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Décisions

CA Angers, ch. corr., 8 décembre 2011, n° 11-00586

ANGERS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roucou

Conseillers :

Mme Pierru, M. Alesandrini

TGI Angers, du 25 mai 2011

25 mai 2011

LES FAITS

Le 21 janvier 2008, Monsieur Bernard Tavernard, né en 1944, domicilié à Saint Jean de Linières, accompagné de sa fille Béatrice Mace, déposait plainte à la gendarmerie de Saint Georges sur Loire, à l'encontre d'un dénommé Jean-Pierre X. Il expliquait que cet homme passait régulièrement chez lui pour lui vendre, au porte à porte, des vêtements et des tapis, des parures de draps, sans aucune facture pour des montants très importants, puisque cela durait depuis une dizaine d'années et qu'il dépensait ainsi 1 500 euro environ tous les ans. En réalité, il n'avait aucun besoin de toutes ces marchandises, et il avait le sentiment que X abusait de sa situation eu égard à un important problème d'alcoolisme. Il soulignait qu'il n'avait jamais été menacé mais se sentait obligé d'acheter, avec la précision que X lui offrait à boire lorsqu'il réglait en espèce. Selon ce que l'homme lui avait déclaré, il vivait aux alentours de Saint-Malo ou de Laval.

Béatrice Mace précisait qu'au cours de l'été 2007, elle avait constaté que son père était amaigri, souvent ivre si bien qu'il devait être hospitalisé en août. A l'occasion d'un grand ménage chez son père, elle avait pu consulter ses comptes et s'était aperçue que de gros chèques avaient été émis, ce qui l'avait amenée à faire des recherches au Crédit Agricole. Son père avait alors expliqué avoir fait des achats de draps, de tapis ou de vêtements à un homme de passage, vêtements dont elle constatait qu'ils n'étaient même pas à la bonne taille. Elle avait encouragé son père à ne plus acheter mais remarquait qu'en décembre 2007, il avait reommencé à boire de façon importante. En janvier, avec son frère, elle avait constaté que de nouveaux chèques très importants avaient été émis, ce qui lui permettait de convaincre son père de déposer plainte, tandis qu'elle mettait en œuvre une procédure de curatelle au bénéfice de Monsieur Tavenard.

Celui-ci avait émis ainsi, notamment, des chèques n° 7868176 de 500 euro daté du 24 décembre 2007, n° 7868177 de 500 euros daté du 30 janvier 2008 et n° 7868178 de 500 euros du 28 février 2008, tirés sur son compte ouvert au Crédit Agricole.

Il apparaissait également que des chèques n° 7868166 de 650 euro daté du 20 janvier 2007 et n° 7868167 de 650 euros daté du 20 février 2007 avaient été émis au profit de X, et un chèque n° 7868169 de 350 euros avait été encaissé par la société Z à Nantes.

Les gendarmes constataient que nombreux achats (tapis, linges de maison, parures de draps, blousons en simili cuir) étaient entreposés dans un pièce au domicile de Monsieur Tavenard, manifestement inutilisés et de faible valeur, sans que leurs valeurs soient en rapport avec les chèques de 500 euro ou 650 euro émis.

Sur réquisitions autorisées par le Procureur de la République, des recherches étaient entreprises auprès des services bancaires pour identifier le titulaire du ou des comptes bénéficiaires des chèques émis par Monsieur Tavenard.

Il apparaissait ainsi que le chèque 7868177 avait été encaissé par Jean David X, personne faisant partie de la communauté du voyage, avec une adresse poste restante à Pont Pean en Ille et Vilaine, lequel s'est avéré être inconnu des brigades de gendarmerie locales et que l'enquête n'a pas permis de retrouver.

Le chèque 78681778 avait été encaissé par l'entreprise Y à Caudan (Morbihan). L'enquête a établi que cette société, qui importe des tapis d'orient, a émis le 28 février 2008 une facture de 2 200 euro TTC au nom de Jean-Pierre X, pour la fourniture de 75 tapis, facture dont une partie est réglée au moyen du chèque remis par Monsieur Tavenard.

