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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 3 juillet 2014, n° 12-21556

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Massove

Défendeur :

Alecto (SA), Natural Company (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Dlili, Guizard, Flichy

T. com. Evry, du 20 juin 2012

20 juin 2012

FAITS ET PROCEDURE

En 1986, Monsieur Massove a signé un contrat d'agent commercial avec la société HMD, actionnaire principal des sociétés Alecto et Natural Company, sociétés spécialisées dans la fabrication et la commercialisation d'articles de décoration.

En 2001, ce contrat d'agent commercial a été transféré aux sociétés Alecto et Natural Company.

Les époux Massove ont constitué la société MPE Diffusion, qui a été immatriculée le 1er janvier 2010 au RCS de Tarbes et dont la gérante est Mme Massove ; celle-ci a repris la facturation des rémunérations versées par les sociétés Alecto et Natural Company à compter du 1er janvier 2010 et qui représentaient 5 % du montant des contrats HT intervenus entre les sociétés Alecto et Natural Company et le client démarché, TVA en sus.

À partir de 2009, les relations entre les parties se sont détériorées, et les époux Massove ont perdu des clients et ont vu leur chiffre d'affaires baisser de façon importante.

Le 18 octobre 2010, M. et Mme Massove, considérant que cette diminution d'activité résultait du comportement de leurs mandants, ont pris l'attache des sociétés Alecto et Natural Company afin de leur indiquer qu'ils constataient la rupture unilatérale de leur contrat d'agent commercial.

C'est dans ces conditions que, le 10 juin 2011, faute de réponse des sociétés Alecto et Natural Company, les époux Massove ont assigné celles-ci en paiement des sommes dues au titre de la rupture du contrat.

Par jugement en date du 20 juin 2012, le Tribunal de commerce d'Evry a :

- déclaré recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Natural Company et l'en a déboutée,

- déclaré sa compétence pour juger le litige,

- déclaré recevable l'assignation introductive d'instance de M. et Mme Massove à l'encontre des sociétés Alecto et Natural Company,

- débouté les époux Massove de toutes leurs demandes,

- débouté les sociétés Alecto et Natural Company de toutes leurs demandes,

Vu l'appel interjeté le 28 novembre 2012 par les époux Massove contre cette décision.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 25 février 2013, par lesquelles les époux Massove demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du 20 juin 2012 rendu par la 3e chambre du Tribunal de commerce d'Evry,

Statuant à nouveau,

- constater la rupture unilatérale du contrat d'agent commercial de Monsieur et Madame Massove à l'initiative des sociétés Alecto et Natural Company,

- condamner solidairement la société Alecto et la société Natural Company à verser à Monsieur et Madame Massove une somme de 230 937 euros correspondant à l'indemnité de résiliation du contrat d'agent commercial,

- dire que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 18 octobre 2010, date de la mise en demeure,

- condamner solidairement la société Alecto et la société Natural Company au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de la résistance abusive opposée,

- condamner solidairement la société Alecto et la société Natural Company au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

Les consorts Massove considèrent qu'ils disposent tous deux d'un intérêt personnel à agir, puisque les contrats d'agent commercial ont été conclus entre eux et les sociétés Alecto et Natural Company, et non entre la société MPE Diffusion et ces sociétés.

Ils estiment avoir été privés de leurs outils de travail de façon progressive depuis 2007, les sociétés Alecto et Natural Company ne renouvelant pas leurs produits, n'éditant que de légers catalogues puis plus de catalogue à partir de septembre 2010, et n'investissant plus les salons de référence en matière de décoration.

