Livv
Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 23 mai 2014, n° 12-03841

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hennebert

Défendeur :

Bourdin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Potee

Conseillers :

Mme Contal, Mme Clement

Avocats :

Mes Musereau, Berne, Laurent, Grangeon

TGI Sables d'Olonne, du 11 sept 2012.

11 septembre 2012

EXPOSE DU LITIGE

M. Bourdin a acquis de M Hennebert un voilier d'occasion de type Passoa 50 construit en 1997 moyennant le prix de 360.000 euro suivant compromis du 31 janvier 2008 stipulant que "l'acquéreur reconnaissait bien connaître le navire pour l'avoir visité et l'accepter en l'état où il se trouve (sous réserve de défaut majeur révélé par expertise)".

L'acte de vente définitif a été signé le 17 mai 2008, sans que M. Bourdin ait fait procéder à une expertise.

M. Bourdin ayant découvert d'importants désordres affectant la coque en aluminium, a fait assigner M. Hennebert en référé le 19 août 2009 aux fins de désignation d'un expert lequel a conclu à l'existence d'un vice caché.

Au vu des conclusions de ce rapport, M. Bourdin a saisi le Tribunal de grande instance des Sables d'Olonne d'une action estimatoire en garantie des vices cachés, demandant la restitution d'une somme de 147 637,64 euro et, soutenant que le vendeur était de mauvaise foi, l'indemnisation de ses divers autres préjudices.

Par jugement du 11 septembre 2012, le tribunal a :

- dit que le bateau était atteint de vices cachés ;

- déclaré M. Bourdin bien fondé en son action estimatoire ;

- condamné M. Hennebert à payer à M. Bourdin la somme de 109 402,04 euro avec intérêts au taux légal à compter du 25 mai 2011 au titre de la réfaction du prix de vente ;

- dit que M. Hennebert avait, lors de la vente, connaissance des vices cachés affectant le bateau ;

- condamné en conséquence M. Hennebert à payer à M. Bourdin les sommes de 30.000 euro en réparation de son préjudice de jouissance et 15 000 euro en réparation des désagréments subis ;

- ordonné la capitalisation des intérêts ;

- condamné M. Hennebert à verser à M. Bourdin la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

-ordonné l'exécution provisoire à hauteur de moitié des sommes allouées.

M. Hennebert a relevé appel de ce jugement le 30 octobre 2012 et demande à la cour de :

- Réformer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance des Sables d'Olonne du 11 septembre 2012,

- Déclarer irrecevables les demandes de M. Bourdin,

- Subsidiairement, l'en débouter,

- Plus subsidiairement, dire n'y avoir lieu à action estimatoire en l'absence d'arbitrage par expert,

- Plus subsidiairement, réduire la demande de M. Bourdin en restitution d'une partie du prix à de plus justes proportions, compte-tenu de la faute de l'acquéreur,

- Réduire les demandes indemnitaires de M. Bourdin au titre de la privation de jouissance et des désagréments causés par la procédure à de plus justes proportions,

- En toute hypothèse, condamner M. Bourdin à verser à M. Hennebert la somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

M. Hennebert fait valoir principalement qu'il s'est mépris sur la corrosion de la coque, pensant qu'il s'agissait d'une corrosion limitée et normale, ayant une cause accidentelle.

Il soutient n'avoir rien dissimulé et que le vice était apparent.

Il expose également qu'il a apporté un soin extrême à l'entretien de son bateau acquis en 1997 pour faire le tour du monde, que l'expert l'a reconnu mais n'en a pas tiré les bonnes conclusions, qu'en effet, M. Hennebert soutient qu'il n'est pas vraisemblable qu'il ait pu laisser consciemment la coque se dégrader sans chercher à maîtriser le problème, qu'il relève que l'expertise a mis en évidence que la corrosion trouvait sa cause dans des fuites électriques qui n'étaient pas détectées par le détecteur de fuite, en état de marche, que l'absence de fuite décelable ne pouvait que conduire M. Hennebert à penser que les attaques de corrosion étaient minimes et se trouvaient résolues par les solutions mises en œuvre dans les différents pays où il a donné son bateau en réparation, pour des périodes assez longues pendant lesquelles il regagnait la France.

Il rappelle que la bonne foi se présume et que son ignorance, même impardonnable selon l'expert, n'induit pas la connaissance du vice, que d'ailleurs, il a laissé tout le temps nécessaire à l'acquéreur qui n'a pas jugé utile de recourir à une expertise avant l'acte de vente définitif.

Etant de bonne foi, M. Hennebert fait valoir qu'il n'est pas tenu de réparer les dommages connexes et est bien fondé à invoquer la clause d'exclusion de garantie contenue dans l'acte de vente définitif.

Sur la réfaction du prix, M. Hennebert soutient que la réduction de prix doit être arbitrée par expert et ne correspond pas au montant des réparations, ainsi que l'a dit le premier juge.

En outre la réparation effectuée par M. Bourdin , qui a consisté à la remise à neuf de la coque est excessive et une réparation par l'application d'un produit de type Belzona aurait dû être privilégiée, que le montant réclamé correspond à 44 % du prix du bateau lequel a déjà été diminué de 420.000 euro à 360 000 euro, ce qui aboutirait à une remise de 50 % du prix de vente.

Dans ses dernières conclusions du 25 mars 2014, M. Bourdin conclut à la confirmation du jugement pour partie et forme un appel incident en sollicitant

- 157 151,29 euro en principal ;

- 115 430 euro au titre du préjudice de jouissance ;

outre 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il soutient qu'il est bien fondé à agir en garantie des vices cachés, que le vendeur avait connaissance des vices, que la réfaction du prix doit correspondre aux dépenses de remise en état effectuées, dont certaines ont été à tort écartées par l'expert.

Il demande en outre le réexamen de l'indemnisation de postes du préjudice de jouissance subi.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 mars 2014.

MOTIFS

Sur l'existence de vices cachés

Après avoir mis à l'eau le bateau seulement 5 jours au mois d'août 2008, M Bourdin a fait procéder à des améliorations et un an s'est écoulé compte tenu de divers problèmes familiaux et de santé, avant qu'il n'envisage de partir ;

C'est en nettoyant l'antifooling existant dans le but d'appliquer une nouvelle couche que M. Bourdin découvre des boursouflures sous lesquelles apparaissent de l'enduit et sous cet enduit, des trous de corrosion ;

Puis en nettoyant les fonds du navire lors du démontage du plancher des toilettes, il constate la présence de trous profonds de plusieurs millimètres, puis apercevant un rai de lumière, a, avec un tournevis traversé la coque qui est normalement de 8mm d'épaisseur à cet endroit ;

Le sablage léger de la coque et celui du puits de dérive a révélé de nombreuses corrosions ;

Il ressort du rapport d'expertise que la corrosion est ancienne et nécessairement antérieure à la vente, une corrosion galvanique ne pouvant se produire qu'en présence d'eau, et ne pouvant être due aux 5 jours de navigation postérieurs à l'achat du navire ;

L'expert a fait procéder au sablage des œuvres vives et mortes afin de pouvoir constater les dommages et déterminer l'origine de la corrosion qu'il a attribué à un défaut de montage de l'éolienne (et plus précisément à l'absence d'isolation du relai de surcharge de l'éolienne lorsque les batteries ne sont pas en charge et au passage d'un courant faible mais constant du mâtereau de l'éolienne vers la coque) ;

Les dommages décrits en page 9 du rapport d'expertise l'ont été après sablage et constituent par conséquent des vices caché ;

Dès lors qu'ils affectent la coque du bateau et donc sa navigabilité, ils présentent un caractère de gravité et rendent impropre le bien à l'usage auquel il est destiné au sens de l'article 1641 du Code civil, peu important le fait que certains vices aient pu être apparents pour un œil averti selon l'expert, étant néanmoins observé que ce n'est qu'en entreprenant des travaux que l'acquéreur, réputé profane en l'espèce, a commencé à s'apercevoir de l'existence de vices, dont l'ampleur s'est révélée au fur et à mesure de ses investigations ;

M. Bourdin est donc bien fondé à mettre en œuvre la garantie légale des vices cachés ;

Sur la bonne ou mauvaise foi du vendeur ;

M. Hennebert, qui n'ignorait pas l'existence d'une corrosion, se retranche derrière le fait qu'elle est habituelle en matière de coque métallique et qu'il en ignorait l'ampleur ;

Il résulte du rapport d'expertise (page 11 et 14) :

- que l'examen de l'arbre d'hélice et de la bague hydrolube montrent bien que l'entretien de fond du navire n'était pas effectué avec toutes les diligences ;

- que l'usure de la bague hydrolube est inadmissible sur un navire entretenu normalement ;

- qu'elle a très probablement conduit à la cassure du tube d'étambot ;

- que la tentative de réparation de la cassure au niveau du tube d'étambot n'a pu être faite sans en aviser le propriétaire ;

- que compte tenu des nombreuses réparations ou bouchages à l'enduit epoxy, le propriétaire ne pouvait ignorer ces réparations ni leur nombre et ne pas se poser la question de l'origine de ces corrosions ;

M. Hennebert ne saurait donc invoquer le fait que les réparations ont été réalisées dans des pays étrangers et que du fait de la barrière de la langue, il n'a pas eu toutes les explications nécessaires ;

Dans ces conditions, il lui appartenait de plus fort de faire procéder à des investigations qui lui auraient permis de mesurer l'état exact du bateau avant de vendre celui-ci, d'autant qu'une vigilance particulière s'impose pour les coques métalliques dans la surveillance régulière des fuites électriques ( ses pièces n° 9 et 40) ;

Au lieu de cela, il ne peut qu'être constaté qu'il a fait réaliser une peinture antifooling aux Açores en avril 2007, juste avant de rentrer au port de Noirmoutier où son bateau serait mis en vente, la seule volonté de présenter un navire "faisant honneur à son comité d'accueil à son port d'attache" ne pouvant être admise au titre d'une bonne foi présumée dans la mesure où l'antifooling doit être réalisé peu de temps avant la remise à l'eau alors qu'en l'espèce, il rentrait au port pour une durée indéterminée, l'aspect superbe du bateau ayant conduit M. Bourdin à ne pas procéder à des investigations poussées, ce qui ne peut lui être reproché ;

L'expertise a ainsi mis en évidence la connaissance par le vendeur des vices dus à la corrosion, vices dont il ne pouvait ignorer l'ampleur et dont il ne résulte pas du dossier qu'il en ait fait part, même a minima, à l'acquéreur.

Il convient donc de retenir la mauvaise foi de M. Hennebert ;

Sur la clause de non garantie

Le vendeur de mauvaise foi ne peut opposer à l'acquéreur la clause de non garantie incluse dans le contrat de vente. M. Bourdin est donc bien fondé en son action estimatoire en application de l'article 1644 du Code civil ;

Sur la réfaction d'une partie du prix, objet de l'appel incident de M. Bourdin

En vertu de l'article précité, M. Bourdin a choisi "de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts".

La réduction du prix est proportionnelle à la diminution de valeur de la chose et a pour limite maximum le montant des réparations payé par l'acheteur ;

Le coût des travaux de remise en état est donc une indication pour le juge qui n'a pas, en présence d'une expertise fixant ce coût, à recourir de nouveau à l'arbitrage d'experts ainsi que l'a retenu exactement le premier juge ;

L'expert a répondu amplement sur le choix de remplacement des tôles de la coque en raison de la densité des cratères plutôt que leur réparation au Belzona, solution non pérenne et non usuelle pour les bateaux de plaisance ; Il a ensuite retenu 75 % du coût de la réparation de la coque compte tenu de l'amélioration qu'elle induit, ce qu'il y a lieu d'admettre dans le cadre d'une réfaction du prix qui n'implique pas de mettre à la charge du vendeur la totalité des dépenses de remise en état ;

Il en est de même de la peinture qui a été retenue par l'expert à concurrence de 50 % ;

Concernant les autres demandes de M. Bourdin, relatives aux travaux d'achèvement et aux frais de gardiennage, il y a lieu d'admettre la réponse de l'expert au dire n° 8 de M. Bourdin et d'écarter ces demandes ;

Il ressort de l'ensemble des pièces produites que la fixation de la réfaction du prix a été fixée à juste titre à 109 402,04 euro par le tribunal, ce en quoi le jugement recevra confirmation;

Sur l'indemnisation des autres postes de préjudices

Le tribunal a, par des motifs pertinents que la cour adopte, fixé à 30 000 euro le préjudice de jouissance subi par M. Bourdin du fait de l'indisponibilité du bateau pendant un an (de juin 2009 à juin 2010) en énonçant que la réparation de ce préjudice ne pouvait correspondre au coût de la location d'un voilier de même type pendant toute la période d'immobilisation ;

Le jugement sera de même confirmé en ce qu'il a fixé à 15.000 euro le préjudice lié aux désagréments dans la vie quotidienne tenant aux perturbations inhérentes à la découverte des vices (déplacements, présence sur le chantier naval, ...), non contesté de manière pertinente par l'appelant ;

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile ;

M. Hennebert supportera les dépens. Il est en outre équitable d'allouer à M. Bourdin une somme de 5.000 euro au titre des frais irrépétibles exposés ;

Par ces motifs LA COUR Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Condamne M. Hennebert à verser à M. Bourdin une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Hennebert aux dépens