CA Grenoble, ch. com., 24 avril 2014, n° 12-01513
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Rozier Gourdon (SARL)
Défendeur :
Marese (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rolin
Conseillers :
Mme Pages, M. Bernaud
Avocats :
SCP Grimaud, Me Philippot
Le 20 décembre 2007 la société Marese (commettant) a conclu avec la société Rozier Gourdon (commissionnaire-affilié) un contrat de commission pour une durée d'une année renouvelable par tacite reconduction à compter du 1er juin 2008 moyennant une rémunération de 40 % du chiffre d'affaires TTC.
Le contrat était destiné à la vente de marchandises griffées dans un magasin situé à Argenteuil à l'enseigne "New Baby" et prévoyait le retour à la société Marese des marchandises invendues en fin de saison.
Pour la période du 31 mars 2009 au 9 février 2010 la société Marese a établi 14 factures, dont 3 pour des pièces manquantes sur les retours en fin de saison, d'un montant total de 13 487,69 euros, sur lequel elle n'a reçu qu'un paiement de 1 799,23 euros.
Par courrier recommandé du 15 septembre 2009 la société Marese a résilié le contrat de commission pour défaut de paiement.
Par acte d'huissier du 3 août 2010 elle a fait assigner la société Rozier Gourdon en paiement de la somme de 11 688,46 euros outre intérêts contractuels.
La société défenderesse a formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat.
Par jugement du 23 décembre 2011 le Tribunal de commerce de Grenoble a condamné la société Rozier Gourdon au paiement de la somme de 8 661,96 euros, après déduction du montant de la facture du 9 février 2010 (3 026,50 euros) correspondant à des pièces manquantes en constatant que le commettant n'avait pas agi dans les délais contre le transporteur, et a rejeté la demande reconventionnelle au motif que le contrat avait été justement rompu aux torts du commissionnaire.
La SARL Rozier Gourdon a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 7 mars 2012.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 17 septembre 2012 par la SARL Rozier Gourdon qui demande à la cour, par voie de réformation du jugement, de débouter la société Marese de l'ensemble de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et anticipée du contrat d'affiliation et rétention abusive de son fichier clients, outre une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile aux motifs :
qu'elle n'est pas redevable de la facture du 10 avril 2009 alors que la preuve n'est pas rapportée par des bons de livraison signés que 1508 pièces lui ont été effectivement fournies,
qu'elle a retourné la totalité des pièces invendues de la saison hiver 2009, les manquants provenant d'un sinistre de transport,
que les frais d'abonnement aux produits et services informatiques ne sont pas dus, puisque la société Marese a bloqué son accès en conservant l'intégralité du fichier clients,
que malgré ses paiements réguliers jusqu'au mois de septembre 2009 la société Marese ne lui a pas livré le nombre de pièces prévues et ne lui a pas fourni le réassort depuis le 21 avril 2009, ce qui lui a fait perdre un important chiffre d'affaires au titre des saisons été et hiver 2009,
que la société Marese s'est ainsi rendue coupable d'une rupture brutale et abusive du contrat, ce qui justifie sa demande de dommages et intérêts à hauteur de la somme de 100 000 euros sur le fondement des articles L. 442-6 du Code de commerce et 1147 du Code civil,
qu'elle a par ailleurs été déconnectée sans préavis du réseau informatique de la société Marese, ce qui l'a privée de tout accès au fichier de ses propres clients, lesquels ont pu ainsi être démarchés par les autres commissionnaires-affiliés,
que cette pratique commerciale déloyale lui ouvre droit également à dommages-intérêts.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 2 août 2012 par la SAS Marese qui demande à la cour, par voie d'appel incident, de condamner la société Rozier Gourdon à lui payer la somme principale de 11 688,46 euros avec intérêts au taux de trois fois le taux d'intérêt légal à compter de l'émission de chaque facture, outre une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et une indemnité de 3 000 euros pour frais irrépétibles aux motifs :
qu'elle a livré les 1508 pièces objet de la facture du 10 avril 2009 d'un montant de 1 143,07 euros, tandis que la société Rozier Gourdon ne fait pas la preuve de l'erreur informatique qu'elle invoque,
que les marchandises invendues de la saison hiver 2009 n'ont pas été retournées en totalité (106 pièces manquantes), étant observé qu'elle n'a reçu à ce titre aucune indemnisation de la part de l'assureur du transporteur,
que contrairement à ce qui est affirmé la société Rozier Gourdon a reçu des livraisons jusqu'au mois de juin 2009,
que le contrat a été résilié le 15 septembre 2009 après une mise en demeure infructueuse du 30 juin 2009 dans la mesure où plusieurs factures étaient impayées, étant observé qu'il n'est pas justifié des paiement allégués,
que la preuve n'est pas apportée d'une rupture de stock depuis le mois d'avril 2009,
qu'à aucun moment elle n'a retenu le fichier clients de la société Rozier Gourdon, qui était en réalité commun aux deux sociétés et qui reste à la disposition de cette dernière.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la demande principale
1. La facture du 10 avril 2009 d'un montant de 1 141,07 euros
Cette facture représente le prix des pièces manquantes sur le retour des invendus en fin de saison hiver 2008.
