CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 mai 2014, n° 12-08843
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Der Franzone Automobiltechnik GMBH
Défendeur :
Ami de la 2 CV (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amseellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Fanet, Schutte, Vignes, Sourdon
FAITS ET PROCÉDURE
La société Ami de la 2 CV est une société de vente en ligne de pièces détachées destinées à l'entretien et la restauration de véhicules de collection Citroën 2 CV. Elle exerce cette activité au moyen du site internet www.ami-2cv.com dont elle a réservé le nom de domaine en 2001.
La société allemande Der Franzose Automobiltechnik Gmbh a pour objet la vente de pièces détachées de véhicules anciens et de collection, notamment des marques Citroën, Peugeot et Renault. En octobre 2010, elle a créé un établissement en France, à l'enseigne Cipere (pour Citroën, Peugeot, Renault) et a ouvert un site internet en français sous le nom de domaine www.cipere.fr.
La société Ami de la 2 CV a constaté en 2011 que la saisie sur le moteur de recherche Google des mots clefs "Ami de la 2CV" ou de toute autre combinaison associant les termes "Ami" et "2CV" déclenchait l'application du système de référencement "AdWords" et faisait apparaître un lien publicitaire vers le site www.cipere.fr. Elle a fait procéder à plusieurs constats d'huissier de justice et a demandé à la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh de retirer ce lien, avant de l'assigner le 12 janvier 2012 devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement rendu le 13 avril 2012 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh - nom commercial Cipere France, pour actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Ami de la 2 CV ;
- ordonné à la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh - nom commercial Cipere France de cesser toute utilisation des dénominations sociale, nom de domaine et adwords de la société Ami de la 2 CV, ce sous une astreinte de 15 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification du présent jugement ;
- condamné la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh - nom commercial Cipere France à verser à la société Ami de la 2 CV la somme de 200 000 euros au titre des préjudices subis ;
- condamné la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh - nom commercial Cipere France à verser à la société Ami de la 2 CV la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh le 14 mai 2012 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions, signifiées par la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh le 17 décembre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- juger que la société Ami de la 2 CV ne saurait s'approprier l'exclusivité sur l'utilisation des termes "Ami" et "2 CV" ;
- juger qu'il n'y a pas lieu de reprocher, ni d'interdire une éventuelle utilisation de ces termes à la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh, notamment dans le cadre du service Google Adwords ;
- juger que les liens publicitaires vers le site internet www.cipere.fr, affichés dans le cadre de la campagne "Google Adwords" de l'appelante, ne créent aucun risque de confusion ;
- juger qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut être reproché à la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh ;
- constater que, de surcroît, la société Ami de la 2 CV ne rapporte pas la preuve des préjudices qu'elle allègue et qui, en tout état de cause, ne peut résulter que d'une perte de chance ;
En conséquence,
- réformant le jugement du tribunal de commerce de Paris du 13 avril 2012 ;
- débouter la société Ami de la 2 CV de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Ami de la 2 CV à verser à la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh la somme de 14 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'appelante soutient n'avoir commis aucun acte de concurrence déloyale au préjudice de la société Ami de la 2 CV et, en particulier, elle fait valoir que c'est à tort que le tribunal a jugé qu'elle avait "positionné un adword au-dessus du site de la société Ami de la 2CV", puisque l'affichage du lien publicitaire en cause est déclenché par les mots clefs utilisés dans la requête de l'internaute et résulte des principes mêmes de fonctionnement du service de référencement qu'offre Google aux annonceurs. Elle rappelle que ce service a fait l'objet de plusieurs décisions de principe tant de la Cour de Justice de l'Union Européenne que de la Cour de cassation, qui ont jugé que le titulaire d'une marque ou d'un signe distinctif ne pouvait interdire à un annonceur de faire de la publicité à partir d'un mot clef identique à cette marque ou ce signe que lorsque cette publicité ne permettait pas, ou ne permettait que difficilement, à l'"internaute moyen" de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce provenaient du titulaire de la marque. Or, elle fait observer qu'il n'y a en l'espèce aucun risque de confusion puisque que lien publicitaire généré par le mot clef renvoie au site www.cipere.fr, qui ne peut être confondu avec le site www.ami-2CV.com.
Elle souligne, par ailleurs, que l'intimé n'a pas déposé de marque "Ami de la 2 CV", que l'association des termes "Ami" et "2CV" ne présente aucune originalité et qu'elle est utilisée depuis longtemps par les amateurs et collectionneurs de véhicules 2 CV, comme en témoignent par exemple les nombreuses manifestations organisées sous l'appellation "Amis de la 2 CV".
Sur le préjudice allégué par la société Ami de la 2 CV, elle fait valoir qu'il n'est nullement démontré et qu'il ne saurait être ramené à la perte de chiffre d'affaires qu'elle prétend avoir subi.
Vu les dernières conclusions, signifiées par la société Ami de la 2 CV le 26 janvier 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- recevoir la société Ami de la 2 CV en ses présentes écritures ;
En conséquence,
- confirmer la décision rendue le 13 avril 2012 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a limité le quantum des dommages et intérêts de la société Ami de la 2 CV à 200 000 euros et n'a pas ordonné la publication de la décision ;
Et statuant à nouveau,
- condamner la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh à verser à la société Ami de la 2 CV la somme de 390 379 euros HT au titre de son préjudice matériel, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts et celle de 100 000 euros au titre de ses préjudices moral et d'image ;
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq revues ou magazines au choix de la société Ami de la 2 CV et à la charge de la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh dans la limite de 15 000 euros HT par publication ;
- ordonner sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard la publication de la décision à intervenir en page d'accueil du site internet de la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh de façon immédiatement visible et parfaitement lisible, dans un encadré occupant au moins le tiers supérieur de cette page, en dehors de tout encart publicitaire et sans autre mention ajoutée de quelque nature qu'elles soient, ce dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir et pendant une durée qui ne saurait être inférieure à deux mois, sous le titre "Communiqué judiciaire" écrit en lettres majuscules rouges sur fond blanc, avec le texte suivant, en gras, dans des polices de caractère noires sur fond blanc et d'une taille suffisante pour occuper tout l'espace de l'encadré
"Par jugement en date du..., le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Der Franzose Autombiltechnik Gmbh pour avoir commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Ami de la 2 CV".
