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Décisions

ADLC, 31 juillet 2014, n° 14-A-12

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à la situation de la concurrence dans le secteur de l'hébergement d'entreprises

ADLC n° 14-A-12

31 juillet 2014

L'Autorité de la concurrence (section II),

Vu la lettre du 25 octobre 2013, enregistrée sous le numéro 13/0081A, par laquelle le syndicat national des professionnels de l'hébergement d'entreprises (Synaphe) a saisi l'Autorité de la concurrence, sur le fondement de l'article L. 462-1 du Code de commerce, d'une demande d'avis relative au fonctionnement de la concurrence dans le secteur de l'hébergement d'entreprises ;

Vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) ;

Vu le livre IV du Code de commerce ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et les représentants du Synaphe entendus lors de la séance du 25 juin 2014 ;

Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

1. Par lettre du 25 octobre 2013, enregistrée sous le numéro 13/0081 A, le syndicat national des professionnels de l'hébergement d'entreprises (ci-après " le Synaphe ") a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") d'une demande d'avis relative au fonctionnement de la concurrence dans le secteur de l'hébergement d'entreprises. Le Synaphe demande que soient précisées les conditions dans lesquelles des organismes publics peuvent assurer des prestations commerciales relevant de ce secteur d'activités.

2. A titre liminaire, l'Autorité rappelle que, consultée en application de l'article L. 462-1 du Code de commerce, elle ne peut se prononcer que sur des questions de concurrence d'ordre général. Il ne lui appartient pas, dans ce cadre, de statuer sur le point de savoir si telle ou telle pratique est contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce. En effet, seule une saisine contentieuse et la mise en œuvre de la procédure contradictoire prévue aux articles L. 463-1 et suivants du même Code sont de nature à permettre l'appréciation de la licéité d'une pratique au regard des dispositions relatives aux ententes ou aux abus de position dominante.

3. En l'espèce, l'Autorité peut répondre aux questions qui lui sont posées, dans la mesure où celles-ci présentent un caractère de généralité suffisant et mettent en cause des principes de concurrence.

I. Le secteur et les acteurs concernés par la demande d'avis

A. LE SECTEUR DE L'HÉBERGEMENT D'ENTREPRISES

1. PRÉSENTATION DE L'ACTIVITÉ

4. L'hébergement d'entreprises peut être défini comme l'activité consistant à fournir à des entreprises une infrastructure immobilière ainsi que diverses prestations leur permettant d'exercer leur activité professionnelle au sein d'un centre de services mutualisés.

Selon la nature et l'étendue des prestations proposées, ces centres sont qualifiés de centres d'affaires ou de centres de domiciliation.

a) Les centres d'affaires

5. Les centres d'affaires proposent à leurs clients des services incluant la mise à disposition de locaux (bureaux individuels, salles de réunion ou de conférence, etc...) avec les équipements nécessaires (mobilier, téléphones, fax, imprimantes, ordinateurs, connexion internet, etc...) ainsi que l'accès à diverses prestations telles que :

- l'accueil physique, par un personnel dédié, pour recevoir et renseigner les clients du centre et leurs visiteurs ;

- la réception du courrier des clients et sa mise à disposition ;

- l'accueil téléphonique et notamment la gestion des appels entrants ainsi que la prise de messages ;

- des tâches de secrétariat et d'assistance administrative diverses ;

- des services de domiciliation (voir ci-après).

6. Les contrats proposés par les centres d'affaires sont en grande partie modulables, tant en ce qui concerne les surfaces occupées que la durée de location, qui peut varier de quelques heures à plusieurs années.

b) Les centres de domiciliation

7. Les centres de domiciliation ont pour activité principale la mise à disposition d'une adresse au profit de leurs clients, afin de permettre à ces derniers de domicilier légalement leur entreprise auprès de l'administration et de disposer d'une adresse professionnelle pour leur activité.

8. Ces services sont principalement utilisés par les entreprises de petite taille (TPE, entreprises individuelles, auto-entrepreneurs), notamment au moment de leur inscription au RCS (1), et par les sociétés étrangères qui souhaitent établir un premier établissement en France.

9. Les centres de domiciliation ne proposent pas de location de bureaux ou de salles de réunions. En revanche, ils doivent disposer d'un local permettant la réunion régulière des organes de direction, d'administration ou de surveillance, ainsi que la conservation des documents comptables des entreprises qui y sont domiciliées.

10. Le cas échéant, certains services annexes (accueil téléphonique, gestion du courrier, secrétariat, etc...) peuvent également être proposés.

2. RÉGLEMENTATION APPLICABLE

11. L'hébergement d'entreprises n'est réglementé qu'en ce qui concerne l'activité de domiciliation. Celle-ci est soumise à un régime spécifique, qui est organisé par les articles L. 123-11-2 et suivants et R. 123-166-1 et suivants du Code de commerce.

12. Ces dispositions prévoient notamment que :

- l'activité de domiciliation ne peut être exercée dans un local à usage d'habitation principale ou à usage mixte professionnel (article L. 123-11-2) ;

- l'exercice de l'activité de domiciliation est subordonné à la délivrance préalable d'un agrément préfectoral, valable pour une durée de six ans (articles L. 123-11-3 et R. 123-166-3) ;

- l'agrément ne peut être délivré qu'aux personnes qui satisfont à plusieurs conditions relatives notamment aux caractéristiques des locaux mis à disposition (cf supra) et à l'absence de condamnation pour certaines infractions pénales (article L. 123-11-3) ;

- le contrat de domiciliation doit être rédigé par écrit et conclu pour un durée d'au moins trois mois (article R. 123-168) ;

- le domiciliataire doit conserver, pour chaque entreprise domiciliée, un dossier contenant des informations telles que les coordonnées du représentant légal ou les lieux d'activité de l'entreprise, et doit informer le greffe du tribunal de commerce en cas de cessation de la domiciliation ou lorsque la personne domiciliée n'a pas pris connaissance de son courrier depuis trois mois (article R. 123-168).

