CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 18 décembre 2013, n° 12-01336
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Guiseppin
Défendeur :
Abris d'Albret (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cousteaux
Conseillers :
Mmes Pellarin, Salmeron
Avocats :
SCP Cantaloube Ferrieu Cerri, SCP Cambriel, de Lamy, Bordier
EXPOSÉ DU LITIGE
La SARL Abris d'Albret qui fabrique et commercialise des piscines a conclu en 2005 un contrat d'agent commercial avec M. Guiseppin, non matérialisé par écrit.
Les parts de la société ont été cédées par son gérant M. Cavillac durant l'été 2010 à M. Brillau, devenu nouveau gérant.
Par courrier du 22 septembre 2010, M. Guiseppin s'est plaint auprès de la SARL Abris d'Albret de ce que celle-ci avait fait tenir des stands pour ses produits par d'autres personnes que lui.
Par lettre du 28 septembre 2010, la SARL Abris d'Albret a informé M. Guiseppin d'une incompatibilité avec ses activités au sein de la société Primio que celui-ci lui aurait cachées.
Par acte du 5 novembre 2010 , M. Guiseppin a fait assigner la SARL Abris d'Albret devant le Tribunal de grande instance de Montauban en paiement des sommes dues en cas de rupture du contrat d'agent commercial.
Il a été débouté de ses demandes par jugement du 10 janvier 2012 qui a également débouté la SARL Abris d'Albret de sa demande en dommages-intérêts et a condamné M. Guiseppin à lui payer une indemnité de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. Guiseppin a interjeté appel de cette décision le 21 mars 2012.
L'appelant et l'intimée ont respectivement déposé leurs dernières écritures les 23 septembre et 7 octobre 2013. L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 octobre 2013.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Il est fait expressément référence, pour plus ample exposé des moyens, aux conclusions précitées.
M. Guiseppin demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il le déboute de ses demandes, de dire que la rupture ne peut être imputée à une faute grave de sa part, de condamner la SARL Abris d'Albret à lui payer les sommes de 7 944 euro (préavis) et 71 532 euro (2 ans de chiffre d'affaires HT) avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, outre 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelant qui souligne qu'en l'absence de contrat écrit, il n'était lié par aucune clause d'exclusivité et que la SARL Abris d'Albret a changé d'actionnaires durant l'été 2010, fait essentiellement valoir :
- que les deux sociétés n'étaient pas concurrentes, leurs abris étant différents et ne s'adressant pas à la même clientèle, (prix de 5 000 euro à 20 000 euro pour la SARL Abris d'Albret, de 10 000 euro à 50 000 euro pour la société Primio), ce dont témoigne la location par les deux sociétés d'un stand commun en 2009 tenu par M. Guiseppin,
- que la tenue successive par M. Guiseppin en 2009 et 2010 de plusieurs stands communs à ces deux sociétés avec l'aval des dirigeants qui en partageaient les frais témoigne de ce qu'ils étaient d'accord avec cette double activité de leur agent commercial, et en tout cas n'ont jamais réagi,
- que le fait de devenir actionnaire minoritaire d'une société concurrente n'est pas fautif, et la SARL Abris d'Albret en était informée par les documents, signés de M. Guiseppin au nom de la société Primio,
- que ni la mauvaise foi ni le préjudice ne sont établis au soutien de la demande en dommages-intérêts de la SARL Abris d'Albret.
La SARL Abris d'Albret sollicite la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qui concerne ses demandes, et réclame sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts ; elle ajoute une demande en paiement d'une indemnité de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile au stade de l'appel.
L'intimée développe principalement les observations suivantes :
- le point essentiel du litige est que M. Guiseppin est devenu actionnaire "majoritaire" c'est-à-dire celui détenant le plus d'actions et en même temps gérant de fait d'une société concurrente,
- il ne démontre pas avoir porté ce fait essentiel à la connaissance de la SARL Abris d'Albret,
- la mauvaise foi de M. Guiseppin qui a dissimulé le plus longtemps possible son statut d'associé et agi en justice est patente.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il n'est pas discuté que l'initiative de la rupture du contrat entre M. Guiseppin et la SARL Abris d'Albret incombe à cette dernière, ce dont attestent les termes de son courrier du 28 septembre 2010.
M. Guiseppin a droit au paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce destinée à réparer le préjudice subi, sauf si la cessation du contrat est, selon l'article L. 134-13, "provoquée par la faute grave de l'agent commercial".
Son droit à préavis édicté par l'article L. 134-11 connaît la même limite.
La faute grave privative d'indemnité est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel. Le mandant peut invoquer une faute commise antérieurement à la rupture, même s'il en a eu connaissance postérieurement.
