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Décisions

ADLC, 17 septembre 2014, n° 14-A-13

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires

ADLC n° 14-A-13

17 septembre 2014

L'Autorité de la concurrence (section 1B),

Vu la lettre, enregistrée le 2 décembre 2013 sous le numéro 13-0088A par laquelle le président et le rapporteur général de la commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale ont saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires, en application de l'article L. 462-2 du Code commerce ;

Vu le livre IV du Code de commerce ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, le ministère des transports (direction générale des infrastructures, des transports et de la mer) et les représentants des sociétés Vinci-Autoroutes, APRR et SANEF entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 22 juillet 2014 ;

Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

Introduction

1. Par lettre en date du 27 novembre 2013, enregistrée sous le numéro 13-0088A, la commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur la situation de la concurrence dans le secteur des autoroutes. Cette saisine s'inscrit dans le cadre de l'article L. 462-1 du Code de commerce, lequel dispose que "l'Autorité de la concurrence peut être consultée par les commissions parlementaires sur les propositions de loi ainsi que sur toute question concernant la concurrence".

2. Plus précisément, la commission des Finances de l'Assemblée nationale demande à l'Autorité de "dresser le bilan de la mise en œuvre des recommandations qu'elle avait formulées dans son avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 sur les problèmes de concurrence pouvant résulter de la privatisation des autoroutes […], d'analyser les hausses tarifaires revendiquées par les sociétés concessionnaires d'autoroutes ainsi que les charges incluses dans leurs contrats et de vérifier si la capacité des mécanismes de contrôle actuels visant à garantir les intérêts du concédant et des usagers est préservée".

3. Le réseau autoroutier français a été construit et demeure exploité sous le régime de la concession. Si le cadre juridique est resté inchangé depuis la loi du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes, ce secteur a connu un bouleversement majeur avec la privatisation, en 2006, des six sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) "historiques" que sont ASF et sa filiale ESCOTA, APRR et sa filiale AREA et, enfin, SANEF et sa filiale SAPN. Désormais, toutes les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont des sociétés privées, à l'exception des deux sociétés tunnelières (Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc et la Société française du tunnel routier de Fréjus). En outre, avec Cofiroute (qui a toujours été une société privée), cinq des sept sociétés concessionnaires d'autoroutes "historiques" appartiennent aujourd'hui aux groupes de travaux publics Vinci et Eiffage.

4. Ce bouleversement du secteur présente, du point de vue de la concurrence, trois enjeux qui seront successivement examinés :

- la régulation, par l'État, des sociétés concessionnaires "historiques" dont le monopole géographique se caractérise par une rentabilité exceptionnelle résultant, notamment, d'une augmentation continue du tarif des péages ;

- la préservation de la concurrence sur les marchés de travaux passés par les SCA "historiques", maintenant qu'elles ont perdu leur statut de pouvoir adjudicateur et qu'elles appartiennent, pour cinq d'entre elles, à des groupes de travaux publics disposant de filiales à même de réaliser ces travaux ;

- enfin, à ces deux enjeux structurels découlant de la privatisation des SCA s'ajoute un enjeu conjoncturel lié à la mise en œuvre du Plan de relance autoroutier. En contrepartie de 3,6 milliards d'euro d'investissements sur l'infrastructure autoroutière, les concessions des sept SCA "historiques" seraient prolongées, sans mise en concurrence, jusqu'à six années supplémentaires.

5. En revanche, l'Autorité considère qu'il ne lui appartient pas de rouvrir le débat sur les conditions de la privatisation des SCA en 2006 ni de nourrir celui sur l'opportunité d'une renationalisation de celles-ci qui a été récemment relancé.

Section 1 : le secteur des autoroutes

6. Les autoroutes sont, en France, exploitées sous le régime de la concession et ce, depuis la loi du 18 avril 1955 portant statut général des autoroutes (I). Toutefois, si la propriété des autoroutes reste publique, leur exploitation, longtemps confiée à des sociétés d'économie mixte (SEM) majoritairement détenues par l'État, est désormais, depuis la privatisation desdites SEM en 2006, entre les mains de groupes privés (III). Le secteur des autoroutes en France se caractérise aujourd'hui, à l'exception des nouvelles concessions (IV) par une rentabilité importante et en progression régulière (II), comparable à celle des autres concessionnaires européens (V).

I. Le cadre juridique et financier

7. Le réseau autoroutier français est essentiellement fondé sur le principe de la concession de la construction et de l'exploitation des autoroutes, autorisée par l'article L. 122-4 du Code de la voirie routière qui a repris les dispositions de la loi du 18 avril 1955.

8. La concession autoroutière est un contrat de délégation de service public, par lequel l'État, autorité concédante, confie pour une durée définie (35 ans à l'origine) et sur la base d'un cahier des charges, à un opérateur économique (le concessionnaire) la construction, l'entretien, l'exploitation d'une infrastructure autoroutière ou d'un ouvrage d'art, en contrepartie de la perception d'un droit d'utilisation de cette infrastructure (le péage) acquitté par les usagers. Celui-ci est affecté à la couverture des charges de construction, d'exploitation d'entretien et d'extension de ces infrastructures, ainsi qu'à la rémunération et à l'amortissement des capitaux investis par le concessionnaire.

9. L'investissement autoroutier a, pendant plusieurs décennies, reposé sur quatre principes qui, conjugués, ont permis la construction, l'exploitation et l'amélioration d'un réseau autoroutier dense et de qualité, quasiment sans faire appel aux ressources publiques :

- l'affectation au financement de nouvelles sections d'autoroutes, quelle qu'en soit la rentabilité, des flux de trésorerie issus de l'exploitation des sections existantes, plus rentables voire déjà amorties, à l'exclusion de toute rémunération des capitaux investis (pratique dite de l'adossement), au besoin couplée avec l'allongement de la durée de la concession existante ;

- corollaire de l'adossement, l'attribution de gré à gré, sans mise en concurrence, des concessions d'une même zone géographique à un unique concessionnaire ; formellement, il ne s'agissait d'ailleurs pas d'une nouvelle concession mais de la modification par avenant de la liste des concessions comprises dans une concession globale attribuée à chaque société autoroutière ;

- le recours systématique à l'endettement, faute d'un autofinancement suffisant, le remboursement des emprunts étant gagé sur des hypothèses de croissance à long terme des recettes des péages ;

- l'indifférence aux résultats financiers à court terme, permise par une dérogation comptable qui autorisait les sociétés concessionnaires d'autoroutes à immobiliser en "charges différées" les pertes résultant du paiement des frais financiers, lesquelles ne venaient donc pas en diminution des capitaux propres.

10. Seules les concessions à des sociétés d'économie mixte dont le capital était majoritairement détenu par l'État étaient autorisées par la loi. Ont ainsi été créées cinq sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) : la Société de l'autoroute Estérel - Côte d'Azur, Alpes (ESCOTA) en 1956, la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) en 1957, la société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) en 1961, la Société des Autoroutes Paris-Normandie (SAPN) et la Société des Autoroutes du Nord et de l'Est de la France (SANEF) en 1963. À celles-ci se sont ajoutées deux SEM chargées des tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus.

11. Toutefois, dans les années 70, l'État a autorisé l'attribution de concessions d'autoroutes à quatre sociétés à capitaux privés : la Compagnie Financière et Industrielle des Autoroutes (Cofiroute), la Société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA), la Société de l'Autoroute de la Côte Basque (ACOBA) et la Société des Autoroutes Paris - Est - Lorraine (APEL). Ce fut un échec. Incapables de faire face à leurs engagements après le premier choc pétrolier, elles ont toutes été rachetées par les SEMCA, à l'exception de Cofiroute, inaugurant ainsi une nouvelle forme d'adossement de sociétés concessionnaires en difficulté à d'autres qui ne l'étaient pas.

12. En 1994, la décision du gouvernement d'accélérer la réalisation du schéma directeur autoroutier a rendu nécessaire l'adaptation de la structure des SEMCA, ainsi que la redéfinition de leurs relations avec l'État. Deux objectifs étaient poursuivis :

- assurer la solidité et la solidarité financière des SEMCA par la création de trois pôles régionaux via la filialisation de certaines sociétés. Ainsi, ESCOTA est devenue une filiale d'ASF, la SAPN une filiale de la SANEF et AREA une filiale d'APRR ; c'est une nouvelle forme de l'adossement indiqué supra puisque les nouvelles filiales, en difficulté, ont été apportées à des SEMCA en bonne santé qui, en retour, ont dû contribuer à leur recapitalisation ;

- instaurer des relations contractuelles entre l'État et les SEMCA. Des contrats de plan, conclus pour une durée de cinq ans entre l'État et les sociétés concessionnaires, formalisent les engagements de chacune des parties en matière de travaux et d'investissements, de politique tarifaire, d'objectifs financiers, d'indicateurs de gestion, de politique sociale et d'emploi, de service à l'usager, de qualité architecturale des ouvrages et d'insertion dans l'environnement.

13. Les premiers contrats de plan ont été conclus pour la période 1995-1999, les derniers en janvier 2014 (APRR et AREA). Les prochains seront signés en 2015.

14. L'ensemble de ces principes à l'exception d'un seul (le financement par endettement des investissements) a été remis en cause à partir de la fin des années 1990.

15. Le régime de l'adossement a pris fin en 2001 à la suite d'un avis du Conseil d'État du 16 septembre 1999. Celui-ci a estimé qu'il était contraire aux règles applicables à l'attribution des concessions, telles qu'elles découlent en particulier de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 (dite "loi Sapin") et de la directive n° 93-37-CEE du 14 juin 1993 (dite "directive travaux"). En effet, ce régime de l'adossement ne permettait pas d'avoir une concurrence équitable entre les candidats pour les nouvelles concessions autoroutières, étant donné qu'il avantageait les concessionnaires existants - qui pouvaient s'appuyer sur les flux financiers générés par leurs concessions - au détriment des nouveaux entrants.

16. Désormais, les nouvelles sections autoroutières ne sont plus concédées de gré à gré mais à l'issue d'une mise en concurrence et font l'objet d'un contrat de concession spécifique. Quant à l'équilibre financier, qui ne peut plus résulter de l'adossement, il doit être assuré par les recettes d'exploitation, complétées le cas échéant par le versement d'une subvention d'équilibre au concessionnaire. La fin de l'adossement a également été celle de la facilité qui avait conduit à des allocations de ressources discutables pour financer des autoroutes non rentables, lesquelles entraînaient un endettement croissant des SEMCA.

17. Par ailleurs, l'ordonnance du 28 mars 2001 a adapté le régime juridique et financier des SEMCA au droit commun, notamment par la suppression des engagements de reprise de passif par l'État, la suppression du régime des charges différées et l'alignement de leurs pratiques comptables sur le droit commun.

18. En contrepartie, afin d'assurer leur équilibre financier, l'ordonnance a prorogé la durée des concessions qui prendront fin entre 2027 et 2033 (voir annexe 12). Cet allongement a en effet permis aux SEMCA d'améliorer leur résultat, en réduisant les dotations annuelles aux amortissements, ainsi que leurs fonds propres, la nouvelle durée de concession ayant été utilisée pour recalculer rétroactivement lesdits amortissements et inscrire en fonds propres la différence avec les amortissements déjà passés.

19. Cette adaptation faite, l'État a pu se séparer de 49 % du capital des ASF en 2002 par le biais d'une introduction en Bourse. De même a-t-il partiellement privatisé la SANEF et APRR en 2004. Puis, en juin 2005, l'État a pris la décision d'accélérer le processus de privatisation de différentes SEMCA afin de financer son désendettement. Trois groupes étaient concernés APRR, SANEF et ASF, qui ont été entièrement privatisés en 2006.

20. La vente des SEMCA à des groupes privés a naturellement remis au premier plan la question de la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes et, avec elle, la rémunération des capitaux investis par les actionnaires et le versement de dividendes.

21. Par conséquent, aujourd'hui, trois des quatre principes qui ont à l'origine guidé l'investissement autoroutier ont été remis en cause et le cadre juridique profondément transformé. Le seul restant en vigueur est le recours à l'endettement pour le financement des investissements autoroutiers.

22. Il convient de préciser que le réseau autoroutier reste la propriété de l'État puisque la totalité des routes ouvertes à la circulation automobile relève du domaine public. Seules les sociétés concessionnaires ont été privatisées. De plus, les relations entre l'État et les nouvelles sociétés concessionnaires d'autoroutes sont toujours encadrées par un cahier des charges et un contrat de plan. Enfin, à l'issue de la période de concession, l'État pourra, s'il le souhaite, assurer lui-même l'exploitation des autoroutes.

23. L'État gère directement plus de 2 500 kilomètres d'autoroutes. Il s'agit des autoroutes urbaines (par exemple le périphérique parisien) et de certaines autoroutes interurbaines. Les usagers y accèdent sans payer de péage et leur entretien est assuré par l'État.

II. Un secteur caractérisé par une rentabilité très élevée malgré une augmentation limitée du trafic autoroutier

24. Le secteur des concessions autoroutières présente la particularité d'être oligopolistique, concentré autour d'un nombre très limité de grandes entreprises. Cette forte concentration s'explique par les capitaux considérables nécessaires pour réaliser les autoroutes et les entretenir ainsi que, plus récemment, par la privatisation en 2006 des six SEMCA, toutes rachetées par trois groupes : Vinci, Eiffage et Abertis.

25. Ce secteur est aujourd'hui composé de 19 sociétés concessionnaires (1) dont 11 sont détenues par les sept sociétés concessionnaires que l'on peut qualifier d' "historiques" : SANEF/SAPN, détenues majoritairement par le groupe Abertis, APRR/AREA, détenues majoritairement par le groupe Eiffage, ASF/ESCOTA et Cofiroute détenues à 100 % par le groupe Vinci. Ces sept SCA "historiques" représentent 92 % du chiffre d'affaires total réalisé sur le marché des concessions, le reste étant réalisé par de nouvelles concessions, attribuées après mise en concurrence à partir de 2001 et de taille bien plus réduite que les précédentes.

26. L'Autorité a fait le choix, considérant la part que représentent les sept sociétés concessionnaires "historiques", de centrer l'analyse du secteur sur celles-ci, sans s'interdire dans la présentation globale qu'elle fait de ce dernier de mettre en évidence leurs points communs comme leurs différences. Seront ainsi analysés successivement le chiffre d'affaires des SA et les facteurs d'évolution de celui-ci (A) puis leur rentabilité. Celle-ci, particulièrement élevée, s'intègre dans le modèle économique particulier des concessions autoroutières (B).

A. Des chiffres d'affaires croissants malgré la progression limitée de la circulation sur autoroutes et le faible niveau de mises en service

27. Le chiffre d'affaires de l'ensemble des SCA, y compris les nouvelles concessions, est en progression constante (1), celle-ci s'expliquant, pour l'essentiel, par la hausse continue du tarif des péages (2).

1. Un chiffre d'affaires en constante progression

28. Le chiffre d'affaires des 19 sociétés concessionnaires d'autoroutes est en constante progression. Sur la base des données de l'AFSA (disponibles à partir de 2007), l'Autorité a synthétisé dans l'annexe 2 l'évolution du chiffre d'affaires de l'ensemble des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Il apparaît que celui-ci est passé de 7 386 à 8 877 millions d'euro entre 2007 et 2013 (+ 20 %).

29. S'agissant du chiffre d'affaires des seules sociétés concessionnaires "historiques", hors nouvelles concessions et concessions publiques "tunnelières", l'Autorité s'est appuyée sur les comptes consolidés de celles-ci depuis 2004 :

"emplacement tableau"

30. Les SCA "historiques" ont donc toutes enregistré une augmentation continue de leur chiffre d'affaires depuis 2004. En particulier, la crise financière de 2008 et 2009 s'est traduite par un simple ralentissement du rythme de cette augmentation et non par une baisse du chiffre d'affaires. Entre 2004 et 2013, la hausse de celui-ci s'établit à 41 % et à 26 % entre 2006 et 2013.

2. Les trois facteurs expliquant la hausse des chiffres d'affaires des SCA

31. Comme pour toute entreprise, le chiffre d'affaires des SCA évolue selon le volume et le prix du service proposé. Dans leur cas, le volume correspond au trafic, qui a constamment progressé, même si le rythme est aujourd'hui moins rapide que par le passé (a), en raison principalement de la crise financière mais aussi de la diminution des mises en service de nouvelles concessions autoroutières (b). Par conséquent, la forte augmentation du chiffre d'affaires des SCA "historiques" s'explique surtout par l'augmentation, elle aussi continue et très rapide, du tarif des péages depuis 2004 (c).

a) La progression du trafic

32. De 2007 à 2013, selon les données de l'AFSA, le nombre de kilomètres parcourus sur les autoroutes (en millions de véhicules par kilomètre, tous véhicules confondus) est passé de 82 070 à 85 433 kms, soit une augmentation de 4 % (0,7 % par an en moyenne). Cette progression limitée, qui contraste fortement avec l'augmentation passée de la circulation sur autoroute (plus de 2-3 % par an en moyenne sur longue période), s'explique essentiellement par la crise financière, la hausse du prix des carburants et les changements de comportements visant à optimiser la logistique des transports routiers de marchandises.

33. Il convient toutefois de distinguer le trafic des poids lourds de celui des véhicules légers. S'agissant du premier, plus fortement dépendant de l'activité économique, il a diminué de 9,4 % de 2007 à 2013, particulièrement après 2008 et la crise financière qui a entraîné une baisse brutale du transport routier de marchandises. Quant au trafic des véhicules légers lui-même, il a connu une progression de 7 % au cours de cette même période.

34. Le tableau suivant retrace le nombre de kilomètres concédés ainsi que le nombre de véhicules par kilomètre pour les SCA "historiques" :

"emplacement tableau"

35. D'une manière générale, si le rythme d'augmentation du trafic autoroutier a diminué par rapport aux années passées depuis la crise, en particulier pour les poids lourds, il convient de souligner que la durée très longue des concessions autoroutières est de nature à limiter l'impact d'une éventuelle baisse du trafic. En effet, si la crise financière a pu, pendant quelques mois ou quelques années, déprimer le trafic autoroutier, il apparaît que celui-ci, dans le passé, est toujours reparti à la hausse sans, d'ailleurs, remettre en cause la croissance tendancielle du chiffre d'affaires des SCA "historiques" (voir supra §29). En 2013, après une baisse générale l'année précédente (- 1,8 %), le trafic des poids lourds s'est stabilisé et le trafic des véhicules légers a repris sa progression (+ 0,7 %)

b) Les mises en service de nouvelles sections autoroutières

36. Le réseau autoroutier français concédé est aujourd'hui mature. D'une longueur de 9 048 kms en 2013, il n'a augmenté que de 7 % depuis 2007 (8 427 kms).

37. Le tableau présenté supra (§34) montre l'évolution du nombre de kilomètres concédés pour les trois groupes de SCA "historiques" depuis 2007. On observe que la longueur totale de leur réseau n'a augmenté que de 2 %. Par conséquent, c'est essentiellement sur les nouvelles concessions qu'a porté l'effort de construction de sections autoroutières supplémentaires.

c) L'augmentation des tarifs des péages

38. Si la forte augmentation du chiffre d'affaires des sociétés concessionnaires "historiques" ne peut s'expliquer ni par l'augmentation du trafic, ni par celle des mises en service de nouvelles sections autoroutières, c'est qu'elle découle essentiellement de l'augmentation du tarif des péages.

39. Comme le récent rapport de la Cour des comptes sur les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires (juillet 2013) l'a mis en évidence, les tarifs des péages augmentent bien plus vite que l'inflation depuis 2004 et ce, quelle que soit l'année concernée, comme le montre le graphique suivant (pour les SCA "historiques").

"emplacement tableau"

40. Le tableau suivant retrace la hausse moyenne sur dix ans, par SCA, du tarif des péages pour les véhicules de classe 1 (véhicules légers) :

"emplacement tableau"

41. On remarque par ailleurs que ce sont les SCA du groupe Vinci, en particulier ASF et ESCOTA, ainsi que SAPN qui ont enregistré les plus fortes hausses.

42. L'Autorité a donc plus particulièrement analysé, à partir de leurs comptes consolidés, l'évolution du chiffre d'affaires d'ASF et ESCOTA en distinguant la part que chacun des trois facteurs mis en évidence supra représente dans l'évolution de celui-ci depuis 2004. Pour ces deux SCA, il apparaît clairement que cette hausse résulte essentiellement de la hausse des tarifs des péages, surtout depuis 2008 et le ralentissement de la progression du trafic consécutif à la crise financière puis économique :

"emplacement tableau 1"

"emplacement tableau 2"

"emplacement tableau 3"

43. Ces tableaux mettent clairement en évidence que lorsque le trafic baisse, comme c'est le cas en 2008 et en 2012, la hausse du tarif des péages permet à ASF/ESCOTA de compenser l'impact de cette baisse sur le chiffre d'affaires (notamment les recettes des péages qui en constituent l'essentiel), lequel continue à progresser.

44. Toutefois, ce constat, parce qu'il s'appuie sur l'analyse des hausses moyennes des tarifs des péages, ne donne pas une vision fidèle des hausses effectivement subies par les consommateurs comme de l'impact de la hausse du tarif des péages sur le chiffre d'affaires. En effet, jusqu'à une période récente, les SCA ont mis en œuvre une pratique tarifaire dite de "foisonnement" consistant à moduler cette augmentation moyenne afin d'appliquer des hausses de tarif plus élevées sur les sections les plus empruntées par les usagers. Formellement, l'augmentation du tarif des péages fixée par le concédant était respectée mais cette pratique du foisonnement leur a permis de faire croître le chiffre d'affaires annuel au-delà de ce qui résulterait d'une application uniforme de la hausse annuelle des tarifs. Toutefois, selon le ministère des transports, le foisonnement aurait progressivement disparu à partir de 2007 (2).

