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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 juin 2014, n° 13-17920

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Christian Liaigre (Sté)

Défendeur :

ADL (Sté), Bertrand (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Nicoletis, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes D'Alverny, Mervoyer, Fromantin

T. com. Bobigny, du 19 janv. 2010

19 janvier 2010

Le 27 décembre 1996, la société Christian Liaigre, qui conçoit et commercialise des meubles et des accessoires mobiliers haut de gamme, a prêté à la société ADL, qui a pour activité principale la fabrication de mobilier de style contemporain en gros et au détail, les plans de six canapés et fauteuils d'une de ses collections, fauteuils Picolo, Montalembert, Brousse et canapés Mousson, Batiste, Brousse, afin d'obtenir un devis en vue de lui confier la fabrication de meubles.

Après avoir passé commande d'un fauteuil, le 16 février 1997, la société Christian Liaigre n'a pas retenu la société ADL pour fabriquer ses meubles.

Par ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Bobigny en date du 16 octobre 2003, la société Christian Liaigre a été autorisée à procéder à une saisie-contrefaçon au siège social de la société ADL.

Le 22 octobre 2003, Maîtres Michel Chastanier et Alexandre Alleno, huissiers de justice, ont dressé un procès-verbal de saisie-contrefaçon.

La société Christian Liaigre a déposé une plainte avec constitution de partie civile du chef de contrefaçon, qui a donné lieu à une ordonnance de non-lieu en date du 31 octobre 2007.

Par acte du 2 février 2006, la société Christian Liaigre a assigné la société ADL devant le Tribunal de commerce de Bobigny en responsabilité et indemnisation pour concurrence déloyale et parasitisme.

Par jugement en date du 19 janvier 2010, le Tribunal de commerce de Bobigny a :

- dit que la société ADL a commis des actes de parasitisme ;

- rejeté la qualification de concurrence déloyale ;

- débouté la société ADL de ses demandes reconventionnelles ;

- débouté la société Christian Liaigre de sa demande en dommages et intérêts en réparation d'un préjudice matériel ;

- condamné la société ADL à payer à la société Christian Liaigre la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement du parasitisme ;

- condamné la société ADL à payer à la société Christian Liaigre la somme de 7 500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société ADL aux dépens.

Le 9 mars 209, la société ADL a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 30 mai 2012, la Cour d'appel de Paris a :

- infirmé le jugement entrepris sauf en ce qu'il n'a pas retenu la qualification de concurrence déloyale et débouté la société ADL de sa demande en dommages et intérêts pour perte de sa clientèle ;

Et statuant à nouveau,

- rejeté l'ensemble des demandes respectives des parties ;

- condamné la société Christian Liaigre aux dépens de première instance et d'appel ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur le pourvoi formé par la société Christian Liaigre, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a, par arrêt du 9 juillet 2013, cassé l'arrêt d'appel du 30 mai 2012, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la société ADL au titre de la procédure abusive, et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.

La société Christian Liaigre a saisi la Cour d'appel de Paris le 9 septembre 2013.

La société ADL a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du 14 février 2012, puis d'un plan de redressement sur une durée de 10 ans par jugement du 19 février 2013. Le 7 février 2014, la société ADL a déclaré la cessation de ses paiements au greffe du Tribunal de commerce de Bobigny.

Par jugement du 19 février 2014, le Tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de liquidation judiciaire immédiate sans maintien de l'activité à l'égard de la société ADL et a désigné Maître Bertrand Jeanne en qualité de mandataire-liquidateur. Le 19 mars 2014, la société Christian Liaigre a déclaré sa créance au passif de la société ADL.

Par acte du 8 avril 2014, la société Christian Liaigre a assigné en intervention forcée Maître Bertrand Jeanne, es-qualités de mandataire liquidateur de la société ADL.

