CA Reims, ch. civ. sect. 1, 3 juin 2014, n° 12-02427
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lapie Mailliet
Défendeur :
Holmer France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maillard
Conseillers :
Mme Dias Da Silva Jarry, M. Wachter
Avocat :
Me Brocard
RAPPEL DU LITIGE
Le 27 avril 2007, Mme Sylvie Lapie Mailliet, agricultrice, a acquis auprès de la SARL Holmer France une automotrice d'occasion destinée à la récolte de betteraves, de marque Matrot modèle M2001, moyennant le prix de 71 760 euro TTC.
La machine, livrée le jour-même, a été entreposée jusqu'à la campagne betteravière, qui a débuté en septembre 2007.
Plusieurs pannes sont survenues au cours des mois de septembre et octobre 2007.
Le 27 juin 2008, Mme Sylvie Lapie Mailliet a fait assigner la SARL Holmer France devant le Tribunal de grande instance de Reims aux fins d'annulation de la vente.
Par ordonnance du 6 janvier 2009, confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Reims du du 7 décembre 2009, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SARL Holmer France.
Par ordonnance du 6 juillet 2010, le juge de la mise en état a ordonné une expertise technique de la machine, qu'il a confiée à M. Breville.
Par jugement du 24 septembre 2012, le tribunal de grande instance, considérant qu'il n'était pas rapporté la preuve de l'existence d'un vice caché antérieur à la vente et que la demande subsidiaire fondée sur la garantie de conformité de l'article L. 211-4 du Code de la consommation était mal fondée dès lors que la machine avait été acquise dans le cadre de l'activité professionnelle d'exploitante agricole de Mme Lapie Mailliet :
- a débouté Mme Sylvie Lapie Mailliet de l'ensemble de ses demandes ;
- a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- a condamné Mme Sylvie Lapie Mailliet aux dépens de l'instance et a autorisé la SCP Blocquaux Brocard à les recouvrer directement dans les formes et conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
Mme Sylvie Lapie Mailliet a interjeté appel de cette décision le 15 octobre 2012.
Par conclusions notifiées le 14 mars 2014, Mme Sylvie Lapie Mailliet demande à la cour :
Vu les dispositions des articles 1184, 1147, 1603 et suivants et 1641 du Code civil,
Vu les rapports d'expertise établis ensuite des opérations d'expertise du 31 octobre 2007 et le rapport d'expertise judiciaire du 30 juin 2011,
- de dire et juger Mme Sylvie Lapie Mailliet recevable et bien fondée en son appel ;
Y faisant droit,
- d'infirmer le jugement dont appel ;
Et statuant à nouveau,
- de prononcer la résolution de la vente ;
- de condamner en tant que de besoin la SA Holmer France à en rembourser le prix à Mme Sylvie Lapie Mailliet, soit la somme de 71 760 euro TTC ;
- de dire et juger que le bien vendu sera tenu à disposition de la SA Holmer France au siège de l'exploitation de Mme Lapie Mailliet, à Val de Vesle (Marne) ;
- de condamner la SA Holmer France à payer à Mme Lapie Mailliet le montant des réparations effectuées par elle sur l'automotrice Matrot, à savoir :
- garage Sicama 6 671,16 euro
- Essor Automobile 406,00 euro
- Matrot Equipement 399,00 euro
- Matrot Equipement 366,50 euro
- Electro Diesel Lefevre 95,04 euro
- Mercedes 51,87 euro
- Transports Vandezande 1 060,00 euro
- Groupama 2 757,87 euro
- Thierart 155,00 euro
- intérêts bancaires 7 183,81 euro
- frais de dossier Caisse d'Epargne 110 euro
Soit au total 19 256,25 euro ;
- de condamner la SA Holmer France à payer à Mme Lapie Maillet la somme de 979,04 euro TTC en remboursement du préjudice subi consistant au recours qui a dû être fait à un prestataire pour l'arrachage de betteraves en 2007 ;
- de condamner la SA Holmer France à indemniser Mme Lapie Mailliet du manque à gagner qu'elle a subi n'ayant pu honorer ses engagements de prestation de services pour d'autres exploitations pour l'arrachage de betteraves, à savoir :
- année 2007 (facture Machet) 1 856 euro HT
- année 2007 (centaine d'hectares concernés) 24 780 euro HT
Soit au total 26 636 euro HT ;
- de condamner la SA Holmer France à payer à Mme Lapie Mailliet la somme de 5 000 euro au titre du préjudice moral subi ;
- de dire que ces sommes porteront intérêts, au taux légal, à compter du jour de l'assignation ;
- de condamner la société Holmer à payer à Mame Lapie Mailliet la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- de condamner la société Holmer France en tous les dépens, de première instance et d'appel, comprenant notamment les frais et honoraires d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la SCP Genet, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 7 mars 2013, la SARL Holmer France demande à la cour :
Vu les articles 1641 et suivants du Code civil,
Vu les articles 1184, 1147 et 1603 et suivants du Code civil,
- de dire et juger Mme Sylvie Lapie épouse Mailliet mal fondées en son appel ;
- de confirmer le jugement déféré ;
Y ajoutant,
- de condamner Mme Sylvie Lapie épouse Mailliet verser à la SARL Holmer France la somme de 8 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire, dont distraction est requise au profit de la SCP Blocquaux Brocard, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la garantie des vices cachés
L'article 1641 du Code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
En l'espèce, c'est d'abord à juste titre que les premiers juges ont écarté l'argument tiré par la société Holmer France de la stipulation au contrat de vente d'une clause de non garantie. En effet, la circonstance que Mme Lapie Mailliet est utilisatrice à titre professionnel du matériel litigieux ne suffit pas à faire d'elle une professionnelle du même domaine de compétence que la société Holmer France, sa qualité d'exploitante agricole lui conférant une expertise professionnelle dans le domaine de la production agricole, lequel ne saurait se confondre avec celui de la construction et de l'entretien des machines agricoles.