- condamner la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh à verser à la société Ami de la 2 CV la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée soutient que la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh a mis au point une stratégie déloyale consistant, après avoir créé un établissement en France, à usurper ses signes distinctifs "dénomination sociale et nom de domaine" afin de capter sa clientèle française. Elle fait valoir que c'est illégalement qu'elle a acheté auprès de Google France les mots clefs dans le cadre du service de référencement "AdWords" et qu'il en est résulté une confusion dans l'esprit des internautes qui croyant entrer sur le site www.ami-2cv.com alors qu'ils entraient sur le site www.cipere.fr qui proposaient les mêmes produits ; elle précise à cet égard que le lien en cause apparaissait dans la colonne contenant les résultats "naturels" de la recherche, et non dans une colonne distincte.
En ce qui concerne son préjudice, elle souligne qu'il est certain, même s'il est difficilement quantifiable, et qu'il n'est pas inférieur à la perte de chiffre d'affaires qu'elle a subie en 2011 et 2012 par rapport à 2010 et qui se monte à 306 658 euros HT. Elle fait valoir par ailleurs qu'elle a subi un préjudice moral et d'image qu'elle évalue à la somme de 100 000 euros.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Il ressort du dossier que la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh a, dans le courant de l'année 2011 et au début de l'année 2012, recouru au service de référencement publicitaire "AdWords" du moteur de recherche Google, en "achetant" les mots clefs "Ami" et "2 CV". Comme le prévoient les règles de fonctionnement de ce service, la recherche par le mot clef "Ami de la 2 CV", ou par d'autres combinaisons de ces termes, faisait apparaître, - outre les résultats "naturels" de cette opération, parmi lesquels un lien vers le site www.ami-2cv.com -, un lien vers le site www.cipere.fr, comme en attestent les constats auxquels il a été procédé les 19 juillet 2011, 27 janvier 2012 et 12 et 13 février 2012 par huissier de justice (pièces n° 6, 17 et 21 produites par l'intimée).
Il convient, dès lors, de rechercher s'il en est résulté un risque de confusion entre les sites internet des deux entreprises, puisque c'est à cette condition seulement qu'il pourrait être reproché à la société Franzose Automobiltechnik Gmbh une concurrence déloyale au préjudice de la société Ami de la 2CV, le démarchage de la clientèle d'autrui étant licite s'il n'est pas accompagné d'un acte déloyal et le simple usage des signes distinctifs d'un concurrent comme mots clefs d'une recherche dans le cadre d'un service de référencement publicitaire n'étant pas en lui-même déloyal.
Or, il résulte des constats versés aux débats que, conformément aux caractéristiques du service "AdWords", la mention "Annonces" était apposée à côté du lien publicitaire en cause et que celui-ci figurait dans un encadré coloré, propre à le distinguer des liens affichés en tant que résultats de recherche. Ce lien, par ailleurs, renvoyait au site www.cipere.fr, dont l'intitulé n'est ni identique, ni similaire à celui du site www.ami-2cv.com et ne pouvait donc donner lieu à aucune confusion avec lui. Dès lors, force est de constater que l'affichage du lien publicitaire de la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh, que déclenchait une recherche par les mots clefs "Ami" et "2 CV" ou par tout autre mot clef qui leur serait lié, n'entrainait aucun risque de confusion entre les sites www.ami-2cv.com et www.cipere.fr. Il importe peu, à cet égard, que ce lien publicitaire ait quelquefois figuré dans la colonne des résultats naturels de la recherche, et non dans une colonne séparée (constats des 27 janvier 2012 et 12 et 13 février 2012, pièces n° 17 et 21), ni que, comme en atteste le constat effectué le 19 juillet 2011, la mention "Pièces de rechange pour la 2 CV / Cipere" qu'il comporte en première ligne ait été précédée du mot clef "Ami 2 cv".
Dès lors que, compte tenu des caractéristiques ci-dessus rappelées, tout risque de confusion était écarté.
Il s'ensuit que l'internaute, familier par définition des règles de fonctionnement du commerce électronique et des moteurs de recherche, savait nécessairement que les produits offerts sur le site de la société Franzose Automobiltechnik Gmbh ne provenaient pas de la société Ami de la 2 CV, laquelle ne peut donc imputer à un comportement déloyal la baisse de chiffre d'affaires qu'elle dit avoir subie. Le jugement sera donc infirmé et les demandes de la société Ami de la 2 CV tendant à l'allocation de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices à la publication de la décision seront rejetées.
Sur les frais irrépétibles
Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Franzose Automobiltechnik Gmbh la totalité des frais irrépétibles engagés pour faire valoir ses droits et la société Ami de la 2 CV sera condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions ; condamne la société Ami de la 2 CV à payer à la société Der Franzose Automobiltechnik Gmbh la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; condamne la société Ami de la 2 CV aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.