13. Il existe, à côté de ces dispositions légales et réglementaires, une norme AFNOR consacrée aux services des professionnels de l'hébergement d'entreprises : il s'agit de la norme NF X 50-772 intitulée " Présentation des services des centres d'affaires et des centres de domiciliation d'entreprises ".

14. Elaborée à l'initiative du Synaphe, cette norme, qui est dépourvue de caractère obligatoire, a pour objet de décrire les différentes prestations offertes par les centres d'affaires et de domiciliation, de définir un niveau d'exigences minimum et de rappeler les règles déontologiques de la profession.

B. LES ACTEURS DE L'HÉBERGEMENT D'ENTREPRISES

15. L'activité d'hébergement d'entreprises est exercée tant par des prestataires privés que par des opérateurs publics.

1. LES PRESTATAIRES PRIVÉS

16. Il existe en France plusieurs grands groupes spécialisés dans l'hébergement d'entreprises.

- Le leader est le groupe anglo-saxon Regus, qui exploite plus de cinquante centres d'affaires et de domiciliation, et qui a réalisé en 2010 un chiffre d'affaires de 95 millions d'euros (2) ;

- ses principaux concurrents sont les groupes français Multiburo, Ateac, Buro Club, NCI et Sofrapart, dont le nombre d'implantations varie d'une quinzaine à une cinquantaine, et dont le chiffre d'affaires en 2010 était compris entre 10 et 20 millions d'euros (3) ;

- il existe enfin un nombre important d'acteurs de petite taille, au chiffre d'affaires plus modeste, qui interviennent au niveau local et qui ne disposent le plus souvent que d'une seule implantation. C'est notamment le cas des sociétés spécialisées dans les services de domiciliation.

17. Le Synaphe, qui est l'organisme professionnel du secteur, compte 250 sociétés adhérentes, dont la plupart des sociétés des grands groupes précités. Ce syndicat a notamment pour objet, en vertu de ses statuts, de représenter et de défendre les intérêts généraux des membres de la profession ainsi que de soumettre aux pouvoirs publics leurs besoins et d'en poursuivre la réalisation.

2. LES ACTEURS PUBLICS

18. Les acteurs publics qui interviennent dans le domaine de l'hébergement d'entreprises sont principalement les collectivités territoriales ainsi que les chambres de commerce et d'industrie.

19. Les structures que ces entités gèrent sont de deux types.

20. Les unes, que l'on désigne généralement sous l'appellation de " pépinières d'entreprises ", ont vocation à proposer des services d'hébergement à des tarifs préférentiels à des entreprises nouvellement créées (4). Ces structures peuvent être généralistes ou spécialisées dans un secteur d'activité. Le séjour des entreprises dans les pépinières est en général court (de l'ordre de deux à trois ans).

21. Il existe environ 300 pépinières d'entreprises en France, dont plus d'une cinquantaine en Ile-de-France.

Leur mode de gestion est variable (gestion en régie directe par une commune ou un établissement de coopération intercommunale, délégation à une société d'économie mixte locale ou à une association, gestion par une chambre de commerce et d'industrie, etc...).

22. Le second type de structures d'hébergement pris en charge par des acteurs publics, plus rare, est constitué de centres d'affaires et de domiciliation comparables à ceux du secteur privé. Les services qu'ils proposent ne sont pas réservés à une catégorie particulière d'entreprises.

23. Ce sont le plus souvent des chambres de commerce et d'industrie qui gèrent ce type de structures. Peuvent être cités, par exemple, le World Trade Center de Lyon (gérée par la société Lyon commerce International, dont la CCI de Lyon est l'actionnaire majoritaire), le centre d'affaires de la CCI des Vosges ou encore le Business Campus de Mulhouse (géré par la CCI de Sud Alsace Mulhouse).

II. Les questions concurrentielles posées par la demande d'avis

24. La présente saisine met en cause la possibilité pour des structures publiques d'intervenir sur un marché en y concurrençant les opérateurs privés.

Le présent avis commencera par rappeler les principes généraux applicables à de telles interventions (A) avant d'en faire application au cas d'espèce pour répondre aux questions posées par le Synaphe (B).

A. RAPPEL DES RÈGLES ENCADRANT L'INTERVENTION ÉCONOMIQUE DES

PERSONNES PUBLIQUES

25. L'intervention économique des personnes publiques est encadrée par deux types de règles : les unes sont relatives au principe même de l'intervention de la personne publique sur le marché (1), les autres ont trait aux modalités selon lesquelles cette intervention se réalise (2).

1. LE PRINCIPE DE L'INTERVENTION

26. La possibilité pour une personne publique de prendre en charge une activité économique, indépendamment des missions de service public dont elle est investie, est subordonnée à deux conditions : il est nécessaire, d'une part, que la personne publique agisse dans la limite de ses compétences et, d'autre part, que son intervention sur le marché soit justifiée par un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l'initiative privée (voir Conseil d'Etat, Assemblée, 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, Lebon p. 272). Cet intérêt public peut aussi être caractérisé indépendamment de toute défaillance de l'offre privée et résulter, par exemple, de la volonté de rendre accessible un service au plus grand nombre (voir, pour la création d'un service de téléassistance aux personnes âgées : CE, 3 mars 2010, Département de la Corrèze, req. n° 306911).

27. L'appréciation du respect de ces conditions, qui résultent respectivement de l'application du principe de spécialité et de celle du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, relève de la seule compétence des juridictions administratives.

28. Le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de préciser qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur ces questions.

