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Décisions

CA Besançon, 2e ch. com., 11 juin 2014, n° 13-00033

BESANÇON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Constructions Electriques de Beaucourt (SAS), Moteurs Leroy-Somer (Sté)

Défendeur :

Force Motrice des Dores (SAS), Albingia (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sanvido

Conseillers :

M. Theurey-Parisot, Hua

Avocats :

Mes Leroux, Cathelineau, Pauthier, Roine

T. com Belfort, du 4 déc. 2012

4 décembre 2012

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Vu le jugement du 4 décembre 2012 aux termes duquel, saisi par la SAS Force Motrice des Dores (Fomodo ci-après) et la SAS Albingia assureur de cette société, d'une demande tendant principalement à obtenir réparation des suites dommageables de désordres ayant affecté deux génératrices fournies par la SAS Moteurs Leroy-Somer et fabriquées par la SAS Constructions Electriques de Beaucourt (Ceb), le Tribunal de commerce de Belfort s'appuyant sur le rapport de l'expert désigné par ordonnance de référé du 28 mai 2009, a :

- condamné les sociétés Ceb et Moteurs Leroy-Somer à payer à la SAS Fomodo la somme de 40 474,66 euro avec intérêts de droit à compter du 12/07/2008, date de la mise en demeure,

- condamné les mêmes à payer à la SAS Albingia la somme de 35 608,84 euro avec intérêts de droit à partir de la même date,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- condamné les mêmes à payer à chacune des parties demanderesses la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

Vu la déclaration d'appel de la SAS Moteurs Leroy-Somer et de la SAS Ceb, en date du 07/01/2013 ;

Vu les dernières conclusions dûment notifiées par les parties, au RPVA le 09/07/2013 pour les appelantes et le 13/08/2013 pour la SAS Fomodo et la SAS Albingia, intimées (et appelante incidente pour la première nommée), auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du Code de procédure civile pour l'exposé de leurs prétentions respectives et de leurs moyens ;

Vu l'ordonnance de clôture du 02/04/2014 ;

Vu les pièces régulièrement communiquées ;

SUR CE

La recevabilité de l'appel n'a pas été discutée.

La SAS Fomodo a commandé à la SAS Moteurs Leroy-Somer, le 26/05/2005, une génératrice de type G400 LB 600 kw et une génératrice de type G355 LA 355 kw, destinées à équiper une centrale électrique installée à Courgoul (63) ; elle précisait dans ses lettres de commande : "nous vous demandons de différer le début de garantie. En effet cette génératrice ne fonctionnera réellement qu'à partir du mois d'octobre-novembre 2005 car nous dépendons du débit de la rivière.".

La SAS Moteurs Leroy-Somer, sans répondre à cette demande particulière, a livré le 09/09/2005 les machines fabriquées par la SAS Ceb du même groupe industriel, sous couvert de ses conditions générales de vente habituelles, présentées en annexes, lesquelles stipulent à la rubrique XIII garantie :

"Le vendeur garantit les Matériels contre tout vice de fonctionnement, provenant d'un défaut de matière ou de fabrication, pendant douze mois à compter de leur mise à disposition, sauf disposition légale différente ultérieure qui s'appliquerait, aux conditions définies ci-dessous.

La garantie ne pourra être mise en jeu que dans la mesure où les Matériels auront été stockés, utilisés et entretenus conformément aux instructions et aux notices du vendeur. Elle est exclue lorsque le vice résulte notamment : ...d'un événement de force majeure ou de tout événement échappant au contrôle du vendeur.

Dans tous les cas, la garantie est limitée au remplacement ou à la réparation des pièces ou Matériels reconnus défectueux par les services techniques du vendeur la réparation, la modification ou le remplacement des pièces ou matériels pendant la période de garantie ne peut avoir pour effet de prolonger la durée de la garantie.

Les dispositions du présent article constituent la seule obligation du vendeur concernant la garantie des matériels livrés".

A la suite d'un court-circuit ayant affecté la génératrice de 600 kw le 10/03/2006, dont la cause n'a pas été identifiée mais survenu en tout état de cause dans la période de garantie contractuelle, les parties ont conclu le 30/01/2007 une transaction selon laquelle, nonobstant les restrictions de cette garantie ci-dessus rapportées, la SAS Ceb acceptait d'indemniser partiellement la SAS Fomodo du préjudice matériel et financier invoqué par celle-ci, et la garantie sur les deux machines était portée de 1 à 2 ans.