45. L'une des conséquences de cette augmentation moins forte du trafic par rapport au tarif des péages pour l'usager est une hausse continue du prix payé par kilomètre parcouru sur les autoroutes, comme le montre le graphique suivant (en euro) :

"emplacement tableau"

46. Il convient de souligner que si la progression du trafic autoroutier a pu, dans la période récente, ralentir, voire diminuer pour les poids lourds, ce n'est pas à la suite de l'augmentation continue des tarifs mais à cause de facteurs extérieurs à la tarification. Dans une note de présentation aux investisseurs du 11 octobre 2010, Vinci-autoroutes montre en effet que, s'agissant des véhicules légers, c'est principalement la démographie et l'évolution du niveau de vie (avec une élasticité égale ou supérieure à 1), qui déterminent l'évolution du trafic autoroutier, alors que le prix des péages a une élasticité négative de seulement 0,3, tout comme le prix des carburants. Pour les poids lourds, le trafic est essentiellement corrélé au PIB des produits manufacturés en France et dans les pays limitrophes (+1,1), le niveau des péages ne jouant qu'à hauteur de - 0,3. Le secteur des autoroutes se caractérise donc par une faible sensibilité de la demande au prix.

b. Le modèle économique des concessions autoroutières

47. L'Autorité a fait le choix d'asseoir son analyse sur les comptes consolidés d'ASF/ESCOTA, de Cofiroute (3), d'APRR/AREA et de SANEF/SAPN. En effet, comme l'ont confirmé les SCA dans le cadre de l'instruction de l'avis, ce sont ces comptes consolidés en normes IFRS qui donnent l'image la plus fidèle de l'activité de concession autoroutière et facilitent les comparaisons entre SCA comme les comparaisons internationales (4). Les SCA et les groupes auxquels elles appartiennent n'utilisent par ailleurs que ces comptes consolidés dans leurs relations avec les investisseurs. Cette analyse met en évidence la rentabilité des SCA qui, si elle est très supérieure à celle que connaissent les autres secteurs économiques (1) est néanmoins cohérente dans son principe avec le modèle économique des concessions autoroutières (2).

1. Des taux de marges élevés

48. L'ensemble des SCA "historiques" se révèlent très rentables. En 2013, elles affichaient ainsi des taux d'excédent brut d'exploitation (EBE ou EBITDA), de résultat d'exploitation et de résultat net sur chiffre d'affaires oscillant respectivement entre 65 % et 72 %, 44 % et 51 % et 20 % et 24 %. Sur la période analysée, qui couvre les exercices 2004 à 2013, ils ont même progressé légèrement (à l'exception de Cofiroute).

a) L'excédent brut d'exploitation (EBE)

49. L'excèdent brut d'exploitation est le solde entre les produits d'exploitation et les charges d'exploitation consommées pour obtenir ces produits. Le tableau suivant retrace l'évolution du ratio EBE/chiffre d'affaires de 2004 à 2013 pour les SCA "historiques" :

"emplacement tableau"

50. Le ratio EBE/CA de SANEF/AREA est resté relativement stable sur la période 2004-013 à hauteur de 64-65 % alors que ce même ratio pour APRR/AREA, ASF/ESCOTA et Cofiroute a connu une hausse constante pour atteindre plus de 70 % en 2013, signe que le chiffre d'affaires a progressé plus vite que les charges sur cette période.

51. La comparaison du ratio EBE/CA des SCA avec celui des autres secteurs d'activité montre que son niveau est exceptionnel (voir annexe 3). Plus précisément, parce que cinq SCA sur les sept SCA "historiques" appartiennent à des groupes de travaux publics, l'Autorité a calculé les ratios EBE/CA des groupes Vinci et Eiffage. Ceux-ci, concessions autoroutières incluses, s'est établi à respectivement 14,3 % et 14,7 % en 2013.

b) Le résultat d'exploitation

52. Contrairement à l'EBE, le résultat d'exploitation tient compte des dotations et reprises sur amortissements des actifs immobilisés et provisions ainsi que des autres produits et charges d'exploitation. Le rapport du résultat d'exploitation sur le chiffre d'affaires permet de calculer la marge d'exploitation (ou opérationnelle) de l'entreprise. Le graphique suivant retrace l'évolution de celle-ci pour les SCA "historiques".

53. En 2013, la marge d'exploitation s'établit à 44 % pour SANEF/SAPN, 49 % pour ASF/ESCOTA, 50 % pour APRR/AREA et 51 % pour Cofiroute. Très élevée, cette marge est en outre croissante sur la période 2004 à 2013 pour l'ensemble des SCA sauf pour Cofiroute. En effet, à l'inverse des autres SCA pour lesquelles elles sont stables, voire en baisse, cette société a connu - ainsi qu'ASF/ESCOTA dans une moindre mesure - une hausse de 63% des dotations aux amortissements (voir infra §141), conséquence d'une augmentation des actifs immobilisés, c'est-à-dire des investissements. Toutefois, même en baisse, sa marge reste la plus élevée des SCA "historiques".

54. Comme pour le ratio précédent, la comparaison de ce ratio avec celui des autres secteurs économiques met en évidence son niveau exceptionnel (voir annexe 3). Plus précisément, dépassant 44 % et pouvant atteindre 51 % (en 2013), ce ratio est très supérieur à ceux des groupes Vinci et Eiffage. Pour ces derniers, celui-ci s'établit, concessions autoroutières incluses, à respectivement 9,3 % et 8,8 % en 2013.

c) Le résultat net

55. En intégrant le résultat financier, le résultat exceptionnel et l'impôt sur les sociétés, on passe du résultat d'exploitation au résultat net. Le ratio résultat net sur chiffre d'affaires est la marge nette. Le graphique suivant montre l'évolution de ce ratio depuis 2004 :

56. S'agissant de la marge nette, on observe ainsi un rapprochement entre celle de Cofiroute et celle les autres SCA. Alors que la première avait une marge nette bien plus élevée que ces dernières en 2004, désormais, l'ensemble des SCA "historiques" ont une marge nette comprise entre 20 et 24 %, conséquence d'un effet de ciseau : les SCA privatisées ont vu leur rentabilité fortement progresser (en particulier celle d'APRR/AREA et de SANEF/SAPN qui a doublé sur cette période) et Cofiroute a vu la sienne baisser pour les mêmes raisons que celles indiquées supra : l'augmentation de son actif net immobilisé, conséquence des nouveaux investissements, a entraîné une forte hausse des dotations aux amortissements et, par conséquent, une baisse de son résultat net.

57. Comme pour les ratios précédents, ce ratio est très supérieur à ceux des groupes Vinci et Eiffage. Pour ces derniers, celui-ci s'établit, concessions autoroutières incluses, à respectivement 5,1 % et 2,3 % en 2013.

58. Ces caractéristiques des concessions autoroutières expliquent l'intérêt que les SCA ont pu représenter pour des groupes comme Vinci et Eiffage, historiquement actifs dans un secteur des travaux publics caractérisé par des cycles, des marges très faibles et peu d'intensité capitalistique. Ces groupes ont trouvé dans les concessions autoroutières des caractéristiques exactement inverses, à savoir une activité largement indifférente aux cycles économiques, des marges élevées mais nécessitant des capitaux considérables, que ce soit pour construire les autoroutes ou les entretenir. La diversification de ces deux groupes vers les concessions autoroutières présentait donc un intérêt majeur. On observe d'ailleurs une très forte augmentation de leur marge consécutivement à l'acquisition des SCA. La marge opérationnelle est ainsi passée pour Vinci de 6-7 % en 2004-2005 à 9,7 % en 2006 et pour Eiffage de 3,7- 4,7 % en 2004 -2005 à 8,7 % en 2006.

2. Le modèle économique des concessions autoroutières

59. L'analyse de la rentabilité des SCA n'a de sens que si elle tient compte de l'activité elle-même de construction et d'exploitation d'autoroutes. En effet, à l'inverse d'une activité économique "classique", celle-ci s'exerce dans le temps long d'une concession, c'est-à-dire sur plusieurs dizaines d'années, et obéit donc à un schéma financier spécifique.

60. En effet, la construction d'une autoroute exige des investissements considérables, lesquels ne peuvent être - et n'ont été - financés que par l'emprunt. Par conséquent, pendant une première période, le concessionnaire est fortement déficitaire (sous réserve des spécificités comptables éventuelles - voir infra) et ce n'est que pendant une deuxième période que les pertes, diminuant progressivement, se transforment en bénéfices à mesure que le réseau autoroutier s'amortit, que les dépenses de construction se réduisent et que les tarifs des péages augmentent, s'ajoutant à la progression naturelle du trafic. Par conséquent, une fois revenues à l'équilibre et jusqu'à la fin de la concession, les concessionnaires vont générer des profits de plus en plus importants, profits nécessaires tant pour rembourser la dette et que pour rémunérer le capital investi.

61. Par ailleurs, l'une des particularités de l'activité de concession d'autoroutes, rappelé par Vinci (voir supra §46) est que l'évolution du trafic autoroutier est corrélée a des variables sur lesquelles les SCA n'ont aucune influence : la croissance du PIB (en particulier des produits manufacturés), la démographie, le prix des carburants... Par conséquent, la hausse du trafic et celle du chiffre d'affaires qui en découle ne résultent pas ou peu de leurs décisions. Elles "tombent du ciel", quoi qu'elles fassent (sous réserve d'un entretien satisfaisant de l'infrastructure, par ailleurs exigé et contrôlé par le concédant), sans qu'une telle hausse du trafic entraîne une hausse équivalente des coûts variables. Le chiffre d'affaires des SCA ne représente donc moins le produit de la vente d'un service que le cumul des redevances versées par les usagers pour l'utilisation des autoroutes (5).

62. Le modèle économique simplifié des concessions d'autoroutes peut donc être présenté de la manière suivante, faisant apparaître, à l'issue d'une période de perte de 25-30 ans, un retour à l'équilibre marquant le commencement d'une période de rentabilité croissante :

"emplacement tableau"

63. Il convient toutefois de préciser que le schéma de financement des concessions autoroutières françaises différait de celui-ci. En effet, celles-ci ont bénéficié, jusqu'à la réforme mise en œuvre par l'ordonnance du 28 mars 2001, du régime dit des "charges différées". Les SEMCA pouvaient en effet différer la prise en compte des charges correspondant, d'une part, aux amortissements des infrastructures dits de caducité et, d'autre part, aux charges financières liées à la construction. Ainsi, la part de ces charges non couverte par les produits d'une année donnée était comptabilisée à l'actif du bilan dans un compte de charges différées. Par conséquent, tant que ces charges n'étaient pas résorbées, les SEMCA n'affichaient pas des pertes mais un compte de résultat à l'équilibre, excluant par ailleurs toute rémunération de l'actionnaire (l'État).

64. Lorsque ce régime a été supprimé, la durée des concessions des SEMCA a été considérablement rallongée (entre 12 et 15 ans) afin de leur permettre de résorber le stock des charges différées, lequel s'élevait à 40 milliards de francs (soit 6,1 milliards d'euro). Les amortissements ayant été recalculés rétroactivement et étalés jusqu'à la fin des concessions, les SCA ont pu, pour la première fois au titre de l'exercice 2000, afficher un bénéfice (349 millions d'euro au total). Elles ont alors versé un dividende à l'État : 152 millions d'euro, dont 110 millions d'euro pour ASF/ESCOTA.

65. Si la rentabilité d'une concession autoroutière doit s'apprécier sur toute sa durée, il n'en reste pas moins qu'en 2006, le réseau autoroutier français était largement mature, comme le montre la très faible progression du nombre de mises en service enregistrées depuis lors (voir supra §37). De plus, c'est seulement quelques années auparavant, en 2000, que les SCA sont devenus rentables et, pour la première fois, ont pu distribuer des dividendes. Enfin, considérant le modèle économique des concessions autoroutières, cette rentabilité était vouée à croître jusqu'à la fin des concessions.

66. C'est ainsi que depuis cette époque, le bénéfice des SCA a fortement progressé, en particulier celui d'ASF/ESCOTA qui s'établit désormais, en 2013, à 744 millions d'euro, soit un niveau presque deux fois supérieur à celui de 2005 (436 millions d'euro) et près de sept fois supérieur à son premier bénéfice en 2000. Cette évolution se retrouve pour l'ensemble des SCA à l'exception de Cofiroute, pour les raisons indiquées supra.

"emplacement tableau"

67. Par conséquent, l'État a privatisé les SCA au moment même où leur rentabilité a commencé à croître fortement jusqu'à atteindre les niveaux actuels. C'est ainsi que, depuis la privatisation, soit en seulement 7 années (2006-2013), fortes de ces résultats nets, les dividendes versés par les seules SCA privatisées se sont élevés, dividendes exceptionnels inclus, à 14,9 milliards d'euro (voir annexe 8),

68. Par conséquent, si la rentabilité des SCA s'inscrit dans le schéma normal des concessions autoroutières, le niveau exceptionnel de celles-ci, quel que soit le ratio retenu, devra faire l'objet d'une analyse plus approfondie afin de vérifier s'il est bien nécessaire pour garantir la continuité de l'activité de service public assortie d'une rémunération raisonnable des capitaux investis. Cette analyse est l'objet de la section 2.

III. Les sociétés concessionnaires d'autoroutes "historiques" et les groupes auxquels elles appartiennent

69. Après avoir présenté le secteur des autoroutes concédées et ses particularités, l'Autorité a analysé, à partir de leurs comptes consolidés, les sept SCA "historiques" qui, ensemble, représentent 92 % du chiffre d'affaires du secteur. Ces SCA appartiennent à trois groupes : Vinci et Eiffage, qui sont des groupes diversifiés, et Abertis, groupe espagnol spécialisé dans l'exploitation d'autoroutes. L'analyse des SCA doit donc s'intégrer à une analyse plus globale de ces groupes et de la place qu'elles occupent au sein de ceux-ci. Or, pour tous ces groupes, il apparaît que l'activité des concessions autoroutières françaises, si elle représente une faible part de leur chiffre d'affaires, constitue une part considérable de leur marge et de leur résultat net.

70. Cette analyse fait l'objet de l'annexe 4 au présent avis.

IV. Les "nouvelles" sociétés d'autoroutes

71. Les nouvelles sociétés d'autoroutes sont dans une situation très particulière par rapport aux sociétés concessionnaires "historiques". En effet, créées après la fin de l'adossement et attribuées après mise en concurrence, elles sont de taille très réduite et toutes, actuellement, enregistrent des pertes. Même si leur résultat d'exploitation est positif, ce dernier ne permet pas de couvrir leurs charges financières.

72. L'annexe 2 synthétise, pour ces nouvelles sociétés concessionnaires, les données chiffrées de l'ASFA de 2007 à 2013 tout en précisant les liens éventuels avec l'une des sociétés concessionnaires "historiques".

V. Les comparaisons à l'échelle européenne

73. Le réseau des autoroutes concédées européen est exploité par des sociétés dont le capital peut être public, privé ou mixte. Géographiquement, il est :

- à dominante publique, avec quasi-gratuité de circulation, dans les pays d'Europe du Nord, ainsi qu'en Autriche, en Allemagne et dans les pays d'Europe de l'Est ;

- et en majorité privé et à péage, dans les pays d'Europe du Sud comme l'Italie, l'Espagne et le Portugal, ainsi qu'en France.

74. Par conséquent, les seules comparaisons pertinentes sont celles avec les pays de l'Europe du sud. C'est ainsi que la rentabilité, les taux de marge et le taux d'endettement net issus des comptes consolidés groupe des sociétés concessionnaires d'autoroutes d'Atlantia Autostrade en Italie, d'Abertis en Espagne et de Brisa Auto-estradas au Portugal présentent des niveaux élevés et similaires à ceux constatés dans le cas des SCA "historiques" françaises. Toutefois, une analyse en terme de ratio Endettement net/EBITDA montre de substantielles différences. En effet, un ratio supérieur à 5 (6) caractérise une entreprise excessivement endettée. À ce titre, les concessionnaires italiens et espagnols, avec des ratios respectivement de 5,51 et 5,98 en 2013, peuvent être jugés comme trop endettés. À l'inverse, l'ensemble des concessionnaires français présentent des ratios inférieurs, voire très inférieurs à 5 (voir infra §157).

75. Cette différence entre les SCA françaises et leurs homologues européennes en termes d'endettement, parce que la dette est au cœur du schéma économique de la concession autoroutière (voir supra), explique pour une large part pourquoi la crise financière les a affectées bien plus sévèrement en Grèce, au Portugal et en Espagne. Dans ce dernier pays, les concessions d'autoroutes, toutes privées, ont été pour la plupart créées dans les années 90 et ne sont exploitées que depuis le début des années 2000. Encore en début de cycle, elles étaient très endettées, en perte et donc particulièrement sensibles à un choc conjoncturel aussi violent que la crise financière. Certaines d'entre elles se trouvent aujourd'hui dans une situation critique, en faillite pour huit ou dans une situation proche de la faillite pour deux autres. C'est pourquoi un plan de sauvetage a été mis en œuvre par l'État espagnol, bien qu'aucune garantie formelle de l'État n'ait été souscrite lors de la cession des concessions.

76. En revanche, même en Espagne, lorsque la première période du schéma économique de la concession est achevée, comme pour les SCA d'Abertis, créées à la même époque que les SCA "historiques" françaises, la crise financière n'a pas eu d'impact réel sur le chiffre d'affaires et la rentabilité (7). C'est aussi pour cette raison qu'elle n'en a pas eu sur les SCA françaises. Anciennes, moins endettées, disposant d'un vaste réseau, les SCA françaises ont en effet vu leur chiffre d'affaires et leur rentabilité se maintenir, tout comme le trafic qui, à l'exception du trafic poids lourds, a poursuivi sa progression. Il convient de souligner, sur ce point, que contrairement à l'Espagne, les SCA françaises bénéficient de la position centrale de la France en Europe et d'une démographie plus dynamique, autant de facteurs nourrissant l'augmentation du trafic autoroutier.

77. L'annexe 5 au présent avis synthétise les données de l'Association Européenne des concessionnaires d'autoroutes et d'ouvrages à péage (ASECAP) relatives aux sociétés concessionnaires d'autoroutes en Europe.

Section 2 : la rentabilité exceptionnelle des sociétés concessionnaires d'autoroutes "historiques"

78. L'Autorité a fait le choix de distinguer entre les sept SCA "historiques" et les autres. Dans cette section comme dans la précédente, elle concentrera son analyse sur les premières.

79. La caractéristique première d'une concession de service public est le transfert du risque de l'activité du concédant au concessionnaire. Selon la formule classique, ce dernier assume l'exploitation à ses risques et périls. C'est ainsi que, dans le cas des autoroutes, les SCA supportent seules le risque d'une baisse du trafic ainsi que ses conséquences éventuelles sur leur chiffre d'affaires et leur rentabilité.

80. En économie (comme en gestion de patrimoine), la relation est très étroite entre la rentabilité d'un investissement et son niveau de risque. En effet, c'est en fonction du risque de celui-ci que les créanciers et les actionnaires vont déterminer le taux de rentabilité qu'ils vont exiger séparément sur les dettes et les capitaux propres de l'entreprise. Très logiquement, plus un investissement est risqué, et plus un taux de rentabilité élevé sera justifié, et inversement, moins il est risqué, et plus le taux de rentabilité sera faible. Un taux de rentabilité élevé pour un risque faible est caractéristique d'une rente.

81. Or, comme l'Autorité le démontrera dans cette section, les concessions autoroutières ne présentent pas un profil de risque si élevé qu'il justifie les taux de rentabilité exceptionnels qui sont ceux des SCA aujourd'hui. En effet, l'activité de gestion d'une infrastructure autoroutière est un monopole et à ce titre, bénéficie d'une demande captive dont il a été démontré dans la première section qu'elle a une élasticité prix faible. À supposer même que le trafic diminue en raison de facteurs dépressifs externes à la tarification que sont la croissance économique ou le prix des carburants, les recettes des SCA sont largement soutenues par des tarifs qui sont voués à augmenter (I). De plus, les charges auxquelles elles doivent faire face sont parfaitement maîtrisées et prévisibles, en particulier les charges courantes qui progressent moins vite que le chiffre d'affaires (II). Enfin, s'il est vrai que leur dette est très lourde, il apparaît que celle-ci est en pratique parfaitement soutenable et gérée dans l'intérêt des actionnaires auxquels sont versés des dividendes considérables (III).

I. L'activité des SCA, peu risquée en elle-même, leur procure des recettes dont la croissance à long terme est quasiment garantie

82. Si le marché pour obtenir l'exploitation des autoroutes est, d'un point de vue économique, oligopolistique, il s'analyse une fois les concessions attribuées comme une juxtaposition de marchés prenant la forme de monopoles géographiquement limités, d'autant plus protégés que la substituabilité entre les différents modes de transport est très partielle (A). De plus, ces monopoles, bien que régulés par l'État, bénéficient de tarifs qui, réglementairement, sont voués à augmenter jusqu'à la fin de la concession (B). Par conséquent, malgré le risque de baisse du trafic, largement théorique, l'activité des SCA apparaît comme particulièrement sûre et la progression du chiffre d'affaires quasiment assurée à long terme, sauf crise économique majeure entraînant un effondrement du trafic.

