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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 3 décembre 2013, n° 11-03096

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Banchereau (SAS)

Défendeur :

Abrivard, Gallier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maussion

Conseillers :

MM. Jaillet, Tessereau

Avocats :

SCP Mosquet Mialon D'Oliveira Leconte, SCP Gransard Delcourt, SCP Parrot Lechevallier Rousseau, Mes Clavel, De Freminville, Balle

TGI Coutances, du 29 sept. 2011

29 septembre 2011

Résumé

Les dispositions des articles L. 211-1 et suivants du Code de la consommation sont, en vertu de l'article L. 211-3 du Code de la consommation, applicables aux relations contractuelles existant entre le vendeur agissant dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle et l'acheteur agissant en qualité de consommateur, mais la notion de consommateur n'est pas définie. Le texte n'a pas repris la définition restrictive de la directive européenne du 25 mai 1999 visant une personne physique agissant à des fins n'entrant pas dans le cadre de son activité professionnelle ou commerciale. Pour autant, il convient d'observer que la doctrine et la jurisprudence évoluent vers une limitation de la notion de consommateur à la personne physique qui agit pour ses besoins personnels ou ceux de sa famille et non dans l'intérêt d'une entreprise, quelle que soit la forme de celle-ci. En l'espèce, le cheval de course a été acheté par une société par actions simplifiée (SAS). Même si l'acquisition d'un cheval de course ne s'inscrit pas dans son objet social ou dans l'exercice normal de son activité spécifique, l'opération litigieuse ne répond qu'à un objectif financier que ne méconnaît pas la SAS : celui d'accroître et de valoriser le capital et la rentabilité de son entreprise en lui assurant des gains substantiels. L'acheteur ne peut donc se prévaloir de la qualité de consommateur au sens de l'article L. 211-3 du Code de la consommation.

L'acheteur du cheval de course doit être débouté de sa demande de résolution de la vente, formée sur le fondement de l'article 1641 du Code civil. Le cheval ne présente aucune anomalie médicale, physique ou orthopédique susceptible de nuire à son exploitation en course au trot. Il n'a été révélé aucune inaptitude à la compétition et à la reproduction. Il apparaît simplement qu'il n'est pas un cheval de course performeur et "encore moins un crack" comme l'indique l'expert judiciaire. Le cheval n'est donc pas atteint d'un vice caché.

Puisque la résolution de la vente est écartée, l'acheteur reste propriétaire du cheval et doit donc payer les frais de pension de l'animal, en dépôt chez le vendeur. Il est débiteur d'une somme de 7 euros par jour depuis juillet 2007.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS :

Il convient de se reporter pour la présentation des faits et de la procédure antérieure aux énonciations du jugement déféré et pour l'exposé des prétentions des parties aux conclusions déposées le 24 janvier 2012 par M. Gallier, le 14 mars 2012 par la SAS Banchereau et le 25 juillet 2012 par M. Abrivard.

Il suffit de rappeler que la SAS Banchereau a poursuivi la résolution ou l'annulation de la vente du cheval de course "Prince Magic" qu'elle avait acquis le 28 juin 2006 au prix de 89 675 euros auprès de M. Gallier après que M. Abrivard, entraîneur, a procédé, à sa demande, à un essai de l'équidé.

Elle a fondé ses demandes, à titre principal, sur la garantie légale de conformité des articles L. 211-4 et suivants du Code de la consommation et, subsidiairement, sur la garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil ainsi que sur l'article 1147 du même Code, s'agissant du rôle joué par l'entraîneur.

Elle a fait valoir, en substance, que le cheval s'était avéré impropre à la compétition faute de qualités physiques adaptées et que sa carrière de reproducteur, conditionnée par le succès d'une carrière de course, était inenvisageable.

Par jugement du 29 septembre 2011 (dont appel), le Tribunal de grande instance de Coutances a :

- débouté la SAS Banchereau de ses demandes tendant à la résolution et à l'annulation de la vente ;

- débouté la SAS Banchereau de ses demandes indemnitaires ;

- débouté M. Abrivard de sa demande indemnitaire ;

- débouté M. Gallier de sa demande reconventionnelle en paiement des pensions ;

- condamné la SAS Banchereau à verser à M. Abrivard et à M. Gallier chacun la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire ;

- condamné la SAS Banchereau aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct .

MOTIFS DE LA COUR :

Sur la demande principale :

Sur le défaut de conformité et l'application des articles L. 211-4 et suivants du Code de la consommation

L'article L. 211-4 du Code de la consommation dispose que le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance.