Le 09/01/2008, la génératrice de 355 kw a subi une panne par suite d'un amorçage sur le bobinage, que le vendeur et le fabricant ont attribué à une surtension, tandis que l'acheteur s'appuyant sur le rapport de l'expert LANG mandaté par son assureur, dénonçait une dégradation de l'isolant mis en œuvre pour le bobinage, non adapté à ce type d'installation.

Par ordonnance du 28 mai 2009, le juge des référés du Tribunal de commerce d'Angoulême a désigné M. Deveau en qualité d'expert, aux fins pour l'essentiel de rechercher la cause du sinistre du 09/01/2008, décrire les travaux de remise en état exécutés, dire si des modifications ont été effectuées et si oui pour quelle raison, dire si à la suite la génératrice est apte à fonctionner de manière pérenne, d'une façon générale fournir tous éléments permettant de statuer sur les responsabilités et, sauf accord des parties, donner son avis sur les préjudices subis par Fomodo.

L'expert commis a déposé le 31/01/2010 son rapport, au terme duquel il conclut que la garantie contractuelle a couru du 25/04/2006 (date de la "réception sur site") au 25/04/2008 ; qu'ainsi qu'il l'a acté à la demande du conseil de la SAS Fomodo, celui de la SAS Moteurs Leroy-Somera déclaré à deux reprises que les machines étaient sous garantie jusqu'à la date précitée ; qu'il a été apporté la preuve qu'un autre alternateur de 255 kw facturé par Moteurs Leroy-Somer à un tiers avait subi le même sinistre le 19/06/2007 puis le 14/09/2007, de sorte que la présomption de vice caché sur la génératrice de 600 kw était devenue certitude pour les trois machines sinistrées ; que ce vice était constitué par la mauvaise qualité du fil émaillé, entraînant une rupture brutale ; que le rebobinage amélioré de la génératrice de 355 kw doit aussi être mis en œuvre pour la génératrice de 600 kw ; qu'il estime à 35 608,84 euro le préjudice financier de la Cie Albingia, et à 80 474,66 euro le préjudice minimal de la SAS Fomodo .

Pour s'opposer aux prétentions de la SAS Fomodo et de son assureur, et obtenir l'infirmation du jugement entrepris, les appelantes, sollicitant l'annulation du rapport d'expertise pour manquement de son auteur au devoir d'impartialité, font valoir successivement que la transaction du 10/03/2006 prive l'acheteur de toute possibilité de réclamer réparation de ce chef au-delà de ce qui lui a été accordé à cette date ; qu'à la date du 09/01/2008 le délai de garantie contractuelle était écoulé ; qu'en tout état de cause la preuve d'un défaut affectant la machine n'a pas été rapportée, pas plus que celle des préjudices allégués ; enfin que les conditions d'application de la garantie des produits défectueux n'étaient pas réunies.

Relevant appel incident aux fins de recevoir paiement du montant de 40 000 euro correspondant aux frais du rebobinage nécessaire de la génératrice de 600 kw, la SAS Fomodo, ainsi que la SAS Albingia concluent au rejet de la demande de nullité de l'expertise, et à la confirmation de la décision critiquée ; elles soutiennent pour l'essentiel que le sinistre du 09/01/2008 est survenu pendant la période de garantie contractuelle, qu'il a pour origine un vice caché à savoir l'inadaptation du fil émaillé, et qu'à titre subsidiaire la responsabilité du fabricant et du vendeur est engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux .

Les appelantes incriminent la compétence technique de l'expert tardivement (cette question vérifiable au moment où M. Deveau a été désigné et au cours des opérations d'expertise, pouvait faire l'objet d'un recours à l'encontre de l'ordonnance de référé ou d'une demande de remplacement de ce technicien) et inutilement : il n'est pas contestable que M. Deveau a été inscrit sur la liste des experts de la Cour d'appel de Riom, au moins avant 2009, et cette inscription n'est en tout état de cause pas une condition nécessaire de la régularité du choix du technicien, qui appartient au juge en vertu de l'article 1 de la loi du 29 juin 1971 modifiée ; le Dr Deveau, du reste, présente des compétences en matière d'énergie et d'environnement qui suffisaient à légitimer sa désignation, le lecture de son rapport, et particulièrement les investigations qu'il a menées, les questions posées et les pièces réclamées permettant de vérifier qu'il maîtrisait les aspects techniques du litige ce qui ne signifie en rien que son avis déterminera obligatoirement la décision à intervenir .