A. Les trajets par autoroute sont un monopole

83. Sur le marché des autoroutes concédées se rencontrent l'offre et la demande d'une prestation de services qui est la mise à disposition d'une liaison routière sûre et rapide d'un point à un autre. La demande est celle des automobilistes et des poids lourds et l'offre celle des sociétés concessionnaires d'autoroutes, le prix sur ce marché étant naturellement le péage. Or, comme l'a souligné le Conseil de la concurrence dans son avis du 2 décembre 2005 précité, "compte tenu des spécificités du trajet par autoroute, non seulement par rapport au trajet par la route classique mais aussi par rapport au trajet effectué au moyen d'un autre mode transport, qu'il s'agisse de transport de personnes ou de transport de marchandises, il est très probable que dans de nombreux cas, chaque parcours autoroutier constitue un marché distinct au sens du droit de la concurrence".

84. En effet, comparé au trajet par le train ou par l'avion, il est évident que le trajet par autoroute est généralement moins coûteux (surtout s'il est fait à plusieurs et/ou avec beaucoup de bagages), plus direct (car il est inutile de se rendre à une gare ou un aéroport) et enfin plus souple (sans horaires de départ imposés mais avec la possibilité de s'arrêter en chemin). Comme l'Autorité l'a récemment souligné dans son avis n° 14-A-05 du 27 février 2014 relatif au fonctionnement concurrentiel du marché du transport interrégional régulier par autocar, s'agissant des transports de personnes, "l'existence d'une concurrence entre les modes collectifs terrestres semble donc loin d'être avérée, les risques de report de la clientèle des services ferroviaires vers le mode routier l'étant encore moins". La même analyse semble valable, a fortiori, s'agissant de la substituabilité entre une offre de transport individuel par route et une offre de transport collectif par le train ou l'avion.

85. Quant au transport routier de marchandises, comme l'explique un rapport du Conseil d'analyse économique (8), "l'essor du transport routier tient ensuite à sa fiabilité élevée, de l'ordre de 98 %, au très faible taux de rupture de charge et à sa très grande souplesse. Il est facile d'affréter quelques camions supplémentaires, de les faire circuler de jour comme de nuit alors que les trains de fret ne circulent pratiquement que la nuit. En effet, de jour, du fait de leur faible vitesse, les trains de fret sont confrontés aux trains express régionaux en début et en fin de journée. En outre, la route est la seule possibilité pour assurer la distribution finale de ses produits. Enfin, nous ne considérons pas que les autoroutes soient saturées ou que les conditions de circulation se dégradent. La route a absorbé le trafic supplémentaire sans aucune contrainte et avec une fiabilité absolue". Sur ce point, l'analyse faite par l'Autorité dans sa décision n°

86. L'analyse est en revanche plus complexe s'agissant de la substituabilité entre les trajets par autoroutes et les trajets par la route classique. D'une manière générale, les autoroutes sont beaucoup plus sûres que les routes classiques. Ainsi, en 2010, il y avait 5,25 fois moins de probabilité d'être exposé à un accident mortel sur une autoroute que sur une route départementale, et 6,6 fois moins que sur une nationale. Les trajets sont également bien plus rapides sur les autoroutes considérant l'absence de signalisations ou d'ouvrages interrompant ou ralentissant la circulation (stops, feux de croisement, ronds-points…) ainsi que le contournement systématique des villes. Comme l'explique le Conseil d'analyse économique, "l'autoroute est plus rapide (vitesse moyenne supérieure d'environ 70 %), plus sûre (quatre fois moins d'accidents au kilomètre), plus fiable (davantage de garantie sur le temps de trajet) et plus confortable que les routes traditionnelles. Comme le TGV, elle est un mode de déplacement nouveau. La preuve que l'autoroute apporte un service différent se vérifie dans le fait que les usagers sont prêts à payer deux fois plus cher pour l'emprunter : sur une autoroute française le montant des péages est en effet comparable au montant des impôts spécifiques sur les carburants". Le fait que les automobilistes soient prêts à payer (cher) pour ce service démontre que l'existence de routes gratuites ne constitue pas, en tant que telle et pour la plupart des utilisateurs, une alternative aux autoroutes. D'ailleurs, comme il a été démontré supra, la hausse ininterrompue des tarifs des péages n'a pas entraîné de diminution du trafic des véhicules légers sur les autoroutes.

87. Cette analyse a par la suite été reprise par la Cour des comptes qui, dans son rapport public de 2008, relevait que "les autoroutes sont des services publics. Leurs concessions bénéficient d'un quasi-monopole naturel dans la mesure où, même s'il existe toujours ou presque des trajets alternatifs gratuits, l'avantage qu'elles procurent est tel que le volume de trafic, sauf peut-être dans le cas des poids lourds, est peu sensible aux hausses annuelles de prix". Toutefois, si les poids lourds voient un avantage à utiliser les routes nationales plutôt que les autoroutes, lesquelles seraient donc partiellement substituables pour eux, la perte de temps étant compensé par un gain financier, il est probable que cet avantage disparaisse très prochainement. En effet, une fois que l'écotaxe (ou, désormais, le péage de transit poids lourds) aura rendu les routes nationales payantes, les poids lourds retourneront très probablement sur les autoroutes compte tenu de leurs avantages en termes de sécurité et de rapidité (9). Dans ces conditions, la substituabilité (partielle) entre routes nationales et autoroutes pourrait être remise en cause.

88. En conclusion, l'Autorité réaffirme ce que le Conseil avait démontré dans son avis précité : "pour la majeure partie des usages, la substituabilité entre un parcours autoroutier et un autre parcours autoroutier, ou un autre mode de déplacement pour rejoindre deux mêmes points, est insuffisante pour considérer que le parcours autoroutier en cause et les autres possibilités de déplacement constituent un seul marché". Par conséquent, considérant la très partielle substituabilité des autoroutes et des autres modes de transport, y compris les routes classiques, "le plus souvent le concessionnaire d'une autoroute à péage est en situation de monopole à l'égard des usagers" monopole qui, comme le rappelle un rapport parlementaire, est "temporellement et spatialement limité" (10).

B. Des tarifs de péages garantis

1. Les règles de fixation des tarifs des péages

89. Les péages constituent la quasi-totalité des ressources des SCA (11). Aux termes de l'article L. 122-4 du Code de la voirie publique, ils visent à assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l'exploitation, à l'entretien, à l'aménagement ou à l'extension de l'infrastructure ainsi que, dans le cas des délégations de missions du service public autoroutier, la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par le délégataire.

90. Les règles applicables à la fixation des péages autoroutiers découlent du décret n° 95-81 du 24 janvier 1995 et diffèrent selon qu'un contrat de plan a été signé ou non avec la SCA :

- en l'absence d'un contrat de plan, les tarifs des péages sont fixés par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé de l'équipement, après consultation de la société concessionnaire concernée et conformément au cahier des charges. La hausse minimale à laquelle celle-ci a droit est de 70 % de l'inflation, mesurée par l'indice des prix à la consommation hors tabac. Elle doit couvrir les charges normales des sociétés concessionnaires d'autoroutes ;

- lorsqu'un contrat de plan a été signé avec l'État, les tarifs des péages sont fixés par la société concessionnaire selon des modalités définies par ce contrat. En pratique, l'entreprise bénéficie d'une hausse garantie plus avantageuse (80 ou 85 % de l'inflation) à laquelle s'ajoute une hausse supplémentaire correspondant à la compensation des investissements mis à la charge des SCA par le concédant dans le cadre du contrat de plan.

91. Comme l'ensemble des SCA ont signé un contrat de plan avec l'État, à l'exception de la SAPN (12), les hausses des tarifs des péages se sont établies comme suit :

"emplacement tableau"

92. Dans les derniers contrats de plan (2014-2018) signés avec APRR et AREA le 1er février 2014, la loi tarifaire est plus mesurée puisqu'elle s'établit, pour la première à 85 % de l'inflation + 0,37 % et, pour la deuxième, à 85 % de l'inflation + 0,41 %.

93. Ces modalités ne s'appliquent qu'au tarif des péages de la classe 1, c'est-à-dire les véhicules légers. Les tarifs des péages des autres classes de véhicules, en particulier les poids lourds, sont fixés par application d'un coefficient de majoration variable selon les sociétés, qui explique que les poids lourds paient, d'une manière générale, un tarif plus élevé que les véhicules légers.

94. Les proportions de la hausse des tarifs pour 2013 liées, d'une part, à l'inflation et, d'autre part, à la compensation des investissements prévus par les contrats de plan, sont présentées dans le tableau suivant. Entre 20 et 35 % de cette hausse est ainsi due à ces derniers :

"emplacement tableau"

95. De plus, comme le relève la Cour des comptes, "l'hypothèse d'une inflation négative n'avait pas été prise en compte lors de la rédaction des contrats de concession et des contrats de plan. De fait, la rédaction du décret n° 95-81 relatif aux péages autoroutiers et aux contrats de plan évoque une majoration ou une hausse des tarifs, ce qui exclut toute idée de baisse tarifaire". C'est ainsi que, même lorsque l'inflation est négative, comme entre octobre 2008 et octobre 2009 (-0,22 %), elle n'a pas été intégrée dans le calcul des hausses tarifaires pour 2010, qui a retenu une inflation zéro.

96. En conclusion, dans le cadre juridique actuel, le tarif des péages est voué à augmenter jusqu'à la fin des concessions, dans une proportion minimale de 70 % de l'inflation (hors tabac). Toutefois, l'augmentation est quasi systématiquement supérieure à l'inflation puisqu'à la hausse assise sur cette dernière s'ajoute celle découlant de la compensation des investissements prévus par les contrats de plan.

2. Des prévisions de croissance jusqu'à la fin des concessions

97. L'Autorité a demandé aux SCA les comptes rendus d'exécution de leur concession depuis l'année 2004, lesquels incluent notamment une étude financière prévisionnelle de celle-ci jusqu'à son échéance. En effet, selon l'article 35 du cahier des charges, "la société concessionnaire communique chaque année une étude financière prévisionnelle portant sur l'équilibre comptable et financier de la concession et comprenant, pour la durée restant à courir de la concession un plan de financement, un compte de résultat, un plan de trésorerie, l'évolution des fonds propres et de la dette [et] les soldes intermédiaires de gestion et ratios financiers".

98. Ces études prévisionnelles sont établies à partir d'une série d'hypothèses relatives à l'inflation, à l'indice des prix des travaux, au taux d'imposition, à l'évolution du trafic des véhicules légers et des poids lourds, à la loi tarifaire des contrats de plan, à l'évolution des différents postes de charge, aux plans d'investissements et à la politique de financement. Sur cette base, les données prévisionnelles présentent une estimation de la situation financière de la société concessionnaire au terme de la concession.

99. Dans ces études prévisionnelles, toutes les SCA sans exception présentent une amélioration de leurs principaux agrégats financiers :

- le compte de résultat prévisionnel présente une hausse du chiffre d'affaires et des recettes de péage, une hausse du résultat d'exploitation, une très nette amélioration du résultat financier suite à l'apurement progressif de la dette financière et, au final, une amélioration du résultat net ;

- le tableau de flux de trésorerie présente, d'une part, une augmentation des flux de trésorerie générée par l'activité, d'autre part, une réduction des flux de trésorerie liés aux investissements, cohérente avec une diminution des mises en services, et enfin, une hausse des flux de trésorerie liés aux opérations de financement, avec un désendettement progressif jusqu'à la fin de la concession et une hausse relative des dividendes versés aux actionnaires ;

- les fonds propres et l'endettement s'améliorent jusqu'à ce que la position de trésorerie nette soit excédentaire ;

- les principaux ratios (taux d'endettement net, dettes financières/marge brute d'autofinancement, résultat net sur chiffre d'affaires, frais financiers sur EBIDTA ou EBE, dettes financières sur EBITDA ou EBE, marge sur EBITDA ou EBE) suivent la même tendance.

100. Cette amélioration continue de la situation financière des SCA est cohérente avec le schéma économique de la concession. En effet, depuis le début des années 2000, les décennies d'investissements sont achevées et désormais, à moins d'une crise plus grave encore que celle de 2008, leur rentabilité devrait croître jusqu'à la fin de la concession.

101. Il convient toutefois de souligner que les études prévisionnelles des années 2004 à 2006 présentaient un scénario plus optimiste que celui envisagé aujourd'hui. Depuis la crise financière de 2008-2009, les sociétés concessionnaires ont en effet adapté leurs hypothèses et en particulier, la plus importante : l'évolution du trafic dans le sens d'une progression très limitée. Toutefois, même si le trafic ne progresse que très faiblement, voire pas du tout, les recettes des SCA augmenteront toujours compte tenu de l'évolution garantie de leurs tarifs sur l'inflation, avec ou sans contrat de plan.

102. C'est sur ce point que l'analyse de l'Autorité diverge de celle des SCA. Lors de l'instruction de l'avis et à nouveau en séance, elles ont toutes mis en avant le risque que constituaient pour elles l'évolution du trafic et les incertitudes l'entourant. Cependant, si l'Autorité ne conteste pas que les SCA supportent théoriquement un risque lié à l'évolution du trafic, force est de constater que ce risque ne s'est en pratique jamais réalisé depuis un demi-siècle. Même les périodes de récession récentes, caractérisées par une forte diminution du trafic, notamment des poids lourds, n'ont pas entraîné une baisse du chiffre d'affaires des SCA, ne serait-ce que parce que le trafic des véhicules légers, qui représente 70 % de leur chiffre d'affaires, a continué à progresser, tout comme le tarif des péages.

103. De plus, la durée très longue des concessions autoroutières est de nature à limiter l'impact d'une éventuelle baisse du trafic. En effet, si la crise financière de 2008-2009 a pu, pendant quelques mois ou quelques années, déprimer le trafic autoroutier, il apparaît que celui-ci, dans le passé et encore en 2013, est toujours reparti à la hausse.

104. Enfin, il est possible d'imaginer une récession encore plus forte, entraînant un effondrement du PIB et, avec lui, du trafic autoroutier. Toutefois, si une crise de cette ampleur survenait, elle frapperait durement l'ensemble des entreprises françaises, lesquelles sont loin d'avoir les mêmes niveaux de rentabilité que les SCA.

105. En définitive, les SCA sont confrontées au même risque majeur que les autres entreprises mais, à l'inverse de celles-ci, elles sont bien mieux protégées contre les aléas économiques, même les plus graves, compte tenu de leur monopole, de l'augmentation garantie des tarifs des péages et d'une élasticité prix faible de la demande. Si elles se doivent d'être rentables afin d'assurer leurs charges financières jusqu'à la fin de la concession (voir infra) elles ne peuvent donc fonder sur le risque intrinsèque à leur activité la rentabilité exceptionnelle dont elles bénéficient.

II. Des charges qui, globalement, progressent moins vite que le chiffre d'affaires et qui, s'agissant des investissements, sont partiellement compensées

106. Sur la base des comptes consolidés des SCA et des informations qui leur ont été directement demandées, l'Autorité a analysé la nature et le montant des charges que celles-ci doivent assumer. Il apparaît que celles-ci, quelles qu'elles soient, ont progressé moins vite que leur chiffre d'affaires que ce soit sur période 2004-2013 (+41 % au total) ou la période 2006-2013 (+26 % au total) (A). De plus, contrairement aux autres entreprises, une partie de leurs investissements, ceux prévus par les contrats de plan, leur sont compensés par une hausse supplémentaire du tarif des péages (B).

A. Des charges maîtrisées qui progressent moins vite que le chiffre d'affaires, voire baissent pour certaines d'entre elles

107. L'Autorité analysera, dans cette partie, les cinq principales charges des SCA en les regroupant selon leur évolution depuis 2006 entre :

- les charges qui baissent : les charges externes et la charge de la dette (1) ;

- les charges qui augmentent faiblement : les charges de personnel (2) ;

- les charges qui augmentent au même rythme que le chiffre d'affaires : les dotations aux amortissements et les impôts et taxes (3).

1. Les charges externes et la charge de la dette ont baissé depuis 2006

a) Les charges externes

108. Les charges externes regroupent les charges de maintenance, de l'entretien et réparations ainsi que les autres charges (non individualisées). Le tableau suivant retrace, depuis 2004, l'évolution de ces charges :

"emplacement tableau"

109. On observe que ces charges n'ont progressé que de 6 % entre 2004 et 2013. Une analyse plus fine révèle qu'elles ont fortement augmenté les années 2004 et 2005 si bien qu'entre 2006 et 2013, elles ont diminué de 7 %. Deux explications sont possibles entre lesquelles il n'appartient pas à l'Autorité de trancher dans le présent avis :

- une meilleure maîtrise, par les sociétés privées que sont devenues les SCA, de leurs coûts par rapport aux anciennes SEMCA ;

- une diminution des sommes consacrées à l'entretien, la maintenance et la réparation du réseau autoroutier concédé.

110. En 2013, les charges externes représentent 11 % du total des charges d'exploitation, 9 % des charges totales hors impôts sur les sociétés (IS) et 8 % des charges totales incluant l'IS.

b) La charge de la dette

111. Le coût de l'endettement financier de l'ensemble des SCA a baissé de 10 % depuis 2006, à 1030 millions d'euro, comme le montre le tableau suivant:

"emplacement tableau"

112. Si le coût de l'endettement net des SCA a diminué depuis 2006, le rythme de cette diminution varie selon les SCA. Il est ainsi particulièrement rapide pour SANEF/SAPN (-42 %) qui se trouve par ailleurs être la seule SCA dont la dette totale a diminué sur cette période (avec Cofiroute). En effet, cette baisse générale des charges financières des SCA est à rapprocher d'une dette totale qui, sur la même période, a augmenté (voir infra). En d'autres termes, malgré une augmentation de la dette des SCA, le coût de celle-ci a baissé de 10 %, en lien avec une gestion active de leur dette par les SCA qui ont bénéficié à plein de la baisse des taux d'intérêt des dernières années. Certes, si les taux devaient fortement augmenter au cours des prochaines années, les charges financières pourraient s'accroître, de même que les contraintes de refinancement. Toutefois, ces risques apparaissent limités, à la fois parce que la dette des SCA elle-même est peu risquée (voir infra), mais également parce qu'une part importante de cette dette (8,793 milliards d'euro au 31 décembre 2012) a été contractée via des emprunts à long terme auprès de la Caisse nationale des autoroutes.

113. En 2013, le coût de l'endettement financier des principales SCA représentent 19 % des charges totales hors IS et 16 % des charges totales incluant l'IS.

2. Les charges de personnel ont légèrement progressé depuis 2006 malgré la baisse des effectifs

114. L'analyse de l'évolution de l'effectif total moyen par an et par société concessionnaire (hors intérimaires), toutes sociétés concessionnaires significatives confondues, montre que celui-ci est passé de 16 709 en 2006 à 13 933 en 2013, soit une diminution de 17 %. Plus précisément, c'est la baisse du nombre des employés/ouvriers (sans licenciement) qui explique pour l'essentiel cette évolution, en lien avec l'accélération de l'automatisation des péages, comme le montre le tableau suivant.

"emplacement tableau"

115. Toutefois, bien que les effectifs aient globalement diminué, il apparaît que les charges de personnel ont progressé, pour l'ensemble des SCA, de 11 % entre 2006 et 2013, comme le montre le graphique suivant :

"emplacement tableau"

116. Cette hausse est très variable selon les sociétés et selon les années. En effet, ASF a enregistré une forte hausse de ses dépenses de personnel jusqu'en 2008, date à partir de laquelle elles diminuent. Sur la période 2006-2013, la hausse n'est que de 4 % alors qu'elle atteint 16 % si l'on tient compte des années 2004-2005. Ces mêmes différences selon la période retenue se retrouvent dans toutes les SCA. De plus, on observe la très forte hausse des charges de personnel pour SANEF/SAPN. Celles-ci ont en effet augmenté de 39% entre 2006 et 2013. Interrogées lors de l'instruction de l'avis, elles n'ont pu fournir d'autres explications sur cette hausse que des facteurs généraux comme des hausses des salaires, des primes et gratifications ainsi que des charges sociales.

117. Comme le chiffre d'affaires des SCA a progressé de 26 % sur cette période 2006-2013, soit plus que la progression des charges de personnel, la maîtrise de celles-ci a contribué à l'amélioration de leur rentabilité. Aujourd'hui, les charges de personnel ne représentent qu'une part limitée et en baisse des charges des SCA : 21 % du total des charges d'exploitation, 17 % des charges totales hors IS et 14 % des charges totales incluant l'IS.

118. L'annexe 6 au présent avis présente de manière détaillée le nombre et la répartition des personnels des SCA.

3. Les impôts et taxes ainsi que les dotations aux amortissements ont progressé au même rythme que le chiffre d'affaires

a) Les impôts et taxes

119. En 2013, les charges liées aux impôts et taxes des principales SCA représentent 25 % du total des charges d'exploitation, 20 % des charges totales hors impôts sur les sociétés et 17 % des charges totales incluant l'impôt sur les sociétés. En valeur absolue, on observe une croissance continue de ces charges qui n'est que la conséquence logique de l'augmentation constante du chiffre d'affaires des SCA depuis 2004.

"emplacement tableau"

b) Les dotations aux amortissements

120. De 2004 à 2013, les dotations aux amortissements des immobilisations totales, toutes SCA confondues, ont progressé de 42 % (29 % de 2006 à 2013), comme le montre le tableau suivant :

121. Bien que les variations entre ces deux agrégats semblent corrélées, l'analyse par société présente cependant des divergences. Alors que ASF/ESCOTA et Cofiroute enregistrent une augmentation continue de leurs dotations aux amortissements entre 2006 et 2013 (respectivement + 33 % et + 83 %), en lien avec l'augmentation de leur actif net immobilisé (voir annexe 7), c'est moins le cas pour APRR/AREA (+20 %) et surtout pour SANEF/SAPN (+ 6 %). L'actif net immobilisé retraçant en pratique le montant des investissements réalisés, son évolution révèle qu'ASF/ESCOTA et Cofiroute ont bien plus investi sur l'infrastructure autoroutière que SANEF/SAPN et APRR/AREA.