En l'espèce, le grief invoqué par la SARL Abris d'Albret devant la cour est en substance la déloyauté de M. Guiseppin consistant à lui avoir caché non seulement qu'il exerçait une activité pour une société, la SARL Primio, ayant le même objet social, à savoir la vente de piscines, mais surtout, qu'il en était l'actionnaire "majoritaire", c'est-à-dire celui qui détenait le plus grand nombre de parts (47 %).
Il ne lui est dès lors pas simplement reproché d'avoir exercé une activité concurrente.
L'article 134-4 alinéa 2 du Code de commerce édicte une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information entre l'agent commercial et son mandant.
Sur la connaissance qu'avait la SARL Abris d'Albret de l'activité d'agent commercial de M. Guiseppin pour la SARL Primio, le tribunal a exactement relevé qu'elle ne pouvait se déduire du partage d'un même stand lors des foires. Devant la cour, M. Guiseppin produit cinq attestations rédigées de façon quasi identique de personnes déclarant avoir vu M. Guiseppin en 2009 et 2010 tenir conjointement les stands Primio et Abris d'Albret. Ces éléments ne permettent toujours pas d'être assuré que la SARL Abris d'Albret connaissait l'activité parallèle de M. Guiseppin.
D'autre part, M. Guiseppin ne justifie pas avoir informé la SARL Abris d'Albret de son entrée au capital de la SARL Primio, au surplus pour une part aussi importante. Une telle information ne saurait se déduire de la transmission en mars et avril 2010 à la SARL Abris d'Albret d'un chèque tiré sur la SARL Primio portant sa signature, ou de réservations de stands faites par lui pour le compte de cette société. Ces détails pouvaient fort bien échapper à la SARL Abris d'Albret et en toute hypothèse ne traduisaient pas de la part de M. Guiseppin un acte positif d'information.
Quant à l'attestation de M. Benattar qui déclare avoir entendu le 30 mars 2010 M. Cavillac, lui assurer, lors de l'installation du stand à la foire de Toulouse, que l'entrée de M. Guiseppin au capital de la SARL Primio ne le gênait pas, elle est formellement contestée par M. Cavillac qui atteste également dans les formes légales que cette conversation n'a pas existé, et qui justifie de sa venue à la foire à une autre date. La preuve de la communication de cette information n'est donc pas faite par M. Guiseppin.
Il reste à apprécier s'il s'agit d'une faute grave.
Au regard de l'activité exercée, et quand bien même les deux sociétés ne s'inscriraient pas exactement dans la même gamme de prix, il ne peut être contesté que toute une partie de la clientèle est susceptible d'être la même, à savoir les particuliers qui ne se sont pas encore déterminés sur la qualité de la prestation qu'ils recherchent, et sont susceptibles de se laisser convaincre par un prix moins élevé, ou au contraire par une prestation de meilleure qualité.
M. Guiseppin précise lui-même que les prix des abris de piscine de la SARL Abris d'Albret oscillent entre 5 000 euro et 20 000 euro, ceux de la SARL Primio entre 10 000 et 50 000 euro. Ce seul constat démontre que les clients qui disposent d'un budget allant jusqu'à 20 000 euro peuvent se voir proposer les deux types de produits.
De par son action commerciale, M. Guiseppin était dès lors en mesure de pouvoir avantager la société dans laquelle il avait des intérêts, au détriment de sa mandante, la SARL Abris d'Albret.
On ne peut manquer à cet égard de relever que les commissions perçues par l'appelant pour la commercialisation des produits de la SARL Abris d'Albret sur les 9 premiers mois de 2010 a considérablement chuté par rapport aux années précédentes (20 215 euro contre 46 198 euro pour les 12 mois de 2009), alors que dans un même temps, sa part sur 30 000 euro de dividendes lui était distribuée au sein de la SARL Primio.
Aussi, au-delà de l'activité exercée, le seul fait pour M. Guiseppin de ne pas avoir informé sa mandante des intérêts qu'il avait pris dans la SARL Primio pour une part très importante, même si elle demeurait en dessous de 50 %, constitue un manquement grave à l'obligation de loyauté qui doit présider aux relations contractuelles entre l'agent commercial et son mandant et le jugement qui a débouté M. Guiseppin de ses demandes est confirmé.
- sur la demande en dommages-intérêts
Le droit d'agir en justice ne dégénère en abus que si l'action est engagée avec malice ou mauvaise foi, ou avec une légèreté blâmable, traduisant une volonté manifeste de son auteur de se servir du droit allégué dans un but autre que celui auquel il tend.
Ainsi que l'a retenu le tribunal, ce n'est nullement le cas de l'action introduite par M. Guiseppin
Le jugement est en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré. Y ajoutant, Condamne M. Didier Guiseppin à payer à la SARL Abris d'Albret une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Didier Guiseppin au paiement des dépens dont distraction par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.