Vu les dernières conclusions, notifiées le 4 avril 2014, par lesquelles la société Christian Liaigre demande à la cour de :

Aux visas des articles 1382 du Code civil, L. 622-22 et L. 641-3 du Code de commerce et 327, 331, 555 et 700 du Code de procédure civile,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

reçu la société Christian Liaigre en sa demande principale ;

dit que la société ADL a commis des actes de parasitisme ;

condamné la société ADL à verser à la société Christian Liaigre la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

et en conséquence :

- fixer le montant de la créance détenue par la société Christian Liaigre sur la société ADL à la somme de 40 000 € au titre de la réparation de son préjudice moral;

- infirmer le jugement en ce qu'il :

n'a pas retenu la qualification de concurrence déloyale ;

a débouté la société Christian Liaigre de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel ;

Et, statuant à nouveau,

- rejeter l'ensemble des demandes de la société ADL ;

- dire que la société ADL a commis au détriment de la société Christian Liaigre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;

- ordonner à la société ADL de cesser de reproduire, fabriquer et commercialiser les 54 meubles créés et commercialisés par la société Christian Liaigre, identifiés par cette dernière sous les désignation des armoires buffets et bibliothèques Monastère, Roche et Galet, des bancs et banquettes Archipel, Cordouan, Grume et Velin, des bureaux Monsieur et Octant, des canapés Augustin, Mousson, Océan, Opium, Pantaleria 106, Rocco, Valentin et Valentin II, des chaises Archipel GM, Bison, LXVI et Velin, des chauffeuses Mandarin et Noble Créole, des chevets Monsieur, des consoles et des coffres Oscuro, des guéridons Casoar, Flibuste, Lama et Scarabée, des fauteuils Barbuda, Brousse, Ecume, Kalfa, Opium, Picolo et Toribio, des lits de repos Augustin et Autan, des méridiennes Autan et Brousse, des miroirs Ebene, des plateaux Valentin, des tables basses Charpentier, Kyoko, Monsieur et Toja, des tables hautes Atelier, Casoar et Long Courrier, des tabourets, poufs et repose-pieds Bazane et Kalfa, en utilisant ou non les noms inventés par la société Christian Liaigre pour désigner ces meubles, et ce, sous astreinte de 7 500 € par infraction constatée à compter du jour du prononcé de la décision à intervenir ;

- ordonner la publication d'un extrait de l'arrêt à intervenir, dans deux journaux, choisis par la société Christian Liaigre, ainsi que sur une station de radio nationale, aux frais exclusifs de la société ADL, pour un montant maximum de 10 000 € hors taxe par publication ;

- fixer le montant de la créance détenue par la société Christian Liaigre sur la société ADL à la somme de 1 017 307 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel ;

- fixer le montant de la créance détenue par la société Christian Liaigre sur la société ADL à la somme de 100 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société ADL à l'ensemble des dépens d'instance.

Vu les dernières conclusions, notifiées le 6 février 2014, par lesquelles la société ADL et Maître Philippe Bleriot, es-qualités de commissaire à l'exécution du plan, demandent à la cour de :

- constater que la société Christian Liaigre ne justifie pas d'une faute effectivement commise par la société ADL, constitutive de parasitisme ou de concurrence déloyale;

- débouter la société Christian Liaigre de toutes ses demandes ;

- condamner à titre reconventionnel la société Christian Liaigre à verser à la société ADL les sommes de 20 000 € au titre du préjudice abusif et 50 000 € au titre de la déstabilisation et perte de sa clientèle ;

- condamner la société Christian Liaigre à payer à la société ADL la somme de 5 000 € au titre de l'article sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile du Code de procédure civile.

CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR :

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme :

Considérant que la société Christian Liaigre soutient que la société ADL a copié servilement des meubles qu'elle commercialisait et que ces copies serviles sont susceptibles de créer un risque de confusion dans l'esprit de sa clientèle ; que les actes de concurrence déloyale de la société ADL sont ainsi caractérisés ;

Considérant que la société ADL conteste les faits de parasitisme et de concurrence déloyale qui lui sont reprochés ; qu'elle expose que la société Christian Liaigre n'invoque plus la contrefaçon comme fondement juridique à ses prétentions car elle n'est pas en mesure de prouver l'originalité de ses modèles et de bénéficier des droits d'auteur y afférent ;