Ils demandent que le calcul de l'indemnité de rupture se fasse sur la base de l'année 2008, puisqu'en 2009 et 2010, leur rémunération a brutalement baissé à cause des fautes contractuelles des sociétés Alecto et Natural Company.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 22 avril 2013, par lesquelles les sociétés Alecto et Natural Company demandent à la cour de :

- réformer la décision,

Et jugeant à nouveau,

- dire et juger que Monsieur Massove s'est substitué la société MPE Diffusion dans l'exécution du contrat d'agent commercial avec les sociétés Alecto et Natural Company et n'a plus de contrat d'agent commercial depuis le 1er janvier 2010,

- dire et juger que la société MPE Diffusion, immatriculée au RCS de Tarbes sous le n° 519 552 863 ayant son siège social à Lannemezan (65300), 470 route de Clarens est le seul co-contractant des sociétés Alecto et Natural Company,

- dire et juger que Monsieur et Madame Massove, dépourvus de qualité à agir en résiliation du contrat d'agent commercial entre les sociétés Alecto et Natural Company et la société MPE Diffusion,

- confirmer partiellement la décision attaquée,

- donner acte à Monsieur et Madame Massove de leur rupture unilatérale du contrat d'agent commercial,

- dire et juger la rupture unilatérale du contrat d'agent commercial non imputable aux sociétés Alecto et Natural Company,

- dire et juger les demandes de Monsieur et Madame Massove non fondées,

En conséquence,

- débouter Monsieur et Madame Massove de l'intégralité de leurs demandes en appel,

- condamner Monsieur et Madame Massove à verser la somme de 51 516 euros à la société Alecto à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- condamner Monsieur et Madame Massove à verser la somme de 100 000 euros à la société Natural Company à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- condamner Monsieur et Madame Massove à verser aux sociétés Alecto et Natural Company la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à charge pour ces dernières de se partager la somme

Les intimées contestent la qualité à agir des époux Massove, Madame Massove n'ayant jamais conclu de contrat d'agent commercial avec les sociétés Alecto et Natural Company, tandis que Monsieur Massove s'est substitué à compter du 1er janvier 2010 la société MPE Diffusion dans l'exécution de son contrat d'agent commercial.

Elles contestent, au cas où la demande des époux Massove serait jugée recevable, être à l'origine de la rupture des contrats d'agent commercial, la baisse de chiffre d'affaires des époux Massove n'étant pas due à des fautes des sociétés Alecto et Natural Company, mais à la crise économique et au fait que M. Massove n'avait qu'un nombre limité de clients, essentiellement de gros distributeurs et qu'il a été victime de leur politique d'achats liée à la crise survenue en 2008 ;

Elles soutiennent qu'aucune condamnation solidaire des sociétés Alecto et Natural Company ne peut être demandée, puisque celle-ci n'existe pas et n'est pas prouvée par les époux Massove, et que le calcul de l'indemnité par ceux-ci est basé sur des chiffres injustifiés.

Elles demandent enfin des dommages-intérêts pour la rupture abusive de leurs contrats par les époux Massove, puisque les sociétés Alecto et Natural Company se sont retrouvées du jour au lendemain sans leur principal agent commercial dans une situation économique difficile.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité de Monsieur et Madame Massove

Considérant que les sociétés Alecto et Natural Company soutiennent que les consorts Massove sont irrecevables à titre personnel, Monsieur Massove, dans la mesure où a il a cessé toute activité d'agent commercial en nom propre à compter du 1er janvier 2010, se substituant la société MPF Diffusion en tant qu'agent commercial, et Madame Massove, dans la mesure où elle a seulement collaboré à l'activité de son mari avant de devenir gérante de la société MPF Diffusion ; qu'ils font valoir que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elles n'ont jamais reconnu l'existence d'un contrat d'agent commercial conclu avec Mme Massove, fût-ce oralement.

Considérant que les époux Massove font valoir que la société MFP a été créée pour des raisons fiscales et qu'ils sont chacun titulaire de contrats d'agents commerciaux, soit un contrat écrit en date du 15 décembre 1997 entre M. Massove et la société HMD repris par la société Alecto et un contrat oral avec la société Natural Company et deux contrats oraux entre Mme Massove et chacune des deux sociétés.

Considérant que les époux Massove n'ont produit aucune facture justifiant que Mme Massove aurait perçu des rémunérations en tant qu'agent commercial ; que de plus dans leur demande ils ne distinguent pas les commissions qui auraient été perçues par l'un et par l'autre, de sorte que l'activité de Mme Massove n'est pas individualisée et s'inscrit dans le cadre d'une collaboration à l'occasion de l'activité d'agent commercial développée par son mari ; qu'en conséquence, il y a lieu de déclarer Mme Massove irrecevable.

Considérant que le contrat d'agent commercial dont bénéficiait M. Massove n'a pas été résilié ; que si, à compter de janvier 2010 les commissions ont été facturées par la société MFP, qui en a reçu paiement, il n'est pas pour autant démontré que M. Massove ait cédé à cette dernière son contrat d'agent commercial, ni qu'il ait cessé de l'exercer à titre individuel, quand bien même il avait créé une société ayant pour objet "toutes activités d'intermédiation et de vente de biens mobiliers de toutes natures et notamment Arts de la Table et décoration" pour facturer et encaisser ses commissions.

Considérant qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la qualité à agir de M. Massove.

Sur la rupture des contrats d'agent commercial

Considérant que les sociétés Alecto et Natural Company soutiennent que les consorts Massove ayant pris l'initiative de la rupture, ils ne pouvaient prétendre à aucune indemnité.

Considérant que M. Massove conteste une rupture à son initiative, faisant valoir que l'activité des sociétés Alecto et Natural Company a été concentrée dans une entité juridique unique, la société HMD qui a choisi, à la fin de l'année 2007, de privilégier les rapports commerciaux avec les grosses centrales d'achat au détriment des petits magasins et des commerciaux et qu'il a peu à peu été privé de ses outils de travail.

Considérant que, par lettre du 18 octobre 2010, M. Massove a indiqué qu'il constatait la rupture unilatérale du contrat d'agent commercial, estimant que celle-ci était due à l'impossibilité de pouvoir exercer leur mandat.

Considérant que les sociétés Alecto et Natural Company n'ont pas répliqué à cette lettre qui ne constitue pas dans ces termes une lettre de rupture à l'initiative de l'agent commercial ; que néanmoins il n'est pas contesté que M. Massove a cessé alors d'exécuter son contrat d'agent commercial.

Considérant que la cessation du contrat d'agent commercial résultant de l'initiative de l'agent ouvre droit à indemnité compensatrice du préjudice subi lorsque cette cessation est justifiée par des circonstances imputables au mandant.

Considérant que M. Massove expose que ses outils de travail ont peu à peu été supprimés en ce que les sociétés Alecto et Natural Company ont mis fin à leur collaboration avec une styliste qui collaborait depuis 2001 à raison de deux collections par an, que les catalogues édités pour chacune des deux collections et qui présentaient tous les produits, ont été réduits de 100 à 40 pages comportant pour l'essentiel des photos de tapis grand format et en 2010, la société Alecto ayant supprimé le sien, à compter de 2010, que l'investissement pour la participation à des salons été réduit et aucune nouveauté présentée, la société Natural Company ayant même disparu des salons.

Considérant que les sociétés Alecto et Natural Company affirment avoir rempli leurs obligations et contestent les griefs formulés par M. Massove ; qu'elles justifient avoir continué d'éditer des catalogues, la société Alecto ayant édité en 2010 un catalogue présentant ses nouveaux tapis et la société Natural Company ayant édité deux catalogues alors que son habitude était d'en sortir un seul ; qu'elle justifie avoir été présente au salon Maison et Objet en septembre 2010 et 2011 et avoir lancé une nouveauté à savoir des palettes de box à thèmes alors au contraire que M. Massove avait été absent du salon 2010.

Considérant qu'elles expliquent que les époux Massove ont eu une baisse d'activité qui ne leur est pas imputable car les chaines spécialisées ont été confrontées à la crise de 2008, alors qu'elles avaient passé des commandes sur la base d'un marché de la décoration en croissance constante depuis 2000 et qu'elles ont alors figé leurs achats sur 2008 et 2009 ; qu'elle fait observer que, pour la société Alecto, le chiffre d'affaires de M. Massove se concentrait sur deux grosses enseignes, Auchan, But et Leroy Merlin et pour Natural Company avec M. Bricolage, de sorte qu'il a été particulièrement affecté par la politique d'achats mise en place par ces enseignes.

Considérant que, pour autant, M. Massove ne démontre pas avoir été empêché de rechercher d'autres clients, ni avoir subi un manque de produits puisque ses ventes avec ses autres clients ont au contraire progressé au cours de la même période.

Considérant que les sociétés Alecto et Natural Company justifient avoir proposé une aide à M. Massove en lui proposant notamment des commissions supplémentaires pour des ventes de déstockage et des présentoirs box par thème.

Considérant qu'elles font observer que la société HMD a également vu son chiffre d'affaires baisser ; qu'elles reconnaissent que du fait de la crise, la société Alecto a eu des stocks à écouler et ne contestent pas avoir de ce fait limité l'offre de produits nouveaux en se recentrant sur une gamme existante de petits tapis ; que pour autant il n'existait pas d'obligation pour la société Alecto de mettre à disposition de ses agents des gammes de produits renouvelés chaque année.

Considérant que la baisse des commandes pour les années 2008 et 2009, s'est poursuivie en 2010, de sorte que l'explication tirée de la crise ne peut selon les époux Massove, être retenue ; qu'ils font valoir que s'agissant du client But, la société HMD a livré directement les magasins But, évinçant ainsi la société Alecto et son agent commercial ; que la société Alecto le conteste, indiquant que son agent travaillait avec un groupement régional de magasins qui a été racheté par la Centrale d'achat de la société But, qui ne l'a pas référencée de sorte qu'elle perdu ce client ; que les époux Massove font état de ce qu'ils ont continué à travailler avec un certain nombre de magasins dans le cadre d'un référencement régional, ils ne démontrent pas la réalité de leurs allégations selon lesquelles la société HMD aurait repris le client But.

Considérant que les époux Massove font grief aux sociétés Alecto et Natural Company d'avoir réduit leur personnel ; qu'il s'agit en période de crise d'un choix stratégique, que l'agent commercial chargé de prospecter et de trouver de nouveaux clients, ne saurait reprocher à un mandant dont le chiffre d'affaires est en baisse depuis plusieurs années.

Considérant que les époux Massove ne démontrent pas de manquements des deux mandants à leurs obligations ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris et de débouter M. Massove de ses demandes.

Sur la demande de dommages et intérêts des sociétés Alecto et Natural Company pour rupture abusive

Considérant que les sociétés Alecto et Natural Company prétendent que la rupture du contrat d'agent commercial est intervenue à l'initiative de l'agent et qu'elle leur a causé un préjudice ; que la société Alecto chiffre celui-ci à 50 % du chiffre d'affaires réalisé avec le client But et la société Natural Company au chiffre d'affaires réalisé en 2010 ;

Considérant que M. Massove fait valoir que, par la lettre du 18 octobre 2010, il a indiqué constater la rupture unilatérale du contrat d'agent commercial, considérant que celle-ci était due à l'impossibilité de pouvoir exercer leur mandat.

Considérant que les sociétés Alecto et Natural Company n'ont pas répliqué à cette lettre qui ne constituait pas, au regard des termes employés une lettre de rupture à l'initiative de l'agent commercial ; que pour autant ce dernier ne conteste pas avoir cessé son activité sauf à imputer cette cessation à la politique stratégique adoptée par ses mandants.

Considérant que les sociétés Alecto et Natural Company ont dirigé leur demande à l'encontre des époux Massove alors même qu'elles dénient à Mme Massove la qualité d'agent commercial et sans distinguer le préjudice allégué à l'encontre de chacun ; que dans ces conditions elles ne justifient pas de leur préjudice.

Considérant qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Alecto et Natural Company de leurs demandes à ce titre ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que les sociétés Alecto et Natural Company ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a déclaré recevable Madame Massove et statuant à nouveau Déclare Madame Massove irrecevable Condamne Monsieur et Madame Massove à payer aux sociétés Alecto et Natural Company la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile Condamne Monsieur et Madame Massove aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile