CA Rouen, ch. civ. et com., 12 juin 2014, n° 12-05597
ROUEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Comptoir des Energies Renouvelables Frigorifiques (SARL)
Défendeur :
Orange
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farina
Conseillers :
Mmes Aublin-Michel, Bertoux
Avocats :
Mes Bart, Crosnier-Martel, Zammit, Dubos
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Le Comptoir des Energies Renouvelables Frigorifiques (ci-après dénommée Le Cerf) a conclu avec M. Claude Orange un contrat d'agent commercial.
Les relations ayant été rompues en 2011, par acte extrajudiciaire du 29 décembre 2011, M. Orange a fait assigner, devant le Tribunal de commerce d'Evreux, la SARL Le Cerf en paiement de diverses sommes, dont en principal une indemnité de préavis et une indemnité compensatrice.
Par jugement du 25 octobre 2012, le tribunal de commerce a :
- débouté la SARL Le Cerf de toutes ses demandes,
- condamné la SARL Le Cerf à payer à M. Claude Orange la somme de 22 734,96 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du présent jugement, au titre de l'indemnité compensatrice,
- condamné la SARL Le Cerf à payer à M. Claude Orange la somme de 2 841,87 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du présent jugement, au titre de l'indemnité de préavis,
- condamné la SARL Le Cerf à payer à M. Claude Orange la somme de 700 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SARL Le Cerf aux dépens,
- ordonné, sauf en ce qui concerne les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile l'exécution provisoire.
Par déclaration au greffe du 29 novembre 2012, la SARL Le Cerf a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 26 novembre 2013, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions notifiées le 30 avril 2013 par M. Orange (sur le fondement de l'article 909 du Code de procédure civile), déclaré pour le surplus mal fondée l'exception d'irrecevabilité (des pièces et du bordereau de communication de pièces) soulevée par la société Le Cerf, autorisé la société Le Cerf à consigner entre les mains de M. Le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Rouen dans le délai de deux mois à compter de la date de la présente décision la somme de 12 930,30 euro, dit que sur justification, par la société Le Cerf, de cette consignation, dans les conditions prévues ci-dessus, un calendrier de procédure sera établi par le conseiller de la mise en état, dit qu'à défaut de consignation dans le délai et les conditions susvisées l'affaire sera radiée d'office, réservé les dépens.
La SARL Le Cerf a justifié de la consignation de la somme de 12 930,30 euro dans les conditions prévues à l'ordonnance du 26 novembre 2013.
Pour l'exposé des moyens, il est expressément renvoyé aux seules conclusions déposées le 18 mars 2014 par l'appelante, les conclusions au fond de l'intimé du 30 avril 2013 ayant été déclarées irrecevables.
La SARL Le Cerf conclut, à titre principal, à la réformation du jugement et demande à la cour de dire et juger que M. Orange a résilié le contrat d'agent commercial conclu avec la société Le Cerf par courrier du 28 mars 2011, dire et juger que M. Orange a commis une faute grave en cessant toutes diligences à compter de 2011, dire et juger que la rupture du contrat d'agent commercial est imputable à M. Orange, débouter M. Orange de ses demandes d'indemnité de fin de contrat et d'indemnité de préavis.
A titre subsidiaire, si par impossible la rupture du contrat était considérée imputable à la société Le Cerf, elle demande de débouter M. Orange de toute demande d'indemnité de fin de contrat dans la mesure où il ne justifie d'aucun préjudice, en tout état de cause de dire et juger que l'indemnité de fin de contrat ne saurait être supérieure à la somme de 1 840,68 euro TTC, soit 2 années de commissions calculées sur la base des 6 premiers mois de 2011, soit 76,69 euro par mois.
A titre infiniment subsidiaire, elle demande à la cour de dire et juger que l'indemnité de fin de contrat ne saurait être supérieure à la somme de 9 867,49 euro correspondant aux sommes allouées par le jugement déféré après correction des erreurs mathématiques de calcul, de dire et juger que l'indemnité de préavis ne saurait être supérieure à la somme de 230,07 euro TTC, soit 3 mois de commissions calculés sur la base des 6 premiers mois de 2011, soit 76,69 euro par mois, à titre infiniment subsidiaire qu'elle ne saurait être supérieure à la somme de 1 233,45 euro correspondant aux sommes allouées par le jugement déféré après correction des erreurs mathématiques de calcul.
En tout état de cause, elle demande à la cour de débouter M. Orange de l'intégralité de ses demandes, de le condamner au paiement de la somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 03 avril 2014.
SUR CE
Sur la rupture du contrat d'agent commercial
Au soutien de son appel, la SARL Le Cerf fait valoir que le contrat a été rompu à l'initiative de M. Orange et en tout état de cause pour faute grave de sa part.
Elle se prévaut à cet effet de son courriel du 10 mars 2011, de la lettre de M. Orange du 28 mars 2011 par laquelle il a indiqué sa volonté de mettre un terme au contrat, aucun formalisme n'étant exigé de la part de l'agent commercial pour rompre le contrat, de sa lettre recommandée du 21 juillet 2011.
En tout état de cause, M. Orange a commis des fautes graves en cessant de prospecter les clients de son secteur et en manifestant un désintérêt profond pour la commercialisation des produits de la société Le Cerf, malgré les avertissements de cette dernière, et la réduction de son secteur de prospection.
La rupture du contrat étant donc imputable à M. Orange, aucune indemnité de préavis et de fin de contrat ne lui est due.
L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose que :
"En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.
Les ayants-droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent."
L'article L. 134-13 du même Code prévoit que :
"La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial;
2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent".
Il appartient à l'agent commercial sollicitant une indemnité de fin de contrat de démontrer que la cessation de son activité est intervenue à l'initiative du mandant, ou, à défaut qu'elle est justifiée par des actes imputables à celui-ci.
Pour la SARL Le Cerf, il ne fait aucun doute que la rupture du contrat est due à la seule volonté de M. Orange. Elle s'appuie pour ce faire sur la lettre de ce dernier du 28 mars 2011 adressée en réponse à un courriel de la société du 10 mars 2011.
Il est établi que par lettre du 8 décembre 2010 produite aux débats, la SARL Le Cerf a informé M. Orange de sa décision de mettre fin à son contrat d'agent commercial sur les départements 75-78-91-92 et 95, ajoutant espérer que "cette réduction de secteur vous [M. Orange] permettra de faire décoller le chiffre d'affaires des autres départements" (14-27-61-76).
Dans son courriel du 10 mars 2011, la SARL Le Cerf indique :
"Ci-joint tes stats fin février
6 000 euro de moins que l'an dernier à la même date soit un recul de - 45 %
Je ne suis pas étonné
Tu ne t'implique pas avec la carte Hékia !
Je suis déçu de ce résultat
Peux de compte ouvert !
J'attends des explications et de savoir où tu veux aller avec Hékia''
La lettre du 28 mars 2011 de M. Orange est rédigée dans les termes suivants :
"Compte tenu de nos échanges et de nos déceptions réciproques, je vais essayer de répondre à ton courriel du 10 mars.
A propos du peu de nouveaux clients, je pensais avoir été transparent lors de notre entretien au début de notre collaboration, dans le sens où, depuis presque vingt ans, mon commerce est tourné vers la distribution. De ce côté, nous ne brillons pas dans les véritables référencements.
Sur les essais d'ouverture auprès de cette cible, qui pour certaines entrouvraient la porte, (Raccords Services, Comafranc, Cef, Ouest-isol) nous aurions pu atteindre notre but, sans ta réponse au responsable des achats de chez RS. (Retour de mail vide bonjour et de formule de politesse lors du premier contact, quel professionnalisme) Ce qui a couronné le tout, avec le même client, c'est ton deuxième courrier truffé de fautes d'orthographe. Ceci m'a valu l'appel de notre interlocuteur, qui souhaitait connaître l'origine de ce "fleuron".
Lorsque j'ai abordé le sujet Cef, je t'ai communiqué leurs conditions. Des clients normalement constitués ne changent pas de fournisseur pour acheter, plus cher, des produits quasi identiques.
Que dire de la fermeture du compte Axdis sur une saute d'humeur. Il est vrai que les clients se bousculent à nos portes, alors un de plus ou de moins...