Considérant que la société ADL fait valoir que la société Christian Liaigre est mondialement connue alors qu'elle-même n'est qu'une petite entreprise et que même si elle a pu fabriquer certains modèles similaires à ceux de l'appelante, il n'y a aucun risque de confusion dans l'esprit de la clientèle entre les produits commercialisés par ADL, et les produits de luxe commercialisés par la société Christian Liaigre sous sa marque, le public sachant parfaitement en quoi s'en tenir ;

Considérant que l'intimée expose que la société Christian Liaigre n'a communiqué que des copies de devis établis par la société ADL et aucune facture, or la "tentative" ne peut donner lieu à condamnation civile ; que les produits litigieux ne sont en aucun cas des créations originales de la société Christian Liaigre, mais s'inspirent pour la plupart de modèles de grands créateurs de meubles, tombés dans le domaine public depuis des décennies, des produits similaires étant commercialisés par d'autres sociétés que la société ADL, sans faire l'objet de procédure de la part de la société Christian Liaigre ;

Considérant qu'il résulte du procès-verbal de saisie contrefaçon que les huissiers, assistés "d'un homme de l'art", ont constaté la présence, dans les entrepôts de la société ADL, "de carcasses de meubles portant le nom de modèles de la société Christian Liaigre et notamment Mousson, Roco, Ocean, Opium, Pantaleria, ainsi que la présence de meubles, qui aux dires de "l'homme de l'art" accompagnant les huissiers, sont des copies de ceux de la société Christian Liaigre : une banquette Velin, une trentaine de chaises Velin, un canapé Augustin, un canapé Ocean, une chauffeuse Latin, deux canapés Opium, un canapé Roco, une table basse Galet, une chauffeuse Mandarin, un banc Grum, un fauteuil Kalfa, une chaise Archipel, une chaise Louis XVI, un tabouret Zoulou ;

Considérant qu'il ressort de la comparaison des photographies jointes au procès-verbal de constat d'huissier et des catalogues de la société Christian Liaigre versés aux débats, que la société ADL fabriquait des meubles qui étaient la copie servile de ceux créés par la société Christian Liaigre et que certains de ces meubles portaient le même nom que ceux de la société Christian Liaigre ;

Considérant que les huissiers ont identifié, dans les ateliers de la société ADL, "treize coloris de cuirs servant à revêtir les meubles fabriqués par la société ADL similaires aux coloris des meubles de la société Christian Liaigre", ainsi que "cinq coloris de lin similaires aux coloris des meubles de la société Christian Liaigre" ; qu'ils ont également trouvé un catalogue Christian Liaigre, ainsi que 377 documents, factures, bons de commande, courriers, croquis de meubles, contenant "comme références la désignation exacte utilisée par Christian Liaigre pour identifier ces meubles" ;

Considérant que la société Christian Liaigre verse aux débats un "rapport de mission" daté du 27 décembre 2005, établi par un détective professionnel mandaté par elle, qui indique avoir constaté, dans les locaux de la société ADL, la présence de meubles présentant de nombreuses similitudes avec le canapé Ocean, la table basse Motu, la chaise Louis XVI, la chaise Terra du catalogue de la société Christian Liaigre ; que ce rapport fait également état de ce que la société ADL livrait des meubles à des particuliers, soit à la sortie de son entrepôt, soit à leur domicile ;

Considérant que la saisie contrefaçon a permis de reconstituer 34 dossiers de clients de la société ADL, qui établissent que cette société prenait commande, fabriquait à l'identique et vendait, soit à des architectes d'intérieurs, soit directement à des particuliers, des meubles figurant sur les catalogues de la société Christian Liaigre ; qu'ainsi par exemple, pour les époux Motyka, il a été retrouvé le devis établi le 25 mai 2000 par la société Christian Liaigre et le bon de commande de la société ADL du 7 juin 2000 portant sur les mêmes références de meubles mais à des prix jusqu'à 40 % moins chers, auxquels étaient annexés les croquis des meubles Christian Liaigre ;

Considérant que les nombreux bons de commandes ou courriers retrouvés mentionnent les noms des modèles Christian Liaigre, avec les dimensions des meubles, parfois les croquis ou les photographies des modèles Christian Liaigre et parfois l'indication "Liaigre" ou "Christian Liaigre" ; que l'appelante justifie par la production de ses fiches clients que la société ADL a ainsi pu détourner certains de ses clients ;

