CA Douai, 1re ch. sect. 1, 11 juillet 2013, n° 12-07357
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Douchy
Défendeur :
Karmaoui
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Merfeld
Conseillers :
Mmes Metteau, Doat
Avocats :
Mes Franchi, Riglaire
Le 21 novembre 2008 Monsieur Jérémy Douchy a acquis de Monsieur Sabri Karmaoui un véhicule Ford Escort d'occasion au prix de 1 500 euro. Avant la vente le vendeur a remis à Monsieur Douchy un procès-verbal de contrôle technique établi le 5 novembre 2008 par la SARL Fives Auto Contrôle faisant état de trois défauts à corriger : lave glace avant non fonctionnement, feu de croisement gauche réglage trop bas, infrastructure soubassement corrosions multiples, sans nécessité de contre-visite.
Se plaignant de divers incidents, Monsieur Douchy a adressé une lettre recommandée à Monsieur Karmaoui le 26 novembre 2008 pour demander l'annulation de la vente. Cette demande étant restée sans suite il s'est adressé à son assureur qui a fait réaliser une expertise amiable par Monsieur Dubernard. Celui-ci a établi son rapport le 18 juillet 2009 concluant que le véhicule est affecté de désordres suffisamment graves et importants pour entraîner une impropriété d'usage, notamment en raison de la corrosion perforante des longerons arrières. Il a ajouté que le véhicule a été vendu comme présentant un kilométrage de 155 000 km, inférieur de plus de 100 000 km à la réalité. Il a estimé que le centre de contrôle technique Fives Auto Contrôle a failli à ses obligations en réalisant une vérification insuffisante au regard de plusieurs points perceptibles qu'il avait mission de contrôler.
Monsieur Douchy a alors fait assigner Monsieur Karmaoui et la SARL Fives Auto Contrôle devant le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Lille qui, par ordonnance du 27 avril 2010 , a commis Monsieur Desmazure en qualité d'expert.
L'expert a déposé son rapport le 26 décembre 2010 concluant que le véhicule est impropre à la circulation en raison des corrosions perforantes qui l'affectent et qui n'ont pas été relevées lors du contrôle technique effectué le 5 novembre 2008 par le Centre Fives Auto Contrôle, celui-ci ayant failli à ses obligations. Il confirme que le kilométrage réel est supérieur de 100 000 km à celui annoncé.
Par actes d'huissier des 14 et 23 juin 2011 Monsieur Douchy a fait assigner Monsieur Karmaoui et la SARL Fives Auto Contrôle devant le Tribunal d'Instance de Lille pour voir prononcer la résolution de la vente en application des articles 1641 et suivants du Code civil , voir constater que la société Fives Auto Contrôle a engagé sa responsabilité délictuelle en application de l'article 1382 du Code civil et la voir condamner solidairement avec Monsieur Karmaoui à lui verser la somme de 5 694,10 euro au total, soit 1 500 euro en restitution du prix de vente, 1 580 euro pour privation de jouissance, 1 161,63 euro au titre des honoraires de Monsieur Dubernard et 1 452,42 euro en remboursement des cotisations d'assurance.
Par jugement réputé contradictoire du 8 octobre 2012 le tribunal a débouté Monsieur Douchy de ses demandes, débouté la société Fives Auto Contrôle de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts et condamné Monsieur Douchy aux dépens.
Monsieur Douchy a relevé appel de ce jugement par deux déclarations du 6 décembre 2012 qui ont été jointes par le conseiller de la mise en état le 10 décembre 2012.
Il demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau au visa des articles 1641 et suivants, 1603 et suivants et 1147 et suivants du Code civil, à titre principal de constater qu'au jour de la vente le 21 novembre 2008 le véhicule était affecté de vices cachés, à titre subsidiaire de constater que Monsieur Karmaoui a manqué à son obligation de délivrance, en tout état de cause ordonner la résolution de la vente et condamner Monsieur Karmaoui à lui verser les sommes suivantes :
- 1 500 euro au titre de la restitution du prix de vente,
- 1 580 euro au titre de la privation de jouissance,
- 220,15 euro au titre du coût du crédit CIC,
- 1 161,63 euro en remboursement des honoraires de Monsieur Dubernard, expert conseil,
- 1 452,47 euro en remboursement des cotisations d'assurance,
soit un total de 5 914,25 euro.
Il se porte en outre demandeur d'une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il déclare qu'il résulte du rapport de Monsieur Dubernard que le véhicule a probablement subi par le passé, un choc au niveau de la face avant gauche très incomplètement réparé par un redressage au marbre, dont il n'a jamais été informé et que les désordres constatés, et notamment le phénomène de corrosion perforante, sont graves, entraînent une impropriété d'usage et présentent un caractère dangereux sur le plan de la sécurité. Il indique que Monsieur Dubernard était entré en contact avec le précédent propriétaire, Monsieur El Bach, qui lui a déclaré avoir vendu le véhicule à Monsieur Karmaoui le 29 octobre 2008, (soit trois semaines seulement avant la cession à son profit) en tant que véhicule 'non roulant' pour un prix de 900 euro et soutient que les réparations sommaires auxquelles Monsieur Karmaoui a fait procéder avant de revendre le véhicule témoignent qu'il était parfaitement informé de son état.