À l'appui de sa contestation la société Rozier Gourdon a fait valoir par lettre du 25 juillet 2009 qu'une erreur de saisie informatique avait provoqué pour certaines livraisons un doublement des quantités.
Elle soutient dans ses écritures d'appel que la preuve n'est pas rapportée de la livraison effective de 1508 pièces au titre de la saison hiver 2008.
Il résulte toutefois des listings versés au dossier tirés des fichiers informatiques communs aux deux parties que 1508 pièces ont été livrées entre le 15 juillet 2008 et le 15 décembre 2008, et il ne résulte d'aucune pièce du dossier qu'une réclamation aurait émise dans les délais prévus à l'article 2.1 du contrat, qui stipule que le commissionnaire devra effectuer un contrôle qualitatif et quantitatif au moment de la réception, qu'il devra faire les réserves d'usage auprès du transporteur dans un délai de trois jours et qu'il devra avertir par télécopie le fournisseur de toute difficulté dans un délai maximum de 24 heures selon un formulaire préétabli.
À défaut d'établir que conformément à la pratique contractuelle les livraisons donnaient lieu habituellement à l'émission d'un bon émargé, et en l'absence de toute protestation dans les délais prévus, la société Rozier Gourdon ne fait pas la preuve qui lui incombe de l'erreur qu'elle invoque.
Elle a par conséquent justement été condamnée au paiement de la somme de 1 141,07 euros.
2. La facture du 9 février 2010 d'un montant de 3 026,50 euros
Cette facture représente le prix des pièces manquantes sur le retour des invendus en fin de saison hiver 2009.
Le récépissé du transporteur Schenker-Joyau du 20 novembre 2009 émargé par la société Marese sous la mention manuscrite "colis ouvert écrasés manque 60 pièces" établit que les manquants correspondent à des pièces endommagées au cours de l'opération de transport.
Le contrat de commission prévoit en son article 10 que la reprise des invendus sera effectuée sans frais pour le commissionnaire, les frais de transport étant à la charge de la société Marese.
Il se déduit de cette stipulation que les marchandises retournées voyageaient aux risques du commettant.
Il appartenait donc à la société Marese de rechercher la responsabilité du transporteur dans les délais légaux, en sorte qu'elle ne peut faire peser sur la société Rozier Gourdon le coût financier des pièces endommagées, étant précisé qu'il n'est pas établi que cette dernière n'aurait pas retourné la totalité des invendus.
Le jugement sera par conséquent également confirmé en ce qu'il a débouté la société Rozier Gourdon de sa demande en paiement de la somme de 3 026,50 euros.
3. Les autres factures et le compte entre les parties
La société Rozier Gourdon ne peut s'opposer au paiement des prestations informatiques contractuellement à sa charge, objet des trois factures des 15 mai 2009, 30 juin 2009 et 15 juillet 2009, alors que la somme réclamée à ce titre correspond à des services antérieurs à la résiliation du contrat par lettre du 15 septembre 2009 ayant conduit à la déconnexion du réseau informatique.
Les autres factures de vente et de manquants sur retour des invendus ne sont pas contestées par la société Rozier Gourdon, qui se borne à indiquer qu'elle aurait effectué divers règlements non pris en compte le 18 mai 2009 pour 2 968,24 euros, le 23 juillet 2009 pour 3 544,40 euros et le 12 septembre 2009 pour 2 423,75 euros.
La preuve comptable et bancaire de ces prétendus règlements qui auraient été effectués par chèques n'est toutefois pas rapportée, étant observé que la société Rozier Gourdon n'a pas protesté à réception des lettres de mise en demeure du 30 juin 2009 et de résiliation du 15 septembre 2009 faisant état de l'impayé.
Le jugement mérite par conséquent confirmation en ce qu'il a condamné la société Rozier Gourdon au paiement de la somme de 8 661,96 euros (11 688,46 - 3 026,50) outre intérêts au taux conventionnel de trois fois le taux d'intérêt légal à compter de l'échéance de chacune des factures (article 8.1 du contrat d'affiliation).
Sur la demande reconventionnelle
1. La rupture du contrat
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 juin 2009 la société Marese a mis en demeure la société Rozier Gourdon de payer la somme de 10 540,68 euros sous peine de résiliation du contrat dans un délai de 30 jours en application de l'article 11 de la Convention, dont les termes étaient reproduits.
N'ayant reçu aucun paiement dans le délai imparti (seul un règlement de 1 799,23 euros est intervenu le 3 décembre 2009), la société Marese a prononcé la résiliation du contrat par lettre recommandée du 15 septembre 2009, qui fait état d'un arriéré subsistant de 9 895,12 euros.
Dès lors qu'il résulte des développements précédents que la société Rozier Gourdon était toujours redevable d'une somme de 8 661,96 euros, la résiliation anticipée du contrat a été régulièrement et valablement prononcée sur le fondement de l'article 11 du contrat d'affiliation en raison du manquement du commissionnaire à ses obligations principales de reverser chaque mois l'intégralité des recettes sous déduction de sa commission et de restituer l'intégralité des invendus, étant observé qu'il n'est nullement établi que le réassort n'aurait pas été fourni depuis le mois d'avril 2009, puisqu'il résulte au contraire des factures et des listings informatiques annexés, ainsi que du récapitulatif des livraisons, que des marchandises ont été livrées jusqu'au mois d'août 2009.
La résiliation du contrat, qui n'est pas abusive, ne saurait par conséquent ouvrir droit à dommages et intérêts, ainsi qu'en a justement décidé le tribunal.
Aucune indemnisation pour brutalité dans la rupture ne saurait par ailleurs être allouée sur le fondement de l'article L. 442-6I 5 du Code de commerce, qui autorise la résiliation sans préavis d'une relation commerciale établie en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, étant précisé que le délai de préavis contractuel de un mois a été respecté.
2. L'accès au réseau informatique
La société Rozier Gourdon ne démontre pas qu'elle aurait été déconnectée sans préavis du réseau informatique de la société Marese antérieurement à la résiliation du contrat.
Elle n'apporte en outre aucun élément de preuve à l'appui de son affirmation gratuite selon laquelle sa clientèle aurait été démarchée par les autres commissionnaires-affiliés.
Dès lors que la société Marese affirme que le fichier clients commun n'a pas été retenu et qu'il est à la disposition de la société Rozier Gourdon sur simple demande, aucune pratique déloyale n'est caractérisée, ce qui conduit au rejet de la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée à ce titre.
Sur les demandes accessoires
Succombant partiellement en ses prétentions, la société Marese ne saurait obtenir des dommages et intérêts pour résistance abusive, ce qui conduit à la réformation du jugement en ce qu'il lui a alloué de ce chef une indemnité de 250 euros.
L'équité commande en revanche de faire à nouveau application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'intimée.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a alloué à la SAS Marese une somme de 250 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et statuant à nouveau de ce chef déboute la société Marese de sa demande en paiement de la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, Y ajoutant : Déboute la SARL Rozier Gourdon de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour rupture brutale et abusive du contrat, Déboute la SARL Rozier Gourdon de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour pratique déloyale, Condamne la SARL Rozier Gourdon à payer à la SAS Marese une nouvelle indemnité de 1500'euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Rozier Gourdon aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de maître Philippot, avocat.