Ainsi, par exemple, dans son avis n° 04-A-13 du 12 juillet 2004 relatif à la mise en place du Service Emploi-Entreprise (paragraphe 35), le Conseil indiquait qu'il " n'a pas à examiner, parmi les griefs invoqués dans la demande d'avis, ceux qui n'entrent pas dans le champ du droit de la concurrence, notamment la méconnaissance alléguée du principe de spécialité (...) et une éventuelle atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie " (voir également décision n° 04-D-02 du 10 février 2004 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Germain Environnement à l'encontre de l'Office national des forêts, paragraphes 10 et 11, confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 27 juillet 2004).

2. LES MODALITÉS DE L'INTERVENTION

29. Le principe de l'intervention étant supposé admis, les modalités suivant lesquelles cette intervention se réalise sont doublement encadrées par le droit de la concurrence : les personnes publiques sont soumises aux règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles (a) et doivent respecter, plus généralement, le libre jeu de la concurrence (b). Afin de prévenir d'éventuels abus, la mise en place d'un certain nombre de mesures apparaît nécessaire (c).

a) La soumission aux règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles

30. Les personnes publiques, dès lors qu'elles exercent une activité économique, sont soumises au droit de la concurrence, en particulier aux dispositions du Code de commerce et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) interdisant les ententes (article L.420-1 du Code de commerce et article 101 du TFUE) et les abus de position dominante (article L. 420-2 du Code de commerce et article 102 du TFUE).

31. En droit interne, cette soumission résulte directement de l'article L. 410-1 du Code de commerce, qui prévoit que les règles en cause " s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques (...) ".

32. S'il n'existe pas de disposition analogue dans le TFUE, la notion d'entreprise, qui constitue le critère d'application des articles 101 et 102 du Traité, a été définie par la jurisprudence communautaire comme s'entendant de toute " entité qui exerce une activité économique indépendamment du statut de cette entité et de son mode de financement " (5), ce qui recouvre donc indifféremment les structures de droit public et de droit privé.

33. L'État, les collectivités locales, les établissements publics et les autres personnes morales de droit public peuvent par conséquent faire l'objet de sanctions pour leurs pratiques anticoncurrentielles commises dans l'exercice d'une activité économique. Il en va de même des pratiques anticoncurrentielles qui seraient mises en œuvre par des structures de droit privé, telles que des sociétés, détenues ou contrôlées par des personnes publiques, ou encore des associations ou autres groupements sans but lucratif créés par ces personnes (6).

34. Le Conseil puis l'Autorité de la concurrence ont eu l'occasion à de nombreuses reprises de faire application des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles à des entités publiques, telles que des sociétés (décision n° 13-D-20 du 17 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre par EDF dans le secteur des services destinés à la production d'électricité photovoltaïque), des établissements publics à caractère industriel et commercial (décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises, à propos de la SNCF), des établissements publics à caractère administratif (décision n° 05-D-29 du 16 juin 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par " Les Haras Nationaux " sur le marché de la reproduction équine), des services de l'État (décision n° 05-D-75 du 22 décembre 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par la Monnaie de Paris, à propos de la Direction des monnaies et médailles), des collectivités locales (décision n° 97-D-92 du 16 décembre 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par la régie municipale des pompes funèbres de Marseille), ou encore des associations (décision n° 94-D-40 du 28 juin 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur de l'assurance ski, à propos de l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver).

35. Certaines pratiques anticoncurrentielles sont plus particulièrement susceptibles d'être mises en œuvre par les opérateurs publics, dès lors qu'ils détiennent une position dominante sur le marché concerné ou sur un marché connexe. C'est notamment le cas des pratiques de prix prédateurs et des pratiques de subventions croisées.

36. Comme l'a rappelé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 20 décembre 2012 (n°2011/05667), rendu dans l'affaire dite " des vedettes vendéennes ", la prédation est " une stratégie de prix consistant, pour une entreprise en position dominante, à pratiquer un prix délibérément bas, inférieur à ses coûts, qui n'est compatible avec la maximisation de ses profits que dans la mesure où ce prix lui permet d'éliminer son ou ses concurrents ou de décourager des concurrents potentiels d'entrer sur le marché considéré, l'autorisant alors, une fois la concurrence éliminée, à remonter ses prix sans crainte d'être concurrencée ".

37. Traditionnellement, en application de la jurisprudence Akzo (CJCE, 3 juillet 1991, affaire C-62/86), les prix pratiqués par une entreprise en position dominante sont considérés comme prédateurs lorsqu'ils sont inférieurs à la moyenne des coûts variables (c'est-à-dire ceux qui varient en fonction des quantités produites) ou, s'ils sont supérieurs à la moyenne des coûts variables mais inférieurs à la moyenne des coûts totaux, lorsqu'il peut être démontré qu'ils ont été fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent (points 71 et s.). Lorsque sont en cause des pratiques mises en œuvre par un opérateur public exerçant à la fois une activité de service public et une activité purement concurrentielle, activités pour lesquelles il existe des coûts communs importants, le test de prédation tient compte, non plus de la moyenne des coûts variables mais de la moyenne des coûts incrémentaux, c'est-à-dire des coûts évitables dans l'hypothèse où l'activité concurrentielle serait abandonnée (CJUE,

27 mars 2012, Post Danmark A/S, aff. C-209/10 ; décision du Conseil de la concurrence n° 04-D-79 du 23 décembre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par la Régie départementale des passages d'eau de la Vendée et arrêt précité de la Cour d'appel de Paris du 20 décembre 2012).

38. Peut également être qualifiée d'abusive, au sens des dispositions de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce, une pratique de subventions croisées entre une activité sous monopole confiée à l'opérateur en cause et une activité concurrentielle exercée par le même opérateur ou une filiale de ce dernier. Par sa durée, sa pérennité et son importance, une subvention croisée entre des activités sous monopole et des activités ouvertes à la concurrence peut avoir un effet potentiellement négatif sur la concurrence. La mise à disposition de moyens tirés de l'activité en monopole pour le développement d'activités relevant du champ concurrentiel peut, en fonction des circonstances de l'espèce, aboutir, à plus ou moins long terme, à éliminer du marché les concurrents ne disposant pas d'avantages analogues.

b) Le respect du libre jeu de la concurrence

39. En dehors des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles, qui s'imposent donc à elles, les personnes publiques intervenant sur un marché doivent veiller, de façon plus générale, à ne pas fausser le libre jeu de la concurrence. Les conditions de réalisation du libre jeu de la concurrence

40. Comme le Conseil d'Etat l'a indiqué dans sa décision Ordre des avocats au barreau de Paris précitée : " une fois admise dans son principe, l'intervention d'une personne publique sur un marché ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu'en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci ".

41. Dans le même sens, le Conseil de la concurrence avait affirmé en 1996 que " le bon fonctionnement de la concurrence sur un marché (...) suppose (...) qu'aucun opérateur ne bénéficie pour son développement de facilités que les autres ne pourraient obtenir et d'une ampleur telle qu'elles lui permettent de fausser le jeu de la concurrence " (avis n° 96-A-12 du 17 septembre 1996 relatif à une demande d'avis de la Commission des finances du Sénat concernant les conditions de concurrence prévalant dans le système bancaire et de crédit français, p.17 ; voir également avis n° 97-A-10 du 25 février 1997 relatif à une demande d'avis présentée par le Groupement des éditions et de la presse nautiques portant sur des questions de concurrence soulevées par la politique éditoriale du Service hydrographique et océanographique de la Marine, p.14).

42. Dans son avis n° 08-A-13 du 10 juillet 2008 relatif à une saisine du syndicat professionnel UniCiné portant sur l'intervention des collectivités locales dans le domaine des salles de cinéma, le Conseil a également rappelé qu'" une collectivité locale doit veiller à ne pas donner à son opérateur un avantage dont ne bénéficieraient pas ses concurrents présents sur le même marché. Les seuls avantages acceptables sont ceux nécessaires à la réalisation de la mission de service public confiée à cet opérateur et proportionnés à cette réalisation ".

43. Ces principes sont à rapprocher de celui, exprimé par la jurisprudence européenne, selon lequel " un système de concurrence non faussée, tel que celui prévu par le traité, ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée. " (CJCE, arrêt précité du 1er juillet 2008, MOTOE, pt 51).

Le respect de " l'égalité qui doit présider au libre jeu de la concurrence " (7) ne passe cependant pas par une uniformisation, au demeurant impossible en pratique, du statut des opérateurs publics et privés.

44. Le bon fonctionnement de la concurrence, en effet, " n'implique pas nécessairement que tous les opérateurs se trouvent dans des conditions d'exploitation identiques " (Conseil de la concurrence, avis précité n° 96-A-12 du 17 septembre 1996). Par ailleurs, " le régime juridique des personnes publiques ne leur confère pas, par lui-même, un avantage anticoncurrentiel " (Conseil d'État, rapport public 2002, " Collectivités publiques et concurrence ", p. 268).

A ce titre, notamment, les caractéristiques générales du statut fiscal et social des personnes publiques ne sont pas regardées comme porteuses, en elles-mêmes, de distorsions de concurrence au détriment des opérateurs privés.

45. Dans un avis contentieux du 8 novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants (n°222208, publié au Lebon), le Conseil d'État a ainsi affirmé que " Le régime fiscal applicable aux personnes publiques n'est (...) pas, par lui-même, de nature à fausser les conditions dans lesquelles s'exerce la concurrence " (8).

Sur le plan social, le même avis précise, après avoir relevé les différences de régime existant entre les agents publics et les salariés de droit privé, que " les différences qui existent en cette matière n'ont ni pour objet ni pour effet de placer les [personnes publiques] dans une situation nécessairement plus avantageuse que celle dans laquelle se trouvent les entreprises privées et ne sont donc pas de nature à fausser la concurrence entre ces personnes et ces entreprises ".

46. Le Conseil de la concurrence a repris à son compte cette dernière analyse dans sa décision n° 04-D-52 du 9 novembre 2004 relative à une saisine du cabinet d'ingénierie Dupouy concernant des pratiques mises en œuvre par le laboratoire des ponts et chaussées de

Clermont-Ferrand, rattaché au Centre d'études techniques de Lyon et par la direction départementale de l'équipement de Dordogne, en indiquant, à propos des établissements publics à caractère administratif, que " les règles, différentes de celles applicables aux entreprises privées auxquelles ils sont soumis en matière de personnel et de droit du travail, n'ont ni pour objet ni nécessairement pour effet de les placer dans une situation plus avantageuse et ne sont donc pas de nature à fausser la concurrence " (paragraphe 17).

Les risques d'atteintes au libre jeu de la concurrence

47. Si, de façon générale, le statut des personnes publiques ne fait donc pas obstacle par lui-même à ce qu'elles interviennent sur un marché, le libre jeu de la concurrence est en revanche susceptible d'être faussé lorsque ces personnes bénéficient de facilités ou d'avantages dont ne disposent pas leurs concurrents sur ce marché.

Politique de prix

48. Du point de vue des ressources, un risque de distorsion de concurrence existe par exemple lorsque l'opérateur public, bénéficiant pour l'exercice d'une mission de service public de moyens financiers, matériels et humains, est en mesure d'affecter une partie de ces moyens à ses activités relevant du champ purement concurrentiel et se trouve ainsi en position de pratiquer des prix inférieurs à ses coûts.

49. La nécessité, pour les opérateurs publics intervenant sur des marchés concurrentiels, de pratiquer des prix assurant une couverture des coûts a été soulignée à de nombreuses reprises par le Conseil de la concurrence.

50. Dans son avis n°05-A-06 du 31 mars 2005 relatif à une demande d'avis de la Compagnie nationale des ingénieurs et experts forestiers bois (CNIEFEB), le Conseil a ainsi rappelé, s'agissant des prestations marchandes d'ingénierie forestière assurées par les directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF), services déconcentrés de l'État, que " les prix pratiqués doivent, en tout état de cause, couvrir l'ensemble des coûts affichés par une comptabilité de type analytique excluant l'utilisation de toute subvention croisée ", ou encore, à propos de l'Office national des forêts, que " la logique de tout établissement public industriel et commercial est de se comporter, dans le cadre de ses missions, comme une entreprise privée et de couvrir par ses ressources propres l'ensemble de ses charges (...) " et que, s'agissant des activités concurrentielles de l'ONF, " l'équilibre des comptes doit être la règle et les prix pratiqués doivent couvrir l'ensemble des coûts " (voir également par exemple l'avis n° 94-A-15du 10 mai 1994 relatif à une demande d'avis sur les problèmes soulevés par la diversification des activités d'EDF et de GDF au regard de la concurrence).

51. Plus récemment, l'Autorité a indiqué, dans son avis n° 13-A-14 du 4 octobre 2013 relatif au projet de loi portant réforme ferroviaire, que " le jeu concurrentiel normal entre opérateurs est susceptible d'être faussé si des fonds publics ou les résultats d'exploitation excédentaires générés par des activités subventionnées sont utilisées pour financer des activités de transport soumises à la concurrence " et qu'" une telle orientation de ressources publiques pourrait (...) créer de graves distorsions de concurrence en faveur d'une entreprise ferroviaire qui profiterait d'un avantage concurrentiel artificiel qui ne serait pas fondé sur ses propres mérites, par exemple en adaptant indument sa politique commerciale pour proposer des prix artificiellement bas, que sa structure de coûts en services de transport ne pourrait normalement pas lui permettre " (paragraphe 55).

52. Sur un autre terrain, il faut relever que les facilités ou avantages de nature économique conférés à des opérateurs publics pourraient, le cas échéant, être qualifiés d'aides d'État au regard de la réglementation communautaire. Pour que des ressources allouées à un opérateur au titre de l'exercice d'une mission de service public puissent échapper à une telle qualification, il est notamment nécessaire, en vertu de la jurisprudence

Altmark (CJCE, 24 juillet 2003, aff. C-280/00), que l'opérateur concerné soit chargé de l'exécution d'obligations de service public clairement définies, que les paramètres de calcul de la compensation financière afférente à ces obligations soient établis au préalable de façon objective et transparente et que cette compensation n'excède pas ce qui est nécessaire pour couvrir les surcoûts occasionnés par l'accomplissement desdites obligations (voir, pour une analyse détaillée de ces conditions, la communication de la Commission relative à l'application des règles de l'Union européenne en matière d'aides d'État aux compensations octroyées pour la prestation de services d'intérêt économique général, JOUE, 11 janvier 2012, paragraphes 42 et suivants). Seules les instances communautaires sont toutefois compétentes pour apprécier si des compensations de service public sont ou non constitutives d'aides d'État et il n'appartient pas à l'Autorité de se prononcer sur ce point (voir en ce sens la décision n° 04-D-02 du 10 février 2004 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Germain Environnement à l'encontre de l'Office National des Forêts, paragraphe 13).

Accès à des informations privilégiées

53. Un autre risque de distorsion de concurrence entre opérateurs publics et privés peut résulter d'une asymétrie d'accès à l'information. Les opérateurs publics peuvent en effet, dans le cadre notamment de l'exercice de leur mission de service public, avoir accès à des informations déterminantes pour la conquête du marché, dont leurs concurrents privés ne disposent pas.

54. Cette problématique a notamment été examinée par l'Autorité dans son avis n° 09-A-33 du 29 septembre 2009 relatif aux modalités de la vente de bois par l'Office national des forêts (ONF). Se prononçant sur une éventuelle fusion de l'ONF et de l'Inventaire forestier national (IFN), établissement public à caractère administratif ayant accès, dans le cadre de sa mission de service public, à d'importantes informations quantitatives et qualitatives sur la ressource forestière, l'Autorité a indiqué que la fusion envisagée pourrait " présenter au regard du principe d'une concurrence non faussée un double risque : celui de l'accès direct de l'ONF à des données exhaustives et précises, qui actuellement ne sont pas à la disposition de l'ensemble des opérateurs (...), lui permettant une connaissance privilégiée du marché (...) et celui d'une connaissance des demandes de ses clients potentiels ou de ses concurrents, et donc de leurs besoins ou de leurs intentions ".

De même, dans son avis précité n°13-A-14 du 4 octobre 2013, l'Autorité a souligné le " risque majeur d'atteinte à la concurrence " pouvant résulter de l'utilisation, par les gestionnaires d'infrastructure ferroviaire, de certaines informations commercialement sensibles obtenues dans le cadre de l'exercice de leur mission de gestion d'accès au réseau (paragraphe 58).

Exercice de fonctions régulatrices

55. Enfin, le libre jeu de la concurrence peut encore être faussé lorsqu'une personne publique ayant la qualité d'opérateur économique sur un marché exerce par ailleurs, sur ce même marché, des fonctions de gestionnaire ou de régulateur lui conférant un avantage par rapport à ses concurrents.

C'est à ce titre, par exemple, que le Conseil de la concurrence a indiqué, dans son avis précité n° 05-A-06 du 31 mars 2005, qu'" une étanchéité totale doit exister entre les activités de gestion et de contrôle des aides publiques et les activités marchandes " des DDAF.

56. De même, dans son avis n°08-A-10 du 18 juin 2008 relatif à une demande d'avis présentée par la Fédération de la formation professionnelle, le Conseil a considéré que la participation de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) à l'instruction des demandes d'agrément présentées par les entreprises de formation professionnelle posait un problème de concurrence dès lors que cet agrément était nécessaire pour intervenir sur le marché considéré et que l'AFPA, association à financement public, était elle-même opérateur sur ce marché (paragraphes 72 et s.).

57. Plus récemment, l'Autorité a également estimé qu'il n'était pas souhaitable que les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d'électricité puissent être opérateurs sur le marché de l'effacement de consommation d'électricité compte tenu des pouvoirs de contrôle qu'ils détenaient ou étaient susceptibles de détenir sur ce marché (avis n° 13-A-25 du 20 décembre 2013 concernant l'effacement de consommation dans le secteur de l'électricité, paragraphes 113 et s.).

c) La mise en place de mesures préventives

58. Afin de prévenir la réalisation de pratiques anticoncurrentielles de la part des opérateurs publics et d'éviter, plus généralement, que ceux-ci ne faussent le libre jeu de la concurrence sur les marchés sur lesquels ils interviennent, le Conseil puis l'Autorité de la concurrence ont été régulièrement amenés à recommander l'adoption d'un certain nombre de mesures, notamment de transparence, au premier rang desquelles la mise en place d'une séparation comptable entre les différents types d'activités exercées par les opérateurs concernés.

Séparation comptable

59. Une telle séparation, qui repose sur l'établissement d'une comptabilité analytique propre à chaque type d'activité, est en effet la condition minimale pour s'assurer que les ressources et moyens qui sont alloués à l'opérateur pour l'exercice de sa mission de service public ne sont pas utilisés pour financer ses activités concurrentielles.

60. Le Conseil de la concurrence, dans son avis n° 96-A-10 du 25 juin 1996 relatif à une demande d'avis de l'Association française des banques concernant le fonctionnement des services financiers de La Poste au regard du droit de la concurrence, a ainsi indiqué que " la mise en place d'un système de comptabilité analytique fiable et transparent et de comptes généraux séparés est (...) pour La Poste une impérieuse nécessité, dès lors que coexistent en son sein deux types d'activités de nature différente mission de service public postal et activité bancaire dont l'une d'elles est couverte par un monopole public ".

61. Dans son avis n° 99-A-11 du 9 juin 1999 relatif à une demande d'avis de la Chambre professionnelle des transporteurs routiers de l'Isère sur la situation créée par l'octroi d'une aide financière à une régie départementale de transport par un conseil général, le Conseil de la concurrence a également souligné la nécessité "que les régies de transports disposent d'une comptabilité analytique qui permette de connaître la rentabilité de leurs différentes activités et la part des subventions affectées à chacune de celle-ci, en distinguant plus particulièrement les activités qui ont été attribuées directement par une autorité organisatrice de celles qui entrent en concurrence avec une entreprise privée ".

62. C'est également en ce sens que le Conseil s'est prononcé, dans son avis précité n° 04-A-13 du 12 juillet 2004 relatif à la mise en place du Service Emploi-Entreprise : " une séparation des comptes des activités en monopole ou liées aux missions de service public de celles ouvertes à la concurrence apparaît comme une condition nécessaire au respect des règles de concurrence. Cette séparation consiste, au minimum, à mettre en place une comptabilité analytique auditée par activité ".

63. De même, dans son avis précité n°05-A-06 du 31 mars 2005, le Conseil de la concurrence a indiqué que : " (...) la comptabilité analytique de l'ONF doit permettre d'identifier clairement ces deux types d'activités mission de service public et activités marchandes, et à l'intérieur des activités marchandes en concurrence, d'identifier chaque prestation et en particulier l'ingénierie forestière (...). Cette comptabilité doit justifier de la non affectation à ces activités des dotations publiques perçues dans le cadre des activités en monopole de l'ONF". En 2009, l'Autorité a rappelé, à propos du même établissement public, que l'exigence d'une comptabilité analytique " reste fondamentale pour s'assurer que les subventions budgétaires allouées à l'ONF ne servent pas à financer ses activités concurrentielles (...) " (avis précité n° 09-A-33 du 29 septembre 2009).

64. Pour être pertinente, la mise en place d'une comptabilité analytique doit reposer sur une délimitation fine et précise des activités de service public et des activités concurrentielles exercées par les entités concernées. L'utilité de la mesure au regard du respect des règles de concurrence suppose également que cette comptabilité puisse être soumise au contrôle d'autorités indépendantes.

65. Il convient de relever que l'établissement d'une comptabilité analytique, dont le Conseil de la concurrence puis l'Autorité ont souligné à maintes reprises la nécessité, correspond dans certains cas à une exigence textuelle.

66. Une telle exigence résulte en particulier des dispositions de l'ordonnance n° 2004-503 du 7 juin 2004 portant transposition de la directive 80/723/CEE relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques. L'article 2 de cette ordonnance prévoit en effet que : " I. -Sont soumis à l'obligation de tenir des comptes séparés (...) les organismes qui exercent des activités de production ou de commercialisation de biens ou de services marchands et qui, pour certaines de ces activités, soit sont chargés d'une mission de service public pour laquelle ils reçoivent une compensation, soit bénéficient de droits exclusifs ou spéciaux. / II. - (...) Les comptes séparés font ressortir les produits et les charges associés aux deux catégories d'activités (...) et la méthode retenue pour l'imputation ou la répartition des produits et des charges entre ces deux catégories d'activités en reflétant fidèlement la structure financière de ces organismes et leur organisation ".

67. De même, s'agissant des chambres de commerce et d'industrie, l'article L. 710-1 du Code de commerce dispose que : " (...) Chacun des établissements du réseau des chambres de commerce et d'industrie tient une comptabilité analytique mise à la disposition des autorités de tutelle et de contrôle afin de justifier que les ressources publiques ont été employées dans le respect des règles de concurrence nationales et communautaires et n'ont pas financé des activités marchandes ".

68. Si la mise en place d'une comptabilité analytique constitue une mesure nécessaire pour préserver le libre jeu de la concurrence, elle peut, dans certains cas, ne pas être suffisante.

Il apparaît alors souhaitable de procéder à une séparation plus complète des activités, passant notamment, lorsque cela est possible, par une filialisation.

Séparation juridique

69. Le Conseil de la concurrence, dans son avis précité n°94-A-15 du 10 mai 1994, avait par exemple considéré, à propos des activités de diversification d'EDF et de GDF, qu'" une séparation étanche entre les activités liées au monopole et celles relatives à la diversification semble s'imposer " et avait ainsi recommandé de filialiser l'ensemble des activités de diversification d'EDF et de GDF et de regrouper ces filiales au sein d'un holding unique pour chaque opérateur.

70. De même, le Conseil avait relevé, dans son avis relatif au fonctionnement des services financiers de La Poste (avis n° 96-A-10 du 25 juin 1996 précité), que " L'amélioration de 13la qualité et la transparence de la comptabilité analytique (...) constituent donc des conditions nécessaires pour la mise en œuvre effective du droit de la concurrence. Pour autant, il n'est pas sûr que ces conditions soient suffisantes dans tous les cas. En revanche, une séparation juridique et comptable, financière et organisationnelle entre les activités sous monopole et les activités ouvertes à la concurrence serait de nature à permettre un contrôle effectif des comportements au regard du droit de la concurrence ".

B. APPLICATION AU SECTEUR DE L'HÉBERGEMENT D'ENTREPRISES : RÉPONSE AUX QUESTIONS POSÉES PARLE Synaphe

71. La saisine du Synaphe comporte cinq questions : -des personnes publiques, telles que les chambres de commerce et d'industrie, sont-elles autorisées à agir sur un marché concurrentiel dès lors qu'elles ne démontrent pas au préalable un intérêt public à le faire ?

- dans un secteur tel que l'hébergement d'entreprises, quels peuvent être les critères d'un intérêt public justifiant une intervention publique sur un marché concurrentiel ?

- dans quelles conditions peut-on considérer que le bénéfice de ressources publiques, notamment financières, ne perturbe pas le jeu de la concurrence, notamment au regard du droit communautaire ?

- comment déterminer le moment à partir duquel une entreprise ne peut plus bénéficier des services d'une pépinière d'entreprises ?

- l'agrément préfectoral de domiciliataire peut-il être accordé à des intervenants publics (CCI, pépinières...) alors que ces derniers ne sont pas autorisés à pratiquer la domiciliation commerciale et fiscale ?

1. SUR LES PREMIÈRE, DEUXIÈME ET QUATRIÈME QUESTIONS

72. La problématique soulevée par ces trois questions est identique et touche au principe même de l'intervention d'acteurs publics dans le secteur de l'hébergement d'entreprises. Le Synaphe interroge l'Autorité sur la licéité d'une telle intervention en l'absence de justification préalable d'un intérêt public ainsi que sur les critères permettant de caractériser cet intérêt public, notamment dans le domaine des pépinières d'entreprises.

73. Comme cela a été indiqué aux paragraphes 26 et suivants, la possibilité pour une personne publique d'intervenir sur un marché concurrentiel est notamment subordonnée à la justification d'un intérêt public. Cette condition trouve à s'appliquer en l'espèce et il est effectivement nécessaire que les acteurs publics qui assurent des prestations d'hébergement d'entreprises, quelle qu'en soit la forme (pépinière d'entreprises, centre d'affaires, centre de domiciliation), puissent démontrer que l'exercice de cette activité répond à un intérêt public.

74. Néanmoins, et conformément à ce qui a été exposé précédemment, les juridictions administratives sont seules compétentes pour apprécier l'existence ainsi que la consistance d'un tel intérêt. Aussi l'Autorité ne peut-elle se prononcer sur les éventuels éléments ou circonstances qui seraient susceptibles de caractériser, dans le secteur de l'hébergement d'entreprises, un intérêt public justifiant l'intervention d'une personne publique.

75. Il n'appartient pas à l'Autorité, en particulier, d'énoncer des critères, relatifs par exemple à la date de création ou au montant du chiffre d'affaires d'une entreprise, permettant de déterminer si celle-ci a vocation à être accueillie dans une pépinière d'entreprises et de bénéficier ainsi de prestations d'hébergement à des tarifs préférentiels. La définition de ces critères, si elle est importante pour circonscrire le champ de la mission de service public prise en charge par les entités concernées, ne relève pas des pouvoirs de l'Autorité et doit être opérée par les autorités administratives compétentes sous le contrôle du juge administratif.

76. L'Autorité se bornera simplement à rappeler ici que, si l'absence ou l'insuffisance de l'offre privée est susceptible de constituer un intérêt public suffisant, celui-ci peut être caractérisé indépendamment d'une telle carence. En l'espèce, l'intervention des collectivités locales ou des chambres de commerce et d'industrie dans le domaine de l'hébergement d'entreprises ne saurait donc être remise en cause du seul fait qu'il existe, dans leur ressort géographique, une offre en services d'hébergement suffisante proposée par le secteur privé.

