CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 juin 2014, n° 12-07193
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Socodicor (SA)
Défendeur :
Manitoba Praxis Communication (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Bompard, de Mascureau, Friedmann
FAITS ET PROCÉDURE
Depuis l'année 1996, la Société Coopérative de Distribution de Concessionnaires Réunis (ci-après la société Socodicor) a confié à la société Manitoba Praxis Communication (ci-après la société Manitoba) la réalisation graphique d'un catalogue intitulé "Campa Sélection", moyennant une rémunération de 29 000 HT par catalogue à raison de quatre numéros par an.
Le contrat s'est prorogé tacitement sans modification jusqu'en 2007, date à laquelle les parties ont convenu, à l'initiative de la société Socodicor, que la rémunération de la société Manitoba serait de 26 100 HT par catalogue.
En avril 2009, les deux sociétés ont entrepris des négociations en vue de la conclusion d'un contrat pour une durée ferme de trois ans moyennant une rémunération de 15 000 par catalogue.
Par courriel du 10 septembre 2009, et par télécopie du 17 septembre 2009, la société Socodicor a informé la société Manitoba de sa volonté de mettre fin à leur relation commerciale et le 21 septembre 2009, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Manitoba a demandé à la société Socodicor de respecter un préavis de six mois en raison de l'ancienneté de leur relation et de lui régler les deux derniers numéros du catalogue qui avaient été édités sur la base de leurs accords antérieurs à leurs négociations alors qu'elle les avait facturés au prix unitaire de 15 000 HT.
C'est dans ces conditions que la société Manitoba à fait assigner la société Socodicor devant Tribunal de commerce de Paris le 7 décembre 2010.
Par jugement rendu le 13 mars 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Socodicor à payer à la société Manitoba la somme de 26 132 TTC ;
- condamné la société Socodicor à payer à la société Manitoba la somme de 21 500 et l'a débouté du surplus ;
- débouté la société Socodicor de sa demande de dommages et intérêts ;
- condamné la société Socodicor à payer à la société Manitoba la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 17 avril 2012 par la société Socodicor contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées le 11 juillet 2012 par lesquelles la société Socodicor demande à la cour de :
- dire la société Manitoba non recevable en tout cas non fondée en ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Socodicor ;
L'en débouter ;
- décharger la société Socodicor des condamnations prononcées contre elle au bénéfice de la société Manitoba ;
- constater que la société Manitoba ne peut prétendre à un prix supérieur à 15 000 pour les exemplaires 70 et 71 qu'elle a facturé à un prix supérieur de 15 000 sur lequel elle ne pouvait pas revenir ;
- constater encore qu'aucune faute quelconque ne peut être reprochée à la société Socodicor dans la rupture des relations entre les parties et qu'en tout cas la société Manitoba a été suffisamment prévenue ;
En toute hypothèse :
- constater que la société Manitoba ne justifie d'aucun préjudice quelconque en relation de causalité directe avec la décision de rupture des relations contractuelles entre les parties ;
Recevant la société Socodicor en sa demande reconventionnelle déclarée fondée :
- condamner la société Manitoba à verser à la société Socodicor la somme de 50 000 à titre de dommages et intérêts ;
- condamner encore la société Manitoba à payer à la société Socodicor la somme globale de 8 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelante fait valoir, concernant la demande en paiement de la somme de 22 000 HT, que la société Manitoba ne peut prétendre obtenir plus que ce qu'elle a facturé pour une prestation convenue.
Elle ajoute, à propos de la demande de la société Manitoba en paiement de dommages-intérêts pour rupture du contrat sans préavis, que la société Manitoba a commis des fautes dans l'exécution de la relation contractuelle d'une gravité telle qu'elle rendait celle-ci insupportable et que les échanges de mails et les mises en garde successives permettaient à la société Manitoba de prévoir de façon claire et non équivoque la fin de ces relations sans qu'elle puisse bénéficier d'un préavis.
Elle ajoute que la société Manitoba ne démontre aucunement l'existence d'un quelconque préjudice subi par elle et estime qu'elle a de son côté exécuté le contrat en toute bonne foi alors que l'apport de l'agence de communication, pendant plus de 11 ans, a été insignifiant vis à vis des prix exigés qui étaient en réalité déconnectés de contrepartie réelle.
Elle rappelle enfin qu'au titre de ce contrat elle a versé plus de 100 000 par an et que c'est donc elle qui subit un préjudice du fait de l'inutilité des prestations facturées, démonstration qui résulte selon elle de la comparaison du prix facturé entre les anciens catalogues surfacturés et de celui appliqué alors que les catalogues avaient bénéficié d'une amélioration.
Vu les dernières conclusions signifiées le 27 décembre 2012 par lesquelles la société Manitoba demande à la cour de:
- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a alloué à la société Manitoba une somme de 22 000 HT, soit 26 312 TTC, et en ce qu'il lui a été alloué une somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- recevoir la société Manitoba en son appel incident ;
- constater que la société Socodicor n'a pas exécuté de bonne foi le contrat la liant à la société Manitoba ;
- débouter la société Socodicor de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- constater que le prix de 15 000 par numéro était subordonné à la conclusion d'un contrat de trois ans qui n'a jamais été régularisé par la société Socodicor ;
- condamner en conséquence la société Socodicor à payer à la société Manitoba au titre des numéros 70 et 71 du magazine la somme complémentaire de 11 000 par numéro, soit la somme de 22 000 TTC et la somme de 26 312 TTC ;
- constater que la société Socodicor a rompu sans aucun préavis le contrat la liant à la société Manitoba ;
- infirmer partiellement le jugement déféré quant au délai de préavis qu'aurait dû respecter la société Socodicor;
- dire que la société Socodicor aurait dû respecter un délai de préavis de rupture de douze mois ;
En conséquence :
- condamner la société Socodicor à payer à la société Manitoba la somme de 43 000 à titre de dommages et intérêts ;
- condamner la société Socodicor à payer à la société Manitoba la somme de 5 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée fait valoir que la société Socodicor a exécuté de mauvaise foi le contrat qui les liait, conduisant la société Manitoba à diminuer sa facturation de manière importante sans respecter la contrepartie promise, dans la mesure où elle n'avait accepté de baisser sa facturation que dans la mesure où la société Socodicor s'engageait sur une durée ferme de trois ans.
Elle ajoute que, loin de n'effectuer aucun travail sur les catalogues, elle réalisait au contraire un travail important que la société Socodicor ne pouvait pas effectuer elle-même, n'étant pas outillée en interne pour le faire.
Elle soulève également que l'absence de préavis de rupture des relations commerciales établies avec la défenderesse a provoqué pour elle un préjudice qui doit être indemnisé, les prétendues justifications apportées par la société Socodicor étant inopérantes, et souligne qu'il n'est pas nécessaire d'être dans un état de dépendance économique pour que l'absence de préavis soit indemnisable, ni même d'établir l'importance du chiffre d'affaires perdu par rapport au chiffre d'affaires de l'entreprise.
Elle précise, concernant les demandes reconventionnelles de la société Socodicor, que celle-ci n'a jamais fait appel à elle en sa qualité d'agence de conseil en communication et ajoute que le contrat a duré plus de 13 ans sans aucune réclamation de la part de la société Socodicor, excepté par son nouveau président qui a souhaité la remplacer par sa propre société.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Considérant que la société Socodicor n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière.
Sur la demande en paiement au titre des numéros 70 et 71 du catalogue "Campa Selection"
Considérant que la société Socodicor fait observer que la société Manitoba a facturé l'édition des deux numéros 70 et 71 au prix de 15 000 chacun, de sorte qu'elle ne peut exiger davantage, affirmant que le prix ainsi consenti n'était pas lié à la signature d'un nouveau contrat au terme duquel elle se serait engagée sur trois ans comme le soutient la société Manitoba.
Considérant que la société Socodicor a indiqué par courriel du 8 avril 2009 qu'elle attendait la sortie du n° 70 pour signer le contrat , puis de même par courriel du 24 juin 2009 pour le n° 71, ce qui démontre bien que les parties étaient en discussion sur la signature d'un nouveau contrat qui stipulait un nouveau prix à la baisse ; que, si au vu de l'assurance donnée par la société Socodicor, la société Manitoba a facturé les deux derniers numéros au prix alors envisagé, il n'en demeure pas moins que ce contrat n'a pas été signé par les parties et donc que seul était en vigueur et faisait la loi des parties le contrat antérieur, qui fixait la rémunération de la société Manitoba à 26 100 HT par catalogue ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont condamné la société Socodicor à payer à la société Manitoba la somme de 22 000 HT.
Sur la rupture des relations commerciales
Considérant que la société Socodicor soutient avoir subi depuis 13 ans une facturation excessive au regard du service rendu, faisant valoir que les catalogues successifs n'étaient que des reproductions identiques aux précédents numéros sans véritable apport de la société Manitoba, l'essentiel des modifications concernant des mises à jour des produits et des tarifs qui étaient réalisées par elle et que lorsque la société Manitoba a accepté de réduire ses prix en les alignant sur ceux du marché, elle avait constaté la régression de la qualité du service de mise en page ; qu'elle ajoute que la société Manitoba a été avertie de longue date, soit depuis le 2 avril 2007, de son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale existante et qu'elle a donc bénéficié d'un préavis.
Considérant que la société Socodicor n'apporte aucun élément quant aux prix qui auraient été pratiqués sur le marché et qui démontreraient que ceux convenus avec la société Manitoba étaient excessifs, ce qui ne saurait résulter de ce que celle-ci a accepté de les baisser en 2007 et qu'elle avait accepté une nouvelle baisse à l'occasion d'un nouveau contrat, quand bien même il en serait alors résulté au total une réduction de 42 % ; que d'ailleurs M. Cornu, le directeur de la société Socodicor a envoyé un courriel le 2 avril 2007 à la société Manitoba en ces termes "il me faut absolument réaliser des économies à tous les niveaux; peux-tu revoir ce prix ou non", n'évoquant nullement une pratique abusive de la société Manitoba par rapport au marché mais seulement des exigences de sa société ;
Que, de plus, comme l'ont relevé les premiers juges, la société Socodicor ne justifie pas du coût facturé par son nouveau prestataire.
Considérant que la société Manitoba soutient avoir réalisé un travail important, versant une attestation de son directeur de production qui indique "L'organisation et la gestion du projet (hors production graphique) représentaient en moyenne une semaine homme", semaine à laquelle s'ajoutaient trois semaines de production avec l'intervention d'autre salariés.
Considérant que la société Socodicor a adressé un seul courriel de reproches à la société Manitoba, ceux-ci ayant porté exclusivement sur le n° 70 ; que cette édition correspondait à la mise en place d'une nouvelle maquette ce qui nécessitait une période de mise en place ; que la société Socodicor indiquait alors à la société Manitoba : "Vous devez trouver une solution pour que le numéro 71 ne se passe pas comme ça" ; qu'au surplus, les reproches concernant le n° 70 étaient très généraux, la société Socodicor se plaignant de ce que les maquettistes n'avaient selon elle pas "la moindre logique marketing" ; que par un courriel du 1er mai 2009, la société Manitoba, prenant acte de l'insatisfaction de la société Socodicor, lui a proposé "Je vous invite à nous réunir où vous le souhaitez et notamment avec plaisir à l'agence avant la mi-juin début de préparation du n° 71" ; que la société Socodicor n'a fait aucun reproche sur le numéro 71, ce qui démontre la diligence avec laquelle la société Manitoba a répondu aux remarques faites sur le numéro précédent.
Considérant que la société Socodicor ne justifie donc de reproches que sur un numéro sur 13 ans sans avoir alors évoqué une possible rupture et ayant au contraire demandé l'édition du numéro suivant ; que dès lors ces reproches ne présentaient pas une gravité telle qu'ils puissent justifier d'une rupture immédiate des relations commerciales ; que la société Manitoba était fondée à croire à une poursuite des relations commerciales, d'autant qu'elle avait accepté une négociation comportant une nouvelle baisse de sa rémunération comme le demandait la société Socodicor ; qu'en conséquence, la société Socodicor a rompu brutalement les relations existantes, privant son cocontractant de tout préavis écrit ; que la rupture est donc fautive et ouvre droit à réparation pour la société Manitoba.
Sur l'indemnisation du préjudice de la société Manitoba
Considérant que la société Socodicor fait valoir que le chiffre d'affaires de la société Manitoba s'élève à 3 679 000 alors qu'elle projetait la réalisation des quatre numéros de son catalogue pour un prix unitaire de 15 000 ce qui représentait un pourcentage insignifiant, de sorte que la rupture des relations commerciales ne pouvait pas la désorganiser.
Considérant que la société Manitoba fait valoir que le préjudice indemnisable n'est pas celui résultant de la rupture mais celui de l'absence de préavis et estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de douze mois correspondant à quatre numéros.
Considérant que les parties entretenaient une relation stable depuis 1996, portant sur l'édition de quatre numéros par an ; que les premiers juges ont fait une juste appréciation de ces éléments en fixant le préavis auquel pouvait prétendre la société Manitoba à 6 mois.
Que ce préavis doit être évalué au regard de la marge brute qui aurait été celle réalisée ; que pour ce faire, il y a lieu de prendre en compte la marge pratiquée jusqu'à la rupture et non celle qui aurait pu être réalisée si les parties avaient convenu d'un nouveau contrat ; que la société Manitoba fournit une attestation de son expert-comptable dont il résulte que sur un prix de vente de 26 000 , sa marge brute a été de 10 738 ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a évalué le préjudice résultant du préavis non exécuté à la somme de 21 500 .
Sur les demandes reconventionnelles de la société Socodicor
Considérant que la société Socodicor soutient que la société Manitoba n'aurait pas exécuté le contrat de bonne foi en n'apportant aucune plus-value dans la réalisation du catalogue alors qu'elle se présentait comme une agence spécialisée en matière de communication, faisant valoir qu'elle devait à ce titre, d'une part, orienter son cocontractant vers des solutions fiables, efficaces et financièrement intéressantes, d'autre part, prendre une part prépondérante dans la mise en page de ses catalogues promotionnels.
Considérant que la société Socodicor, qui a accepté depuis 1996 et jusqu'au numéro 69, les prestations réalisées par la société Manitoba sans émettre de critiques et qui a bénéficié, à sa demande d'un réajustement des prix, ne démontre pas qu'il avait été convenu d'une prestation de conseil en communication, ni que la société Manitoba aurait été déloyale dans l'exécution de ses prestations et dans la fixation de ses prix ; que c'est à juste titre que la société Socodicor a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Manitoba a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions Rejette toute autre demande plus ample ou contraire Condamne la société Socodicor à payer à la société Manitoba la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile Condamne la société Socodicor aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.