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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 20 mai 2014, n° 13-00922

AMIENS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Leroi

Défendeur :

Cabur France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marion

Conseillers :

Mmes Lorphelin, Dubaele

Avocats :

Mes Plateau, Catoni, Doyen, Tixier

TGI Soissons, du 17 janv. 2013

17 janvier 2013

Estimant qu'elle n'avait pas respecté l'exclusivité dont il bénéficiait en sa qualité d'agent commercial, Monsieur François Leroi a fait assigner la société Cabur France SARL devant le Tribunal de grande de Soissons par exploit d'huissier de justice du 12 décembre 2011 aux fins, notamment, de résiliation de son contrat et de dommages-intérêts ;

Par jugement contradictoire du 17 janvier 2013 le Tribunal de grande instance de Soissons a :

- débouté François Leroi de toutes les prétentions qu'il a émises contre la société Cabur France,

- condamné François Leroi à payer, à titre de dommages-intérêts, à la société Cabur France la somme de 9 000 euro,

- prononcé la résiliation du contrat d'agence commerciale en date du 20 mars 2009 liant François Leroi à la société Cabur France,

- condamné M. Leroi aux entiers dépens et à verser, au titre de l'article 700 du Code procédure civile, à la société Cabur France, une indemnité de 3 000 euro ;

Par déclaration du 15 février 2013, suivant la voie électronique, Monsieur François Leroi a interjeté appel de ce jugement ;

Dans ses dernières conclusions en cause d'appel déposées et communiquées suivant la voie électronique le 10 septembre 2013, il demande à la cour, au visa de divers constats et "dire et juger", de :

- le dire recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

- condamner la société Cabur France SARL à payer à Monsieur François Leroi les sommes de :

60 174 euro, à parfaire, à titre d'indemnité de cessation de contrat, en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce,

7 520 euro majorée de la TVA, sauf à parfaire, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce,

5 000 euro, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la violation de l'exclusivité,

- donner acte à Monsieur François Leroi qu'il se réserve de former des demandes additionnelles de commissions et d'indemnités, selon le montant des commissions réellement dues en fonction de la communication des éléments comptables par la société Cabur France SARL,

- dire que les sommes sus-indiquées seront augmentées de l'intérêt au taux légal à compter de l'arrêt intervenir et faire application de l'article 1154 du Code civil,

- donner injonction, en application des articles R. 134-1 et suivants du Code de commerce, à la société Cabur France SARL de produire l'ensemble des balances clients situées dans le secteur géographique confié contractuellement à Monsieur François Leroi sur les exercices 2009-2010-2011 et 2012 jusqu'à la date de résiliation du contrat intervenue à la date de signification du jugement par la société Cabur France SARL, le tout certifié conforme par un commissaire aux comptes avec le détail des factures, sous astreinte de 100 euro par jour de retard dans les quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir,

A titre subsidiaire,

- condamner la société Cabur France SARL à payer à Monsieur François Leroi la somme de 60 174 euro, à titre d'indemnité de cessation de contrat, en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce, et la somme de 7 520 euro, majorée de la TVA, à titre d'indemnité compensatrice de préavis en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce, du fait qu'elle a cessé d'exécuter le contrat d'agence commerciale au prononcé de la décision de première instance, se rendant ainsi responsable de la rupture du contrat,

En tout état de cause,

- débouter la société Cabur France SARL de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de Monsieur François Leroi,

- condamner la société Cabur France SARL à payer à Monsieur François Leroi la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Cabur France SARL aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Dans ses seules conclusions en cause d'appel déposées et communiquées suivant la voie électronique le 12 juillet 2013, la société Cabur France SARL demande à la cour de :

- "débouter Monsieur François Leroi de toutes ses demandes, fins et conclusions",

- "prononcer la résiliation du contrat d'agence avec effet à la date du 17 janvier 2013",

- "dire n'y avoir lieu à aucune indemnité de rupture ni à aucune indemnité compensatrice de préavis, débouter Monsieur François Leroi à ce titre",

- condamner Monsieur François Leroi à payer à la société Cabur France une indemnité de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamner Monsieur François Leroi à payer à la société Cabur France une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Monsieur François Leroi aux entiers dépens ;

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 janvier 2014 ;

Celà étant exposé, LA COUR,

Attendu qu'il est constant que par contrat d'agence commerciale en date du 20 mars 2009, Monsieur François Leroi (Monsieur Leroi) s'est vu confier par la société Cabur France SARL (la société Cabur), 'le mandat de vendre" au nom et pour le compte de celle-ci "tous produits fabriqués ou diffusés par" le mandant "pour la gamme Cabur Solar et la gamme de blocs de jonctions pour des applications photovoltaïques" (article 1 du contrat), ce mandat portant, "avec bénéfice d'exclusivité pour l'agent, sur le secteur constitué par les départements suivants : 75. 77. 78. 91. 92. 93. 94. 95. 51. 02. 60." (Article 2, idem), la société Cabur ayant, notamment l'obligation de ne pas "concurrencer l'action de l'agent dans le secteur défini en 2 ci-dessus" (article 6 in fine, idem) et Monsieur Leroi recevant sur "toute affaire traitée par l'agent dans le secteur défini en 2 ci-dessus (...), de quelque façon que la commande soit parvenue" à la société Cabur "une commission égale, hors taxe, de 7,5 % du montant hors taxe des factures." (Article 7, idem) ; que par lettre recommandée du 14 mars 2011, Monsieur Leroi a fait part à son mandant de son étonnement de ne pas voir figurer dans ses relevés de commission des ventes réalisées dans son secteur en particulier auprès des sociétés Forum des Energies, à Villeneuve la Garenne (92), et Audin, à Saint Brice Courcelles (51) et a demandé à être commissionné sur ces deux clients ; que par lettre recommandée du 23 mars 2011, la société Cabur lui a répondu qu'il n'avait droit à être commissionné que sur les affaires qu'il traitait personnellement avec la clientèle de son secteur, ce qui n'avait pas été le cas pour ces deux clients ; que Monsieur Leroi, par courrier du 23 mars 2001 a maintenu sa demande en reprochant à la société Cabur de ne pas respecter son obligation d'exclusivité ;

Que c'est dans ce contexte, le différend demeurant après intervention de son conseil, que Monsieur Leroi a saisi Tribunal de grande instance de Soissons qui a rendu le jugement déféré à la cour ;

Sur quoi,

Attendu, à titre liminaire, qu'il n'y a pas lieu de répondre aux demandes de constatations et de "donner acte" formés dans les écritures des parties, qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du Code de procédure civile ;

Attendu que Monsieur Leroi soutient que l'obligation de le commissionner n'est que la conséquence financière de la violation par la société Cabur de son obligation d'exclusivité et de non-concurrence et que ce n'était pas selon les stipulations de l'article 7 qu'il convenait de trancher le litige mais selon les articles 2 et 6 du contrat d'agence pour examiner si l'intimée avait respecté ses obligations contractuelles, en particulier de ne pas lui faire concurrence dans son secteur géographique, à peine de nier le pouvoir de représentation qui lui a été donné donc de remettre en cause l'objet même du contrat d'agence commerciale ; qu'il ajoute que le respect de l'exclusivité implique, pour le mandant, le strict respect des obligations d'information et de loyauté lui interdisant de contacter un client dans le secteur accordé en exclusivité sans le prévenir ou l'informer et que ce non-respect constitue une atteinte à ladite convention, sanctionnable en elle-même indépendamment de la question du droit à commission sur les affaires du secteur géographique accordé en exclusivité et que cette faute est de nature à entraîner la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Cabur ;

Attendu que pour sa part la société Cabur soutient que l'article 7 du contrat, en prévoyant que la commission n'est due que sur les affaires traitées par l'agent, constitue, au sens de la Cour de cassation, une convention contraire, valable, aux dispositions de l'article L. 134-6 alinéa 1 et 2 du Code de commerce et qu'en l'espèce Monsieur Leroi n'a jamais été en relation commerciale avec les deux clients en cause ; qu'elle estime que le fait d'avoir traité directement avec deux clients qui ne voulaient pas passer par l'intermédiaire de l'appelant, qui plus est, à des conditions identiques à celles pratiquées par ce dernier auprès de ces clients, ne peut en aucun cas caractériser un manquement à l'obligation de non-concurrence et la rendre responsable de la résiliation du contrat d'agence commerciale ;

Attendu que, dans sa rédaction issue de l'introduction de la Directive 86-653 CEE du 18 décembre 1986, l'article L. 134-6 du Code de commerce indique dans son alinéa 1er que "pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie par l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre" mais précise dans son alinéa 2 "lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminées, l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe" ;

Que, dans la perspective de cette directive européenne, cette disposition doit être interprétée en ce sens que l'agent commercial, lorsqu'il est ainsi chargé d'un secteur géographique, a droit à la commission afférente aux opérations conclues avec des clients appartenant à ce secteur, même si elles l'ont été sans son intervention sauf convention contraire tel, dans le cas présent, l'article 7 du contrat qui ne prévoit le versement de ladite commission que dans l'hypothèse où l'affaire a été traitée par l'agent donc avec son intervention ;

Attendu cependant, que pour pouvoir opposer cette disposition à Monsieur Leroi, encore faut-il que la société Cabur ait elle-même respecté son obligation d'exclusivité et de non-concurrence prévue aux articles 2 et 6 du contrat, à peine de vider de sens celui-ci ;

Que force est de constater que la société Cabur est intervenue directement sur le secteur de Monsieur Leroi sans procéder à son information comme elle le reconnaît dans ses écritures (p. 6, conclusions intimée) et dans sa lettre du 23 mars 2013 en réponse aux réclamations de son agent (pièce n° 3, idem), en précisant que des "prospects", ignorant son existence, la contacte directement, "le dernier en date (21/03/2011) une future société en cours de construction Eodyne M. Novack ou toute la présentation et la rédaction de l'offre de prix fut faite par nos soins (...)" ;

Qu'en outre Monsieur Leroi n'est pas démenti lorsque, dans son courrier en réponse du 29 mars 2011 (pièce n° 4-1, appelant), il relève qu'à l'occasion d'offres de prix faites à la société Eodyne "il eut été normal de lui" (la société en cause) "indiquer toutes mes coordonnées et de prendre les siennes car je n'ai ni son adresse, ni son téléphone, je ne sais même pas si c'est dans ma zone. (...) En revanche, vous ne m'avez pas mis en copie quand vous avez envoyé une offre à la société Eutelec en Octobre dernier (située pourtant à 15 km de mon domicile). Cette fois-ci, le potentiel n'était pas le même car il s'agit d'un constructeur de coffrets donc à fort potentiel pour la société Cabur", et souligne, en précisant que cet ensemble nuit gravement à la bonne exécution de son contrat, que l'intimée ne lui adresse pas les accusés de réception et les doubles de commandes, les bons de livraisons de ses clients, les informations sur les communications téléphoniques qu'elle peut avoir avec ceux-ci alors, qu'elle ne lui adresse plus depuis septembre (2010) la liste des factures en retard de paiement pour faire des relances et ne l'informe pas des paiements obtenus après une action, enfin, rappelle que s'agissant d'un contrat signé par les deux parties, la modification à la baisse de son taux de commission nécessite son accord ;

Qu'il s'évince de ces constatations, d'une part, que la société Cabur n'ayant respecté son obligation tant d'exclusivité, de non-concurrence que de loyauté et d'information, ne peut opposer à Monsieur Leroi les dispositions de l'article 7 du contrat d'agence commerciale, d'autre part, que ce comportement caractérise une faute de nature à entraîner la résiliation du contrat d'agence commerciale à ses torts exclusifs ;

Attendu que la résiliation du contrat ouvre droit à une indemnité en réparation du préjudice subi conformément aux dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce et ce, à hauteur de deux années, selon l'usage professionnel, en l'espèce, non contesté en son principe par l'intimée ainsi qu'à une indemnité compensatrice de préavis équivalent à trois mois de commissions selon les dispositions de l'article L. 134-11 du même Code ;

Qu'au regard du dernier tableau des commissions lui revenant pour le seul mois de février 2012 (pièce n° 5, intimée) alors que la société Cabur ne démontre pas et n'offre d'ailleurs pas de démontrer en quoi ses demandes sont "tant infondées qu'extravagantes", il sera fait droit aux demandes de Monsieur Leroi fondées sur les textes précités, à parfaire au vu, sur injonction faite à la société Cabur dans les termes du dispositif à intervenir, de la production de l'ensemble des balances clients situés dans le secteur géographique qui lui a été confié contractuellement sur les exercices 2009 à 2012 ;

Qu'en revanche, n'établissant pas l'atteinte alléguée à son image de marque du fait de l'atteinte à son droit d'exclusivité, Monsieur Leroi sera débouté de sa demande de ce chef ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la société Cabur n'est pas fondée en sa demande de dommages-intérêts pour abus de procédure ;

Attendu que la solution du litige, eu égard à la situation économique des parties et à l'équité, commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile dans les termes du dispositif du présent arrêt ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat d'agence commerciale, Statuant à nouveau, dans cette limite dit que la résiliation du contrat d'agence commerciale conclu entre la société Cabur France SARL et Monsieur François Leroi le 20 mars 2009 est le fait fautif de la société Cabur France SARL, Condamne la société Cabur France SARL, sauf à parfaire au vu de la production de l'ensemble des balances clients situés dans le secteur géographique qui lui a été confié contractuellement sur les exercices 2009 à 2012, à verser à Monsieur François Leroi : - la somme de 60 174 euro au titre de la cessation du contrat, - la somme de 7 520 euro HT, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, Ordonne à la société Cabur de produire l'ensemble des dites balances certifiées conformes par un commissaire aux comptes avec le détail des factures, jusqu'à la date de la résiliation du contrat, sous astreinte de 100 euro par jour de retard dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ; Ordonne la capitalisation des intérêts des sommes ainsi allouées dans les conditions fixées par l'article 1154 du Code civil, Condamne la société Cabur France SARL à verser à Monsieur François Leroi la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes des parties, Condamne la société Cabur France SARL au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel avec admission, pour ceux d'appel, de l'avocat concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.