2. SUR LA TROISIÈME QUESTION

77. La question posée par le Synaphe porte sur les risques de distorsion de concurrence susceptibles de résulter des avantages, notamment financiers, dont bénéficient les acteurs publics du secteur de l'hébergement d'entreprises par rapport aux opérateurs privés. Le Synaphe invite l'Autorité à préciser les conditions à respecter pour éviter de telles distorsions de concurrence.

78. Comme cela a été indiqué aux paragraphes 48 et suivants, l'un des principaux risques concurrentiels lié à l'intervention d'entités publiques sur un marché résulte du fait que ces entités sont potentiellement en mesure d'utiliser les moyens mis à leur disposition au titre de leurs missions de service public pour financer des activités en concurrence.

79. Un tel détournement pourrait ainsi déboucher sur des pratiques de prix prédateurs ou de subventions croisées, justiciables de l'article L. 420-2 du Code de commerce et le cas échéant de l'article 102 du TFUE, si elles étaient le fait d'un opérateur en position dominante. Plus généralement, l'affectation croisée de ressources publiques à des activités purement marchandes serait de nature à fausser le jeu de la concurrence en permettant à l'opérateur public concerné de pratiquer, sur les prestations relevant du champ concurrentiel, des prix artificiellement bas et d'acquérir ainsi sur les autres opérateurs un avantage sans rapport avec ses mérites.

80. Au cas d'espèce, des distorsions de concurrence seraient ainsi caractérisées s'il apparaissait que des acteurs publics du secteur de l'hébergement d'entreprises, telles que des chambres de commerce et d'industrie, proposaient des services d'hébergement relevant du champ concurrentiel à des prix sans rapport avec le coût réel des prestations correspondantes et que cette sous-couverture des coûts était compensée par les fonds publics que ces acteurs perçoivent au titre de leurs missions de service public. En ce qui concerne les pépinières d'entreprises, ce cas de figure pourrait par exemple se rencontrer si des entreprises autres que celles ayant vocation à intégrer la pépinière (eu égard notamment à leur date de création) se voyaient proposer des services d'hébergement aux mêmes conditions tarifaires.

81. Afin de prévenir de telles distorsions de concurrence, il est nécessaire, ainsi que cela a été exposé aux paragraphes 58 et suivants, que les organismes publics concernés se dotent d'une comptabilité analytique permettant de distinguer entre, d'une part, l'activité d'hébergement d'entreprises qu'ils exercent en milieu concurrentiel et, d'autre part, leurs autres activités. La mise en place d'une telle comptabilité est en effet la condition minimale pour s'assurer de l'absence d'affectation de ressources publiques à l'activité concurrentielle. Une telle mesure constitue d'ailleurs, dans le cas des chambres de commerce et d'industrie, une obligation légale en vertu de l'article L. 710-1 du Code de commerce (précité paragraphe 67).

82. Les autres entités publiques qui interviennent dans le secteur de l'hébergement d'entreprises, si elles ne sont pas visées par des dispositions analogues, devraient également adopter une comptabilité de type analytique afin de pouvoir justifier, le cas échéant, que les fonds publics qu'elles perçoivent sont employés conformément à leur destination, c'est-à-dire pour financer les seules missions de service public dont elles sont chargées.

3. SUR LA CINQUIÈME QUESTION

83. Le Synaphe interroge l'Autorité sur les possibilités de délivrance, aux acteurs publics du secteur de l'hébergement d'entreprises, de l'agrément préfectoral prévu par l'article L. 123-11-3 précité du Code de commerce, qui est requis pour l'exercice de toute activité de domiciliation. Le Synaphe fait valoir que cet agrément est en pratique délivré de façon quasi-systématique par les préfets aux opérateurs en cause, alors que ceux-ci ne rempliraient pas les conditions légales pour l'obtenir, en particulier la condition d'immatriculation au RCS.

84. Toutefois, outre que cette dernière condition "n'est pas requise si le domiciliataire est une personne morale française de droit public ou une association regroupant des personnes morales de droit public " (article R. 123-168 du Code de commerce), la question que pose en substance le Synaphe est une question de légalité administrative qu'il n'appartient pas à l'Autorité d'examiner, le juge administratif étant seul compétent pour y répondre.

Délibéré sur le rapport oral de M. Nicolas Le Broussois, rapporteur et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par Mme Claire Favre, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Chantal Chomel et Séverine Larère, MM. Noël Diricq et Olivier d'Ormesson, membres.

Note :

1. L'immatriculation au RCS est impossible en l'absence de domiciliation.

2. Source : étude Xerfi, " Les centres d'affaires et de domiciliation à l'horizon 2012 ", avril 2011.

3. Ibidem.

4. On parle d'incubateurs d'entreprises pour les structures destinées aux entreprises en cours de création.

5. CJCE, 23 avril 1991, Höfner et Elner c/ Macrotron, C-41/90, Rec. 1991, p. I-1979, point 21.

6. Comme l'a précisé la Cour de justice des communautés européennes : " la circonstance que l'offre de biens et de services soit faite sans but lucratif ne fait pas obstacle à ce que l'entité qui effectue ces opérations sur le marché doive être considérée comme une entreprise, dès lors que cette offre se trouve en concurrence avec celle d'autres opérateurs qui poursuivent un but lucratif " (CJCE,1er juillet 2008, MOTOE, aff. C-49/07, pt 27).

7. Formule employée par la Cour de cassation dans un arrêt de 1936 (Cass. civ., 15 janvier 1936, Cie des omnibus et tramways de Lyon, Gaz. Pal. 1936, 1. 477).

8. L'avis se fonde notamment sur les dispositions de l'article 1654 du Code général des impôts, qui prévoit que " Les établissements publics, les exploitations industrielles ou commerciales de l'Etat ou des collectivités locales (...) doivent (...) acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations ".