CA Grenoble, ch. com., 24 avril 2014, n° 11-04956
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Industries Mécaniques Voironnaises (SARL)
Défendeur :
Soper (SAS), Roumezi (ès qual.), Sapin (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rolin
Conseillers :
Mme Pages, M. Bernaud
Avocats :
Mes Ramillon, Bénichou, Moreira, Benhamou, SCP Grimaud
La société Industries Mécaniques Voironnaises détient depuis le 31 décembre 2006 par l'intermédiaire d'une société HQM 23 % du capital de la société Soper, qui était à l'origine sa filiale à 100 %.
Le 27 avril 2007 une convention d'assistance a été conclue entre la société Industries Mécaniques Voironnaises et sa filiale en matière commerciale, technique, de gestion des ressources humaines et de développement.
Le contrat a été conclu pour une durée déterminée de trois années du 16 avril 2007 au 15 avril 2010.
La rémunération convenue était de 102 000 euros hors taxes au titre de chacune des deux premières années et de 67 900 euros hors taxes au titre de la troisième année.
Des divergences de vues sont apparues dans le courant de l'année 2009 entre la société Industries Mécaniques Voironnaises, dirigée par M. X, et la société Soper, dont Monsieur Y avait pris la direction à compter du mois de juin 2008.
Par courrier du 30 avril 2009 la société Soper a résilié par anticipation le contrat d'assistance en invoquant des difficultés financières, l'attitude trop critique et blessante de M. X, ainsi que les propos injurieux que celui-ci aurait tenus à l'égard de M. Y.
La procédure de médiation préalable prévue au contrat a été mise en œuvre sans succès.
Par acte d'huissier du 15 octobre 2009 la société Industries Mécaniques Voironnaises a fait assigner la société Soper devant le Tribunal de commerce de Grenoble en paiement des sommes de 78 208,56 euros au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation anticipée et de 6 766,96 euros au titre du préavis contractuel d'un mois.
La société Soper a été admise au bénéfice de la procédure de sauvegarde par jugement du Tribunal de commerce de Grenoble du 8 juin 2010.
La société Industries Mécaniques Voironnaises a déclaré au passif une créance de 88 975,52 euros en principal et frais et a appelé en cause les organes de la procédure collective.
Par jugement du 16 septembre 2011 le Tribunal de commerce de Grenoble a considéré que la société Industries Mécaniques Voironnaises s'était rendue coupable d'une exécution fautive du contrat d'assistance, l'a déboutée de sa demande en paiement de l'indemnité contractuelle de résiliation, mais lui a alloué une somme de 6 767,36 euros à titre d'indemnité de brusque rupture sans préavis.
La SARL Industries Mécaniques Voironnaises a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 7 novembre 2011.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 16 janvier 2014 par la SARL Industries Mécaniques Voironnaises qui demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il lui a alloué une indemnité de préavis, de l'infirmer pour le surplus et de fixer sa créance au passif de la société Soper pour la somme de 75 208,56 euros TTC au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation, outre une indemnité de procédure de 3 000 euros, et subsidiairement de fixer au passif de la société Soper une somme de 80 000 euros du fait de la rupture brutale des relations contractuelles en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce aux motifs :
que la procédure de résiliation anticipée prévue au contrat n'a pas été respectée alors qu'aucune mise en demeure préalable d'avoir à remédier aux manquements allégués dans le délai d'un mois ne lui a été adressée, ce qui lui ouvre droit aux indemnités prévues,
que les manquements visés dans la lettre de résiliation résultent d'échanges par courriels entre les membres du conseil de surveillance de la société Soper, dont fait partie M. X, et ne concernent donc pas l'exécution du contrat d'assistance,
qu'elle n'a jamais outrepassé sa mission dans le cadre de l'exécution du contrat,
que les témoignages de salariés faisant état d'humiliations et d'injures, ont été obtenus sous la contrainte, ainsi que l'ont reconnu deux d'entre eux, étant observé qu'en raison de la finalité de la mission destinée à améliorer la compétitivité de l'entreprise les relations avec les salariés ne pouvaient en aucun cas être sereines,
que M. X a décrit la réalité de la situation de la société Soper sans jamais se montrer injurieux,
que lorsqu'il était gérant de la société Soper M. X a toujours entretenu des relations harmonieuses avec le personnel, dont témoigne la stabilité de l'effectif, même s'il s'est montré rigoureux dans le respect des règles de l'art,
qu'à aucun moment l'attitude de M. X envers le personnel, la direction ou la clientèle n'a fait l'objet de reproches antérieurement à la résiliation du contrat,
qu'en toute hypothèse la rupture intervenue sans respect du préavis contractuel de un mois est brutale au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui vise toutes relations commerciales établies même en présence d'un contrat à durée déterminée, ce qui justifie l'octroi d'une somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts alors que ses seules rentrées financières provenaient des prestations effectuées auprès de la société Soper.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 12 mars 2014 par la SAS Soper assistée de Me Roumezi, ès qualités de mandataire judiciaire, et de Me Sapin, ès qualités d'administrateur judiciaire, qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Industries Mécaniques Voironnaises de sa demande en paiement de l'indemnité contractuelle de résiliation, mais sa réformation en ce qu'il a alloué à cette dernière une somme de 6 767,36 euros à titre d'indemnité de préavis et qui prétend obtenir une indemnité de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile aux motifs :
que le contrat autorise la résiliation sans préavis en cas de manquements graves auxquels il n'est pas possible de remédier,
que la société Industries Mécaniques Voironnaises a fait preuve dans l'exécution de sa mission d'un comportement injurieux, agressif et dénigrant à l'égard de certains clients, des salariés et des cadres de l'entreprise, malgré de fréquents rappels à l'ordre,
que 21 salariés sur 23 attestent des excès commis,
que les manquements graves de la société Industries Mécaniques Voironnaises dans l'exécution de ses obligations de coopération, de conseil et d'assistance justifiaient une résiliation immédiate sans préavis, tant en application des clauses du contrat qu'en vertu de l'article 1134 du Code civil,
que les critiques faites par M. X n'étaient nullement justifiées au plan économique alors que le chiffre d'affaires de l'entreprise avait progressé en 2008 et que si la crise est à l'origine de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, elle exécute aujourd'hui un plan de continuation et a renoué avec les bénéfices,
que les deux contre-attestations produites par la société Industries Mécaniques Voironnaises sont inopérantes alors que Mme Z a reconnu devant huissier que sa première attestation était sincère et que Mme A est la compagne de M. X,
que la société Industries Mécaniques Voironnaises ne peut s'exonérer de toute responsabilité en raison du fait que les propos litigieux seraient imputables à M. X personnellement, alors que la convention a été expressément conclue en considération de la personnalité de ce dernier, lequel n'a pu agir qu'en qualité de dirigeant de la société Industries Mécaniques Voironnaises puisqu'il n'est pas personnellement associé,
qu'aucun préavis n'était dû sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce alors que la rupture du contrat était fondée sur le comportement gravement fautif du prestataire,
qu'il n'est justifié d'aucun préjudice alors que la société Industries Mécaniques Voironnaises a saboté sa mission d'assistance.
MOTIFS DE L'ARRET
La convention d'assistance conclue entre les parties le 27 avril 2007 rappelle en préambule que les principaux objectifs de la collaboration entre les deux sociétés sont l'accompagnement du repreneur de manière à assurer la transmission de la société Soper dans les meilleures conditions, le développement commercial de cette dernière, ainsi que l'assistance donnée au repreneur pour toutes questions, notamment techniques.
C'est ainsi que l'article premier de la convention a confié à la société Soper une mission très large touchant à l'ensemble des prérogatives de direction et de gestion appartenant au chef d'entreprise en matières commerciale, technique, de ressources humaines, de gestion administrative financière et comptable, de développement et de représentation auprès notamment des instances syndicales et des administrations.
La société Industries Mécaniques Voironnaises s'est notamment engagée à assister la société Soper dans les domaines suivants :
contact avec la clientèle et les fournisseurs,
mise au point des procédés de fabrication,
réduction des coûts de production,
sécurité et qualité,
organisation des ressources humaines,
recrutement,
plans de formation des salariés.
Ces services nécessitaient à l'évidence un contact permanent avec l'effectif salarié, une collaboration étroite entre le prestataire et les employés et cadres afin d'optimiser le fonctionnement et la rentabilité de l'entreprise, ainsi que des relations harmonieuses avec la clientèle habituelle.
Les articles 7 et 9 de la convention stipulent en outre expressément que le contrat a été conclu en considération de la personnalité de M. Frank X, avec pour conséquence que le contrat ne pouvait être cédé sans l'accord du bénéficiaire et que l'incapacité prolongée du dirigeant de la société Industries Mécaniques Voironnaises constituait une cause de résiliation de plein droit.
Il est ainsi incontestablement démontré que dans la commune intention des parties la qualité d'actionnaire fondateur de l'entreprise de M. X constituait le gage principal de réussite de la mission.
Treize salariés sur un effectif total de 23, auteurs d'attestations circonstanciées conformes aux dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, ont déclaré avoir été victimes à de nombreuses reprises des brimades, des humiliations, de l'agressivité verbale et même des propos gravement injurieux de M. X, dont ils ont indiqué qu'il était en conflit ouvert avec le chef d'atelier au point qu'une grande confusion régnait dans l'atelier et que l'ambiance de travail était devenue particulièrement tendue.
M. Francis B, gérant de la société Soper durant les mois d'avril 2007 à juin 2008, a lui-même délivré une attestation régulière en la forme pour dénoncer le comportement "inadmissible et insultant" de M. X à l'égard des salariés et de certains clients de l'entreprise. Il a notamment déclaré avoir été le témoin d'une conversation téléphonique entre M. X et le représentant d'un client important, la société Air liquide, qui a été "littéralement insulté".
Vingt et un salariés de l'entreprise ont également signé une pétition pour dénoncer le comportement habituel "inacceptable, blessant, humiliant et injurieux" de M. X à l'égard des membres du personnel et de l'encadrement de l'atelier à l'origine d'une "ambiance désastreuse et conflictuelle au sein de l'entreprise au détriment d'une bonne efficacité".
La preuve est ainsi pleinement rapportée de ce que par ses excès d'autoritarisme et de langage, dont témoigne la quasi-totalité de l'effectif de l'entreprise, M. X, agissant au nom et pour le compte de la société Industries Mécaniques Voironnaises, a été à l'origine de nombreux conflits et situations de blocage nécessairement préjudiciables au bon accomplissement de la mission d'assistance.
Il en résulte que ne s'étant pas donné les moyens de parvenir à l'objectif recherché, qui était d'accompagner la société Soper dans son développement, lequel était nécessairement conditionné par l'existence de relations sociales harmonieuses eu égard aux services contractuellement dus notamment en matière de mise au point des procédés de fabrication, de réduction des coûts de production, de sécurité et qualité et d'organisation des ressources humaines, la société Industries Mécaniques Voironnaises a gravement manqué à ses obligations.
A cet effet il sera observé qu'il ne peut être sérieusement soutenu que c'est l'attitude de de M. X dans l'exercice de son mandat de membre du conseil de surveillance de la société Soper qui a été sanctionnée, alors que la lettre de résiliation du 30 avril 2009 est également motivée par le comportement extrêmement critique et blessant de ce dernier envers certains collaborateurs et par les tensions qu'il génère.
Comme le tribunal, la cour estime par conséquent que confrontée à une dégradation inquiétante du climat interne susceptible de mettre en péril l'entreprise, la société Soper était fondée à résilier par anticipation la convention d'assistance en application de l'article 9.1, qui stipule que le contrat pourra être résilié immédiatement par l'une ou l'autre des parties en cas d'inexécution de l'une quelconque de leurs obligations, mais aussi de "l'une quelconque des obligations inhérentes à l'activité exercée".
S'il est incontestable que le mécanisme de la clause résolutoire prévue au contrat n'a pas été mis en œuvre à défaut pour la lettre de rupture d'avoir été précédée d'une mise en demeure par lettre recommandée restée sans effet pendant un délai d'un mois, cette omission ne saurait nécessairement conférer à la résiliation anticipée un caractère abusif ouvrant droit au paiement de l'indemnité contractuelle prévue à l'article 9.2.
Outre le fait que l'article susvisé prévoit expressément que l'indemnité n'est due "qu'en l'absence d'inexécution fautive du prestataire", la faute grave de celui-ci, qui a été préalablement caractérisée, autorisait en effet le bénéficiaire à mettre fin unilatéralement au contrat quelles que soient les modalités formelles de résiliation contractuelle en application des articles 1134 et 1184 du Code civil, sous réserve d'un éventuel contrôle judiciaire à posteriori de la gravité des manquements allégués.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la société Industries Mécaniques Voironnaises de sa demande en paiement de la somme de 78 208,56 euros au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation anticipée du contrat.
Aucune indemnisation ne saurait par ailleurs être allouée sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce, qui autorise la résiliation sans préavis d'une relation commerciale établie en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations.
La résiliation immédiate du contrat pour faute grave n'étant pas nécessairement exclusive d'un délai de préavis, il a par ailleurs justement été fait droit à la demande en paiement de la somme de 6 767,36 euros TTC, correspondant à 1/12 de la rémunération convenue, en application du paragraphe 9.1 du contrat, qui institue un mécanisme de mise en demeure préalable assimilable à un préavis.
L'équité ne commande pas de faire application en cause d'appel de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
Par ces motifs LA COUR statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf à fixer désormais au passif de la SAS Soper la créance de la SARL Industries Mécaniques Voironnaises pour la somme de 6 767,36 euros TTC à titre chirographaire, Y ajoutant : Déboute la SARL Industries Mécaniques Voironnaises de sa demande en paiement de la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce, Dit n'y avoir lieu en cause d'appel à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties, la condamnation prononcée de ce chef en première instance étant toutefois confirmée, Condamne la SARL Industries Mécaniques Voironnaises aux dépens d'appel, les dépens de première instance, qui seront employés en frais privilégiés de procédure collective, demeurant à la charge de la société Soper.