Le représentant de cette société a précisé que Jean-Pierre X est un homme brun au teint mat, âgé de 48/50 ans, mesurant 1.75 à 1.80 m, surnommé "Godjino".

Par ailleurs la société Atlantex à Nantes ne pouvait fournir l'adresse du client lui ayant remis un chèque de Monsieur Tavenard en paiement des marchandises.

Les recherches effectuées dans le fichier national des permis de conduire permettaient l'identification de Jean-Pierre X, titulaire d'un carnet de circulation, né le 12 mai 1957 à Plaintel (Côte d'Armor). Le parquet d'Angers demandait son inscription dans le fichier des personnes recherchées pour abus de faiblesse.

Le 27 juillet 2009, Jean-Pierre X était interpellé par la police de Nantes à l'occasion du contrôle de son carnet de circulation. Placé en garde à vue, il reconnaissait se livrer habituellement au commerce ambulant, en porte à porte, de linge de maison, et ce bien que non titulaire du livret spécial prévu à cet effet. Dans un premier temps, il niait tout démarchage à Saint Jean de Linières, déclarait ne pas connaître Monsieur Tavenard, contestait porter le surnom de Godjino et indiquait accompagner sa femme qui se chargeait des ventes, lui-même servant de chauffeur.

Les photographies de Jean-Pierre X prises lors de sa garde à vue étaient transmises à la gendarmerie de Saint-Georges sur Loire et présentées à Monsieur Tavenard qui reconnaissait formellement l'intéressé comme étant la personne qui s'était présentée chez lui à plusieurs reprises pour lui vendre des marchandises et à qui il avait remis les chèques litigieux.

Jean-Pierre X finissait par reconnaître s'être rendu à Saint Jean de Linières et avoir vendu des marchandises à une seule personne dans cette commune, mais prétendait avoir des pertes de mémoire. Il ne pouvait expliquer pourquoi sa signature figurait sur le chèque de Monsieur Tavenard remis en paiement à l'entreprise Y, ni pourquoi sa signature figurait sur les chèques remis par Monsieur Tavenard déposés sur son compte bancaire à Bruz.

Par jugement du 18 juin 2008 le Juge des Tutelles du Tribunal d'instance d'Angers a placé Monsieur Tavenard sous curatelle renforcée.

Une expertise psychiatrique de celui-ci était effectuée sur réquisition du Procureur par Madame le Docteur Achibet le 12 avril 2010. L'expert indique que Monsieur Tavenard présente un niveau d'intelligence satisfaisant, ne présente pas d'altération séquellaire de l'intoxication alcoolique au niveau des fonctions supérieures, pas d'altération en rapport avec une détérioration sénile précoce au moment de l'examen, l'intoxication alcoolique s'étant beaucoup atténuée mais l'abstinence totale n'existant toujours pas. Elle ajoute : "néanmoins au moment des faits qui se sont déroulés et échelonnés sur une dizaine d'années il a présenté une intoxication alcoolique régulière, ayant nécessité plusieurs cures de désintoxication infructueuses".

Monsieur Tavenard a pu préciser à l'expert que le vendeur lui offrait de l'alcool au moment du paiement, s'être senti dans l'incapacité de parler à ses enfants des achats effectués, ne mesurant pas l'importance des sommes engagées, ni les raisons de ces achats dont il n'avait pas besoin.

Les sœurs de Monsieur Tavenard ont précisé que celui-ci présente un gros problème d'alcoolisme depuis très longtemps, qu'elles ne sont aperçu de la présence de vêtements dont des blousons de cuir et des marchandises diverses chez leur frère qui ne savait pas expliquer ses achats, qu'il est incapable de gérer ses affaires, ce qui a nécessité son placement en curatelle, ses enfants l'ayant délaissé jusqu'à la découverte des émissions de chèques importants sur ses comptes.

PERSONNALITE

Jean-Pierre X est âgé de 54 ans (51 ans au moment des faits). Il vit en concubinage et aurait 4 enfants majeurs. Il est sans domicile fixe, se dit commerçant ambulant mais n'a effectué aucune formalité administrative pour obtenir les autorisations nécessaires, il n'est ainsi pas inscrit au RSI. Son casier judiaire ne comporte aucune mention.