122. Les dotations aux amortissements sont calculées par investissement sur la durée de vie de la concession. Par conséquent, les dotations aux amortissements annuelles des investissements anciens sont augmentées chaque année des dotations aux amortissements liées aux investissements nouveaux réalisés. Si les investissements nouveaux sont importants au cours d'un exercice, ils impliquent des hausses de charges. Inversement, lorsqu'il n'y a pas ou presque pas de nouveaux investissements, mécaniquement, les dotations aux amortissements restent stables d'une année à l'autre. La hausse de celles-ci dans le graphique supra met donc en évidence les investissements des SCA sur l'infrastructure autoroutière.

123. En 2013, les charges liées aux dotations aux amortissements des principales SCA représentent 39 % du total des charges d'exploitation, 31 % des charges totales hors impôts sur les sociétés et 26 % des charges totales incluant l'impôt sur les sociétés.

124. L'annexe 7 synthétise, pour chaque SCA, les immobilisations nettes, les dotations aux amortissements et les investissements totaux nets.

125. En conclusion, sur la période 2006-2013, il apparaît que les cinq principales charges pesant sur l'activité des SCA ont baissé pour deux d'entre elles (les charges externes et les charges de la dette), légèrement progressé pour une autre (les charges de personnel et ce, malgré la baisse de 11 % de leurs effectifs) et, enfin, progressé au même rythme que le chiffre d'affaires pour les dotations aux amortissements et les impôts et taxes. La maîtrise de ces charges qui, dans l'ensemble progressent moins vite que le chiffre d'affaires explique, avec la progression de ce dernier, l'augmentation de la rentabilité des SCA constatée sur cette période.

B. Les SCA bénéficient de la compensation des investissements prévus par les contrats de plan

126. Le rapport précité de la Cour des comptes a longuement analysé les relations entre l'État et les SCA. Il a relevé une insuffisance de la régulation tarifaire, due en particulier au fait que les compensations des investissements supplémentaires prévus par les contrats de plan se font à l'avantage des SCA, tant du point de vue de leur champ (1) que de leur montant (2). Le travail d'analyse ayant déjà été fait par la Cour, l'Autorité se bornera à en présenter les principales conclusions, les compléter le cas échéant par ses propres constatations.

1. Les contrats de plan compensent des investissements qui, en toute logique, ne devraient pas être compensés

127. Les investissements des SCA faisant l'objet d'une compensation se distinguent entre :

- des opérations de construction et de conservation du patrimoine (sections nouvelles, élargissements), regroupées sous le terme d'investissements complémentaires sur autoroutes en service (ICAS) ;

- des opérations d'amélioration du réseau touchant à la sécurité et à la qualité du service rendu aux usagers, regroupées sous le terme d'investissements d'exploitation sur autoroutes en service (IEAS).

128. En pratique, dans derniers contrats de plan, les investissements compensés s'élèvent à près de 1 300 millions d'euro et se répartissent comme suit :

"emplacement tableau"

129. La compensation des ICAS, qui constituent des opérations lourdes et structurantes sur le réseau autoroutier, ne pose pas de problème de principe. Toutefois, celle des IEAS ne peut se justifier qu'à deux conditions rappelées par la Cour des comptes :

- si le rapport entre l'utilité de ces investissements pour l'usager et la hausse des tarifs qu'ils entraînent est positif ;

- si ces investissements ne relèvent pas des obligations contractuelles normales du concessionnaire, telles qu'elles sont définies notamment à l'article 13 du cahier des charges.

130. Or, il apparaît que le champ des investissements compensés n'est pas défini a priori, mais négocié au cas par cas, entre la Direction des Infrastructures de Transports (DIT) et les SCA dans le cadre des contrats de plan. Dès lors, la liste des investissements est une variable de la négociation globale du contrat de plan dont la conséquence est, comme l'a relevé la Cour, le caractère "contestable" de certains investissements inclus dans ce champ.

131. L'Autorité relève en particulier un investissement qui, selon elle, n'aurait pas dû être compensé : il s'agit du télépéage sans arrêt (TSA), qui représente une part substantielle des investissements compensés dans le cadre du "Paquet vert" comme des derniers contrats de plan, comme l'indique le tableau ci-dessous :

"emplacement tableau"

132. Le TSA se justifie par une amélioration de la fluidité de la circulation aux barrières de péages puisque l'automobiliste abonné n'est plus contraint de s'arrêter mais peut continuer à rouler à 30 km/h. Par conséquent, il en résulte une diminution des émissions de CO2 qui a justifié qu'une partie des dépenses relative au TSA ait été prise en charge en 2010 dans le cadre du "Paquet vert" autoroutier dont l'objectif était de "verdir" les autoroutes françaises dans le cadre du plan de relance de l'économie en 2009 (voir infra).

133. Comme l'indique le rapport annuel de Vinci Autoroute pour 2012, "lorsque 100 000 poids lourds évitent un arrêt au péage en empruntant la voie de télépéage à 30 km/h, la réduction des émissions de CO2 correspondante est de plus de 80 tonnes". Par conséquent, étant donné qu'il y a 557 000 poids lourds abonnés fin de 2012, il faut considérer que 500 tonnes par an sont évitées. Ce volume est à rapporter aux 134 millions de tonnes émis par les transports en France (en 2009). Si l'objectif est louable de vouloir limiter les émissions, ces investissements auraient peut-être été plus efficaces ailleurs.

134. En outre, l'Autorité s'interroge sur la nécessité de compenser des investissements de TSA que les SCA auraient, selon toute probabilité, réalisés d'elles-mêmes. En effet, parce qu'il améliore la fluidité du trafic, le TSA est de nature à dissuader les automobilistes de sortir très en amont des grandes agglomérations afin d'éviter les bouchons aux ultimes barrières de péage. En les conservant plus longtemps sur les autoroutes, le TSA permet aux SCA d'augmenter les recettes des péages.

135. Enfin, l'Autorité relève, avec la Cour des comptes, que l'État ne maîtrisant pas la politique d'abonnement des sociétés concessionnaires d'autoroutes, celles-ci peuvent être tentées, même si elles s'en défendent, d'inclure dans le prix de l'abonnement une partie des frais relatifs au développement du télépéage.

2. Des montants de compensation reposant sur une rentabilité élevée des investissements concernés

136. Comme l'explique la SANEF, ces investissements "s'analysent juridiquement comme des modifications des ouvrages prévus par le contrat de concession d'origine et il est normal, conformément aux principes généraux du droit des contrats administratifs, qu'ils fassent l'objet d'une compensation tarifaire fixée dans le cadre de la politique contractuelle […]. Si ces investissements complémentaires n'étaient pas compensés, les décisions unilatérales du concédant relatives aux diverses modifications de l'ouvrage initial seraient financées à l'intérieur du cadre tarifaire initial et leurs coûts seraient alors supportés intégralement par le concessionnaire sans aucune perspective de recouvrement des coûts auprès de l'usager de l'autoroute, ce qui serait contraire au principe même de la concession".

137. Le calcul de la compensation des investissements prévus dans les contrats de plan repose en pratique sur trois facteurs qui, compte tenu de leur impact financier, font tous l'objet de négociations serrées entre les SCA et la DIT :

- le coût des investissements, c'est-à-dire le coût initial des travaux ainsi que les coûts d'exploitation et de renouvellement induits par les investissements ;

- les hypothèses macroéconomiques et financières, notamment les perspectives de trafic, l'inflation ou encore les charges de personnel ;

- le taux de rentabilité interne des investissements (TRI).

138. La Cour des comptes a longuement analysé comment la négociation des contrats de plan tournait systématiquement à l'avantage des SCA qui réussissent à obtenir de l'État bien plus que ce qu'une régulation efficace permettrait.

139. S'agissant du coût des investissements lui-même, la Cour note qu'en raison de "la faiblesse des données relatives aux investissements autoroutiers", la DIT n'est pas en mesure d'apporter la contradiction aux SCA, d'autant que celles-ci "sont très réticentes à communiquer le montant réel des investissements réalisés". Quant aux coûts d'exploitation et de renouvellement, les contrats de plan ont repris le chiffrage des SCA, "sans qu'il soit possible d'établir [s'ils] ont été expertisés par les services de l'État".

140. De même, les hypothèses macroéconomiques et financières retenues dans les contrats de plan sont toutes favorables aux SCA. Il est en effet dans l'intérêt des SCA de minorer autant que possible l'évolution du trafic afin de diminuer l'effet volume par rapport à l'effet prix. Elles obtiennent ainsi une augmentation du tarif des péages plus importante que si la croissance du trafic était plus rapide. Ainsi, s'agissant d'APRR, "les hypothèses de trafic retenues, dont l'impact est majeur dans l'équilibre du modèle, ont été fixées à un niveau très bas, plus bas encore que ce qui avait été négocié dans le cadre du Paquet vert". Il s'ensuit que l'effet volume a joué a plein et contribué à augmenter le chiffre d'affaires d'APRR bien au-delà de ce qui avait été estimé dans le contrat de plan.

141. Enfin, le taux de rentabilité des investissements est lui aussi négocié entre les SCA et la DIT. Comme l'a relevé la Cour des comptes, il s'établit à un niveau supérieur :

- au coût moyen pondéré du capital (WACC) qui a été estimé à 6,1 % +/- 0,7 % par les experts mandatés par la DIT pour lui fournir des hypothèses économiques et financières dans le cadre de la négociation des contrats de plan ;

- au taux de référence du secteur retenu lors des négociations (post privatisation) des contrats de plan ASF et ESCOTA en 2007 et lors de la négociation du 12ème avenant de Cofiroute, fixé à 6,7 % ;

- au taux figurant dans la note d'information visée par l'AMF en septembre 2010 dans le cadre de l'offre publique de retrait suivi d'un retrait obligatoire faite par Eiffarie aux actionnaires d'APRR, tel qu'évalué par la Société générale Corporate § Investment Banking (6,8 %) et l'expert indépendant mandaté par APRR (6,59 %);

- au taux négocié dans le cadre du deuxième cycle de négociation du "Paquet vert" (6,44 % pour ASF, Cofiroute et ESCOTA et 6,39 % pour SANEF et SAPN).

142. Le tableau suivant récapitule les taux de rentabilité retenus dans les contrats de plan :

"emplacement tableau"

143. Par conséquent, sous réserve d'un risque trafic qui, ainsi qu'il a été démontré, est quasi-inexistant, les SCA se voient garantir, pour les investissements prévus par les contrats de plan, un taux de rentabilité s'échelonnant de 7,05 % à 8,28 %, soit des taux très supérieurs au benchmark fait par la Cour des comptes.

144. En conclusion de cette analyse des charges des SCA, il apparaît clairement que :

- le réseau autoroutier français est désormais mature. Ne pèsent donc plus sur les SCA que des charges récurrentes et largement prévisibles d'entretien, lesquelles sont parfaitement maîtrisées puisqu'elles ont baissé de 6 % depuis 2006. La charge de la dette a elle aussi baissé de 10 % sur la même période. Quant aux charges de personnel, elles ont progressé moins vite que le chiffre d'affaires (+11 %). Seules les dotations aux amortissements (et les impôts et taxes) ont augmenté autant que celui-ci, mais sans dépasser toutefois le rythme d'augmentation du chiffre d'affaires (sauf, pour les impôts et taxes, en lien avec l'augmentation de la rentabilité nette) ;

- les SCA ne devraient pas faire face, à l'avenir, à des charges exceptionnelles et/ou imprévisibles. Interrogées en séance, les seuls exemples mis en avant été la réfection des chaussées et les opérations de déneigement ;

- enfin, une part non négligeable des investissements réalisés par les SCA sur leur réseau font l'objet d'une compensation dans le cadre des contrats de plan. Par conséquent, ceux-ci ne sont pas financés par les bénéfices des SCA mais par les usagers via une augmentation supplémentaire des tarifs des péages.

145. Les charges auxquelles font face et pourraient faire face à l'avenir les SCA auraient pu être de nature à justifier la rentabilité exceptionnelle qui est la leur, à la mesure du risque que celle-ci constitueraient. Toutefois, l'analyse de ces charges, aujourd'hui maîtrisées, montre qu'elles ne représentent pas de risque, ni dans leur imprévisibilité, ni dans leur coût.

III. Une dette certes très lourde mais gérée dans l'intérêt des actionnaires auxquels sont distribués la quasi-totalité des bénéfices des SCA

146. Le dernier risque qui pourrait justifier la rentabilité exceptionnelle des SCA est la dette qu'elles supportent.

147. Sur ce point, il convient de bien faire la différence entre la dette que portent les SCA elles-mêmes et la dette contractée par Vinci, Eiffage et Abertis pour les acquérir (dette d'acquisition) :

- la dette des SCA est, pour l'essentiel, héritée du passé et de la construction de l'infrastructure autoroutière. Elle découle également du choix qui est le leur de distribuer des dividendes exceptionnels et de privilégier l'endettement pour leurs investissements pour des raisons notamment fiscales. Cette dette est, d'un point vu global, en augmentation pour l'ensemble des SCA depuis 2006 ;

- la dette d'acquisition est la dette contractée en 2006 par les groupes susmentionnés pour acquérir les SCA. Cette dette, portée directement par ces derniers ou via des holdings ad hoc, est fixe et structurée selon des modalités différentes par les groupes concernés. Elle est, d'un point de vue global, en constante diminution depuis 2006, remboursée selon un échéancier également variable grâce aux dividendes distribués par les SCA.

148. La dette nette des SCA est très lourde. Elle atteint 23,8 milliards d'euro au 31 décembre 2013. Toutefois, même s'il apparaît considérable, ce montant doit être relativisé compte tenu des cash-flows générés par l'exploitation des concessions autoroutières qui garantissent, sauf crise économique majeure entraînant un effondrement du trafic, le bon remboursement de la dette jusqu'à la fin des concessions (A). Le niveau de celle-ci ne constitue donc pas un risque en tant que tel pour les SCA, raison pour laquelle, depuis 2006, leurs actionnaires ont fait le choix de distribuer la quasi-totalité de leur bénéfice afin, notamment de leur permettre de rembourser la dette d'acquisition (B). Ce choix explique largement l'augmentation de l'endettement net des SCA depuis 2006, augmentation qui non seulement ne présente pas de risque en elle-même, mais permet à leurs actionnaires de bénéficier d'un avantage fiscal conséquent. (C).

A. Le risque de la dette des SCA est limité compte tenu du niveau des cash-flows que leur activité génère

1. Le discours des SCA

149. C'est un argument régulièrement avancé par les SCA - et à nouveau lors de la séance tenue par l'Autorité : leur dette est une caractéristique essentielle à leur activité. Comme l'explique la SANEF/SAPN, "la durée très longue du contrat de concession d'infrastructure a des conséquences sur la structure du financement de la concession : l'emprunt est le mode de financement très majoritaire des infrastructures autoroutières avec, au surplus, un refinancement des emprunts au cours de la durée de la concession compte tenu de la maturité des ouvrages qui est bien plus longue que la maturité des emprunts auxquels ils sont adossés […]. Le recours à l'emprunt est donc la caractéristique essentielle du financement des sociétés concessionnaires. L'activité de concession requiert des investissements très importants qui ne peuvent être financés que par endettement, les emprunts étant remboursés progressivement grâce aux flux de recettes récurrents procurés par l'exploitation".

150. Dès lors, comme l'ensemble des SCA l'ont affirmé dans leur courrier du 23 juillet 2013 au président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, "la rentabilité des sociétés du secteur doit être appréciée à l'aune de cette caractéristique essentielle qu'est le niveau de leur dette". Par conséquent, "la visibilité et la stabilité du cadre contractuel, tarifaire et fiscal sont les conditions indispensables à la confiance des marchés financiers qui seule permet aux sociétés concessionnaires de porter une dette de cette importance".

151. Les SCA établissent donc un lien direct entre leur rentabilité et leur dette. Elles justifient la première par la seconde, en attirant l'attention sur le risque qu'une baisse de leur rentabilité aurait sur leur capacité à rembourser leur dette.

2. Une dette dont le risque est limité compte tenu des cash-flows

152. Ce que les SCA mettent en avant dans leurs déclarations, c'est le niveau de la dette nette en valeur absolue : 23,8 milliards d'euro (au 31 décembre 2013). Toutefois, ce montant n'a pas de signification en lui-même s'il n'est pas rapporté à deux variables qui sont les fonds propres d'une part, et les cash-flows d'autre part.

153. Rapportée aux capitaux propres, la dette permet de calculer le taux d'endettement net. Théoriquement, ce ratio doit être inférieur à 1. Lorsqu'il est plus élevé, il indique que la société est très endettée. Sa dette peut dans ce cas être considérée comme risquée : les créanciers refusent généralement de prêter à de telles entreprises.

154. Or, les SCA présentent toutes, à l'exception de Cofiroute, un taux d'endettement net supérieur à 1, voire 50 fois supérieur aux capitaux propres dans le cas d'APRR/AREA. Par conséquent, on pourrait considérer à première vue que la dette des SCA crée un risque très important de nature à décourager les créanciers qui ne voudraient pas prêter à des entreprises qui, ayant si peu de capitaux propres et pas d'actifs physiques significatifs saisissables (les autoroutes ne leur appartenant pas), ne présentent aucune garantie quant au remboursement de leur dette.

155. En toute logique, les capitaux propres des SCA auraient dû fortement augmenter (ou la dette fortement diminuée) afin de ramener le taux d'endettement net à des proportions plus en ligne avec les bonnes pratiques financières et, ainsi, rassurer leurs créanciers.

156. Or, c'est exactement l'inverse qui s'est produit puisque dans l'année qui a suivi la privatisation, Vinci et Eiffage ont procédé à des versements exceptionnels de dividendes, respectivement de 3,3 milliards d'euro et de 1,7 milliard, financés par endettement, qui ont considérablement réduit les capitaux propres d'ASF/ESCOTA et d'APRR/AREA (13). Ceux-ci s'élèvent en effet aujourd'hui à 669 millions d'euro (contre 3 808 millions d'euro en 2005) pour ASF/ESCOTA et sont négatifs à hauteur de 49 millions d'euro pour APRR/AREA (contre 1 740 millions d'euro en 2005), à comparer à des dettes de respectivement 10 931 millions d'euro et 6 712 millions d'euro. Par conséquent, alors même que les SCA perdaient la garantie de l'État avec la privatisation, les créanciers ont parfaitement accepté que leurs capitaux propres soient réduits, au point même de devenir négatifs deux années de suite pour APRR, et que leur dette augmente.

157. Comme l'a expliqué le directeur financier d'une SCA dans le cadre de l'instruction de l'avis, les créanciers sont conscients que le taux d'endettement net des SCA est hors des limites communément admises et que celles-ci sont, par conséquent, largement sous-capitalisées. S'ils continuent à refinancer la dette des SCA à des taux relativement bas, c'est que ce taux d'endettement net n'est pas pertinent pour apprécier le risque de celle-ci. En effet, l'activité de concessionnaire d'autoroutes dégage des flux de trésorerie ("cash-flows") importants et croissants, sauf crise majeure, jusqu'à la fin des concessions. Le critère pertinent pour l'analyse du risque que constitue la dette pour les SCA n'est donc pas le taux d'endettement net mais la capacité de remboursement mesurée par le ratio d'endettement net sur l'EBE, ce dernier devant être inférieur à 5. Ce ratio baisse pour l'ensemble des SCA depuis 2006 et, aujourd'hui, il est inférieur, voire très inférieur à 5, comme le montre le graphique suivant :

"emplacement tableau"

B. Une part considérable du bénéfice des SCA est distribuée à leur(s) actionnaire(s) via des structures financières dédiées afin, notamment, de rembourser la dette d'acquisition

158. Si la dette des SCA représentait vraiment un risque pour elles, considérant la rentabilité exceptionnelle qui est la leur, il est raisonnable de penser qu'elles auraient cherché à renforcer leurs fonds propres afin de diminuer leur taux d'endettement net, à autofinancer leurs investissements, voire à se désendetter en remboursant leur dette par anticipation. Or, c'est exactement l'inverse qui s'est produit. Depuis la privatisation, les actionnaires ont fait le choix de distribuer la quasi-totalité du bénéfice des SCA complété par des dividendes exceptionnels (1), notamment parce qu'ils ont dû eux-mêmes s'endetter pour financer leur acquisition. Toutefois, une part importante de ces dividendes sont utilisés pour rémunérer les capitaux qu'ils ont apportés (2).

1. La quasi-totalité du bénéfice des sca est distribuée

159. En application de l'article L. 232-12 du Code de commerce, il appartient à l'assemblée générale des actionnaires de déterminer l'affectation du bénéfice réalisé par une société. Cette affectation peut prendre deux formes (qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre) :

- soit celle d'une mise en réserve dans les capitaux propres afin de permettre l'autofinancement de la société et améliorer sa structure financière ;

- soit celle d'une distribution aux actionnaires via le versement d'un dividende.

160. Établi à partir des comptes consolidés, le tableau suivant retrace depuis 2003 à la fois l'évolution du résultat net des SCA "historiques" et celle des dividendes versés à leurs actionnaires :

"emplacement tableau"

161. On observe très clairement, outre que les bénéfices des SCA ont doublé depuis 2004, que la politique de distribution des dividendes a radicalement changé après la privatisation. En effet, alors que les SEMCA (et Cofiroute) distribuaient en moyenne 56 % de leurs bénéfices à leurs actionnaires entre 2003 et 2005, cette part a atteint 136 % en moyenne les huit années suivantes. Elles ont donc, globalement, distribué à leurs actionnaires plus que la totalité de leurs bénéfices. En effet, ainsi qu'il a été indiqué supra, ASF/ESCOTA et APRR/AREA ont versé à leurs actionnaires en 2006 et en 2007 un dividende exceptionnel s'élevant à respectivement 3,3 milliards d'euro et 1,7 milliard d'euro, financé par une augmentation de leur endettement.

162. Également établi à partir des comptes consolidés, le tableau suivant met en évidence le total des dividendes des seules SCA privatisées (hors Cofiroute), le montant de ceux-ci étant par ailleurs neutralisé des dividendes exceptionnels mentionnés ci-dessus :

"emplacement tableau"

163. Le constat d'un changement radical dans la politique de distribution des dividendes n'est pas donc remis en cause par la neutralisation des éventuels biais pouvant fausser l'analyse. En effet, hors dividende exceptionnel et hors Cofiroute, il apparaît qu'avant la privatisation, les SEMCA distribuaient en moyenne 57 % de leurs bénéfices à leurs actionnaires contre 95 % en moyenne les huit années suivantes. Cette distribution massive de dividendes apparaît parfaitement logique considérant que la sous-capitalisation des SCA est parfaitement admise par les créanciers de celles-ci, que les SCA privilégient l'endettement à l'autofinancement pour leurs nouveaux investissements et que les actionnaires doivent rembourser leur dette d'acquisition (voir infra). L'annexe 8 retrace le montant des dividendes par exercice et par SCA.

2. Remboursée par les dividendes, la dette d'acquisition peut présenter un risque mais est sans effet sur le risque de la dette des SCA

164. Lorsque l'État a pris la décision de privatiser les SEMCA, il a fait le choix d'exiger des futurs acquéreurs un paiement en numéraire. Ceux-ci, ne disposant pas de la totalité des 14,8 milliards d'euro nécessaires, ont par conséquent été obligés d'emprunter la différence. Ils ont tous, également, apporté leurs titres de participation ainsi qu'une partie (ou la totalité) de la dette d'acquisition à une holding dédiée : ASF Holding pour Vinci, Eiffarie pour Eiffage et Macquarie et HIT (Holding d'Infrastructures de Transports) pour Abertis et ses co-investisseurs. C'est donc à ces structures financières que sont distribués les dividendes des SCA. Mesurer la part de ceux-ci affectés in fine à la rémunération des actionnaires des SCA, d'une part, et au remboursement de la dette d'acquisition, d'autre part, oblige donc à analyser les comptes de ces holdings.

a) Analyse de la dette d'acquisition de SANEF et de sa gestion par HIT

165. HIT porte l'intégralité de la dette contractée pour l'acquisition de SANEF ainsi que les titres de celle-ci. Cette acquisition a été financée de la manière suivante :

- 1,5 milliard d'euro d'obligations remboursables intégralement à échéance ;

- 1,15 milliard d'euro sous forme de crédit syndiqué ;

- 2 milliards d'euro de fonds propres apportés par les actionnaires. [...]

166. La dette d'acquisition de SANEF était donc majoritairement constituée d'obligations en 2006 et, actuellement, n'est plus constituée que de celles-ci, le crédit bancaire ayant été remboursé. La structure de la dette d'acquisition a en effet évolué comme suit depuis 2006 :

"emplacement tableau"

167. Les actionnaires de SANEF ont en outre fait le choix d'une dette intégralement remboursable à échéance, soit 2018 pour les deux emprunts obligataires de […] et […] millions d'euro (lesquels ont servi à refinancer le crédit syndiqué) et 2021 pour l'emprunt obligataire de 1,5 milliard d'euro. Leur montant en capital restera donc constant jusqu'à cette date (sauf hypothèse d'un remboursement anticipé), seuls les intérêts devant être payés. Dès lors, les dividendes versés par SANEF à HIT sont affectés à la fois au paiement des intérêts de la dette d'acquisition mais également à la rémunération des capitaux propres apportés par les actionnaires.

168. Sur la base du tableau des comptes sociaux d'HIT, il apparaît qu'elle a versé, entre 2006 et 2013, 1 028,7 millions d'euro à ses actionnaires, à rapporter à des dividendes versés par SANEF s'élevant à 1 651 millions d'euro. En d'autres termes, 62 % des dividendes versés par SANEF ont, in fine, via HIT, été distribués à ses actionnaires.

b) Analyse de la dette d'acquisition d'APRR et de sa gestion par Eiffarie

169. L'acquisition d'APRR présente une différence substantielle par rapport à celle de SANEF. Certes, comme cette dernière, l'intégralité de la dette d'acquisition (et de la participation) est porté par une structure dédiée : Eiffarie. Toutefois, l'acquisition d'APRR (pour 6,9 milliards d'euro au total, dont 4,84 en 2006) a été principalement financée par une dette bancaire à hauteur de 3,9 milliards d'euro (au 31 décembre 2006), complété par un apport de fonds propres et une avance en compte courant d'actionnaires.

170. Or, par son montant, sa durée (sept ans) et la contrainte de liquidité imposée à Eiffarie par les agences de notation, cette dette présente un risque qui s'est concrétisé lorsqu'elle a dû être refinancée un an avant l'échéance, en février 2012. Comme l'explique APRR, "il a été extrêmement difficile, fin 2011 - début 2012, compte tenu des conditions de marché du moment, de réunir les financements bancaires nécessaires au refinancement de la dette d'acquisition initiale, tant et si bien que la ligne bancaire de sûreté d'APRR a dû être réduite de 1,8 milliard d'euro à 0,7 milliard d'euro pour cause d'absence de crédits bancaires et ce malgré des prix (marge sur Euribor) multipliés par plus de 5 par rapport à 2006". En effet, à ce risque de refinancement s'est ajouté un risque de taux : "la marge sur Euribor était de 0,60 % pour la dette initiale, elle est sur la dette actuelle de 3,00 %, et passera à 3,50 % en 2015 et à 4,00 % en 2016". Un tel risque a d'ailleurs conduit Eiffarie à couvrir sa dette par des swaps taux variable contre taux fixe. Cette nouvelle dette bancaire est d'une durée de 5 ans.

171. L'évolution de la dette bancaire d'Eiffarie depuis 2006 est retracée dans le tableau suivant :

"emplacement tableau"

172. À l'inverse de SANEF, dont les dividendes distribués à HIT ont servi, in fine, pour une large part, à rémunérer les actionnaires, les dividendes versés par APRR à Eiffarie entre 2007 et 2013 (2685 millions d'euro) ont, dans leur quasi-totalité (92 %), été affectés au remboursement et au paiement des intérêts de la dette bancaire d'acquisition (2458 millions d'euro), laquelle est d'ailleurs restée stable jusqu'au refinancement de 2012 (14). Comme l'a indiqué APRR, le reliquat des dividendes versés, soit 227 millions d'euro, a été affecté au paiement des intérêts sur son compte courant d'actionnaires et au remboursement de l'avance de celui-ci.

173. Toutefois, si Eiffarie porte la totalité des titres et de la dette d'acquisition d'APRR, elle n'est pas détenue directement par Eiffage et Macquarie mais par une autre holding appelée Financière Eiffarie, dont Eiffage et Macquarie sont coactionnaires (Eiffage détenant 50 % plus une action). Dès lors, pour avoir une idée exacte de la rémunération des actionnaires d'APRR, ce sont les dividendes versés par Financière Eiffarie qu'il convient d'analyser. Interrogé sur ce point, APRR a indiqué que "le montant des dividendes versés sur la période 2007-2009 s'élève à 403 millions d'euro, ce qui, compte tenu d'une augmentation de capital de 33 millions d'euro réalisée en 2009, conduit à un montant net de fonds propres remonté aux actionnaires de 370 millions d'euro sur la période 2007-2009". En outre, Financière Eiffarie n'a pas versé de dividendes à ses actionnaires depuis cette date.

174. Par conséquent, s'il est vrai que 92 % des dividendes d'APRR ont couvert la charge de la dette bancaire portée par Eiffarie, une part plus importante que les 8 % restants a été distribué aux actionnaires via Financière Eiffarie. Cependant, rapportés à l'ensemble des dividendes versés par APRR depuis 2006 (2685 millions d'euro), les 370 millions d'euro dont ils ont bénéficié ne représentent que 14 % des dividendes d'APRR sur la période, soit une part très inférieure à celle de SANEF.

c) Analyse de la dette d'acquisition d'ASF et de sa gestion par Vinci

175. La structure de financement de l'acquisition d'ASF par Vinci en 2006 est très différente et plus complexe que celles précédemment analysées. Avant sa privatisation en 2006, Vinci était en effet déjà actionnaire d'ASF à hauteur de 23 %. Les 77 % restants ont été acquis, pour 51 %, directement auprès de l'État en mars 2006 et, pour 26 %, dans le cadre d'une offre de garantie de cours suivie d'une offre publique de retrait jusqu'en novembre de la même année. En janvier 2007, la structure financière de l'acquisition se présentait donc comme suit :

- une augmentation de capital de Vinci SA pour 3,6 milliards d'euro ;

- une dette bancaire d'acquisition de 1,75 milliard d'euro au niveau de Vinci SA ;

- une émission obligataire (titres subordonnés à durée indéterminée - TSDI) pour 0,5 milliard d'euro, au niveau de Vinci SA ;

- une augmentation de l'endettement net d'ASF de 3,3 milliards d'euro.

176. En effet, comme indiqué supra, ASF a versé un dividende exceptionnel de ce montant à son actionnaire, lequel a été financé par un endettement équivalent. Par conséquent, l'acquisition d'ASF par Vinci présente la particularité, comme elle l'explique elle-même, d'avoir été principalement financée "par une augmentation de capital, de la trésorerie et de la dette positionnée à différent niveau du groupe". En effet, cette dette d'acquisition, que ce soit la dette bancaire de 1,75 milliard d'euro ou l'émission obligataire de 0,5 milliard d'euro, n'est pas localisée dans ASF Holding mais directement au sein de

Vinci SA, tout comme la participation de 77 % acquise en 2006. Toutefois, en juin 2009, cette participation de 77 % a été apportée à ASF Holding.

177. Par conséquent, alors que HIT et Eiffarie détiennent respectivement l'intégralité de la dette d'acquisition de SANEF et d'APRR depuis 2006, qu'elles en assument toute la charge financière et sont, en tant qu'actionnaire unique, destinataires de la totalité de leurs dividendes, il n'en va pas de même pour ASF Holding :

- ASF Holding ne porte l'intégralité des titres d'ASF que depuis 2009. Avant cette date, elle n'en détenait que 23 % et ne bénéficiait donc que de 23 % des dividendes versés par ASF, le reste étant versé directement à Vinci SA ;

- ASF Holding ne porte pas l'intégralité de la dette d'acquisition d'ASF par Vinci SA ; elle ne porte que celle correspondant aux 23 % acquis entre 2002 et 2004. La dette correspondant aux 77 % est portée directement par Vinci SA.

178. L'analyse de la dette d'acquisition d'ASF par Vinci doit donc distinguer entre :

- la dette portée par ASF Holding qui s'élevait initialement à 1958,5 millions d'euro, ne représentait plus que 1191 millions d'euro en 2007 (pour un taux d'intérêt de 4,4 %) et 1023 millions d'euro en 2013 (pour un taux de 2,7 %). Cette dette sera normalement remboursée (ou refinancée) en 2017 ;

- la dette bancaire portée par Vinci SA au titre de l'acquisition des 77 % d'ASF en 2006, d'un montant de 1750 millions d'euro. Elle a été remboursée en 2012. En revanche, Vinci SA supporte toujours l'émission obligataire de TSDI de 500 millions d'euro (à un taux d'intérêt de 6,25 %).

179. L'Autorité a obtenu de Vinci SA le montant des charges financières correspondant à la fois à la dette bancaire et à l'émission obligataire de TSDI entre 2007 et 2013. Celles-ci s'élèvent respectivement à 248,1 millions d'euro et à 219,1 millions d'euro, soit un total de 467,2 millions d'euro. De plus, selon les comptes d'ASF Holding, les charges financières de celle-ci sur la période se sont établies à 374,9 millions d'euro. Au total, les charges financières correspondant à l'acquisition des 100 % d'ASF par Vinci se sont élevées à 842,1 millions d'euro entre 2007 et 2013. Par ailleurs, la dette portée par ASF Holding a diminué de 172 millions d'euro et celle de Vinci SA de 1750 millions d'euro sur la même période, la dette bancaire ayant été intégralement remboursée en 2012. Par conséquent, le total des charges financières liées à l'acquisition s'est élevé à 2764,1 millions d'euro entre 2007 et 2013.

180. Or, sur cette période, les dividendes versés par ASF se sont élevés à 7 636 millions d'euro (4 336 milliards d'euro hors dividende exceptionnel). Par conséquent, les charges financières correspondant à la dette d'acquisition d'ASF n'ont représenté que 36,2 % des dividendes d'ASF (et 63,7 % hors dividende exceptionnel).

181. Toutefois, si ce pourcentage apparaît équivalent celui d'HIT, il faut tenir compte du fait que contrairement à cette dernière, les charges financières d'ASF Holding et de Vinci SA incluent le remboursement en capital de la dette d'acquisition. Or, la dette bancaire portée par Vinci SA a été intégralement remboursée en 2012. C'est ainsi qu'en 2013, les charges financières (hors variation des dettes internes) ne comportent plus que les intérêts de l'émission de TSDI, d'un montant (constant) de 31,3 millions d'euro pour Vinci SA et, s'agissant d'ASF Holding, des charges d'intérêt d'un montant de 39,6 millions d'euro, soit un total de 70,9 millions d'euro. Dès lors, il faut considérer que moins de 10 % des dividendes versés par ASF cette année-là (783 millions d'euro) ont été nécessaires pour couvrir les charges financières. Il devrait en être de même les années suivantes, sauf cas d'un remboursement anticipé ou de refinancement des dettes restantes.

182. En conclusion, l'analyse des modalités d'acquisition d'ASF, d'APRR et de SANEF par leur(s) actionnaires(s) respectif(s) a permis de démontrer que la dette qu'ils ont contractée à cette fin présente un risque très variable :

- l'acquisition d'ASF a été financée, pour une part importante, par ASF elle-même et par une augmentation de capital de Vinci SA. La dette bancaire, qui ne représentait qu'une part limitée du financement, a été totalement remboursée en 2012. Dès lors, les dividendes versés par ASF ont pu servir, dans une large mesure à rémunérer les capitaux apportés par Vinci ;

- les obligations contractées par HIT pour l'acquisition de SANEF seront remboursées à échéance, entre 2018 et 2021 ; depuis 2006, HIT ne paie que les intérêts de cette dette, si bien qu'elle est en mesure de verser des dividendes importants à ses actionnaires représentant plus de 60 % des dividendes versés par SANEF ;

- en revanche, Eiffarie, qui a financé l'acquisition d'APRR via une dette bancaire d'un montant élevé et d'une durée courte, est de ce fait soumise à un risque important de refinancement et de taux. Dès lors, depuis 2006, l'essentiel des dividendes versés par APRR a servi à financer les intérêts et le remboursement de cette dette.

183. Toutefois, même dans le cas d'APRR, la circonstance que la dette d'acquisition puisse être risquée ne signifie pas que la dette des SCA le soit en tant que telle. En effet, il faut éviter la confusion, entretenue jusqu'en séance par les représentants des SCA, entre la dette d'acquisition, portée par les structures financières mentionnées ci-dessus, dont la charge est plus que couverte par les dividendes versés par les SCA, et la dette des SCA elle-même, financées par les cash-flows produits par leur activité. Seule une (forte) baisse de la rentabilité d'exploitation des SCA mettrait en péril le remboursement de cette dette. En revanche, les dividendes sont, par définition, versés une fois les charges financières des SCA déduites. La rentabilité nette exceptionnelle des SCA n'est donc pas nécessaire pour payer leurs propres dettes. En revanche, les bénéfices sont distribués pour financer, via les dividendes versés aux structures financières dédiées, la dette d'acquisition de leurs actionnaires ainsi que, le cas échéant et pour une large part dans le cas de ceux d'ASF et de SANEF, leur rémunération. L'analyse de cette dette d'acquisition ne remet donc pas en cause le constat fait par l'Autorité que la dette des SCA est, en tant que telle, peu risquée.

C. La dette des SCA, qui a augmenté depuis la privatisation, leur permet de bénéficier d'un avantage fiscal important

184. Contrairement à toutes les prévisions faites avant la privatisation, la dette des SCA a, d'une manière générale, augmenté après la privatisation, conséquence notamment des modalités de financement de leur acquisition avec, en particulier le versement de dividendes exceptionnels par ASF et APRR (1). Toutefois, cette augmentation d'un endettement par ailleurs peu risqué leur permet en retour d'accroître le gain que les SCA retirent de la déductibilité des intérêts d'emprunts (2).

1. L'augmentation de la dette depuis la privatisation

185. Les SCA doivent, annuellement, transmettre au concédant une étude prévisionnelle, comme les SEMCA devaient le faire avant la privatisation. L'Autorité a obtenu communication de ces études - confidentielles - et a pu comparer celles des années 2004 et 2005 avec les plus récentes.

186. Dans tous les cas, ces études indiquent que la dette des SCA sera éteinte à la fin des concessions. En effet, les concessions autoroutières ont une fin et doivent retourner au concédant à une date fixée d'avance. Si la dette n'est pas totalement remboursée à ce moment-là, elle resterait à la charge des SCA (et de leurs actionnaires) qui ne disposeraient plus d'aucun cash-flows pour en couvrir les coûts. Les études des années 2004 et 2005 prévoyaient donc une baisse progressive de la dette confirmée par le rapport parlementaire précité de 2005 qui soulignait que "l'endettement actuel des SCA est appelé à se stabiliser dans les prochaines années en raison de l'achèvement des programmes d'investissements qui figurent dans leur contrat de concession".

187. Or, il apparaît que cette stabilisation puis cette baisse progressive de l'endettement ne se sont pas réalisées, en particulier pour ASF et APRR. Le montant total des dettes des SCA a continué à progresser après la privatisation, comme le montre le tableau suivant :

"emplacement tableau"

188. Alors que le total des dettes avait commencé à diminuer entre 2004 et 2005, conformément à ce qui était prévu, il est immédiatement reparti à la hausse en 2006. En 2006, le total des dettes s'élevait à 20,950 milliards d'euro. Huit ans plus tard, en 2013, il atteint 23,866 milliards d'euro. Neutralisé de Cofiroute, ce total est passé de 17,950 milliards d'euro à 21,01 milliards d'euro, soit une augmentation de plus de 17 %.

189. Les évolutions sont toutefois différentes selon les SCA. On observe ainsi que SANEF/SAPN a aujourd'hui une dette en diminution par rapport à 2005 et qu'elle est sur une trajectoire descendante depuis la privatisation, comme d'ailleurs Cofiroute sur la même période. En revanche, ASF/ESCOTA et APRR/AREA se distinguent par une forte augmentation de leur dette, conséquence des modalités de leur acquisition (voir supra). En effet, APRR et ASF ont, respectivement, versé des dividendes exceptionnels à hauteur de 1,7 et 3,3 milliards d'euro en 2006-2007, lesquels ont été financés par un endettement équivalent. C'est ce dividende exceptionnel qui explique, pour une large part, l'augmentation de l'endettement global des SCA.

"emplacement tableau"

190. Si l'endettement des SCA a augmenté, c'est également parce qu'elles ont continué, après la privatisation, à réaliser des investissements importants sur l'infrastructure autoroutière, comme l'a montré l'évolution de leur actif net immobilisé. Or, ceux-ci peuvent être financés soit par l'endettement, soit par l'autofinancement. Or, elles ont toutes confirmé, lors de l'instruction, recourir à l'endettement pour financer, au moins en partie, leurs nouveaux investissements. Même si les emprunts sont remboursés au fur et à mesure, les SCA en ont toutes contracté de nouveaux, de sorte que le niveau global des dettes augmente.

191. Par cohérence, la trajectoire de remboursement de leur dette dans les études prévisionnelles des années postérieures à la privatisation a été modifiée dans le sens d'un report, comme le montrent les graphiques reproduits à l'annexe 9.

2. Un avantage fiscal considérable lié à la déductibilité illimitée des intérêts d'emprunts

192. Si l'augmentation des dettes des SCA est un choix des actionnaires, largement dicté par les modalités d'acquisition de celles-ci, rendu possible par l'indifférence des créanciers au taux d'endettement net considérant le niveau et l'évolution probable des cash-flows, il leur permet également de bénéficier de dispositions fiscales très favorables.

193. En application de l'article 39 du Code général des impôts, les charges financières sont déductibles pour l'établissement du résultat imposable. Toutefois, parce que cette déductibilité sans limite était très coûteuse pour les finances publiques, l'article 23 de la loi de finances pour 2013 l'a limitée par un "rabot" prenant la forme d'une réintégration de 15 % (puis 25 % à compter de 2014) des charges financières nettes supportées par toute entité imposable à l'IS.

194. Toutefois, sur amendement du gouvernement, soucieux de limiter les conséquences financières de cette mesure sur les délégataires de service public parfois très endettés et fragiles, le "rabot" n'est pas applicable, aux termes du V de l'article 212 bis du CGI, "aux charges financières supportées par le délégataire, concessionnaire et partenaire privé, afférentes aux biens acquis ou construits par lui dans le cadre d'une délégation de service public mentionnée à l'article 38 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques". Par conséquent, les sociétés concessionnaires d'autoroutes bénéficient toujours, à l'instar de l'ensemble des délégataires de service public, d'une déductibilité illimitée de leurs charges financières.