En effet, l'appréciation du bien-fondé des conclusions de l'expert relève de la juridiction saisie du fond, de même d'ailleurs que l'appréciation des aspects juridiques du litige : à cet égard, les appelantes reprochent à juste titre à M. Deveau d'avoir consacré l'essentiel de son avis à la nature de la garantie existant entre les parties à la date du second sinistre - contractuelle ou légale ' alors que cette question est indifférente pour la recherche technique de la cause du sinistre qui lui était demandée.

Que l'expert ait conclu sur ce point en défaveur du vendeur et du fabricant, qu'il ait aussi considéré que le premier sinistre, nonobstant la transaction intervenue, devait faire l'objet d'une réparation supplémentaire, qu'il ait imputé les deux sinistres à un vice caché des machines en contradiction avec la thèse des appelantes, constitue certes, pour les deux premiers points, un dépassement de la mission impartie, mais ne manifeste pas la partialité dénoncée : les propos de M. Deveau ne sont pas empreints d'outrance ni d'appréciations malveillantes à l'encontre de la SAS Moteurs Leroy-Somer et de la SAS Ceb étant relevé que la non-production de pièces ou les omissions de M. Prudent, représentant les appelantes sont à juste titre stigmatisées par l'expert ; il ne saurait non plus être imputé à faute à M. Deveau d'avoir écrit que l'avocat des appelantes avait déclaré au cours des opérations d'expertise, notamment le 26/08/2009, que la garantie contractuelle était acquise le 09/01/2008, dès lors que dans un dire du 27/08/2009, Me Cathelinau ne contestait pas avoir tenu ces propos, mais les réfutait, pour des motifs qui seront examinés ci-dessous ; contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la présentation du rapport ne conduit pas à admettre que M. Deveau a "imaginé" un débat qui se serait tenu avec les parties sur certaines pièces avant la communication de celles-ci, même si le rapport, qui présente un commentaire de ces pièces par l'expert (et non par les parties) dans la partie "première réunion d'expertise" aurait gagné à être mieux structuré ; enfin l'expert a tenu compte des dires après son pré-rapport, et a chiffré le préjudice allégué par les intimées sur la base des pièces communiquées (cf page 26 du rapport : "pièce 1 de l'annexe 3 qui rassemble les cinq justificatifs"), étant rappelé qu'il appartient évidemment aux parties de présenter leurs propres observations sur le chiffrage de l'expert, qui ne lie pas non plus le juge.

En conséquence, l'expertise ne sera pas annulée.

Si la SAS Moteurs Leroy-Somer n'a pas donné une suite expresse à la demande exprimée par la SAS Fomodo dans sa lettre de commande, quant au différé de la prise d'effet de la garantie, il n'est pas sérieusement discutable qu'elle l'a acceptée, dans la mesure où la stipulation de ses conditions générales de vente (garantie à partir de la mise à disposition) est inadaptée à ce type de matériel dont la mise en œuvre, comme l'indiquait la cliente dans sa commande, dépendait de conditions extérieures, à savoir le débit hydraulique : ainsi le conseil des appelantes, dans le dire précité du 27/08/2009, ne prétendait pas que le délai de garantie contractuelle avait couru du jour de la livraison (09/09/2005), mais du jour de la mise en route.

Il reste à définir la date de la mise en route : à cet égard, sans retenir la date de l'installation (25/10/2005) en raison de l'insuffisance du débit, mais pas davantage la date du premier fonctionnement à la puissance nominale soit février 2006 (car la demande adressée par la SAS Fomodo le 26/05/2005 ne comporte aucune définition du "fonctionnement réel" évoqué), il est conforme à l'économie du contrat de fixer la date de la mise en route à celle du début de la production électrique, serait-elle en dessous de la pleine puissance (étant observé qu'en décider autrement exposait le vendeur, sans son accord exprès, à un report du point de départ de la garantie non maîtrisable pour peu que les conditions de débit ne soient pas réunies avant longtemps).

La garantie contractuelle a donc pris naissance en même temps que la production, en décembre 2005.

La lecture du protocole de transaction signé par les différentes parties entre le 19/01/2007 et le 30/01/2007 révèle que d'abord, dès cette signature, Ceb accepte d'indemniser Fomodo pour une partie de son préjudice, et de plus la garantie sur les deux machines est portée de 1 à 2 ans : sauf à travestir le sens de ces phrases, il en découle que la garantie est augmentée d'un an sans que son point de départ soit modifié : le délai de 2 ans était écoulé le 09/01/2008 .

Encore que les intimées ne visent pas dans le dispositif de leurs écritures les articles 1641 et suivants du Code civil, mais seulement l'article 1147 du même Code (sans emport dès lors que la garantie contractuelle est écartée), elles affirment dans leurs motifs que les machines en cause sont affectées d'un vice caché, à savoir l'inadaptation du bobinage, sous réserve, concernant la génératrice de 355 kw, de la modification effectuée avec un fil de meilleure qualité aux frais de la SAS Fomodo.

Les appelantes discutent aussi leur responsabilité sur le fondement du vice caché, pour soutenir non pas que cette garantie serait exclue dans les relations contractuelles, mais que ses conditions ne sont pas réunies.

Selon l'article 1641 précité, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il appartient à l'acheteur de démontrer l'existence du vice, son caractère caché et son antériorité à la vente.

Force est de constater que cette preuve n'est pas rapportée en l'espèce, étant immédiatement indiqué que l'analyse des conséquences du vice caché allégué ne peut concerner que la génératrice de 355 kw, dans la mesure où, en ce qui concerne la génératrice de 600 kw, la SAS Fomodo a expressément renoncé, d'après le protocole de transaction susdit, à toute action de quelque nature que ce soit du chef du sinistre survenu le 10/03/2006, pour tous dommages passés, présents et à venir.

Il est vrai que les intimées, suivant en cela l'expert, s'emparent de ce premier sinistre pour en déduire que, la coïncidence n'étant pas une explication suffisante, celui-ci comme le second ont la même cause, à savoir la mauvaise qualité du fil de bobinage.

Mais les appelantes répliquent, sans être sérieusement contredites, que la génératrice de 600 kw a été rebobinée en 2006 avec un fil de la même qualité qu'à l'origine, et qu'à ce jour aucun nouvel incident n'est survenu.

Il est vrai encore que les intimées, et l'expert, s'appuient sur un prétendu sinistre identique ayant affecté à deux reprises une autre génératrice, pour en déduire que la présomption de vice caché devient certitude.

Mais les éléments d'information relatifs à ces sinistres extérieurs sont insuffisants pour faire admettre que leur cause réside dans l'insuffisance du fil de bobinage, la seule pièce produite sur ce point étant une attestation du dirigeant de la SNC CROS faisant état de deux "claquages" d'une des deux génératrices commandées à la Maison Leroy-Sommer, dont l'un au redémarrage après le rebobinage réalisé par une autre entreprise, sans aucun document technique de nature à identifier la cause de ces incidents, et notamment la nature du fil initialement et après réparation.

Enfin la preuve du vice caché, qui n'est pas présumé, ne saurait résulter de ce qu'aucune cause autre que l'hypothèse posée par l'expert n'est identifiée ; ni en l'espèce de ce que M. Prudent, susnommé, a préconisé la pose sur la génératrice de 355kw d'un fil plus résistant aux stress électriques, dès lors que comme dit précédemment la génératrice de 600 kw est encore à ce jour équipée de l'autre qualité de fil, sans avoir présenté de difficulté depuis 8 ans.

En conséquence, la responsabilité pour vice caché ne trouve pas application.

Il en est de même de la responsabilité du fait des produits défectueux invoquée à titre subsidiaire par les intimées : si en droit français la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l'usage professionnel dès lors qu'elle rapporte la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité, les conditions du régime de responsabilité édicté par les articles 1386-1 et suivants du Code civil ne sont pas réunies : outre que cette action concerne non pas les dommages subis par le produit dit défectueux mais les dommages causés par ce produit, il résulte des considérations précitées que le défaut du produit n'est pas établi.

La SAS Fomodo et la SAS Albingia, qui succombent, supportent les dépens et leurs propres frais.

Vu la situation des parties, leurs relations contractuelles et la nature du litige, l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur des appelantes.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré, conformément à la loi, Infirme le jugement prononcé le 4 décembre 2012 par le Tribunal de commerce de Belfort, Statuant à nouveau et Ajoutant, Déboute la SAS Moteurs Leroy-Somer et la SAS Constructions Electriques de Beaucourt de leur demande de nullité de l'expertise, Déboute la SAS Force Motrice des Dores et la SAS Albingia de l'ensemble de leurs prétentions, Déboute la SAS Moteurs Leroy-Somer et la SAS Constructions Electriques de Beaucourt de leur demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Force Motrice des Dores et la SAS Albingia in solidum aux dépens des deux instances, y compris les frais d'expertise, avec possibilité de recouvrement direct par la SCP Leroux-Masson-Pilati-Braillard, avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.