Je passe sur, la concurrence externe, interne avec Deville, l'accueil des clients qui se plaignent des réponses apportées, des silences du SAV, du crédit d'impôt revu à la baisse, des taux de commissions qui ne sont pas ceux annoncés au départ, des messages en retour dignes d'écorchés vifs mais sûrement pas d'une direction.
Tu remarqueras que ma ponctuation ne se limite pas seulement point d'exclamation.
Peut-être comprendras-tu que, malgré un travail que tu juges insuffisant, je reste à l'écoute de ma clientèle, mais que ma motivation envers Hékia, s'est dégradée.
Cette constatation devrait nous orienter vers une séparation, avec tout ce qui en découle.
Je reste à ta disposition"
La rupture du contrat d'agent commercial n'est soumise à aucun formalisme particulier.
Cependant, aux termes de sa lettre du 28 mars 2011, M. Orange reproche sévèrement à la SARL Le Cerf des dysfonctionnements, et notamment son attitude à l'égard de la clientèle, et une dégradation de sa motivation envers le produit Hékia, mais par l'emploi du conditionnel il ne fait qu'envisager une possible séparation mais n'informe pas la SARL Le Cerf de son intention de rompre le contrat d'agent commercial qui les lie.
La SARL Le Cerf n'a, au demeurant, pas considéré, cette lettre comme la notification d'une rupture à l'initiative de son agent commercial puisqu'elle y procédait elle-même par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er juillet 2011 rédigée dans les termes suivants : "Suite à l'absence de chiffre d'affaires sur votre secteur, nous avons pris la décision de mettre fin à votre contrat d'agent commercial."
La rupture du contrat d'agent commercial n'est donc pas intervenue à l'initiative de M. Orange.
L'article L. 134-4 al. 3 du même Code énonce que :
"L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel."
La SARL Le Cerf reproche des fautes graves à M. Orange qui a cessé de prospecter les clients de son secteur, a manifesté un désintérêt profond pour la commercialisation des produits de la société, lui a manqué de respect en écrivant des lettres dont le ton et le contenu étaient totalement inappropriés. Elle se prévaut d'une baisse du chiffre d'affaires qui est passé, selon ses dires, de 173 846 euro entre 2009, à 146 841 euro en 2010, puis à 14 430 euro sur 6 mois en 2011.
Cependant, la seule pièce comptable produite, à savoir le relevé de commissions perçues par M. Orange de 2009 à 2011 pour un total de 11 493,63 euro établi par la SARL le Cerf ne suffit pas, à elle seule, à démontrer l'existence d'une baisse du chiffres d'affaires et de son imputabilité à la cessation de la prospection de la clientèle par son agent commercial et au désintérêt qu'il a manifesté pour la commercialisation des produits de la société mandataire, même s'il a pu reconnaître que sa motivation s'était dégradée, ce qui n'est pas synonyme pour autant d'une diminution, voire d'une cessation de son activité.
Enfin, les termes des lettres adressées par M. Orange à la SARL Le Cerf ne contiennent aucun propos inapproprié ou irrespectueux.
La rupture du contrat d'agent commercial ne peut donc être imputée à une faute grave de M. Orange.
C'est donc à bon droit que le tribunal de commerce a fait droit à la demande d'indemnité de préavis et de fin de contrat en son principe présentée par M. Orange et débouté la SARL Le Cerf de ses demandes. La décision sera confirmée sur ce point.
Sur le montant des indemnités
En effet, à titre subsidiaire, la SARL Le Cerf critique le montant alloué par les premiers juges à M. Orange au titre de l'indemnité compensatrice de fin de contrat et au titre de l'indemnité de préavis.
- sur le montant de l'indemnité compensatrice de fin de contrat
Le tribunal a alloué à M. Orange une somme de 22 734,96 euro calculée par ce dernier sur la base des deux dernières années qu'il qualifie de "normales" d'exécution du contrat, 2009 et 2010, soit une moyenne mensuelle de 947,29 euro.
