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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 juin 2014, n° 11-12816

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Heppner Société de Transports (SAS)

Défendeur :

Europe Express (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Lallement, Ascensio, Teytaud

T. com. Créteil, du 21 juin 2011

21 juin 2011

Vu le jugement du 21 juin 2011, par lequel le Tribunal de commerce de Créteil a condamné la société Heppner Société de Transports à payer à la société Europe Express la somme de 68 889,60 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2009, celle de 17 342,00 € TTC au titre des factures 6332 et 6333, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2009, débouté la société Europe Express de sa demande de paiement de la somme de 5 111,88 € au tire de la facture 6335, ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, débouté la société Europe Express de sa demande reconventionnelle de publication du présent jugement, ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, et, enfin, condamné la société Heppner Société de Transports à payer à la société Europe Express la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel du 7 juillet 2011, interjeté par la société Heppner Société de Transports et ses conclusions signifiées le 7 février 2012, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des moyens, dans lesquelles elle demande à la cour de déclarer irrecevable la société Europe Express en ses conclusions en application de l'article 59 du Code de procédure civile, sur le fond, infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions faisant grief à la société Heppner Société de Transports, dire que la rupture initiée par la société Europe Express constitue une rupture manifestement abusive et déloyale des relations commerciales au préjudice de la société Heppner Société de Transports, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Europe Express de sa demande de paiement de la somme de 5 118,88 € au titre de la facture 6335 et en ce qu'il a débouté la société Europe Express de sa demande de publication de la décision, dire et juger la société Europe Express irrecevable, et en tout cas, mal fondée en son appel incident et en toutes ses demandes formées à l'encontre de la société Heppner Société de Transports, l'en débouter, déclarer recevable et bien fondée la société Heppner Société de Transports en l'intégralité de ses demandes reconventionnelles, donner acte à la société Heppner Société de Transports de ce qu'elle se reconnaît redevable d'une somme de 12 545 € sur les seules factures 6332 et 6333 qui sera compensée avec les montants des demandes reconventionnelles de celle-ci, après qu'il soit ordonné à la société Europe Express d'établir une facturation conforme, recevoir en effet la société Heppner Société de Transports en ses demandes, en conséquence, condamner la société Europe Express à payer à la société Heppner Société de Transports la somme de 60 000 € à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture, celle de 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et préjudice subi et celle de 8 000 € en vertu des disposition de l'article 700 du Code de procédure civile, ordonner à la société Europe Express de rembourser à la société Heppner Société de Transports la somme de 88 021,36 € en principal et intérêts, réglée par la société Heppner Société de Transports dans le cadre de l'exécution judiciaire prononcée par le Tribunal de commerce de Créteil dans son jugement, qui sera infirmé, avec intérêts légaux ;

Vu les conclusions signifiées le 7 décembre 2011 auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des moyens, dans lesquelles la société Europe Express demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la faute contractuelle de la société Heppner Société de Transports consistant en la rupture brutale de ses relations commerciales avec la société Europe Express, condamné en conséquence la société Heppner Société de Transports au paiement de la somme de 68 889,60 € TTC à la société Europe Express à titre d'indemnité réparatrice pour non-respect du préavis contractuel, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2009, date de la mise en demeure, celle de 17 342 € TTC au titre des factures 6332 et 6333, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2009, ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 30 novembre 2009, date de la mise en demeure, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil et condamné la société Heppner Société de Transports à payer à la société Europe Express la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; pour le surplus, l'infirmer et statuant à nouveau, condamner la société Heppner Société de Transports à payer à la société Europe Express la somme de 5 118,88 € au titre de la facture 6335, avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2009, ordonner la publication de la décision à intervenir, à l'initiative de la société Europe Express mais aux frais de la société Heppner Société de Transports, dans la revue spécialisée du transport "L'officiel des transporteurs", débouter la société Heppner Société de Transports de l'ensemble de ses demandes, condamner la société Heppner Société de Transports à payer à la société Europe Express la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La relation commerciale entre la société Heppner Société de Transports et la société Europe Express date du 19 juin 2006. Ces deux sociétés n'ont, à l'époque, pas formalisé leur engagement par écrit.

Les prestations consistaient en la fourniture, par la société Europe Express, à la société Heppner Société de Transports, de poids lourds et de chauffeurs afin d'effectuer trois tournées portant sur la livraison et l'enlèvement de messageries dans le secteur sud de la Seine et Marne.

Le 10 octobre 2008, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Heppner Société de Transports a informé la société Europe Express de la cessation de leur collaboration au 31 décembre 2008, car elle envisageait de passer un appel d'offres.

Les relations contractuelles ont toutefois été reprises au début de l'année 2009. Par courrier du 23 décembre 2008, la société Heppner Société de Transports exigeait le même chauffeur pour les différentes tournées et, par courrier du 3 février 2009, demandait les justificatifs d'aptitude du sous-traitant pour remplir les prestations confiées.

Ces relations ont perduré jusqu'au 18 septembre 2009, date à laquelle la société Europe Express a adressé un courrier à la société Heppner, faisant état de la circonstance que trois de ses chauffeurs s'étaient présentés pour accomplir leurs prestations au siège de la société Heppner, le 7 septembre 2009, et avaient été alors renvoyés. Dans ce courrier, la société Europe Express prenait acte du terme du contrat et adressait plusieurs factures aux fins de règlement. Par courrier du 7 octobre 2009, la société Heppner Société de Transports a contesté ces factures et a relevé les manquements de la société Europe Express, tenant, d'une part, à ce que ce n'était pas le même chauffeur qui effectuait toutes les livraisons et, d'autre part, à l'absence de présentation des justificatifs d'aptitude du sous-traitant.

Suite à ces événements, la société Europe Express a fait assigner la société Heppner Société de Transports par acte du 29 mars 2010, aux fins de la faire condamner pour rupture brutale des relations commerciales et non-paiement de factures.

Dans le jugement présentement entrepris, le tribunal a jugé brutale la rupture intervenue et non justifiée par des manquements du sous-traitant, la société Europe Express. Il lui a alloué une indemnité égale à trois mois de préavis, conformément au décret 2003-1295 du 26 décembre 2003 portant approbation du contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, sous sa version consolidée du 22 août 2007.

Considérant que l'exception d'irrecevabilité est désormais sans objet ; qu'il convient d'en donner acte aux parties ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant que la société Heppner Société de Transports soutient que la cessation de la relation commerciale est intervenue à l'initiative de la société Europe Express, dès lors que celle-ci n'a pas affecté le même chauffeur aux différentes tournées et n'a pas transmis les documents de transport demandés par la société Heppner Société de Transports ; qu'elle ne conteste pas être à l'origine de la rupture mais prétend que celle-ci est imputable à la société Europe Express qui s'est rendue coupable de ces deux manquements ;

Considérant que la société Europe Express reprend la motivation du jugement pour caractériser le caractère brutal de la rupture et justifier la durée du préavis de trois mois, spécifique en matière de contrat de transport ; qu'elle soutient que la société Heppner Société de Transports est à l'origine de cette rupture, dès lors qu'elle a renvoyé les chauffeurs qui se sont présentés en leur demandant de ne plus revenir ; qu'elle précise, enfin, n'avoir commis aucun manquement contractuel qui aurait pu permettre à la société Heppner Société de Transports de mettre fin à la relation sans préavis ni indemnité ;

Considérant que les circonstances dans lesquelles les chauffeurs de la société Europe Express auraient été renvoyés par la société Heppner ne sont pas établies ;

Mais considérant que, par courrier avec accusé de réception du 18 septembre 2009, la société Europe Express indiquait à la société Heppner qu'elle prenait acte de la cessation des relations, qui n'avait été précédé d'aucun préavis, ni d'aucun justificatif ; que, par courrier avec accusé de réception du 16 octobre 2009, la société Heppner répondait en indiquant que la société Europe Express avait été mise en situation d'incapacité de mener à bien sa mission ; que dans cette lettre, elle ne contestait pas avoir pris l'initiative de la cessation de la relation, mais reprochait à la société Europe Express de ne pas avoir fourni les documents nécessaires à la tenue de son dossier, de n'avoir pas justifié du fait que ses chauffeurs étaient aptes à remplir les prestations confiées, et enfin de n'avoir pas respecté sa demande tendant à ce que ce soit le même chauffeur qui soit affecté à son agence ;

Considérant que la société Heppner a donc rompu brutalement les relations commerciales, sans préavis ; qu'il convient de rechercher si la société Europe Express aurait commis des fautes qui l'auraient privée de l'octroi d'un préavis raisonnable ;

Considérant qu'il appartient à la société Heppner de rapporter la preuve de ces fautes ; que les Premiers Juges ont, à juste titre, estimé que cette preuve n'était pas rapportée, au terme d'une motivation que la cour adopte ;

Considérant, en conséquence, que la rupture brutale intervenue engage la responsabilité de la société Heppner ; qu'en vertu de l'article 12 du décret 2003-1295 du 26 décembre 2003, le contrat de sous-traitance peut être résilié par l'une ou l'autre des parties, à condition de respecter un préavis de trois mois quand la durée de la relation est de un an et plus ; que ce préavis n'a pas été respecté ; qu'il y a donc lieu de condamner la société Heppner à payer à la société Europe Express la marge brute qu'elle aurait dû réaliser sur ces trois mois d'activité ;

Sur le chiffrage du préjudice

Considérant que la société Heppner Société de Transports conteste le chiffrage du préjudice, le montant réclamé n'étant pas expliqué, ne tenant pas compte de la base du forfait fonction de l'activité acceptée par la société Europe Express ; qu'elle soutient, de surcroît, que la somme demandée correspond à la prétendue perte de chiffre d'affaires et non à la perte de marge brute, de sorte que le préjudice ne saurait, en tout état de cause, être supérieur à la somme de 13 611,98 €, sur la base d'une marge de 25 % ;

Considérant que la société Europe Express évalue son préjudice à somme de 68 889,60 €, correspondant au montant contractuel de trois tournées par jour pendant une durée de trois mois ;

Considérant que la société Europe Expresse ne justifie pas du montant de sa marge brute sur le chiffre d'affaires réalisé ; qu'il convient, en conséquence, de limiter son indemnisation à la somme de 17 222 euros, en prenant pour base une marge brute de 25 %, conformément aux indications de la société Heppner, non contredites sur ce point par la société Europe Express ;

Sur le paiement des factures

Considérant que, concernant les factures litigieuses, la société Heppner Société de Transports demande l'infirmation du jugement pour la facture 6336 dès lors que, selon elle, la cessation de la relation d'affaire est à l'initiative de la société Europe Express et est de plus injustifiée, pour la facture 6335, dès lors qu'elle n'est pas conforme au forfait fonction de l'activité réelle accepté par les

parties et, enfin, pour les factures 6332 et 6333, dès lors que ces factures ne correspondent pas au pointage des prestations fournies ;

Considérant que la facture 6336 ne saurait donner lieu au paiement de la somme qui y est portée, le calcul de l'indemnisation du préavis étant effectué sur la base du chiffre d'affaires de la société, et non sur sa marge brute ;

Considérant, s'agissant des factures 6332 et 6333, qu'elles correspondent à des prestations réalisées par la société Europe Express en août et en septembre 2009 ; qu'en l'absence d'éléments versés aux débats par la société Heppner permettant d'établir une erreur de calcul, celle-ci sera condamnée, conformément au jugement présentement entrepris, à payer à la société Europe Express la somme de 17 342 € TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2009 ;

Considérant, concernant la facture 6335, que la société Europe Express demande à la cour de condamner la société Heppner Société de Transports sur le fondement de l'article L. 442-6, 4 du Code de commerce, celle-ci l'ayant menacé de cesser la relation sans l'obtention de remises commerciale ;

Considérant que cette société n'en apporte aucun commencement de preuve ; que le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande ;

Sur la demande de publication du jugement

Considérant que la société Heppner Société de Transports demande la confirmation du jugement, en ce qu'il a débouté la société Europe Express ;

Considérant qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que la société Europe Express n'avait pas démontré que la rupture des relations avec la société Heppner lui avait causé un préjudice d'image et, a donc, en conséquence, débouté cette société de sa demande reconventionnelle de publication ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Heppner

Considérant, que succombant, la société Heppner ne saurait obtenir le remboursement des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire, à l'exception de celles versées au titre de la rupture brutale, qui excèdent la marge brute ; qu'elle ne saurait, de plus, obtenir réparation du préjudice subi du fait de la rupture de la relation commerciale, dont elle est l'initiateur ;

Considérant, enfin, que la société Heppner Société de Transports ne démontre pas que la société Europe Express aurait abusé de son droit d'agir en justice ; qu'elle sera également déboutée de ce chef ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société Heppner Société de Transports à payer à la société Europe Express la somme de 68 889,60 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2009, L'infirme sur ce point, Et statuant à nouveau, Condamne la société Heppner Société de Transports à payer à la société Europe Express la somme de 17 222 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2009, Condamne la société Europe Express aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.