SUR LA CULPABILITE

Jean-Pierre X a été formellement identifié par Monsieur Tavenard comme étant la personne qui s'est présentée à son domicile à de multiples reprises pour lui vendre les marchandises trouvées chez lui, dont des tapis orientaux, du linge de maison. Il est démontré qu'un des chèques remis par la victime a justement été encaissé, pour le compte de Jean-Pierre X, par l'entreprise Y, qui fait le négoce de tapis d'orient similaires à ceux trouvés chez Monsieur Tavenard. Sur cette facture onze tapis sont vendus par le grossiste moins de 98 euro, deux sont facturés 156,95 euro et trois seulement sont facturés 389,38 euro.

La description physique de Jean-Pierre X donnée par le responsable de cette entreprise correspond bien à la personne identifiée et entendue au cours de la procédure. Enfin, le prévenu, qui reconnaît se livrer habituellement au commerce ambulant notamment le linge de maison, sans pour autant respecter les règles légales, ne remettant jamais de facture, ni ne respectant les délais de rétractation prévus par le Code de la consommation, a fini par admettre qu'il avait bien un client à Saint Jean de Linière.

Les éléments de l'enquête montrent que Monsieur Bernard Tavenard, âgé de 63 à 64 ans au moment des faits, souffrait depuis plusieurs années d'une grave intoxication alcoolique. Il a précisé que le vendeur lui offrait à boire, en particulier au moment du règlement des achats.

Les gendarmes ont constaté que les marchandises achetées ne correspondaient en rien à la valeur à laquelle elles avaient été négociées. Les déclarations des témoins quant à l'incacité de Monsieur Tavenard de gérer ses affaires et d'appréhender la valeur des biens acquis, mais aussi les éléments médicaux ayant conduit d'une part au placement sous curatelle de la victime moins de 6 mois après les derniers faits, ainsi que l'expertise réalisée en cours d'enquête, démontrent que la faiblesse de Monsieur Tavenard était tout à fait apparente.

En se présentant à de multiples reprises courant 2007 au domicile de la victime, particulièrement vulnérable, pour lui faire acquérir à des prix prohibitifs des machandises dont elle n'avait nul besoin, et en faisant remettre des chèques d'un montant variant entre 500 et 650 euro, Jean -Pierre X a bien commis le délit d'abus de faiblesse.

La cour infirme le jugement et déclare Jean-Pierre X coupable des faits reprochés.

SUR LA PEINE

Il résulte des éléments ci-dessus que Jean-Pierre X, qui procède habituellement à des ventes à domicile en dehors de toutes les règles légales, s'est présenté à plusieurs reprises au domicile de Monsieur Bernard Tavenard, personne dont il connaissait la grande fragilité et la faiblesse, et qu'il en a profité pour se faire remettre ses sommes importantes (1 500 euro fin décembre 2007) en échange de marchandises surfacturées dont il n'avait pas besoin.

Ces faits troublent gravement l'ordre public et causent un préjudice important à la victime, retraitée aux ressources modestes. Il est donc nécessaire de prononcer une sanction dissuasive à même d'éviter le renouvellement de l'infraction, ce qui conduit la cour à prononcer à l'encontre du prévenu une peine d'emprisonnement de 6 mois. Cependant, Jean-Pierre X n'ayant jamais été condamné, cette peine sera assortie d'un sursis simple.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant contradictoirement et par défaut, Infirme le jugement, Statuant à nouveau, Déclare Jean-Pierre X coupable des faits qui lui sont reprochés, Condamne Jean-Pierre X à une peine d'emprisonnement délictuel de six mois. Dit qu'il sera sursis à l'exécution de cette peine pendant cinq ans conformément aux dispositions des articles 132-20 et 132-31 du Code pénal, Constate que l'avertissement prescrit par l'article 132-29 du Code précité n'a pas été donné à l'interessé, absent, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euro dont est redevable le condamné, conformément aux dispositions de l'article 1018-A du Code général des Impôts, soumis aux dispositions de l'article 707-2 du Code de procédure pénale. Ainsi jugé et prononcé par application de l'article L. 122-8 du Code de la consommation.