Considérant que les pièces versées aux débats par la société Christian Liaigre établissent que la société ADL fabriquait des copies serviles de meubles Christian Liaigre, qu'elle commercialisait sous le même nom et à des prix beaucoup plus bas que ceux de la société Christian Liaigre ; que ces agissements constituent des actes de concurrence déloyale susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle des sociétés Christian Liaigre et ADL, qui commercialisent toutes deux des meubles contemporains ;

Considérant que la société ADL a profité des efforts de création et de conception, des investissements, ainsi que de la notoriété de la société Christian Liaigre et de ses produits pour fabriquer et vendre en connaissance de cause des meubles copiés dans le catalogue de cette société, notamment à des clients qui souhaitaient pouvoir s'offrir des meubles Christian Liaigre à un prix bien inférieur ; qu'en se plaçant dans le sillage de la société Christian Liaigre, la société ADL a commis des actes de parasitisme ;

Sur le préjudice :

Considérant que la société Christian Liaigre sollicite une somme de 40 000 € en réparation de son préjudice moral et une somme de 1 017 307 € au titre du préjudice matériel résultant du détournement de sa clientèle et donc du chiffre d'affaires qui aurait dû lui revenir ; que la société ADL soutient que la société Christian Liaigre n'a subi aucun préjudice ;

Considérant qu'il résulte des documents trouvés dans les locaux de la société ADL que 26 % des modèles de meubles Christian Liaigre ont été copiés par la société ADL, qui a fabriqué et vendu 52 meubles copiés, ce qui lui a permis de réaliser un chiffre d'affaires de 1 017 307 € HT ;

Considérant que la société Christian Liaigre ne donne aucune indication sur la perte de marge brute résultant pour elle de la commercialisation par la société ADL de 52 meubles copiés ; qu'il est certain que les agissements déloyaux de la société ADL ont causé à la société Christian Liaigre un préjudice commercial et moral, puisqu'une partie de sa clientèle a été détournée et que ses créations ont été copiées durant quatre années ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé à la somme de 40 000 € la réparation du préjudice moral de la société Christian Liaigre ; qu'au vu des éléments dont dispose la cour la cour, la réparation du préjudice matériel subi par l'appelante doit être fixée à la somme de 80 000 € ;

Sur les autres demandes de la société Christian Liaigre :

Considérant que la société Christian Liaigre sollicite qu'il soit fait interdiction sous astreinte à la société ADL de fabriquer et commercialiser les copies de ses meubles et qu'un extrait du présent arrêt soit publié dans deux journaux ainsi que sur une station de radio aux frais de la société ADL ;

Considérant que le Tribunal de commerce de Bobigny ayant, par jugement du 19 février 2014, ouvert une procédure de liquidation judiciaire immédiate sans maintien de l'activité de la société ADL, les mesures complémentaires sollicitées par la société Christian Liaigre, qui sont devenues sans objet, seront rejetées ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société ADL :

Considérant que la société ADL sollicite la condamnation de la société Christian Liaigre à lui verser des sommes de 20 000 € à titre de procédure abusive et 50 000 € à titre de déstabilisation perte de clientèle ; que le tribunal de commerce a jugé de façon irrévocable que la procédure engagée par la société Christian Liaigre étant fondée en raison des agissements déloyaux commis durant plusieurs années par la société ADL, les demandes de la société ADL doivent être rejetées ;

Par ces motifs : Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Bobigny du 19 janvier 2010 sauf en ce qu'il n'a pas retenu la qualification de concurrence déloyale, débouté la société Christian Liaigre de sa demande de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice matériel ; Et statuant de nouveau, Dit que la société ADL a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Christian Liaigre ; Fixe la créance de la SAS Christian Liaigre au passif de la SARL ADL, représentée par son mandataire liquidateur, maître Bertrand Jeanne, comme suit : - 80 000 € au titre du préjudice matériel, - 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel, Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la SARL ADL aux dépens d'appel.