 mai 2013 et par voie de conséquence les opérations de saisie subséquentes ;
- de condamner la DIECCTE à régler la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- d'ordonner la restitution de tous les documents saisis ;
La DIECCTE soutient la parfaite régularité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 10 mai 2013.
SUR CE
Sur la mise à disposition de la SME de la requête de la DIECCTE et des documents en soutien pour interjeter appel de l'ordonnance du 10 mai 2013.
Attendu que la SME expose que l'ordonnance mentionne expressément que "les entreprises visées par la présente ordonnance peuvent à compter de la date de l'opération de visite et de saisie dans les locaux consulter la requête et les documents susvisés au greffe de notre juridiction" ;
Qu'elle fait valoir qu'à deux reprises, son conseil s'est rendu au greffe du Tribunal de grande instance de Fort-de-France où il n'a pu consulter la requête de la DIECCTE et les pièces versées à cette dernière, celles-ci n'ayant pu être retrouvées audit greffe ;
Que, selon la SME cette impossibilités laisse planer un doute sur la régularité de la procédure tant au regard des principes fondamentaux et notamment l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des Droits de l'Homme que des règles spécifiques du Code de commerce applicable et justifie l'annulation de l'ordonnance et de toute procédure subséquente ;
mais que la requête du chef de la DIECCTE, agissant par délégation au nom du ministre de l'Economie, est datée du 12 avril et a été enregistrée par le greffier près le Tribunal de grande instance de Fort-de-France le 15 avril 2013 ;
Que dans son accusé de réception, daté et signé le 15/04/2013, le greffier mentionne ladite requête, d'une part, et les quatorze pièces annexes d'autre part ; qu'il note que le dossier a été enregistré à cette même date ;
Que, par ailleurs, en réponse à la demande du conseil de la SME, cette requête et ses annexes lui ont été communiquées par la DIECCTE ;
Que, dans ces circonstances, il ne peut être inféré l'argument de la SME qu'il existe un doute légitime sur le contrôle effectif de la requête exercé par le juge;
Sur la dissimulation d'informations par la DIECCTE devant le juge des libertés et de la détention
Attendu que la SME fait grief à la DIECCTE d'avoir caché au juge des libertés et de la détention que les deux avenants aux contrats de DSP "Eau" et "Assainissement" prolongeant la durée des contrats la liant à la SICSM avaient fait l'objet d'un retrait par la SICSM par deux délibération de ce syndicat en date du 22 juin 2012 ; mais que l'Administration n'a pas à fournir l'ensemble des éléments dont elle dispose mais seulement ceux de nature à justifier la demande d'autorisation de procéder à une opération de visite et de saisies ; que l'adoption des deux avenants sont de nature à justifier la requête.
Sur le fait que les arguments de la requête aux fins d'autorisation de visite et de saisie présentée par la DIECCTE au juge des libertés et de la détention ne seraient manifestement pas fondés
Attendu que l'Administration a présenté dans sa requête les éléments en sa possession de nature à justifier la mesure demandée ;
Que le juge des libertés et de la détention a jugé ces éléments suffisants pour pouvoir autoriser à ce qu'il soit procédé aux opérations de visites et de saisies;
Qu'il n'est pas démontré en quoi les pièces dont l'absence est invoquée auraient été de nature à modifier l'appréciation portée par le juge sur les éléments démontrant les présomptions de fraude ;
Qu'ainsi la SME ne démontre pas en quoi le fait d'annexer à la requête le texte intégral des deux avenants et des deux délibérations aurait pu conduire le juge à ne pas délivrer l'ordonnance considérée.
Sur le fait que l'absence de position dominante et de lien de causalité possible interdiraient la qualification d'un présumé abus de position dominante
Attendu que la SME considère que la DIECCTE n'était pas fondée à solliciter une autorisation de visite et de saisie en l'absence de démonstration d'une détention par la SME d'une position dominante et d'un lien de causalité entre cette position dominante et l'abus présumé ;
mais que, en la circonstance, la part de marché détenue par la SME calculée en nombre d'habitants desservis est proche de 80 % alors que celle de son seul concurrent direct la SMDS (filiale de la SAUR) ne représente que 20 % environ de la population considérée ; qu'ainsi en l'état de ces informations, la position de la SME à l'égard de la SICSM apparaît dominante ;
Que l'adoption de deux avenants favorable à la SME crée des présomptions d'agissements visés par l'article L. 420-2 du Code de commerce, imputables à la Société martiniquaise des eaux (SME), justifiant la recherche de la preuve de leur existence au moyen d'une opération de visite et de saisie de documents.
Sur la décision prise par le SICSM de supprimer les pénalités infligées à la SME
Attendu que le SICSM a infligé à la SME des pénalités puisqu'il a ensuite décidé de retirer celles-ci ;
Que ce fait est de nature à convaincre de la nécessité qu'il y a de procéder à une opération de visite et de saisies afin de permettre à l'enquête d'infirmer ou de confirmer l'hypothèse d'abus de position dominante ;
Sur le fait que la tromperie et le passage en force ne pourraient être constitutifs d'un abus de position dominante dans le cadre d'une opération tendant à la passation d'un avenant à un contrat administratif
Attendu que la SME soutient qu'aucun des éléments sur lesquels s'est fondée la DIECCTE pour solliciter une ordonnance de visite et saisie ne laissait présumer la mise en œuvre par la SME d'un acte unilatéral résultant de la détention d'une position dominante qui aurait consisté en "une tromperie et un passage en force" pour imposer notamment les avenants de prolongation au SICSM ; mais que la DIECCTE est bien fondée à solliciter une autorisation de visite et de saisies, à l'effet de rechercher les pratiques qui ont conduit à l'adoption d'avenants illicites ;
Sur le fait que le juge des libertés et de la détention n'aurait pas compétence pour apprécier la légalité d'un contrat administratif et le bien-fondé d'une "remise de dette" :
Attendu qu'au cas d'espèce, il n'était pas question d'examiner le fond mais seulement de déterminer s'il y existait des présomptions suffisantes pour permettre à une enquête de se poursuivre en ayant recours à une opération de visite et de saisie ;
Que l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles suffit à justifier les opérations de visite et saisie ;
Par ces motifs : Dit mal fondée la Société Martiniquaise des Eaux (SME) dans toutes ses demandes et la débute ; Déclare régulière l'ordonnance du 10 mai 2013 rendue par le juge des libertés et de la détention de Fort-de-France autorisant les opérations de visite et saisie, notamment dans les locaux de la Société Martiniquaise des Eaux (SME) ; Rejette les autres demandes ; Condamne la Société Martiniquaise des Eaux (SME) aux dépens.