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Décisions

CA Montpellier, 3e ch. corr., 20 mai 2010, n° 09-01807

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Weisbuch

Conseillers :

Mme Konstantinovitch, M. Pons

Avocat :

Me Colombo

TGI Carcassonne, du 2 sept. 2009

2 septembre 2009

RAPPEL DE LA PROCEDURE :

Le jugement rendu le 2 septembre 2009 par le Tribunal de grande instance de Carcassonne a :

Sur l'action publique :

Rejeté l'exception de nullité,

Requalifié les faits d'escroquerie reprochés à Lancine X en faits d'abus de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne démarchée : paiement sans contrepartie réelle,

faits prévus par les articles L. 122-9 et L. 122-10 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 122-8 et L. 122-10 du Code de la consommation ;

Déclaré X Lancine coupable :

pour les faits de abus de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne démarchée : paiement sans contrepartie réelle commis du 1er juillet 2006 au 1er décembre 2008 à Carcassonne

infraction prévue par l'article 313-1 du Code pénal et réprimée par les articles 313-1 al. 2, 313-7, 313-8 du Code pénal

et en répression, l'a condamné à la peine de 6 mois d'emprisonnement

Sur l'action civile : a reçu la constitution de partie civile de Y Jeanette

Ordonné le renvoi sur intérêts civils à l'audience du 16 octobre 2009 à 8 h 30.

APPELS :

Par acte au greffe le 10 septembre 2009 le prévenu a interjeté appel à titre principal des dispositions pénales et civiles de ce jugement.

Le Ministère public a formé appel incident le même jour.

FAITS :

Le 5 décembre 2008 Mme Y déposait plainte pour escroquerie à l'encontre de M. X au commissariat de Carcassonne. Celle-ci expliquait avoir contacté M. X, voyant-médium de son état, dans le but de faire revenir son mari dont elle était séparée de fait depuis 1998 au domicile conjugal.

De juillet 2006 au 1er décembre 2008, Mme Y allait consulter M. X pour effectuer ce "rapprochement" et au cours de cette période, procédait à d'importants retraits de ses économies notamment de celles placées en assurance-vie.

M. X réclamait, en effet, d'importantes sommes d'argent pour son travail notamment à titre de caution "pour les esprits". Ce dernier faisait payer ses services sans tarifs précis de consultation. Un cahier portait mention datée du 29 août 2006 de la main de Mme Y "autorisation acceptation sur tous les engagements et la somme de 50 000 euros". Cette caution, placée dans un coussin cousu de fil rouge, devait être restituée à Mme Y un mois plus tard. Cette caution ne lui fut jamais remise. M. X ne pouvait apporter aucune explication crédible sur ce point.

Suite à la remise de cette caution, M. X ne cessait de réclamer de nombreuses sommes d'argent à Mme Y. Il expliquait à chaque fois avoir besoin de plus de liquidités pour poursuivre son travail. Des enregistrements réalisés par Mme Y, par crainte de ne pas se souvenir des indications de M. X, corroboraient ses déclarations. Ce dernier justifiait le versement des différentes sommes par la nécessité de réaliser des sacrifices de bœufs blancs, d'acheter des carapaces de tortues, de la poudre d'or... et d'aller en Afrique pour y chercher les pièces nécessaires.

Un préjudice de plus de 120 000 euros apparaissait en conséquence de toutes ces opérations financières... Un retrait de 45 000 euros sur son assurance-vie était enregistré le 30 août 2006. Au 2 septembre 2006, le compte chèque de Mme Y laissait apparaître un solde créditeur de 49 305 euros. Son relevé de compte Caisse d'Epargne faisait état de nombreux retraits notamment 60 000 euros le 5 septembre 2006, 16 000 euros le 19 septembre 2006.

Entendu, M. X expliquait exercer son métier depuis plusieurs années sans pouvoir être plus précis. Il faisait sa publicité dans divers journaux, ce qui avait permis à Mme Y de le contacter.

Il reconnaissait avoir accepté de travailler pour elle afin de l'aider à récupérer son mari ; par contre il contestait le montant des sommes réclamées prétendant n'avoir reçu en tout pour tout que 1 100 euros.

Sollicité pour faire disparaître la nouvelle compagne du mari de sa cliente, il avait feint d'accepter mais n'en avait rien fait.

Madame Y, âgée de 61 ans, a fait l'objet d'une expertise médico-psychologique et psychique aux fins de déterminer si elle présentait des anomalies mentales ou psychiques.

L'expert a diagnostiqué chez Mme Y depuis la séparation d'avec son mari une fragilité et une vulnérabilité certaine; elle présente une fragilité accompagnée d'une naïveté peu commune; les troubles de Mme Y préexistaient à sa rencontre avec M. X, et s'ils n'étaient pas décelables par un non-professionnel, étaient facilement repérables par ce dernier compte tenu de son métier. Elle a souffert d'une mystification basée sur la séduction puis l'intimidation qui a permis la captation de presque tout son argent disponible.

Il est apparu qu'elle prenait aussi des anxiolytiques.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des appels

Les appels du prévenu et du Ministère public, interjetés dans les formes et délais de la loi sont recevables.

Sur l'action publique

Monsieur X ne conteste pas être rentré en relation avec Mme Y qui souhaitait retrouver l'affection de son mari ; il reconnaît avoir reçu de l'argent pour effectuer un "travail".

Il est établi par les investigations minutieuses des enquêteurs notamment celles effectuées sur les comptes bancaires que Mme Y a versé des sommes astronomiques à M. X au regard de ses maigres ressources, dans l'espérance de voir revenir son mari ; les mises en scène opérées par le voyant, le recours à des supports tels que bœuf blanc, carapaces de tortue, coussin cousu de fil rouge démontrent la crédulité et la vulnérabilité de la victime qui était en situation de détresse, raison pour laquelle elle a sollicité M. X.

L'exagération du montant des sommes perçues et le climat ésotérique, volontairement entretenu par des mises en scène variées, de la longue relation entre le voyant et sa cliente établissent l'abus frauduleux et réitéré par M. X de l'état de particulière vulnérabilité de la victime, vulnérabilité qui était à l'évidence connue de l'auteur des faits et dont il a profité pour se faire remettre au détriment de celle-ci, à plusieurs reprises, des sommes d'argent importantes et disproportionnées dans le contexte.

Les faits reprochés à M. X sous la prévention d'escroquerie constituent en réalité l'infraction d'abus de faiblesse sur personne vulnérable, prévue et réprimée par l'article 223-15-2 du Code pénal ; en l'absence de démarchage prouvé de la part de l'auteur des faits, la qualification d'abus de faiblesse ou de l'ignorance d'une personne démarchée, prévue et réprimée par les articles L. 122-9 et suivants du Code de la consommation ne saurait être retenue.

Il convient donc de confirmer le jugement qui a retenu la culpabilité de M. X pour l'infraction qui doit être qualifiée d'abus de faiblesse sur personne vulnérable.

Pour mieux prendre en compte la personnalité du prévenu, il convient de modifier la peine prononcée par les premiers juges en condamnant le prévenu qui ne peut plus bénéficier d'un sursis simple à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 2 ans, mesure qui lui permettra de réparer le préjudice causé en indemnisant la victime.

Sur l'action civile

La cour confirmera le jugement en ses dispositions civiles et en ce qu'il a renvoyé l'examen de l'affaire à une audience ultérieure.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire à l'égard du prévenu et de la partie civile, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi ; en la forme : Déclare les appels recevables. Au fond : sur l'action publique : Dit que les faits reprochés dans la prévention sont constitutifs du délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse d'une personne vulnérable en l'espèce pour avoir à Carcassonne du 1er juillet 2006 au 1er décembre 2008 abusé frauduleusement de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse de Mme Y Jeannette dont la particulière vulnérabilité dûe à son âge, à une maladie, à une déficience physique ou psychique était connue de son auteur pour conduire cette personne à des actes qui lui sont gravement préjudiciables, faits prévus et réprimés par l'article 223-15.2 du Code pénal. Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré M. X coupable pour ces faits. L'infirme sur la peine et statuant à nouveau, Condamne X Lancine à la peine de 1 an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve. Dit que le sursis avec mise à l'épreuve s'exécutera dans les conditions, le régime et les effets du sursis avec mise à l'épreuve défini aux articles 132-40 à 132-53 du Code pénal, avec les obligations générales prévues à l'article 132-44 du Code pénal : 1 répondre aux convocations du juge de l'application des peines ou du travailleur social désigné ; 2 recevoir les visites du travailleur social et lui communiquer les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d'existence et de l'exécution de ses obligations ; 3 prévenir le travailleur social de ses changements d'emploi ; 4 prévenir le travailleur social de ses changements de résidence ou de tout déplacement dont la durée excéderait quinze jours et de rendre compte de son retour ; 5 obtenir l'autorisation préalable du juge de l'application des peines pour tout déplacement à l'étranger et lorsqu'il est de nature à mettre obstacle à l'exécution de ses obligations, pour tout changement d'emploi ou de résidence ; et avec obligation particulière : - de réparer en tout ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l'infraction, même en l'absence de décision sur l'action civile ; Fixe le délai d'épreuve à 18 mois ; sur l'action civile : Confirme le jugement en ses dispositions civiles. Renvoie la procédure au Tribunal de grande instance de Carcassonne pour la suite à y apporter. Dit que le condamné sera soumis au paiement du droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros prévu par l'article 1018 A du Code Général des Impôts. Informe le condamné que le montant du droit fixe de procédure sera diminué de 20 % s'il s'en acquitte dans le délai d'un mois à compter du prononcé du présent arrêt. Le tout conformément aux articles visés au jugement et au présent arrêt et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale