CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 23 mai 2014, n° 12-19652
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dubuisson
Défendeur :
Menanteau, Automobiles Peugeot (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vidal
Conseillers :
Mmes Richard, Martini
Avocats :
Mes Bouaziz, Ayala, Bortolotti, Dumont, Barety, Lefeuvre
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 6 décembre 2007, Mme Ménanteau a acquis au prix de 13 300 euros auprès M. Dubuisson exerçant sous l'enseigne Henzo courtage un véhicule d'occasion 807 de marque Peugeot ayant parcouru 88 650 kms. Se plaignant de désordres consistant en des infiltrations d'eau par les toits ouvrants et un calage intempestif du moteur Mme Ménanteau a sollicité en référé une expertise, confiée le 15 décembre 2009 à M. Bayetto, qui a déposé son rapport le 15 novembre 2010 en concluant, s'agissant du moteur : "Les travaux n'ont pas révélé de défauts enregistrés, et un essai routier de 26 kilomètres n'a pas permis de reproduire les symptômes déclarés par Mme Ménanteau" ; et s'agissant des infiltrations d'eau : "L'origine de l'avarie provient du décalage des joints d'étanchéité des toits ouvrants sur le pavillon. Il s'agit d'un joint en feutre collé sur une surface métallique qui tend à se décaler à la suite de phénomènes vibratoires, desserrage ou usure. L'absence de réglage ou de dispositif de compensation du jeu entre le cadre et la tôle de pavillon, ne permet aucun rattrapage de l'usure du joint ou des vibrations. Il s'agit d'un vice de conception". Il a estimé le montant des dommages à 2 644,62 euros TTC pour les frais de remise en état du véhicule, 4 000 euros TTC pour la dépréciation usuelle du véhicule consécutive à son immobilisation, et 9 881,40 euros pour la perte de jouissance.
Sur la base de ce rapport, Mme Ménanteau a assigné au fond M. Dubuisson, qui a appelé en intervention forcée la société Automobiles Peugeot, constructeur du véhicule. Par jugement du 2 août 2012 assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de grande instance de Fontainebleau a prononcé la résolution de la vente du véhicule et a condamné M. Dubuisson à rembourser à Mme Ménanteau le prix de 13 300 euros et à lui verser la somme de 4 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance outre celle de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire. Le même jugement a pris acte de ce que Mme Ménanteau tenait le véhicule à la disposition de M. Dubuisson à charge pour lui de venir le reprendre à ses frais une fois le remboursement du prix effectué, a condamné la société Automobiles Peugeot à garantir M. Dubuisson des condamnations prononcées au titre du préjudice de jouissance, des frais irrépétibles et des dépens, et a rejeté les autres demandes.
M. Dubuisson a relevé appel de ce jugement et, dans ses dernières conclusions notifiées le 23 décembre 2013, il demande d'infirmer la décision en toutes ses dispositions, de débouter Mme Ménanteau de toutes ses demandes, subsidiairement de limiter sa réclamation à la seule réparation des désordres tels qu'évalués par l'expert à la somme de 2 644,62 euros, encore plus subsidiairement de constater au visa de l'article 1646 du Code civil qu'il ne pouvait être tenu que de la seule restitution d'un prix de 12 900 euros après déduction de la moins-value afférente à l'usage exclusif du véhicule par Mme Ménanteau jusqu'au 12 septembre 2008, et en tout état de cause de constater au visa de l'article 1641 du même Code qu'il a la qualité de sous-acquéreur du véhicule et dispose d'une action directe à l'encontre de la société Automobiles Peugeot et en conséquence de dire que celle-ci est tenue de verser à M. Dubuisson contre restitution du véhicule la somme de 13 300 euros correspondant à son prix de vente. Il demande en outre de condamner la société Automobiles Peugeot à le relever et garantir de toutes condamnations susceptibles d'intervenir en principal, intérêts, frais et accessoires au profit de Mme Ménanteau et de les condamner ensemble à verser la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel. Il fait valoir que le désordre relève de l'entretien incombant à l'utilisatrice, qu'il doit être tenu compte de l'usage du véhicule dans la détermination du prix, et que l'indemnité pour privation de jouissance est incompatible avec l'effet rétroactif de résolution de la vente.
Formant appel incident, la société Automobiles Peugeot demande, dans ses dernières conclusions notifiées le 18 février 2014, d'infirmer le jugement, de dire que M. Dubuisson ne rapporte pas la preuve de l'existence, de la cause et de l'antériorité à la première mise en circulation du prétendu vice caché qu'il invoque au soutien de son appel en garantie, et de le débouter de l'intégralité de ses demandes. A titre subsidiaire, elle demande de constater qu'elle n'a pas cédé le véhicule d'occasion litigieux et en conséquence de confirmer le jugement seulement en ce qu'il a débouté M. Dubuisson de sa demande tendant à la voir condamner à le garantir du paiement du prix de 13 300 euros et de débouter M. Dubuisson de ses autres demandes. Elle sollicite sa condamnation à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 3 janvier 2014, Mme Ménanteau poursuit la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, et sollicite la condamnation de M. Dubuisson à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le tribunal a fait une exacte application des articles 1641 et suivants du Code civil en prononçant la résolution de la vente du 6 décembre 2007 qui lui était demandée, après avoir retenu que le véhicule était affecté d'un vice préexistant à la vente dont l'acheteur n'avait pas connaissance et qui rendait le véhicule impropre à sa destination.
En effet, l'expert qui a procédé à un test d'étanchéité a constaté des fuites d'eau importantes dans l'habitacle du véhicule provenant du décalage des joints d'étanchéité des toits ouvrants qu'il a qualifié de vice de conception, de nature à en empêcher l'utilisation normale et courante, et dont l'acquéreur ne pouvait se convaincre qu'à l'usage du véhicule. Il a précisé que ces fuites pouvaient nuire au bon fonctionnement des équipements électroniques du véhicule et à la santé des occupants, caractérisant ainsi une atteinte à l'usage du véhicule telle que l'acheteur ne l'aurait pas acquis ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il l'avait connu. C'est en vain que M. Dubuisson soutient que le désordre relève de l'entretien incombant à l'utilisatrice alors que l'expert a relevé qu'il n'existait pas de procédure d'entretien particulière périodique préconisée par le constructeur concernant cette pièce. Son avis rejoint celui de M. Jarret, expert amiable, qui avait déjà conclu le 6 février 2009 que l'infiltration d'eau était imputable à un défaut de conception et exclu une carence d'entretien ou une mauvaise utilisation. L'expert a également indiqué de la manière la plus nette, en réponse à un dire de M. Dubuisson : "Les fuites ne sont pas consécutives à une usure du joint mais à son déplacement dans la gorge du toit", et en réponse à un dire de la société Peugeot : "Il ne s'agit pas d'une usure mais d'un déplacement du joint, raison pour laquelle la défaillance a pu apparaître en cours d'utilisation du véhicule". Il a expliqué à cette occasion que la surface d'appui convexe sur une circonférence importante disposée entre un châssis rigide et une tôle plus souple, le tout soumis à la pression et dépression aérodynamique, pouvait provoquer des vibrations et le glissement du joint dans la lucarne du toit telle qu'elle était constatée. L'analyse de l'expert n'est remise en cause par aucun élément contraire. Si d'autres causes possibles ont été envisagées comme le souligne la société Peugeot, à savoir l'action extérieure d'un tiers, un mauvais encollage, un manque de serrage du cadre par rapport au toit ouvrant, un mauvais jeu fonctionnel entre le toit ouvrant et la tôle de pavillon, l'expert les a exclues au même titre que l'usure après avoir vérifié que les vis de fixation des toits ouvrants étaient correctement serrées, que les cordons de colle des joints étaient réguliers et qu'ils ne comportaient pas de marques extérieures.
Le droit à résolution de la vente ne peut être contesté à l'acquéreur, libre d'exercer l'option entre les deux actions rédhibitoire ou estimatoire que lui offre l'article 1644 du Code civil, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon la gravité du vice puisque celui-ci une fois prouvé suffit à fonder la mise en jeu de la garantie. En application de ce même texte, la résolution de la vente choisie par l'acquéreur emporte l'obligation du vendeur de lui restituer l'intégralité du prix, sans qu'il puisse être affecté d'une moins-value liée à l'usage du véhicule comme il le prétend, à charge pour l'acquéreur de lui rendre la chose vendue ainsi que l'a exactement jugé le tribunal. En sa qualité de vendeur professionnel, M. Dubuisson, censé connaître les vices affectant la chose vendue, est tenu en application de l'article 1645 du même Code de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. Le préjudice de jouissance causé à l'acquéreur du fait de l'immobilisation du véhicule depuis le 12 septembre 2008 a été justement apprécié.
Le vice affectant le véhicule étant un vice de conception, en germe depuis la mise en circulation du véhicule, le vendeur intermédiaire est fondé à solliciter la garantie du constructeur. Celui-ci ne peut cependant être tenu de garantir la perte du prix auquel, du fait de la résolution de la vente et de la remise de la chose, le vendeur n'a plus droit et dont la restitution ne constitue donc pas pour lui un préjudice indemnisable. C'est donc exactement que le tribunal a limité la garantie à la réparation de la privation de jouissance consécutive au défaut de la chose vendue ainsi qu'aux frais et dépens.
Il est équitable de compenser à hauteur de 2 000 euros les frais non compris dans les dépens que Mme Ménanteau a été contrainte d'exposer en appel.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne M. Dubuisson aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à payer à Mme Ménanteau la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Automobiles Peugeot à garantir M. Dubuisson de la condamnation prononcée à son encontre au titre des frais et dépens, Déboute les parties de leurs autres demandes