L'article L. 211-5 précise que pour être conforme au contrat le bien doit être propre à l'usage habituellement attendu d'un bien semblable ou présenter des caractéristiques définies d'un commun accord par les parties ou être propre à tout usage spécial recherché par l'acquéreur s'il a été porté à la connaissance du vendeur et si celui-ci l'a accepté.

De façon plus générale, il convient de rappeler que ces dispositions sont, en vertu de l'article L. 211-3 applicables aux relations contractuelles existant entre le vendeur agissant dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle et l'acheteur agissant en qualité de consommateur mais que la notion de consommateur n'est pas définie.

Le texte n'a pas repris la définition restrictive de la directive européenne du 25 mai 1999 visant une personne physique agissant à des fins n'entrant pas dans le cadre de son activité professionnelle ou commerciale.

Pour autant, il convient d'observer que la doctrine et la jurisprudence évoluent vers une limitation de la notion de consommateur à la personne physique qui agit pour ses besoins personnels ou ceux de sa famille et non dans l'intérêt d'une entreprise, quelle que soit la forme de celle-ci.

Mais au-delà de la situation personnelle de celui qui achète un bien ou une prestation de services, il importe d'examiner la finalité de l'opération.

En l'espèce, M. Gallier est un vendeur professionnel de chevaux alors que la SAS Banchereau, qui a acquis "Prince Magic" est une personne morale dont l'activité professionnelle consiste à commercialiser de la vente bovine.

Même si l'acquisition d'un cheval de course ne s'inscrit pas dans son objet social ou dans l'exercice normal de son activité spécifique, l'opération litigieuse ne répond qu'à un objectif financier que ne méconnaît pas la SAS Banchereau : celui d'accroître et de valoriser le capital et la rentabilité de son entreprise en lui assurant des gains substantiels.

Il convient d'ailleurs d'observer que la SAS Banchereau emploie, au sujet de sa demande indemnitaire, le terme de 'perte d'exploitation'.

Dans ces conditions, la SAS Banchereau ne peut se prévaloir de la qualité de consommateur au sens de l'article L. 211-3 du Code de la consommation.

Sur la résolution tacite du contrat de vente :

Comme l'a exactement apprécié le tribunal, le retour de "Prince Magic" dans les écuries du vendeur ne constitue pas une reconnaissance (non équivoque) de la non-conformité de l'animal et ne vaut pas résolution tacite de la vente, pas plus que la proposition faite ultérieurement par M. Gallier "à titre commercial" d'échanger, sous certaines conditions, "Prince Magic" avec un autre poulain issu du même étalon dès lors qu'elle n'a pas été acceptée par l'acheteur.

Sur le vice caché :

L'article 1641 du Code civil dispose que 'le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus'.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire déposé par M. Heckle, et plus particulièrement des éléments recueillis auprès du sapiteur vétérinaire, le Dr Lassalas que le cheval "Prince Magic" ne présente aucune lésion ou trouble pouvant être qualifiés de vice au sens de ce texte.

Il n'a été révélé aucune inaptitude à la compétition et à la reproduction.

Il n'existe aucune anomalie médicale, physique ou orthopédique susceptible de nuire à son exploitation en course au trot.

L'animal n'a pas connu de problème particulier, que ce soit avant ou après la vente ; il apparaît simplement qu'il n'est pas un cheval de course performeur et 'encore moins un crack' comme l'indique l'expert judiciaire.

En fonction de ces éléments, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont, en substance, débouté la SAS Banchereau de ses demandes en résolution de la vente, et en paiement des sommes dirigées contre M. Gallier.

Sur les manquements reprochés à M. Abrivard :

L'article 1147 du Code civil dispose que 'le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part'.

Aux termes de l'article 1315 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a causé l'extinction de l'obligation.

Sur l'obligation de conseil et d'information :

C'est en procédant à une parfaite analyse de la situation de fait et de droit du dossier que le tribunal a déterminé le contexte et les circonstances de l'intervention de M. Abrivard et, par voie de conséquence, le contenu de son obligation de conseil.

M. Abrivard, en sa qualité d'entraîneur réputé, a effectivement donné gratuitement un avis favorable à l'achat du cheval 'Prince Magic', mais il n'était pas mandaté pour représenter la SAS Banchereau dans le cadre de la vente.

Contrairement à ce que prétend l'appelante, qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il aurait reconnu l'existence d'un mandat confié à M. Abrivard pour l'acquisition d'un cheval performeur, le tribunal a considéré que 'les pièces versées aux débats ne permettaient pas d'établir que M. Abrivard ait été mandaté par la SAS Banchereau pour la représenter dans le cadre de la vente' (cf jugement page 8).

Il n'est pas démontré, par ailleurs, que pesait sur M. Abrivard l'obligation de garantir l'avenir sportif du cheval et les gains espérés en courses et en saillies, et M. Abrivard a suffisamment rempli son obligation de moyen, consistant à apprécier le potentiel de l'animal au regard des attentes de la SAS Banchereau, en accomplissant des diligences destinées à étayer l'avis qui lui était demandé.

Ainsi, M. Abrivard a-t-il pris en compte le fait que "Prince Magic" était issu d'un trotteur prestigieux et qu'il se soit qualifié 'avec aisance' (selon un commentateur spécialisé) le 9 novembre 2005.

Il a, par ailleurs, procédé à un essai du cheval qu'il a considéré comme concluant sans qu'aucun élément du dossier ne vienne établir que cette affirmation était erronée ou que l'essai ait été pratiqué en dehors des règles de l'art.

Sur les obligations contractuelles de M. Abrivard en qualité d'entraîneur :

Alors même qu'aucun document contractuel n'est versé aux débats par la SAS Banchereau, c'est à juste titre que le tribunal a considéré que la preuve d'une faute de M. Abrivard n'était pas rapportée.

Le fait que M. Abrivard ait cessé d'entraîner 'Prince Magic' au bout de quatre mois à raison des difficultés qu'il rencontrait avec ce cheval ou l'opinion strictement personnelle de l'expert qui estime que l'entraîneur n'a pas eu 'le contact avec ce cheval' et s'est très vite découragé ne suffisent pas à caractériser le comportement fautif imputé à l'intéressé.

Sur les demandes reconventionnelles :

Sur la demande de M. Gallier en paiement de frais de pension :

Il est constant que depuis la fin janvier 2007 "Prince Magic" est accueilli au sein des écuries de M. Gallier sans qu'aucun contrat ne régisse les conditions financières de cet accueil.

Il n'est pas davantage contesté que le 28 juin 2007 M. Gallier a proposé d'échanger, sous certaines conditions, le cheval litigieux avec un autre poulain mais que cette proposition ainsi formulée n'a pas été acceptée par la SAS Banchereau.

Dès lors que celle-ci succombe en sa demande de résolution de la vente et demeure donc propriétaire de "Prince Magic", M. Gallier est en droit d'obtenir le règlement du coût de la pension sinon depuis le jour où il a récupéré l'animal mais au moins depuis le rejet de son offre d'échange, le 17 juillet 2007.

Même si les factures émises par M. Gallier (et dont il n'est pas établi qu'elles aient été au fur et à mesure adressées à la SAS Banchereau) et les extraits de son grand livre client ne font pas la preuve d'un accord des parties sur la nature et le prix de la prestation, aucun élément du dossier ne milite en faveur de la gratuité de la prestation.

Le jugement qui a débouté M. Gallier de l'intégralité de ses demandes ne peut qu'être réformé.

La SAS Banchereau sera donc condamnée à payer à M. Gallier une somme de 7 euros par jour à compter du mois de juillet 2007.

Sur les dommages et intérêts réclamés par M. Abrivard :

Il n'est pas démontré que la SAS Banchereau, même si son action est reconnue infondée, ait agi de manière abusive en recherchant la responsabilité de M. Abrivard et en lui imputant, dans le cadre restreint de l'instance, diverses fautes pour voir consacrer cette responsabilité, M. Abrivard doit donc être débouté de sa demande de dommages et intérêts comme l'ont justement décidé les premiers juges.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile :

La SAS Banchereau, qui succombe principalement en son appel en supportera les dépens à l'instar de ceux de première instance.

Il apparaît conforme à l'équité d'y ajouter, en plus des justes indemnités mises à sa charge par le tribunal en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, une somme de 2 000 euros au profit de M. Gallier et une somme de 2 000 euros au bénéfice de M. Abrivard au titre des frais irrépétibles par eux exposés devant la cour.

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, - Réforme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Gallier de sa demande en paiement de frais de pension ; Statuant à nouveau, - Condamne la SAS Banchereau à payer à M. Gallier la somme de 7 euros par jour à compter du 17 juillet 2007 jusqu'à la date de reprise par elle du cheval "Prince Magic" ; - Confirme le jugement déféré dans toutes ses autres dispositions, y compris par substitution partielle de motifs s'agissant de l'application du Code de la Consommation ; Y ajoutant, - Condamne la SAS Banchereau aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit des auxiliaires de justice de la cause qui en ont fait la demande ; - Condamne la SAS Banchereau à payer à M. Gallier la somme de 2 000 euros et à M. Abrivard la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.