Outre l'erreur de calcul qu'elle reproche au tribunal, la moyenne mensuelle des exercices 2009 et 2010 étant de 411,15 euro et pas 947,29 euro, la SARL Le Cerf soutient que, si la cour valide l'argumentation de M. Orange selon laquelle le contrat d'agent commercial aurait été rompu par la société Le Cerf le 1er juillet 2011, l'indemnité étant censée compenser le préjudice subi par la perte de clientèle, les 24 mois d'indemnité devraient être calculés en tenant compte également des commissions perçues les 6 premiers mois de l'année 2011 soit la somme de 460,17 euro : 6 mois, soit 76,69 euro, base de calcul, qu'il n'a accompli aucun tâche ou si peu au cours de cette période, qu'en définitive il n'a subi aucune préjudice du fait de la rupture du contrat, qu'en tout état de cause elle ne pourra être supérieure à la somme de 1 840,687 euro TTC.
Aux termes des stipulations contractuelles, "En cas de résiliation du contrat par le mandant non justifiée par une faute grave de l'agent, ce dernier a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi conforme aux usages et à la loi."
La cessation du contrat d'agence commerciale ouvre droit au profit de l'agent à l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce et tend à réparer le préjudice résultant de la perte de possibilité de conclure des contrats par représentation du mandant et de percevoir des commissions. Prenant en considération le manque à gagner du fait de la rupture, elle est calculée en fonction à la fois de la durée des relations commerciales entre les parties, et du montant des commissions perçues par l'agent commercial au cours des années qui ont précédé la rupture.
En l'espèce, en considération des usages, de la durée du contrat d'agent commercial, soit 29 mois de février 2009 au 1er juillet 2011, date de la rupture du contrat, du relevé des commissions produit du 30/06/2009 au 6/05/2011, le préjudice subi au titre de la perte de commissions sera évalué à deux annuités de commissions calculées sur la moyenne des deux dernières années d'exécution du contrat, soit du 30 juin 2009 au 30 juin 2011, soit 11 493,63 euro : 24 mois = 478,90 euro.
L'indemnité compensatrice qui devra être allouée à M. Orange s'établit donc à la somme de 11 493,63 euro, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2012, date du jugement.
La décision déférée sera réformée en ce sens.
- sur le montant de l'indemnité de préavis
Le tribunal a alloué une indemnité de préavis de 2 841,87 euro égale à 3 mois en prenant pour base la somme calculée par M. Orange, soit 947,29 euro.
Au soutien de son appel, la SARL Le Cerf fait valoir qu'au-delà de l'erreur de calcul commise d'où il résulte que l'indemnité de préavis ne pourrait être supérieure à la somme de 1 233,45 euro TTC, si la date de la rupture prise en compte est fixée au 1er juillet 2011, l'équité conduit à ne prendre en compte que les commissions perçues de janvier à juillet 2011, soit la somme de 460,17 euro, ce qui équivaut à la somme de 76,69 euro par mois, soit une somme maximale de 230,07 euro, compte tenu des faibles diligences accomplis par M. Orange en 2011 ; que prendre pour base les commissions de 2009 et 2010 reviendrait à un enrichissement sans cause.
Aux termes de l'article L. 134-11 du Code de commerce, la durée du préavis est de 3 mois pour la troisième année commencée.
En l'espèce, la SARL Le Cerf ne conteste pas la durée du préavis mais la base de calcul de l'indemnité due au titre du préavis.
Il convient de prendre en considération le montant perçu par l'agent au cours des deux dernières années d'exécution du contrat, comme base de calcul de l'indemnité de préavis, en l'absence de justification par la mandante d'une réduction d'activité unilatéralement décidée par son mandataire.
Compte tenu de la moyenne des commissions versées, une indemnité de 1 436,70 euro sera allouée à M. Orange, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2012, date du jugement entrepris.
La décision déférée sera réformée en ce sens.
Sur la demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
La SARL Le Cerf, qui succombe pour partie en son appel, sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile formée en appel. En revanche, l'indemnité de procédure allouée en première instance à M. Orange sera confirmée.
Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement entrepris sauf en celles de ses dispositions ayant débouté la SARL Le Cerf de ses demandes, et l'ayant condamné au paiement de la somme de 700 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, Et statuant sur les chefs infirmés, Condamne la SARL Le Cerf à payer à M. Claude Orange la somme de 11 493,63 euro, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2012, au titre de l'indemnité compensatrice, Condamne la SARL Le Cerf à payer à M. Claude Orange la somme de 1 436,70 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2012, au titre de l'indemnité de préavis, Condamne la SARL Le Cerf aux dépens d'appel.