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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 11 mars 2010, n° 09-02884

LYON

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martin

Conseillers :

Mmes Biot, Devalette

Avoués :

SCP Dutrievoz, SCP Baufume-Sourbe

Avocats :

Mes Chazot, Sportouch

TGI Lyon, du 17 mars 2009

17 mars 2009

FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS DES PARTIES

Par trois bons de commandes du 11 novembre 1997, 20 février 1998 et 9 juin 1998 établis au nom de Jacques B. des meubles ont été achetés auprès de la société Gamma Meubles pour un montant total de 191 680 F, le bon de commande du 20 février 1998 annulant et remplaçant le bon numéro 2973 du 11 novembre 1997.

Saisi d'une demande en paiement par la société Gamma Meubles, le Tribunal de grande instance de Lyon, par un jugement du 17 octobre 2006, a ordonné une expertise en écriture pour vérifier l'identité du signataire des bons de commande.

Après dépôt du rapport de l'expert le 30 juillet 2007, la société Gamma Meubles a maintenu sa demande en paiement au motif que la vente était valable.

Par jugement du 17 mars 2009, le tribunal, considérant que le moyen tiré du démarchage à domicile n'était pas fondé, que Monsieur B. était le signataire du premier et du troisième bon de commande et que l'insanité d'esprit de Madame S. divorcée B. au moment de la conclusion de la vente n'était pas démontrée, a rendu la décision suivante :

- condamne Monsieur B. et Madame S. à payer à la SARL Gamma Meubles la somme de 23 629,59 euros en règlement du solde des commandes passées les 11 novembre 1997 (modifiée le 20 février 1998) et le 19 juin 1998, avec intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2006, date de l'assignation,

- condamne Monsieur B. et Madame S. à recevoir livraison des meubles dans les 15 jours de la date suivant la date à laquelle le présent jugement deviendra définitif,

- condamne Monsieur B. et Madame S. à payer à la SARL Gamma Meubles la somme de 6 426,50 euros TTC à titre de frais de stockage de meubles, et dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date du présent jugement,

- dit que les intérêts échus et dus pour une année entière produiront à leur tour des intérêts,

- condamne Monsieur B. et Madame S. à payer à la SARL Gamma Meubles la somme de 1 500 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive,

- dit n'y avoir lieu à prononcer de mesure d'astreinte,

- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,

- condamne Monsieur B. et Madame S. à verser à la SARL Gamma Meubles la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- rejette toutes demandes plus amples ou contraires des parties,

- condamne Monsieur B. et Madame S. aux entiers dépens qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire,

- autorise les avocats en cause à recourir directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans en avoir reçu provision dans les conditions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Appelants, Monsieur Jacques B. et Madame Séporah S. divorcée B. concluent à la réformation du jugement et au rejet des demandes de la société Gamma Meubles. Ils demandent de leur allouer une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ils indiquent que par un jugement du 19 janvier 1984 le Tribunal de grande instance de Créteil a prononcé leur divorce mais qu'en raison de la maladie de Madame B. son ex-mari lui a proposé de s'installer à son domicile de Villeurbanne. Ils prétendent avoir reçu le 11 novembre 1997 la visite d'un représentant de la société Gamma Meubles qui leur a fait signer à leur domicile un bon de commande de meubles pour la somme de 155 000 F moyennant versement d'un acompte de 30 000 F ; que le 2 février 1998 ce bon de commande a été annulé et remplacé par une autre commande du même montant et qu'une troisième commande pour un montant de 36 380 F a été signée le 19 mai 1998.

Etant donné les conclusions de l'expert en écriture selon lesquelles le deuxième bon de commande n'a pas été signé par Monsieur Jacques B., ils soutiennent que celui-ci ne peut être tenu au paiement de la somme de 105 000 F soit 16 207,15 euros et que subsidiairement si la cour retenait que Monsieur B. était le signataire de la commande 3720, elle devait considérer que le prix des meubles concernés s'élève à 36 680 F soit 5 591,83 euros. Ils refusent de régler le prix du stockage en l'absence de preuve de la réalité de celui-ci.

Sur les demandes à l'égard de Madame S., les appelants concluent à la nullité de la vente en raison de l'insanité d'esprit de celle-ci qui est atteinte depuis plusieurs années d'une psychose hallucinatoire délirante et qui, selon le certificat du Docteur C., n'avait pas toutes ses facultés mentales dans la période précédant les commandes ce qui est confirmé par le rapport d'expertise du Docteur F. aux termes duquel la période d'incapacité temporaire totale a duré du 25 août 1995 au 25 août 1998.

Ils réclament 2 000 euros de dommages intérêts pour abus de faiblesse.

Les appelants concluent subsidiairement à la nullité de la vente pour violation des articles L. 122-23 et suivants du Code de la consommation relatifs aux obligations à respecter en cas de démarchage en faisant valoir que le salarié de la société Gamma Meubles s'est présenté le 11 novembre 1997 au domicile de Madame S. pour lui proposer un achat de meubles et lui a fait signer un bon de commande sans qu'un délai de rétractation ne soit prévu.

Subsidiairement, ils sollicitent des délais de paiement au bénéfice de Madame S. qui, étant donné son état de santé, est dans une situation financière très précaire.

La société Gamma Meubles conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant demande de condamner Monsieur B. et Madame S. à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Cette société répond qu'il existe une collusion frauduleuse entre Monsieur B. et Madame S. qui vivent ensemble bien qu'étant divorcés, qui se sont rendus ensemble au magasin Mobilier de France à Saint-Priest le 11 novembre 1997 et qui ensuite ont cherché à ne pas avoir à respecter leurs obligations. Elle considère que la vente est parfaite puisque le bon de commande du 11 novembre 1997 a été signé par Monsieur B. qui a signé un chèque d'acompte de 30 000 F, signatures confirmées par l'expert en écriture. Elle réplique que la livraison a été retardée à la demande des acheteurs. Elle conteste que Madame S. ait été atteinte d'un trouble mental au moment de la signature de la vente alors que son état s'était amélioré depuis le mois de novembre 1997.

Elle réfute enfin le démarchage en affirmant, ce qui est corroboré par des attestations, que Monsieur B. et Madame S. se sont rendus le 11 novembre 1997 au magasin où la commande a été passée.

Elle rappelle que Monsieur B. est incontestablement le signataire du premier et du troisième bon de commande et que le dernier bon numéro 3720 comporte la mention : "complément de la commande du bon n° 3396 du 20 février 1998" ce qui prouve que Monsieur B. était au courant de la commande de meubles d'un montant de 155 000 F.

La société Gamma Meubles demande de rejeter les demandes reconventionnelles et s'oppose à l'octroi de délais en l'absence d'indication précise sur la situation financière réelle des parties.

MOTIFS ET DECISION

Attendu que par des motifs complets et pertinents que la cour adopte le tribunal a justement fait droit à la demande en paiement de la société Gamma Meubles;

Qu'en effet le démarchage à domicile allégué n'est pas démontré et qu'il est même contredit par l'attestation de Monsieur Emmanuel C. ; que les défendeurs ne sont donc pas fondés à invoquer les dispositions des articles L. 121-23 et L. 121-26 du Code de la consommation pour prétendre à la nullité des contrats de vente ;

Que les contrats sont établis par les bons de commande du 11 novembre 1997 et du 19 mai 1998 signés par Monsieur B. comme l'établissent les conclusions du rapport d'expertise judiciaire ;

Que le dernier bon de commande porte la mention : "complément de commande 3396 du 20 février 1998" ce qui démontre que même si Monsieur B. n'était pas le signataire du document du 20 février 1998 qui selon l'expert aurait été vraisemblablement signé par Madame S., il ne pouvait ignorer son existence et en confirmait la teneur ; que les courriers par lesquels Monsieur B. répond à la demande de la société venderesse sur la date de livraison critiquent les prix pratiqués mais ne contestent pas la signature de documents ;

Attendu que l'expertise du Docteur F. en 2001 et les certificats médicaux du Docteur C. établissent que Madame S. a été atteinte d'une psychose hallucinatoire chronique diagnostiquée en 1983 qui a nécessité une hospitalisation au Vinatier du 15 août 1995 au 11 septembre 1995 puis du 21 janvier 1996 au 24 février 1996, périodes suivies d'hospitalisation de 48 heures chaque mois ; qu'elle est traitée par injection de neuroleptique retard et a été placée en invalidité deuxième catégorie ;

Que toutefois, il n'est pas démontré que le 20 février 1998 lors de la signature du deuxième bon de commande remplaçant celui signé par son mari le 11 novembre 1997 elle ait été atteinte d'un trouble mental affectant son consentement ; qu'il n'est pas davantage prouvé une insanité d'esprit dans la période immédiatement antérieure à cet acte ni dans celle immédiatement postérieure et qu'il y a lieu d'observer que l'intéressée n'a jamais fait l'objet d'une mesure de protection;

Attendu que le tribunal a donc justement condamné Monsieur B. et Madame S. à honorer leurs engagements sans qu'il soit prononcé de condamnation solidaire, leur divorce ayant été prononcé le 19 janvier 1984 ;

Attendu que c'est également à bon droit que le tribunal a accueilli la demande relative aux frais de stockage puisque les acheteurs refusaient la livraison et que les courriers de la société STLM démontraient le coût annuel du stockage de 11 m3 de meubles ;

Mais attendu que la société Gamma Meubles ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui né du retard de paiement déjà réparé par les intérêts au taux légal ; qu'il n'y a pas lieu de lui allouer des dommages intérêts supplémentaires, le jugement étant réformé sur ce point ;

Attendu que Madame S. ayant déjà bénéficié des délais de la procédure sera déboutée de sa demande de moratoire ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la société intimée la charge de l'intégralité de ses frais irrépétibles ; qu'étant donné la somme allouée à ce titre en première instance il y a lieu de lui allouer une somme de 500 euros ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf sur les dommages intérêts complémentaires alloués à la société Gamma Meubles, Statuant à nouveau de ce chef, Rejette la demande de dommages intérêts, Ajoutant au jugement, Dit que Monsieur Jacques B. et Madame Séporah S. devront prendre livraison des meubles dans un délai de un mois suivant la notification de la présente décision, Condamne Monsieur Jacques B. et Madame Séporah S. divorcée B. à verser à la société Gamma Meubles une indemnité supplémentaire de cinq cents euros (500 euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Les condamne aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la société civile professionnelle (SCP) Baufume-Sourbe, société d'avoués.