Il conteste la décision du tribunal qui a jugé que la corrosion perforante du véhicule était un vice apparent et rappelle qu'il n'était âgé que de 18 ans lors de la vente et qu'il s'agissait de l'achat de son premier véhicule, l'expert ayant d'ailleurs déclaré que le procès-verbal de contrôle technique qui lui a été remis lors de la vente ne reflétait pas l'état réel de la voiture. Il ajoute qu'un simple examen lors de l'achat ne permettait pas de prendre conscience des vices, les experts ayant placé le véhicule sur un pont élévateur.
Il soutient également que c'est à tort que le tribunal a estimé que la tromperie sur le kilométrage du véhicule n'était démontrée par aucun élément technique et en tout état de cause relevait de l'aléa alors que l'historique du véhicule établit que le kilométrage de 155 000 km allégué par Monsieur Karmaoui dans l'offre qu'il a fait paraître était erroné.
Subsidiairement dans l'hypothèse où la cour considérerait que ce désordre ne constitue pas un vice caché il invoque le manquement de Monsieur Karmaoui à son obligation de délivrer une chose conforme, sur le fondement des articles 1303 et suivants du Code civil.
Monsieur Karmaoui n'a pas constitué avocat. Il a été assigné le 14 janvier 2013 par acte d'huissier contenant signification de la déclaration d'appel, remis à domicile. Les conclusions de l'appelant lui ont été signifiées le 13 mars 2013, également à domicile.
La société Fives Auto Contrôle ayant fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire rendu le 16 octobre 2012 par le Tribunal de Commerce de Lille, Monsieur Douchy a relevé appel à l'égard de son liquidateur judiciaire, Maître Emmanuel Malfaisan par déclaration du 25 janvier 2013. Par ordonnance du 7 février 2013 le conseiller de la mise en état a joint cet appel à l'instance principale.
Monsieur Douchy n'ayant pas signifié sa déclaration d'appel à Maître Malfaisan, ès qualités, dans le mois de l'avis que le greffe lui a adressé le 7 mars 2013 en application de l'article 902 du Code de procédure civile , le conseiller de la mise en état, statuant sur le fondement de l'article 911-1 du Code de procédure civile , par ordonnance du 21 mai 2013, a déclaré caduque la déclaration d'appel du 25 janvier 2013 à l'égard de Maître Malfaisan.
SUR CE :
Attendu que selon le certificat de cession figurant en page 19 du rapport d'expertise de Monsieur Dubernard Monsieur Karmaoui a vendu à Monsieur Douchy le 21 novembre 2008 un véhicule automobile Ford Escort 6 CV, mis en circulation le 19 avril 1999 et ayant parcouru 153 130 kilomètres ;
Que le prix de vente était de 1 500 euro ;
Attendu que selon l'article 1641 du Code civil le vendeur est tenu de la garantie des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus ;
Que l'article 1642 dispose que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même ;
Attendu que Monsieur Dubernard, expert désigné par la compagnie d'assurance de Monsieur Douchy, a établi son rapport le 18 juillet 2009 ; qu'il y relève tous les désordres présentés par le véhicule, y compris ceux résultant de l'accident de la circulation survenu le 20 janvier 2009, après la vente, au cours duquel le véhicule a été endommagé à l'avant par un véhicule tiers ;
Attendu que Monsieur Desmazure, expert judiciaire, a concentré ses opérations sur les seuls défauts existant avant la vente et à ce titre a relevé une importante corrosion perforante au niveau de la baie du pare-brise, du bas de caisse droit et des longerons ;
Que cependant le tribunal a considéré à juste titre au vu des photographies accompagnant les rapports d'expertise que Monsieur Douchy était en mesure de se convaincre de cette corrosion au simple examen du véhicule ; que ces photographies font en effet apparaître des signes de corrosion avancée au niveau du pare-brise et du bas de caisse qui ne peuvent échapper à un profane et doivent nécessairement le conduire à procéder à un examen plus poussé de la voiture ; que s'agissant de la corrosion du soubassement l'expert amiable relève qu'elle est "visible à l'œil nu sans démontage" ;
Que le procès-verbal de contrôle technique du 5 novembre 2008 remis à Monsieur Douchy avant la vente mentionne notamment "infrastructure soubassement corrosions multiples" ;
Que ce vice était apparent et ne peut donc donner lieu à garantie des vices cachés ;
Attendu qu'en second lieu l'expert judiciaire a conclu que le kilométrage réel du véhicule était supérieur de 100 000 km à celui apparaissant au compteur lors de la vente ;
Que le tribunal n'a pas retenu ce défaut d'une part au motif que le doute émis par les experts sur le kilométrage réel de la voiture n'est corroboré par aucun élément technique mais basé simplement sur une moyenne kilométrique des distances parcourues chaque année et d'autre part au motif qu'à supposer ce désordre établi il ne peut être considéré comme un vice caché dès lors que le véhicule présente un compteur à 5 chiffres et que, dans ces conditions, l'acheteur accepte nécessairement un aléa ;
Attendu que pour conclure à un kilométrage erroné l'expert judiciaire ne s'est pas fondé sur des calculs approximatifs mais sur l'historique des différentes réparations et opérations d'entretien opérées sur le véhicule depuis sa mise en circulation ; qu'il apparaît ainsi que le 15 février 2001 le compteur affichait 61 937 km alors que le 3 avril 2003 lors d'une inspection technique réglementaire en Belgique il affichait, s'agissant d'un compteur à cinq chiffres, 16 552 km (dont en réalité 116 552 km) ; que de même le compteur n'affiche plus que 8 085 km le 3 octobre 2006 lors d'un contrôle technique à Lens (donc en réalité 208 085 km) ; que la distance réelle parcourue avait en conséquence dépassé les 200 000 km à cette date et que si le compteur du véhicule affichait 53 130 km lors de la vente le 21 novembre 2008 par Monsieur Karmaoui à Monsieur Douchy il s'agissait en réalité de 253 130 km et non pas de 153 130 km comme l'a indiqué Monsieur Karmaoui sur le certificat de cession ;
Qu'il est mentionné sur ce certificat que le kilométrage porté sur le document doit être le kilométrage réel qui peut être justifié et que si ce n'est pas le cas le vendeur doit inscrire "n km au compteur, non garanti" ; que Monsieur Karmaoui n'a pas porté cette mention et en conséquence Monsieur Douchy a légitimement pu croire que le kilométrage indiqué était le kilométrage réel ;
Que de plus dans l'offre de vente que Monsieur Karmaoui a fait diffuser par internet sur le site "Le Boncoin" il a expressément mentionné 'année modèle : 1999, kilométrage : 155 000, carburant diesel';
Que c'est à tort dans ces conditions que le premier juge a dit que Monsieur Douchy avait accepté un aléa, alors que l'article 1604 du Code civil impose au vendeur de délivrer une chose conforme aux caractéristiques convenues entre les parties ;
Que Monsieur Karmaoui a vendu un véhicule présentant un kilométrage réel supérieur de 100 000 km à celui qu'il avait annoncé à l'acheteur ;
Qu'il ne s'agit pas d'un vice caché mais d'un manquement à l'obligation de délivrance ; que c'est sur ce fondement subsidiaire qu'il convient d'accueillir la demande de résolution de la vente présentée par Monsieur Douchy, le jugement qui l'a rejetée étant infirmé ;
Attendu que Monsieur Karmaoui doit donc être condamné à restituer le prix de vente de 1 500 euro à Monsieur Douchy ;
Attendu que l'article 1147 du Code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts à raison de l'inexécution de l'obligation toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ;
Attendu que Monsieur Karmaoui qui a manqué à son obligation de délivrer un véhicule conforme aux caractéristiques convenues doit être condamné à payer à Monsieur Douchy la somme de 1 452,47 euro, cotisations qu'il a exposées jusqu'au 31 mars 2011 pour assurer le véhicule selon attestation de la Macif et celle de 220,15 euro coût du crédit qu'il a supporté pour acheter un véhicule de remplacement ;
Attendu que la vente était résolue, Monsieur Douchy est censé n'avoir jamais été propriétaire du véhicule et ne peut donc invoquer une privation dans la jouissance de ce véhicule ; que sa demande de dommages et intérêts à ce titre sera rejetée ;
Attendu qu'il convient également de le débouter de sa demande en remboursement des honoraires de Monsieur Dubernard, les factures produites n'étant pas à son nom mais au nom de son assureur, la Macif ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Douchy les frais irrépétibles qu'il a dû exposer ; que Monsieur Karmaoui sera condamné à lui verser une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs LA COUR statuant par défaut et dans la limite de l'appel contre Monsieur Karmaoui, Infirme le jugement dans les rapports entre Monsieur Douchy et Monsieur Karmaoui et statuant à nouveau, Prononce la résolution de la vente du véhicule Ford Escort conclue le 21 novembre 2008 par Monsieur Jérémy Douchy et Monsieur Sabri Karmaoui, Condamne Monsieur Karmaoui à restituer à Monsieur Douchy le prix de 1 500 euro et à lui verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de 1 452,47 euro en remboursement des cotisations d'assurance et celle de 220,15 euro, coût du crédit, Dit que Monsieur Karmaoui pourra reprendre possession du véhicule à ses frais après paiement desdites sommes, Déboute Monsieur Douchy de ses demandes de dommages et intérêts pour privation de jouissance et de remboursement des honoraires de Monsieur Dubernard, Condamne Monsieur Karmaoui aux dépens de première instance, y compris ceux de la procédure de référé et les frais d'expertise judiciaire et aux dépens d'appel, Le condamne à verser à Monsieur Douchy la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.