C'est ensuite par des motifs pertinents que la cour fait siens que le tribunal a considéré que les éléments de la cause ne permettaient pas de caractériser suffisamment l'existence de vices cachés antérieurs à la vente d'une gravité suffisante pour avoir à eux seuls rendu la machine impropre à son usage, ou à en avoir gravement diminué l'usage.
Les premiers juges ont en effet à bon escient rappelé dans le détail les conclusions de l'expert judiciaire, selon lesquelles la détermination des désordres existant lors de la vente s'était révélée délicate compte tenu du temps écoulé entre la cession et les opérations d'expertise, de l'immobilisation de la machine depuis 2007, de l'absence de possibilité de procéder à un examen fonctionnel, de la réalisation de travaux postérieurement à la vente sans conservation des pièces anciennes, certaines interventions ayant été réalisées par l'acquéreur lui-même. Ainsi, si l'expert n'exclut pas un manque d'entretien ou la réalisation de réparations défectueuses antérieures à la vente, il conclut cependant que les désordres affectant l'engin ont une origine plurifactorielle faisant également appel à l'usure de la machine et à son âge ainsi qu'à des manquements à l'entretien et à la maintenance postérieurs à la vente.
Il en résulte que l'expert n'a pas été en mesure de déterminer lequel de ces facteurs est prépondérant s'agissant de l'impropriété à destination de la machine. Les deux rapports d'expertise amiables respectivement établis à la demande de chacune des parties à des dates plus proches de la vente ne sont sur ce point d'aucun secours, puisqu'ils ne fournissent aucun élément exploitable sur les caractéristiques et sur la date d'apparition des désordres constatés.
Cette seule considération justifie le rejet de la demande formée sur le fondement de la garantie des vices cachés, étant rappelé que c'est à l'acheteur de faire la preuve de l'antériorité et du caractère rédhibitoire des vices.
La cour ajoutera pour appuyer la solution des premiers juges que, comme l'a opportunément rappelé l'expert judiciaire, la vente portait en l'occurrence sur un matériel agricole spécifique, exposé par sa nature même à d'importantes contraintes de fonctionnement, et représentant au demeurant un investissement financier non négligeable, de telle sorte que tout acheteur normalement prudent et diligent se devait de procéder préalablement à une inspection approfondie, avec des essais fonctionnels menés au besoin en recourant aux services d'un tiers compétent, ce qui aurait dû permettre de détecter les désordres existant au moment de la vente. Or, Mme Lapie Mailliet n'a pas estimé devoir prendre la précaution de procéder de la sorte, pas plus d'ailleurs qu'elle n'a fait effectuer une révision générale de la machine avant sa mise en service, alors que l'absence sur le cahier d'entretien de toute mention relative à une opération d'entretien antérieure aurait à l'évidence dû l'y conduire.
Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur l'obligation de délivrance
A hauteur d'appel, Mme Lapie Mailliet invoque à titre subsidiaire le moyen tiré du non-respect de l'obligation de délivrance.
L'article 1603 du Code civil dispose que le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend.
L'article 1604 du même Code ajoute que la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.
Il convient d'emblée d'écarter l'argumentation de Mme Lapie Mailliet consistant à déduire la méconnaissance de l'obligation de délivrance conforme du défaut de fonctionnement de la machine. Il a en effet été souligné précédemment que l'appelante ne démontre pas suffisamment que les désordres éventuellement présents au moment de la vente empêchaient le fonctionnement de l'engin. En tout état de cause, en développant cette argumentation Mme Lapie Mailliet opère une confusion entre l'action fondée sur l'obligation de délivrance, laquelle a pour objet de sanctionner l'absence de conformité de la chose par rapport aux spécifications convenues par les parties, et l'action fondée sur les vices cachés, qui a pour objet de sanctionner l'absence de conformité de la chose à sa destination normale. Or, en se prévalant de dysfonctionnements de la machine, l'appelante critique en réalité la conformité de la chose à sa destination normale.
Mme Lapie Mailliet invoque également le défaut de remise d'un certificat de conformité par le vendeur.
Ce point n'est en lui-même pas contesté, et est en tant que de besoin confirmé par l'expert, qui indique n'avoir lui-même pu obtenir la remise de ce document par la société Holmer France.
Si l'obligation de délivrance s'étend certes aux accessoires de la chose vendue, il n'en demeure pas moins que la réception sans réserve de la chose vendue couvre ses défauts apparents de conformité.
Or, il est constant que la machine, livrée chez Mme Lapie Mailliet par transporteur le 27 avril 2007, a été réceptionnée le jour-même sans aucune réserve, alors que le défaut de conformité tenant à l'absence d'un certificat de conformité ne peut, compte tenu de sa nature, qu'être qualifié d'apparent. Ce défaut de conformité a donc indubitablement été couvert.
La demande fondée sur l'absence de livraison conforme ne peut donc prospérer.
Sur les autres demandes
Le jugement déféré sera confirmé s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.
Mme Lapie Mailliet, qui succombe en son appel, sera condamnée à verser à la société Holmer France la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et supportera par ailleurs les dépens d'appel, avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 septembre 2012 par le Tribunal de grande instance de Reims, Y ajoutant, Rejette la demande en résolution de la vente formée par Mme Sylvie Lapie Mailliet sur le fondement des articles 1603 et suivants du Code civil, Condamne Mme Sylvie Lapie Mailliet à verser à la SARL Holmer France la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Mme Sylvie Lapie Mailliet aux dépens d'appel, avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.