195. Considérant la dette qui est la leur et les charges d'intérêts qui en résultent, cette disposition fiscale est très favorable aux SCA qui peuvent ainsi réaliser des économies d'impôts importantes, comme le montre le tableau suivant :

196. L'avantage fiscal lié à la déductibilité illimitée des charges d'intérêt emprunts s'élève donc à 430 millions d'euro par an depuis 2006. Au total, depuis cette date, les SCA ont bénéficié de cette disposition fiscale à hauteur de 3,4 milliards d'euro. Comme le relève le rapporteur général du Budget de l'Assemblée nationale, il est évident que "ce régime favorise le financement par endettement, au détriment du financement en fonds propres" (15).

197. À partir des informations communiquées par les SCA, l'Autorité a reconstitué l'impôt théorique qui aurait dû être payé en 2012 et 2013 si le "rabot" leur était applicable. Avec un taux théorique d'imposition de 34,43 %, les impôts supplémentaires théoriquement perçus auraient été respectivement de 62,7 millions d'euro et 59 millions d'euro pour l'ensemble des SCA "historiques".

198. En conclusion, si le poids de leur dette est régulièrement mis en avant par les SCA, il n'apparaît pas de nature à justifier la rentabilité exceptionnelle qui est la leur. En effet, très lourde en valeur absolue, la dette est cependant tout à fait soutenable compte tenu des cash-flows générés par l'activité, lesquels sont importants et, sauf crise majeure, croissants jusqu'à la fin de la concession. Ce fait est connu des créanciers des SCA et explique que celles-ci, bien que sous capitalisées et affichant un taux d'endettement supérieur à toutes les normes communément admises, puissent distribuer à leurs actionnaires, via les holdings dédiées, une part considérable de leur bénéfice et même au-delà. L'absence de risque de l'activité a pour conséquence l'absence de risque de la dette. Dès lors, n'étant pas contraintes de diminuer leur dette avant la fin de leur concession, les SCA ont pu continuer à s'endetter depuis la privatisation, notamment pour financer des dividendes exceptionnels et, ainsi, bénéficier des dispositions fiscales favorables liées à la déductibilité sans limite des charges financières. Si la dette des SCA est, pour une large part, héritée du passé, son augmentation de 14 % depuis 2006 (+17 % hors Cofiroute) depuis la privatisation relève du choix de leurs actionnaires.

199. Comme il a été dit en introduction, c'est le risque qui justifie la rentabilité d'un investissement. Plus un investissement est risqué et plus il doit être rentable. L'Autorité s'est donc attachée, dans cette section, à analyser les risques pesant sur l'activité d'exploitation d'une concession autoroutière afin de mesurer si la rentabilité nette exceptionnelle de celle-ci, constatée dans la section 1, était bien justifiée.

200. Le premier des risques d'une concession autoroutière est celui d'une baisse du trafic. En entraînant une baisse du chiffre d'affaires, elle diminuerait la rentabilité opérationnelle jusqu'à compromettre le remboursement de la dette, alors même que le modèle financier repose sur un fort endettement. Or, à l'analyse, il apparaît que le trafic, globalement, a toujours progressé depuis des décennies, même si c'est plus faiblement aujourd'hui que par le passé. De plus, compte tenu des modalités de tarification, même lorsque le trafic baisse, le chiffre d'affaires des SCA continue de progresser, même au plus fort de la crise financière des années 2008-2009. Enfin, la concession autoroutière est un monopole, protégé par l'État autant que par la substituabilité très partielle avec les autres modes de transports et une faible élasticité prix de la demande. Le risque de l'activité apparaît donc très limité.

201. Deuxième risque, celui d'une forte augmentation des charges. Ce risque n'en est pas un puisque les charges des SCA, assises sur des réseaux parvenus à maturité, sont, pour l'essentiel, des charges fixes qui apparaissent par ailleurs parfaitement maîtrisées, soutenables et prévisibles sur le long terme. Depuis dix ans, elles ont progressé moins vite que le chiffre d'affaires, voire ont baissé pour certaines d'entre elles.

202. Enfin, le dernier risque et le plus fréquemment mis en avant est celui de la dette. S'il est vrai que la dette nette des SCA est très élevée - plus de 23 milliards d'euro aujourd'hui, ce niveau ne présente pas de risque en lui-même. Les cash-flows générés par l'activité sont tels qu'ils permettent, jusqu'à la fin de la concession, sauf crise majeure entraînant un effondrement du trafic autoroutier, le remboursement de cette dette, si bien que la quasi-totalité des bénéfices des SCA peuvent être distribués aux actionnaires afin de leur permettre de rembourser leur dette d'acquisition et de rémunérer les capitaux qu'ils ont apportés. En d'autres termes, si toute dette présente un risque, celle des SCA apparaît très peu risquée compte tenu du risque très limité de l'activité elle-même.

203. Au final, si l'exploitation d'une concession autoroutière présente un risque, comme toute activité économique, celui-ci n'apparaît pas de nature à justifier une rentabilité nette atteignant jusqu'à 24 % comme c'est le cas actuellement pour l'ensemble des SCA "historiques". Par conséquent, en les privatisant en 2006, l'État a vendu une rente qui, compte tenu du modèle financier des concessions autoroutières et sauf crise majeure entraînant un effondrement du trafic, sera croissante jusqu'à la fin des concessions.

Section 3 : les marchés de travaux des sociétés concessionnaires d'autoroutes

204. Dans son avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 sur les problèmes de concurrence pouvant résulter de la privatisation annoncée des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, le Conseil de la concurrence a souligné le risque que les SEMCA, une fois privatisées au profit de groupes de travaux publics, attribuent à ceux-ci l'essentiel de leurs marchés de travaux. Si les recommandations qu'il a faites dans cet avis ont pour la plupart été suivies par le gouvernement, les obligations de publicité et de mise en concurrence, bien que globalement respectées, restent insuffisantes pour Cofiroute et, sur certains points, mal contrôlées (I). De plus, malgré ces obligations, une part importante, voire prépondérante, des marchés de travaux des SCA sont attribuées à des entreprises liées et selon des modalités discutables (II). Toutefois, si ces modalités, comme l'appartenance des SCA à des groupes de travaux publics, peuvent présenter des risques concurrentiels, elles n'ont qu'un effet très indirect sur le prix des péages puisque la compensation des investissements dans le cadre des contrats de plan est calculée à partir de montants estimés ex ante de ceux-ci et non de leur coût réel (III).

I. Des obligations de publicité et de mise en concurrence globalement respectées malgré un contrôle insuffisant

205. Le Conseil de la concurrence a mis en évidence les enjeux concurrentiels de la privatisation des SEMCA et formulé plusieurs recommandations quant aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui devraient s'appliquer à celles-ci une fois privatisées (A), recommandations dont la majorité ont été suivies (B). Ces obligations sont aujourd'hui globalement respectées par les SCA, même si les commissions consultatives des marchés (CCMC), chargées de donner un avis sur les marchés soumis à publicité et à mise en concurrence, ne disposent pas de toutes les informations nécessaires à l'exercice de leur mission (C).

A. L'avis du conseil de la concurrence du 2 décembre 2005

1. Les trois marchés des sociétés concessionnaires d'autoroutes

206. Dans son avis n° 05-A-22 précité, le Conseil a distingué trois marchés sur lesquels interviennent les sociétés concessionnaires d'autoroutes.

207. Le premier marché est le marché de l'exploitation des autoroutes à péage. Celui-ci a été présenté supra (§ 83 et suivants). Pour mémoire, les SCA sont en situation de monopole sur ce marché, les trajets par autoroutes, plus sûrs, plus souples et plus rapides, n'étant pas substituables à d'autres trajets, que ce soit par la route normale, le train ou l'avion. Du point de vue de la demande, il est possible de distinguer entre la clientèle des véhicules légers et celle des poids lourds, cette dernière étant plus sensible au prix.

208. Le deuxième marché est le marché des travaux autoroutiers, segmenté entre un marché de la construction des autoroutes, d'une part, et un marché de l'entretien (au sens large) et de l'amélioration des autoroutes existantes, d'autre part, deux segments sur lesquels l'offre et la demande sont différentes. En effet, sur le segment de la construction des autoroutes, la demande est le fait de l'État via un appel d'offres et l'offre des sociétés concessionnaires d'autoroutes (à l'époque de l'adossement) ou de consortiums de sociétés, incluant le plus souvent une SCA et/ou un groupe de travaux publics. Considérant la pratique décisionnelle de l'Autorité, on pourrait même considérer que chaque appel d'offres pour la construction d'un tronçon autoroutier constitue un marché ad hoc. En revanche, sur le marché de l'entretien des autoroutes, la demande est le fait des SCA et l'offre des entreprises de travaux routiers, parmi lesquelles des filiales des groupes auxquels elles appartiennent.

209. Enfin, le troisième marché est le marché des services liés à l'exploitation des autoroutes. Sur ce marché, la demande est le fait des SCA et l'offre de l'ensemble des entreprises pouvant assurer lesdits services. Parmi ceux-ci, et sans que cette liste soit exclusive : la perception des péages, le service de sécurité (gestion du trafic, surveillance et interventions), les opérations de maintien de la viabilité, notamment le déneigement, la radio autoroutière, la maintenance des installations de péage, le nettoyage et l'entretien des aires de repos et des bas-côtés, les interventions légères ou provisoires sur les infrastructures (barrières de sécurité, chaussée et ouvrages), l'entretien paysager, les différents services proposés sur les aires de service (carburants, restauration, vente, éventuellement hôtellerie, ou plus récemment gardiennage de parkings poids lourds). En pratique, les SCA peuvent assurer directement ces services (péage, déneigement) ou recourir à des tiers qui, compte tenu des services concernés (informatique, dépannage, débroussaillage, restauration), ne sont généralement pas des entreprises liées.

210. La segmentation des différents marchés sur lesquels interviennent les SCA décrite dans cet avis garde, neuf ans plus tard, toute sa pertinence.

2. Les enjeux concurrentiels de la privatisation des SEMCA

a) Les règles de concurrence applicables aux SEMCA

211. Les règles applicables aux SEMCA étaient issues à la fois de la directive n° 2004-18-CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fourniture et de service, du décret n° 93-584 du 26 mars 1993 relatif aux contrats visés au I de l'article 48 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques et, enfin, du cahier des charges annexé à leur contrat de concession.

212. La directive n° 2004-18-CE distingue selon que le concessionnaire est un pouvoir adjudicateur ou non. L'avis du Conseil d'État du 16 mai 2002 a considéré que les SEMCA étaient des organismes publics et, qu'à ce titre, elles étaient des pouvoirs adjudicateurs au sens de la directive. En revanche, dans le même avis, il a estimé que les concessionnaires d'autoroutes autres que les SEMCA, par conséquent les sociétés privées (c'est-à-dire en pratique Cofiroute), ne pouvaient pas être regardées comme des pouvoirs adjudicateurs, faute de remplir l'un des critères de contrôle public prévus par la directive.

213. En tant que pouvoirs adjudicateurs, les SEMCA devaient donc organiser une publicité au niveau communautaire pour leurs marchés de travaux avec des tiers d'un montant égal ou supérieur à 5,923 millions d'euro et leurs marchés de fournitures et de services d'un montant égal ou supérieur à 236 000 euro. Toutefois, les obligations issues du décret n° 93-584 précité étaient bien plus strictes. En effet, aux termes de son article 2, les contrats des sociétés d'économie mixte "dont le montant, toutes taxes comprises, n'excède pas le seuil visé au 10° du I de l'article 104 du Code des marchés publics peuvent être passés en dehors des conditions fixées par le présent décret". En d'autres termes, tous les marchés d'un montant supérieur à 700 000 francs HT (soit 106 714 euro), qu'il s'agisse de travaux, de fournitures ou de services, devaient faire l'objet d'une publicité et d'une mise en concurrence sous forme d'un appel d'offres ou, dans des cas limitativement énumérés (article 14), d'une procédure négociée.

214. L'article 10 du décret n° 93-584 précité a par ailleurs institué au sein de chaque SEMCA une commission d'appel d'offres devenue en 2001 la commission consultative des marchés du concessionnaire (CCMC), incluant notamment un représentant de la DGCCRF, chargé de donner un avis sur l'attribution de leurs marchés. Toutefois, le Conseil de la concurrence a relevé, en 2005, que les seuils d'intervention de ces commissions n'étaient pas harmonisés, variant entre 1 et 5 millions d'euro, si bien que dans certaines sociétés comme APRR, 70 % de la valeur des marchés de travaux n'avaient pas fait l'objet d'un examen par sa CCMC. De même pour les marchés de fournitures et de services, le seuil de compétence variait de un à trois selon les SEMCA, (150 000 euro pour la SAPN à 500 000 euro pour APRR, AREA et ASF). Ces commissions étaient par ailleurs soumises au contrôle de la commission nationale des marchés, créée par le décret n° 2004-86 du 26 janvier 2004.

215. Enfin, les cahiers des charges des SEMCA contenaient des clauses générales imposant une mise en concurrence. Ainsi, s'agissant des activités exercées sur les emprises des autoroutes par d'autres opérateurs que les concessionnaires, comme la distribution de carburant, la restauration, la vente de différents produits ou l'hôtellerie, les cahiers des charges des concessions comportaient généralement une clause indiquant que "la société concessionnaire passe librement des contrats pour l'exploitation des installations annexes, en principe par voie d'appel à la concurrence, moyennant redevances entrant dans les produits de la concession". De même, l'article 6 des cahiers des charges des SEMCA comportent également une clause générale de recours à la concurrence pour les travaux, rédigée comme suit : "Pour l'exécution des travaux, la société concessionnaire est tenue, sauf autorisation du ministre chargé de la voirie nationale, de recourir à la concurrence. Toute discrimination entre les entreprises de la Communauté européenne en raison de la nationalité est interdite".

216. Considérées comme des pouvoirs adjudicateurs et soumises, à ce titre, à des obligations de publicité et de mise en concurrence renforcées, les SEMCA privatisées étaient vouées à perdre ce statut et, comme Cofiroute, à ne plus relever que des seules obligations prévues par les articles 63 à 65 de la directive 2004-18-CE précitée. Or, celles-ci sont limitées. Elles ne s'appliquent en effet qu'aux seuls marchés de travaux d'un montant supérieur à 5,923 millions d'euro passés avec des tiers (à l'exclusion donc des marchés de travaux passés avec des entreprises liées et des marchés de fournitures et de services, quel que soit leur montant) et se bornent à imposer au concessionnaire la publication d'un avis assorti d'un délai de réception des candidatures puis des offres.

217. Or, lorsque le Conseil a été saisi à l'automne 2005, il était probable que les SEMCA soient rachetées par des groupes de travaux publics. Dès lors, "la question posée est celle de l'éviction des autres entreprises de travaux publics. Dans ce cas, l'intégration verticale de l'entreprise de travaux et de l'exploitant peut avoir deux conséquences opposées : d'une part, comme pour tout processus d'intégration verticale, on peut s'attendre à un gain d'efficacité lié à la diminution de la double marge qui serait facturée par des entreprises non intégrées, mais, d'autre part, il peut conduire à des coûts de construction et d'entretien majorés par l'absence de mise en concurrence si le niveau des tarifs de péage permet au concessionnaire de se constituer une rente qui profitera aux entreprises de travaux qui lui sont liées". Cette dernière conséquence était d'ailleurs la plus probable compte tenu de l'exemple donné par Cofiroute. Comme l'avait souligné le Conseil, "Cofiroute, dès le départ créé dans une logique de consortium, ne confie ses travaux qu'aux entreprises de travaux publics liées à ses actionnaires". Dans ces conditions, "le contrôle des coûts des concessionnaires d'autoroutes risque d'être particulièrement difficile à l'égard de ceux qui appartiendront à des groupes verticalement intégrés actifs dans les travaux publics et les services associés à l'exploitation de l'autoroute. Les mécanismes de facturation internes à un groupe sont plus difficiles à contrôler que des facturations entre entreprises indépendantes, surtout si ces dernières font suite à des procédures de mise en concurrence […]. Le danger est alors que les coûts liés à l'exploitation de l'autoroute soient surfacturés, conduisant, soit par l'augmentation du prix des péages, soit par obstacle à leur baisse, à créer une rente de monopole injustifiée".

218. Fort de ce constat et des risques identifiés, pour les entreprises tierces et le consommateur, d'une absence de concurrence pour les marchés passés par les SEMCA privatisées, le Conseil de la concurrence avait fait cinq recommandations :

- la première était la pérennisation de l'existence des sociétés concessionnaires privatisées en tant que personnes juridiques distinctes, interdisant leur fusion avec d'autres entreprises comme l'intégration dans leur périmètre d'activité propre des activités qu'elles n'assurent pas déjà elles-mêmes. En effet, comme le relevait le Conseil, "les concessions autoroutières font l'objet d'une exigence de comptabilité séparée. Toutefois, il ne semble pas que cela empêcherait, le cas échéant, d'intégrer dans cette comptabilité des activités de travaux ou de service effectuées par la société elle-même pour la concession, dont l'identification et les coûts seraient a priori plus difficiles à apprécier que dans le cadre de relations entre deux entreprises distinctes. De plus, le rapatriement "en régie" de telles activités pourrait précisément permettre de contourner les obligations de mise en concurrence voulues par le gouvernement" ;

- la deuxième était la réintroduction, dans le contrat de concession, de l'obligation de non seulement mettre en concurrence de manière systématique les travaux mais aussi de respecter les critères de choix applicables au pouvoir adjudicateur. En effet, "sans cela, et en dépit d'obligations de transparence, les concessionnaires pourraient privilégier les entreprises qui leur sont liées" ;

- la troisième était de fixer des seuils de mise en concurrence de telle manière que l'essentiel des marchés soit contrôlé par les commissions des marchés des SEMCA ;

- la quatrième était de doter les commissions d'un véritable pouvoir d'approbation, ce qui devait conduire à écarter leur qualification de "consultatives". De plus, à défaut de voir ces commissions comporter une majorité de membres indépendants des concessionnaires, le représentant de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) devrait y disposer d'un droit de veto ;

- la cinquième était de clarifier dès que possible la rédaction de la modification de l'article 6 du cahier des charges des SEMCA afin que celle-ci reflète plus explicitement la portée que le gouvernement voulait lui donner.

219. Sur ce dernier point, le Conseil relevait que "le gouvernement, conscient des risques pour la concurrence qu'une privatisation des SEMCA effectuée sans aménagement suffisant pourrait provoquer, a prévu d'introduire des obligations supplémentaires pour les sociétés qui succéderont aux SEMCA, notamment pour tenir compte de leur nouveau statut de concessionnaires non pouvoirs adjudicateurs". En particulier, il avait prévu une nouvelle rédaction de l'article 6 du cahier des charges précité visant à maintenir les obligations de mise en concurrence telles qu'elles s'appliquent aujourd'hui aux SEMCA en ce qui concerne les travaux et, d'une manière générale, à ne pas modifier leur pratique de mise en concurrence, même lorsqu'aucune obligation ne pèsera plus sur elles au titre de pouvoir adjudicateur. C'est ainsi, notamment, qu'il était prévu que les ex-SEMCA ne pourront pas faire valoir qu'elles entendent confier leurs commandes à des entreprises liées pour échapper à l'obligation de mise en concurrence.

220. Toutefois, le Conseil estimait que la nouvelle rédaction était "ambiguë" et que "la portée de la référence à l'article 63 de la directive devrait donc être précisée, dès lors que sa stricte application, qui ne comporte que des prescriptions minimales, conduirait à une obligation de mise en concurrence très réduite par rapport à la situation actuelle, en contradiction avec l'affirmation selon laquelle, de ce point de vue, "rien ne changerait" pour les ex-SEMCA".

B. Les obligations de publicité et de mise en concurrence applicables aux SCA sont globalement respectées

221. Avec la privatisation, les SEMCA (devenues les SCA) ont perdu leur statut de pouvoir adjudicateur et les obligations qui, à ce titre, pesaient sur elles ne devaient plus leur être applicables. Toutefois, à la suite de l'avis du Conseil de la concurrence, le gouvernement a renforcé dans leur cahier des charges les obligations de publicité et de mise en concurrence, étant précisé que celles applicables à Cofiroute, qui n'ont pas été modifiées en 2006, sont bien plus légères (voir annexe 10). D'une manière générale, il apparaît que ces obligations sont globalement respectées par les SCA.

222. Alerté par le Conseil de la concurrence sur les risques pour la concurrence de la perte, par les SEMCA privatisées, de leur statut de pouvoir adjudicateur (16), le gouvernement a donc modifié dans le sens recommandé l'article 6 du cahier des charges précité sur deux points :

- il fait désormais référence au décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 dont les règles sont donc applicables aux marchés de travaux, de fournitures et de services passés par les SCA (17) ;

- les obligations du décret sont applicables pour leurs marchés de travaux d'un montant supérieur ou égal à 2 millions d'euro HT et pour leurs marchés de fournitures et de services d'un montant supérieur ou égal à 240 000 euro HT.

223. Par conséquent, bien que n'étant plus des pouvoirs adjudicateurs, les SCA se sont vu imposer les mêmes obligations que ceux-ci mais avec un seuil sensiblement inférieur au seuil fixé par le décret s'agissant des marchés de travaux (18). Dès lors que sont dépassés les seuils spécifiquement fixés pour elles, les SCA ne peuvent pas attribuer ces marchés de gré à gré ni se prévaloir de la notion d'entreprises groupées ou liées pour se dispenser des obligations de publicité et de mise en concurrence. Ces seuils ont été respectés, sous réserve d'une divergence d'interprétation sans conséquence et aujourd'hui disparue avec la SANEF et la SAPN.

224. Les marchés des SCA supérieurs aux seuils mentionnés ci-dessus doivent être passés selon l'une des procédures formalisées suivantes :

- l'appel d'offres ouvert ou restreint ;

- la procédure négociée dans les cas prévus à l'article 33 du décret ;

- la procédure du dialogue compétitif dans les cas prévus à l'article 38 du décret (19) ;

225. Ces procédures formalisées s'accompagnent de la publication d'un avis d'appel à concurrence dans un journal spécialisé (20) assorti d'un délai incompressible pour la réception des candidatures puis des offres.

226. Si des procédures négociées ont pu être mis en œuvre, le recours à celles-ci a été très limité et toujours justifié. Les marchés concernés, qui n'était pas en majorité des marchés de travaux mais très souvent des marchés de fournitures ou de services (notamment de maîtrise d'œuvre et d'assistance à maîtrise d'ouvrage, ou très spécifiques comme l'informatique ou le déneigement), satisfaisaient bien aux exigences des articles 33 et 38 du décret précité, comme a pu le constater les CCMC. Seul un nombre réduit d'entre eux a été attribué à des sociétés liées.

227. D'une manière générale, les CCMC n'ont pas relevé d'irrégularité dans l'application des procédures de publicité et de mise en concurrence qu'elles ont eu à connaître a priori.

228. S'agissant des CCMC, elles ont été pérennisées et leur rôle a été renforcé. Il est désormais acquis, aux termes du nouvel article 6 du cahier des charges, qu'elles soient composées "en majorité de personnalités indépendantes et n'ayant aucun lien direct ou indirect avec des entreprises de travaux publics", en plus de comporter obligatoirement un représentant de la DGCCRF. Surtout, les seuils de saisine de ces CCMC ont été harmonisés et alignés sur les seuils de mise en concurrence. Toutefois, l'Autorité relève qu'elles ne disposent toujours, contrairement à la recommandation faite en 2005, que d'un pouvoir d'avis.

229. Enfin, ces commissions des marchés et, au-delà, les marchés qu'elles examinent, sont soumis au contrôle de la commission nationale des marchés des sociétés concessionnaires d'autoroutes et d'ouvrage d'art (ci-après CNM). Créée par le décret n° 2007-940 du 15 mai 2007 et prenant la suite de la commission nationale des marchés des SEMCA, la CNM a vu ses missions élargies par rapport à cette dernière. Elle contrôle désormais :

- la composition et le fonctionnement des CCMC ;

- les règles définies par les SCA pour la passation et l'exécution des marchés de travaux, de fournitures et de services ;

- le respect des règles qui leur sont applicables pour la passation et l'exécution de ces marchés.

230. En conclusion, l'Autorité constate que non seulement l'autonomie juridique et fonctionnelle des SCA a été maintenue malgré leur intégration dans les groupes Vinci et Eiffage mais qu'elles n'ont pas mis en œuvre des politiques de diversification les conduisant à intégrer dans leur périmètre d'activités propres les nombreuses activités qu'elles n'exerçaient pas auparavant. L'Autorité se félicite également que le gouvernement ait, comme le recommandait le Conseil, modifié l'article 6 de leur cahier des charges afin d'assurer la pleine effectivité des règles de publicité et de mise en concurrence, en supprimant la référence ambiguë à l'article 63 de la directive 2004-18 au profit de celle, bien plus claire, au décret n° 2005-1742 et en améliorant le fonctionnement des CCMC, dont l'avis n'a toutefois pas été rendu contraignant. Ces règles sont globalement respectées, ni l'Autorité ni la DGCCRF (membre de droit des CCMC) n'ayant relevé d'irrégularité manifeste dans leur application.

231. Il est en revanche regrettable que Cofiroute, la plus importante société concessionnaire d'autoroutes après ASF, ait continué à échapper, en pratique comme en droit, à toute obligation formelle en matière de mise en concurrence.

C. Bien que fonctionnant de manière globalement satisfaisante, les commissions consultatives des marchés des SCA ne disposent pas de toutes les informations nécessaires à leur mission

232. Hors le cas particulier de Cofiroute, le respect des obligations des SCA en matière de publicité et de mise en concurrence fait l'objet d'un double contrôle, interne et externe, respectivement par leur CCMC et par la CNM (1). Toutefois, la lecture des rapports d'activité de cette dernière met en évidence les difficultés de ce contrôle en raison, principalement, du refus de la majorité des SCA à transmettre les informations nécessaires (2). S'agissant de la CNM elle-même, celle-ci a par ailleurs souffert de dysfonctionnements internes (3).

1. Un fonctionnement globalement satisfaisant des CCMC

233. L'Autorité a obtenu la communication de l'ensemble des rapports annuels des commissions consultatives des marchés des SCA de 2007 à 2013 inclus, tels qu'ils sont également communiqués à la CNM. L'analyse de l'ensemble de ces documents a permis de constater que, globalement, les CCMC remplissent bien leur mission, dans les limites étroites toutefois de leurs attributions :

- conformément à l'article 6 du cahier des charges, les CCMC sont composées "en majorité de personnalités indépendantes et n'ayant aucun lien direct ou indirect avec des entreprises de travaux publics", incluant la présence obligatoire d'un représentant de la DGCCRF. La CNM vérifie que ces personnalités sont réellement indépendantes ainsi leur présence effective lors des séances des CCMC ;

- les CCMC sont destinataires d'informations substantielles sur les marchés qu'elles examinent, transmises généralement cinq jours avant la date de la réunion ;

- les CCMC analysent de manière approfondie les marchés dont elles sont saisies et n'hésitent pas à exiger de la SCA les informations nécessaires pour rendre un avis éclairé. C'est le cas notamment lorsqu'ASF et ESCOTA choisissent de recourir à la procédure négociée ou le dialogue compétitif ;

234. Même si les avis des CCMC ne sont pas contraignants, l'ensemble des SCA a confirmé que les avis de leur CCMC étaient systématiquement suivis, y compris lorsqu'ils étaient défavorables. Ce cas est cependant très rare puisque seuls 4 avis défavorables ont été émis par les CCMC depuis leur création et ce, pour l'ensemble des SCA. En revanche, il arrive fréquemment que l'avis favorable des CCMC soit assorti de réserves ou subordonné à des conditions ou recommandations que les SCA ont toujours respectées ou suivies.

2. La mauvaise volonté de certaines SCA à transmettre à leur CCMC les informations nécessaires

235. L'Autorité relève, avec la Commission nationale des marchés, qu'à l'exception de SANEF et SAPN, les autres SCA ne transmettent pas à leur CCMC les informations permettant de contrôler un éventuel fractionnement de leurs marchés. En effet, si les obligations de publicité et de mise en concurrence ne s'appliquent qu'à partir d'un seuil de 2 millions d'euro HT, les CCMC doivent pouvoir contrôler les marchés d'un montant inférieur à ce seuil et vérifier qu'ils ne constituent pas le fractionnement d'un marché qui aurait dû faire l'objet d'une publicité et d'une mise en concurrence. Il leur faut donc disposer de la liste des marchés d'un montant supérieur à 500 000 euro pour les travaux et 90 000 euro pour les fournitures et services. Or, comme le relève la CNM, ces SCA "estiment que leurs commissions internes des marchés ne sont compétentes que pour les marchés de travaux d'un montant supérieur à 2 millions d'euro HT et pour les marchés de fournitures et de services d'un montant supérieur à 240 000 euro HT".

236. De plus, les SCA ne transmettent pas à leur CCMC les informations relatives aux avenants dont a fait l'objet les marchés qu'elles ont examinés, alors même que leur montant parfois considérables, peuvent totalement remettre en cause l'équilibre du marché concerné.

"emplacement tableau"

237. Il ressort de ce tableau qu'ASF et ESCOTA n'ont pas changé leur pratique en matière de transmission d'avenants depuis la privatisation. SANEF et SAPN ont en revanche assoupli la leur et transmettent désormais les avenants excédant de plus de 5 % le montant initial du marché. À l'inverse, APRR et AREA qui, en 2004, transmettaient très largement leurs avenants "refusent désormais toute communication sur ce point", ce que la CNM juge "strictement contraire à la réglementation en vigueur". Toutefois, APRR a fait savoir, lors de l'instruction de l'avis, que son Président avait informé le Président de la Commission nationale des marchés, par courrier en date du 3 juin 2014, de son intention qu'APRR et AREA transmettent désormais à leur CCMC tous les avenants aux marchés de travaux d'un montant supérieur ou égal à 15 %.

3. La commission nationale des marchés n'a pas fait usage de ses pouvoirs

238. Comme l'a relevé la Cour des comptes dans son rapport précité, la commission nationale des marchés n'a jamais fait usage de ses pouvoirs, en particulier d'investigation et de publication. L'audition de son nouveau président, M. Christian Descheemaeker, lors de l'instruction de l'avis, a permis de comprendre les raisons d'une telle inactivité qui découlent de dysfonctionnements internes auxquels toutefois, sa nomination a mis fin. Il a également indiqué son souhait que la CNM fasse un plein usage de ses pouvoirs.

239. Au final, l'Autorité constate que huit ans après la privatisation des SEMCA et sept ans après l'installation des commissions des marchés des SCA et de la commission nationale des marchés, il n'est toujours pas possible à celles-ci de contrôler de manière efficace le respect de leurs obligations de publicité et de mise en concurrence, ces dernières étant par ailleurs insuffisantes pour Cofiroute. Elle remarque également, de manière incidente, que seules les deux SCA appartenant à un groupe (Abertis) qui n'a pas de filiales de travaux routiers - la SANEF et la SAPN - mettent leur CCMC et, au-delà, la CNM, en position de contrôler effectivement le respect de ces obligations.

II. Les marchés de travaux des SCA sont, pour une large part, attribués à des entreprises liées et selon des modalités discutables

240. Les groupes Eiffage et Vinci sont historiquement des groupes de travaux publics dont les filiales sont à même de candidater aux appels d'offres des SCA du groupe. En revanche, la SANEF et la SAPN appartiennent au groupe espagnol Abertis, lequel est essentiellement présent dans le secteur des concessions autoroutières (et accessoirement des télécommunications).

241. Dès lors, les enjeux concurrentiels portent essentiellement sur les marchés de travaux des SCA, dont les montants sont très élevés et qui constituent l'essentiel de l'assiette de la compensation via la hausse des tarifs des péages. Considérant l'absence de filiales directement concernées par les marchés et achats de fournitures et de services (21) comme les faibles montants en cause, l'Autorité a fait le choix de se concentrer sur les seuls marchés de travaux. Toutefois, elle ne s'est pas interdit, lorsque c'était pertinent, d'analyser également les marchés de fournitures et de services qui ont fait l'objet d'une mise en concurrence et/ou d'un examen par la CCMC.

242. L'Autorité a analysé les marchés de travaux des SCA afin de déterminer la part de ceux-ci attribués à une entreprise liée (ou à un groupement l'incluant) selon que le montant du marché est inférieur ou supérieur aux seuils de publicité et de mise en concurrence (A), Cofiroute faisant l'objet d'une analyse distincte (voir annexe 10). Ayant constaté qu'une part importante, voire prépondérante de ces marchés leur est attribuée, elle s'est intéressée aux modalités d'attribution des marchés utilisées par les SCA afin de déterminer si l'application par celles-ci de leurs obligations de publicité et de mise en concurrence avait bien permis de sélectionner l'offre la mieux-disante. Or, ces modalités sont apparues, pour certaines SCA, largement discutables (B).

243. Il convient enfin de signaler que les marchés de travaux ne représentent qu'une part réduite du chiffre d'affaires de l'industrie routière en France. Selon une étude récente de XERFI (22), le chiffre d'affaires global des entreprises du secteur s'élève à 15,035 milliards d'euro (en 2010), à rapporter aux 700 millions d'euro annuels (en moyenne et hors Cofiroute) que représentent les marchés de travaux réalisés par les SCA d'autoroutes "historiques" (soit environ 5 %). Quant aux collectivités locales (communes et départements), elles représentent plus de 50 % du chiffre d'affaires du secteur.

A. Les marchés de travaux, qu'ils soient d'un montant inférieur ou supérieur au seuil de mise en concurrence, sont fréquemment attribués à des entreprises liées aux SCA

244. Dans cette partie seront examinés les marchés de travaux des SCA (à l'exception de ceux de Cofiroute - voir annexe 10), en distinguant d'une part les achats de travaux, c'est-à-dire les travaux d'un montant inférieur au seuil de mise en concurrence (1) et d'autre part, les marchés de travaux, c'est-à-dire les travaux d'un montant supérieur à ce seuil (2).

1. Malgré l'absence d'obligation, les achats de travaux des SCA font l'objet d'une publicité et d'une mise en concurrence

245. Les obligations de publicité et de mise en concurrence, ainsi qu'il a été indiqué supra, ne s'appliquent qu'à partir d'un seuil de 2 millions d'euro HT pour les travaux et 240 000 euro HT pour les fournitures et les services. Par conséquent, les achats d'un montant inférieur à ces seuils peuvent être faits de gré à gré par les SCA selon les modalités de leur choix. Toutefois, même lorsque ce n'est pas obligatoire, il est dans l'intérêt des entreprises de mettre en concurrence leurs fournisseurs afin, notamment, d'obtenir les prix les plus bas. Interrogées sur ce point, les SCA ont toutes confirmé avoir institué des procédures de publicité et de mise en concurrence, lesquelles sont toutefois différentes (voir annexe 11).

a) Les achats de travaux d'un montant inférieur à 2 millions d'euro HT ont représenté un milliard d'euro depuis 2006

246. L'Autorité s'est attachée à vérifier la réalité de cette concurrence, en particulier si lesdits achats sont majoritairement faits auprès d'entreprises liées ou non. Elle a donc demandé aux six SCA de lui transmettre la liste de leurs achats de travaux d'un montant supérieur à 500 000 euro et inférieur au seuil de mise en concurrence (soit 2 millions d'euro), en précisant si le fournisseur était ou non une entreprise liée.

247. L'Autorité a retenu le seuil de 500 000 euro qui est également celui fixé par la Commission nationale des marchés pour la transmission, par les SCA, de la liste de leurs achats de travaux à leur CCMC afin que celles-ci puissent vérifier un éventuel fractionnement de leurs marchés afin d'échapper à leurs obligations de publicité et de mise en concurrence. Par ailleurs, la SANEF et la SAPN ne sont pas en mesure de suivre (et de transmettre) les achats d'un montant inférieur à ce seuil. Enfin, ce même seuil a été choisi par APRR et AREA pour la mise en œuvre de leurs procédures internes de publicité et de mise en concurrence.

248. Le tableau suivant retrace le nombre, regroupé par quatre années depuis 2006, de ces achats de travaux. Le choix a été fait de regrouper les achats afin de lisser les très fortes variations annuelles et permettre une comparaison pertinente entre SCA et dans le temps.

"emplacement tableau"

249. 980 achats de travaux ont été effectués par les SCA entre 2006 et 2013, lesquels se répartissent en pratique entre les différentes sociétés au prorata de leur chiffre d'affaires, ASF en rassemblant à elle seule plus d'un tiers et, avec ESCOTA, la moitié. Même si le nombre d'achats est très variable selon les deux périodes examinées et plus encore selon les années, on observe une croissance générale de ces achats de travaux pour l'ensemble des SCA. En revanche, considérant le caractère très parcellaire des informations transmises s'agissant des achats effectués avant 2006, il n'apparaît pas possible de mettre en évidence une éventuelle rupture dans la pratique des SCA consécutivement à leur privatisation.

250. Le tableau suivant retrace le montant, regroupé par quatre années depuis 2006, de ces achats de travaux d'un montant supérieur à 500 000 euro HT et inférieur au seuil de mise en concurrence :

"emplacement tableau"

251. Les achats de travaux ont donc représenté environ un milliard d'euro entre 2006 et 2013, montant qui se répartit, comme le nombre des travaux lui-même, au prorata du chiffre d'affaires des SCA, ASF et ESCOTA représentant à elles deux près de la moitié de celui-ci. Comme pour leur nombre, leur montant varie fortement selon les années (à la fois globalement et au sein de chaque SCA) en fonction de la stratégie d'investissement et des contraintes d'entretien des entreprises comme des obligations plus ou moins importantes prévues par les contrats de plan (ou le "Paquet vert"). Toutefois, même lissés sur quatre ans, on constate une augmentation générale du montant de ces achats pour l'ensemble des SCA, en particulier pour ASF et, dans une moindre mesure, ESCOTA.

252. De plus, il convient de rappeler que seuls les achats de travaux d'un montant supérieur à 500 000 euro ont été pris en compte, ceux d'un montant inférieur n'ayant pas été comptabilisés. Par conséquent, les achats de travaux pour lesquels les obligations de publicité et de mise de concurrence ne sont pas applicables représentent des montants encore plus élevés, 1029,8 millions d'euro étant le minimum.

253. L'Autorité ayant également demandé aux SCA de renseigner les objets de ces achats de travaux, elle a pu constater que ceux-ci étaient très divers mais qu'ils se rapportaient généralement à l'entretien, la rénovation et la réparation des voies et des installations qui leur ont été concédées. Ceci est cohérent avec le fait que les travaux de construction et d'élargissement, d'un montant bien plus élevé, sont généralement soumis aux obligations légales de publicité et de mise en concurrence.

b) À l'exception de la SANEF et de la SAPN, une part importante, voire prépondérante, des achats de travaux est effectuée auprès d'entreprises liées

254. L'Autorité a demandé aux SCA de renseigner si le fournisseur de ces travaux était une entreprise liée ou non, étant précisé que la SANEF et la SAPN n'appartiennent pas à un groupe incluant des entreprises de travaux publics. Très logiquement, aucun de ces achats n'est donc effectué, s'agissant de ces deux SCA, auprès d'entreprises liées.

255. Le tableau suivant retrace, en pourcentage, le nombre et le montant des achats de travaux effectués auprès d'une entreprise liée (ou d'un groupement l'incluant) :

"emplacement tableau"

256. Par conséquent, si le nombre et le montant des achats de travaux ont progressé depuis 2006 pour toutes les SCA, il est possible, s'agissant de la part attribuée à une entreprise liée (ou à un groupement l'incluant), de les classer en trois catégories qui regroupent exactement les groupes auxquels elles appartiennent :

- la SANEF et la SAPN n'appartenant pas à un groupe disposant de filiales de travaux routiers (voir supra), elles n'effectuent aucun achat de travaux auprès d'entreprises liées ;

- APRR et AREA effectuent ensemble un tiers de leurs achats de travaux (en nombre comme en montant) auprès d'entreprises appartenant au groupe Eiffage (ou de groupements les incluant), étant précisé que la part est plus importante pour AREA que pour APRR ;

- enfin, ASF et ESCOTA effectuent ensemble environ 60 % de leurs achats de travaux auprès d'entreprises appartenant, comme elles, au groupe Vinci (ou de groupements les incluant), cette part étant en forte progression depuis 2006, en particulier pour ESCOTA. S'agissant de cette dernière plus particulièrement, l'analyse annuelle de ses achats de travaux montre une hausse continue de cette part depuis 2006, celle-ci culminant à 100 % en 2013 (après 96,9 % en 2012 - en montant).

257. Par conséquent, du point de vue des entreprises tierces, l'efficacité des procédures de publicité et de mise en concurrence mises en œuvre par ASF et, surtout, par ESCOTA, apparaît plus limitée que celles des autres SCA. Toutefois, considérant l'absence de données antérieures à 2006, il n'apparaît pas possible d'affirmer que le risque d'une captation, par les groupes Vinci et Eiffage, des travaux réalisés par les SCA qui leur sont liées s'est réalisé pour ces marchés d'un montant inférieur au seuil de mise en concurrence.

258. L'Autorité tient à souligner que les pourcentages calculés supra se rapportent aux achats de travaux effectués auprès d'entreprises liées mais aussi de groupements incluant une ou plusieurs entreprises liées, lesquels peuvent, parfois, inclure des entreprises tierces. Par conséquent, la part de ces travaux réellement attribuée à des entreprises liées est nécessairement inférieure sans qu'il soit possible de la déterminer exactement. Toutefois, on observe que les cas d'achats de travaux faits auprès de groupements incluant entreprises liées et entreprises tierces sont bien moins fréquents que ceux faits auprès d'entreprises liées ou des groupements constitués exclusivement de celles-ci.

2. Après publicité et mise en concurrence, une part importante des marchés de travaux des SCA sont attribués à des sociétés liées

a) Les marchés de travaux représentent 4,5 milliards d'euro depuis 2006

259. Depuis 2009, la Commission nationale des marchés, dans son rapport annuel, analyse la part que représentent les entreprises liées dans les attributaires des marchés de travaux des SCA, en leur demandant de renseigner cet indicateur et de le porter à la connaissance de leur CCMC. L'Autorité a approfondi cette analyse en incluant les éventuels avenants et en remontant jusqu'à 2002 afin de mettre en évidence un éventuel changement dans l'attribution des marchés des SCA après leur privatisation en 2006. Toutefois, considérant l'ancienneté des données antérieures à 2006, en particulier celles de 2002 et 2003, les SCA ont souligné le fait qu'elles pouvaient ne pas être exhaustives.

260. Le tableau suivant retrace le nombre, depuis 2002, des marchés de travaux de chaque SCA ayant fait l'objet d'une mise en concurrence, étant précisé que chaque marché peut comporter plusieurs lots (chaque lot comptant pour un marché) (23). Afin de lisser les très fortes variations annuelles, comme pour les achats de travaux (voir supra) les données ont été regroupées sur quatre années.

"emplacement tableau"

261. Le tableau suivant retrace le montant, incluant les avenants, des marchés de travaux de chaque SCA ayant fait l'objet d'une mise en concurrence (24).

"emplacement tableau"

262. Comme pour les achats de travaux, les marchés de travaux d'une SCA sont logiquement d'autant plus nombreux et représentent un montant d'autant plus élevé que le chiffre d'affaires de celle-ci est important. En outre, si des fortes variations en nombre et en montant de travaux sont observées selon les années et les SCA, elles reflètent la stratégie d'investissement de l'entreprise et/ou les investissements des contrats de plan (ou du "Paquet vert"). D'une manière générale, quelles que soient les périodes, le montant comme le nombre des marchés de travaux évoluent très différemment selon les SCA.

263. Au total, les marchés de travaux des SCA soumis à obligations de publicité et de mise en concurrence ont représenté, entre 2006 et 2013, un montant total d'environ 4,5 milliards d'euro, à comparer au milliard d'euro qu'ont représenté les achats de travaux. Par conséquent, seule une part minoritaire des travaux des SCA (20 %) échappent aux obligations de publicité et de mise en concurrence (25).

b) La part des marchés attribués à une société liée a évolué différemment selon les SCA depuis la privatisation

264. Le tableau suivant récapitule le pourcentage, en nombre, des marchés de travaux attribués de 2002 à 2013 par les SCA à une entreprise liée (ou un groupement incluant une entreprise liée) :

"emplacement tableau"

"emplacement tableau"

265. Il apparaît ainsi clairement que la part (en nombre) de marchés de travaux attribués à une entreprise liée (ou à un groupement l'incluant) a augmenté depuis la privatisation pour l'ensemble des SCA acquise par Vinci et Eiffage et, en particulier pour ESCOTA.

266. L'analyse du nombre de marchés de travaux attribués à une entreprise liée doit cependant être complétée par celle des montants. Sur ce point, l'Autorité tient à nouveau à souligner que cette analyse concerne les marchés de travaux attribués à des entreprises liées ainsi qu'à des groupements incluant une ou plusieurs entreprises liées - mais aussi, parfois, des entreprises tierces. Par conséquent, la part de ces travaux réellement attribuée à des entreprises liées est nécessairement inférieure sans qu'il soit possible de la déterminer exactement. Toutefois, on observe que les cas de marchés attribués à de groupements incluant entreprises liées et entreprises tierces sont bien moins fréquents que ceux attribués à des entreprises liées ou des groupements constitués exclusivement de celles-ci.

"emplacement tableau"

"emplacement tableau"

267. L'analyse en montant des marchés de travaux des SCA conduit donc à renforcer dans une large mesure le constat précédent :

- pour ASF et ESCOTA, les marchés (en montant) attribués à une entreprise liée (ou à un groupement l'incluant) sont bien plus importants qu'en nombre, ce qui signifie que ce sont les marchés de travaux d'un montant unitaire élevé qui leur sont principalement attribués. En revanche, on n'observe pas un tel décalage pour APRR et AREA ;

- pour AREA et surtout, pour ESCOTA on observe que l'augmentation en nombre des marchés attribués à une entreprise liée (ou à un groupement l'incluant) se confirme pour le montant. Pour cette dernière, cette part est passée en quelques années de 3 % (2002-2005) à 58 % (2010-2013). On peut donc affirmer, malgré les limites indiquées infra (§268), que la privatisation a entraîné une très forte augmentation de cette part pour ces deux SCA ;

- toutefois, globalement, en montant, la part des marchés de travaux attribuée à une entreprise liée (ou à un groupement l'incluant) n'a pas augmenté de manière significative depuis la privatisation. En effet, cette part a légèrement augmenté pour ASF/ESCOTA et est en baisse pour APRR/AREA si bien qu'au niveau global, elle est un peu inférieure à ce qu'elle était avant la privatisation.

268. Il convient néanmoins de souligner les limites qui peuvent affecter la comparaison avant et après la privatisation. Vinci était actionnaire (minoritaire) d'ASF depuis 2002, et ces deux sociétés étaient liées par un accord de coopération industrielle depuis juin 2004 (26). De plus, toutes les SCA ont fait part du manque d'exhaustivité des données antérieures à la privatisation, en particulier pour les années les plus anciennes (2002 et 2003). Enfin, si l'Autorité a pu contrôler les données postérieures à 2006, en raison de l'existence des CCMC, elle n'a pu le faire pour celles des années antérieures.

c) Les parts de marché de Vinci et Eiffage dans les marchés de travaux attribués par des SCA qui ne leur sont pas liées

269. À partir des données transmises par les SCA, l'Autorité a analysé si la part des marchés de travaux remportés par Vinci aux appels d'offres d'ASF et d'ESCOTA se retrouvait dans les appels d'offres des autres SCA. En effet, du point de vue de Vinci et de ses filiales, les marchés de travaux des autres SCA sont largement identiques, dans leur nature et leur ampleur, à ceux passés par ASF et ESCOTA. Elles n'ont donc pas de raison de privilégier les appels d'offres des SCA qui leur sont liées ni celles-ci privilégier les sociétés du groupe Vinci. Une part de marché comparable devrait donc être observée pour Vinci dans les appels d'offres des SCA non liées. Pour les mêmes raisons, la même analyse a été faite s'agissant des marchés remportés par Eiffage attribués par les SCA qui ne lui sont pas liées.

270. Le tableau suivant retrace la part, en nombre et par SCA, des marchés de travaux attribués à Vinci et Eiffage de 2006 à 2013 (27) :

"emplacement tableau"

271. Il ressort très clairement de ce tableau que la part des marchés de travaux attribués à des filiales de Vinci et, surtout, d'Eiffage par les SCA qui leur sont liées ne se retrouvent pas dans les marchés attribués par les autres SCA. De même, on observe que s'agissant des marchés attribués par la SANEF et la SAPN, la part que représentent les deux "majors" du BTP que sont Vinci et Eiffage est relativement réduite.

272. Le fait que Vinci et d'Eiffage candidatent ou non aux marchés des différentes SCA ne semble pas, à lui seul, expliquer des variations aussi importantes de la part des marchés qui leur est attribuée selon que la SCA leur est liée ou non.

273. En conclusion, s'agissant de la part des marchés de travaux des SCA attribués à une entreprise liée (ou à un groupement l'incluant), l'Autorité fait les constats suivants :

- entre 2006 et 2013, environ 35 % en moyenne des marchés de travaux ont été attribués à une entreprise liée (ou un groupement l'incluant) par les SCA appartenant à Vinci et Eiffage, soit une proportion très supérieure à celle que l'on observe pour les marchés attribués par les SCA qui ne leur sont pas liées. En montant, cette part, qui est stable pour APRR et AREA, monte à plus de 50 % pour ASF et ECOTA, mettant en évidence que ce sont principalement les marchés d'un montant unitaire élevé qui sont attribués à des sociétés liées à Vinci ;

- l'évolution de cette part entre la période 2002-2005 et la période 2006-2013 fait apparaître des évolutions inverses selon les SCA. Alors qu'elle a diminué pour ASF et pour APRR, elle a fortement augmenté pour AREA et ESCOTA, à la fois en nombre et en montant. Pour cette dernière société, elle a été multipliée par 15, passant de 3 % à 47,7 %.

- enfin, en raison de ces évolutions inverses, sous réserve des limites rappelées supra (voir §268), la part globale des marchés de travaux attribuée à une entreprise liée (ou un groupement l'incluant) n'a que légèrement progressé depuis la privatisation.

B. Les choix faits par les SCA dans l'application de leurs obligations de mise en concurrence sont discutables

274. Les SCA attribuent une part importante voire prépondérante de leurs marchés de travaux à des sociétés qui leur sont liées. Toutefois, ce fait n'est pas contestable en lui-même. Les obligations de publicité et de mise en concurrence n'ont pas pour objet de sanctuariser la part de marché des entreprises non liées mais de s'assurer que les SCA attribuent leurs marchés selon une procédure transparente et non-discriminatoire permettant de sélectionner l'offre la mieux-disante en application des critères retenus.

275. Or, les obligations de publicité et de mise en concurrence forment un cadre à l'intérieur duquel les SCA ont toute liberté, sous le contrôle du juge administratif, pour définir leurs modalités d'application, lesquelles peuvent varier considérablement.

276. Ainsi, le critère prix peut être sous-pondéré ou, au contraire, surpondéré dans la note globale attribuée à une offre (1). De même, les formules utilisées pour noter le prix peuvent neutraliser le critère prix ou, à l'inverse, aboutir à exacerber dans la notation tout écart de prix, même minime, entre les offres (2). Considérant la jurisprudence administrative en la matière, la légalité de certaines des pratiques des SCA apparaît de ce fait douteuse (3).

1. La sous-pondération du critère prix accroît la subjectivité des notes

277. Aux termes de l'article 25 du décret du 30 décembre 1995 précité, inspiré de l'article 53 du Code des marchés publics, "pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde :

- soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment le délai de livraison ou d'exécution, le coût global d'utilisation, la rentabilité, la qualité, le caractère esthétique et fonctionnel, les caractéristiques environnementales, la valeur technique ;

- soit, compte tenu de l'objet du marché, sur le seul critère du prix".

278. Par ailleurs, "les critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation sont indiqués dans l'avis d'appel à concurrence ou dans les documents de la consultation".

279. Par conséquent, les SCA ont le choix tant des critères à partir desquels seront évaluées les offres que de la pondération de ceux-ci. Or, il apparaît que cette dernière est très variable selon les sociétés (a), la sous-pondération du critère prix se traduisant par une surpondération de la valeur technique dont l'évaluation est beaucoup plus subjective (b).

a) Une pondération du critère prix très variable pour des marchés similaires

o L'ensemble des SCA, à l'exception d'ESCOTA, donne une place prépondérante au prix pour la notation des offres

280. D'une manière générale, l'analyse de l'intégralité des marchés de travaux attribués par les SCA depuis 2007 montre que celles-ci utilisent toujours deux critères : le prix et la valeur technique de l'offre. Parfois, dans de rares cas, ces deux critères sont complétés par d'autres critères notamment le délai.

281. S'agissant de la pondération respective de ces deux critères principaux, il ressort clairement de la même analyse que les SCA, à l'exception d'une seule, utilisent dans une très large majorité une pondération à 60 % ou plus de la note totale pour le prix et à 40 % ou moins pour la valeur technique de l'offre, comme le montre le tableau suivant (qui rapporte le nombre de marchés ayant cette pondération au nombre total de marchés) :

"emplacement tableau"

282. En effet, à l'inverse de toutes les autres SCA, y compris l'autre SCA du groupe VINCI - ASF, ESCOTA sous-pondère de manière particulièrement flagrante le critère prix dans la quasi-totalité de ses marchés de travaux (mais également de fournitures et de services) depuis 2007 : moins de 9 % de ces derniers présentent une pondération du critère prix égale ou supérieure à 60 % de la note globale. En particulier, alors qu'une part importante des marchés de travaux d'ASF, notamment les marchés récurrents de réfection et de rechargement de chaussées, sont notés selon le critère unique du prix (ou, dans de rares cas, pondéré à 70 %), pas un seul marché de travaux d'ESCOTA n'a été attribué sur le seul critère du prix depuis 2007 et la pondération de celui-ci n'a jamais dépassé 65 %.

283. Or, s'il est possible d'admettre que certains marchés puissent présenter des particularités, justifiant une pondération différente des critères, il n'en reste pas moins que sur une période suffisamment longue (en l'espèce sept années), il serait normal de trouver, pour des entreprises exerçant exactement la même activité et réalisant les mêmes types de travaux, une pondération proche du critère prix pour l'ensemble des marchés de travaux, sauf à démontrer qu'une société est dans une situation différente.

284. Interrogés sur la pondération mise en œuvre par ESCOTA dans ses appels d'offres, tant lors de leur audition comme lors de la séance, les représentants de Vinci Autoroutes ont insisté sur certaines particularités du réseau d'ESCOTA qui, situé principalement en zones urbanisées ou accidentées, comporte de nombreux ouvrages d'art comme des tunnels. Toutefois, ces explications apparaissent peu convaincantes. D'ailleurs, la CCMC d'ESCOTA a plusieurs fois souligné la faible pondération du critère prix (28), l'un de ses membres concluant, lors de la séance du […], pour lequel le critère du prix était pondéré à 30 %, que "nous sommes allés trop loin dans le faible poids final du prix".

285. À l'inverse, la pratique d'ASF d'utiliser le critère unique du prix pour un certain nombre de marchés complexes, notamment ceux touchant à des ouvrages d'art (29) a suscité des critiques de la part de certaines autres SCA qui ont pu juger "inconcevable" que le maître d'œuvre s'interdise d'apprécier, en tant que telle, la valeur technique d'une offre au-delà de sa seule conformité au cahier des charges.

o Les sous-critères du critère prix, parfois étrangers au prix lui-même, conduisent à réduire encore le poids du prix dans la note finale d'une offre

286. Ainsi qu'il a été dit, s'il y a généralement deux critères pour évaluer une offre - le prix et la valeur technique, ces critères sont eux-mêmes subdivisés en plusieurs sous-critères permettant une notation plus précise. ESCOTA utilise ainsi régulièrement un sous-critère du prix qui est "la cohérence entre le prix, les sous-détails des prix, les moyens mis en œuvre et les délais envisagés".

287. Il est normal que les SCA, comme n'importe quelle entreprise recourant à un appel d'offres, notent la cohérence du prix et des sous-détails du prix avec les moyens mis en œuvre et les délais envisagés, afin d'apprécier dans quelle mesure le prix bas d'une offre, sans être anormalement bas, ne fera pas peser un risque disproportionné sur la qualité des travaux concernés. Toutefois, si la valeur technique d'une offre doit ainsi être évaluée à travers son prix, il est logique que ce soit par un sous-critère du critère valeur technique et non par un sous-critère du critère prix. L'Autorité observe d'ailleurs que dans les appels d'offres des autres SCA, y compris ceux d'ASF, le critère du prix n'est jamais complété par des sous-critères, faisant ainsi l'objet d'une notation globale.

288. Par conséquent, l'utilisation par ESCOTA de sous-critères du critère prix étrangers au prix lui-même conduit à réduire le poids du critère prix dans la note finale. Si celui-ci en représentait 60 % ou plus, comme dans le cas d'ASF, l'influence de ces sous-critères serait limitée. On peut même considérer qu'ils viennent amoindrir la surpondération très forte du critère prix généralement mise en œuvre par cette SCA. En revanche, lorsque ce dernier est pondéré à 40 % ou moins, comme c'est quasi systématiquement le cas dans les appels d'offres d'ESCOTA (voir supra), ces sous-critères aggravent encore la sous-pondération du prix dans la note finale.

b) Le critère valeur technique est d'une appréciation subjective

289. La sous-pondération du critère prix dans les appels d'offres d'ESCOTA a pour conséquence de donner une importance majeure au critère valeur technique. Or, sous réserve de l'utilisation de méthode de notation du prix contestable (voir infra), une offre moins chère obtient généralement une note meilleure qu'une offre plus chère. La notation est objective et ne se prête pas à interprétation, au contraire de la valeur technique.

290. Certains critères sont subjectifs par nature. Par exemple, pour le marché […], la valeur technique comptait pour 45 points (sur 100) dont 12 points pour l'aspect architectural et 5 pour la qualité des aménagements paysagers et faunistiques. L'un des membres de la commission a ainsi relevé que "la note attribuée en architecture joue un rôle très important [et qu'il] aurait, personnellement, attribué les notations à l'inverse", ce qui "démontre le caractère subjectif de cette notation". Un autre membre a également souligné que "ce sont les notes techniques et architecturales qui ont fait la différence et que ceci reste très subjectif".

291. Toutefois, au-delà des critères eux-mêmes subjectifs, relativement rares, c'est l'ensemble des critères et sous-critères de la valeur technique qui peuvent être évalués subjectivement, comme le montrent clairement les compte-rendu des débats des CCMC. Ainsi, s'agissant du marché […], l'un des membres de la CCMC d'ASF a relevé que "les écarts de notation relatifs aux sous-critères techniques ne sont pas clairement explicités dans les documents du maître d'œuvre", ce qui est regrettable compte tenu du fait que "la cotation des critères techniques résultant d'une appréciation peut ne pas être partagée par tous". De même, pour le marché d'ESCOTA relatif à […], l'un de ses membres a estimé que "le rapport aurait gagné à clarifier certaines notations pour lever quelques incompréhensions de lecture, par exemple sur le critère environnemental : l'écart entre [X] et [Y] est peu explicite dans la mesure où le commentaire est identique alors que les notes sont différentes". Enfin, s'agissant du marché […], les membres de la CCMC ont souligné "le caractère ridicule de la notation technique effectué par le maître d'œuvre [et estimé] la précision des notes totalement illusoire", ajoutant qu' "il est difficile d'apprécier la bonne corrélation entre certaines notes et leurs commentaires associés dont certains sont rédigés de manière très succincte [soulignements ajoutés]".

292. Enfin, les critères techniques peuvent, par eux-mêmes, lorsqu'ils sont inutilement stricts, conduire à écarter des offres moins-disantes. Ainsi, les offres présentées par les entreprises pour le marché de […], ont été notamment évaluées sur la base d'un critère de recyclage pondéré à 20 %. Or, selon les débats de la CCMC, il conviendrait "de ne pas être aussi strict sur les références des entreprises, du fait du faible nombre de chantiers de recyclage similaires déjà réalisés en France et de la difficulté qui en résulte à trouver des prestataires ayant déjà travaillé sur l'ensemble des chaussées susceptibles d'être traités par recyclage avec les différentes formulations et taux de recyclage possibles. Cette définition trop stricte de critère conduit à écarter la solution variante proposée par [X] qui était financièrement plus intéressante et qui concourrait à l'objectif de développement durable de la société [soulignement ajouté]".

2. Les formules de notation du critère prix, également très variables selon les SCA, ne donnent pas nécessairement la meilleure note au moins-disant

293. A priori, le prix semble l'élément le plus objectif à noter dans le cadre d'un appel d'offres. En effet, dans la mesure où une formule de notation a été établie par avance et qu'est respectée par le maître d'œuvre, il n'existe pas de contestation possible concernant la note attribuée à un candidat - à la différence des notes techniques qui, jusque dans leurs sous-détails, font parfois l'objet de contestations. Or, il apparaît que ce n'est pas le cas et que, selon la formule retenue, la note donnée à une même offre pourra fortement varier. En pratique, s'agissant des SCA, l'Autorité a relevé qu'elles utilisent toutes des formules différentes qui peuvent être regroupées en trois catégories qui, pour des raisons diverses, apparaissent également contestables.

a) Les méthodes qui augmentent la sensibilité de la note à tout écart de prix entre les offres (ASF, APRR et AREA)

o Les formules linéaires augmentant la sensibilité de la note aux écarts de prix

294. ASF utilise une formule de notation du critère prix qui se caractérise par une forte dégressivité de la note associée au prix, beaucoup plus forte que celle découlant d'une formule linéaire classique. En prenant comme exemple un marché pour lequel six offres comprises entre 100 et 200 ont été présentées, les notes de celles-ci, calculées selon cette formule, s'établissent comme suit :

"emplacement tableau"

295. ASF a utilisé cette formule dans de nombreux marchés de travaux comme le marché de […]. Dans ce marché, l'application de la formule a entraîné une note 0 pour 8 offres sur les 11 examinées. Par conséquent, celle-ci a pour conséquence que :

- l'offre la moins-disante bénéficie d'un avantage qui est irrattrapable par ses concurrents sur les autres critères ; en effet, le critère technique est la plupart du temps divisé en sous-critères, sur lesquels les notes sont plus resserrées (peu de candidats obtiennent une note de 0, peu également obtiennent la note maximale) ;

- les autres offres, bien que d'un montant différent, peuvent avoir la même note : 0.

296. Cette formule de prix conjugue donc deux défauts qui sont l'exacerbation de la notation à tout écart de prix et la neutralisation du critère prix pour les offres 17 % plus élevées que l'offre la moins-disante. Lorsqu'elle se combine à une pondération du critère prix à 60 % ou plus, ce qui est généralement le cas pour les marchés d'ASF, l'attribution se fait quasi systématiquement au moins-disant, quelle que soit par ailleurs la qualité technique de l'offre (qui est cependant par définition conforme au cahier des charges).

o Les formules paraboliques augmentant la sensibilité de la note à l'écart de prix 297. Contrairement à ASF qui utilise une formule linéaire, APRR et AREA utilisent toutes les deux une formule parabolique dont les effets sont identiques, quoique bien moins prononcés. En reprenant la même hypothèse de six offres comprises entre 100 et 200, les notes de celles-ci, calculées selon cette formule, s'établissent comme suit :

"emplacement tableau"

298. Cette formule est utilisée systématiquement par APRR et AREA pour leurs marchés de travaux. Comme celle d'ASF, elle exacerbe les écarts de notation pour les écarts de prix au bénéfice de l'offre la moins-disante mais dans une proportion bien moindre que cette dernière et n'aboutit jamais à donner une note de zéro.

b) Des méthodes de notation du critère prix qui ne donnent pas nécessairement la meilleure note à l'offre la plus basse (ESCOTA)

299. Dans son analyse des marchés de travaux, l'Autorité a également pu constater que deux formules de prix utilisées par ESCOTA avaient pour conséquence que l'offre la plus basse n'obtenait pas - et ne pouvait obtenir - la note la plus élevée.

o La méthode des quartiles

300. Cette méthode a été utilisée par ESCOTA jusqu'au premier semestre 2011. En reprenant la même hypothèse de six offres comprises entre 100 et 200, incluant une estimation à 150, les notes de ces offres, calculées selon cette formule, s'établissent comme suit :

"emplacement tableau"

301. La formule des quartiles ainsi appliquée ne donne pas la meilleure note à l'offre la moins-disante et, d'une manière générale, neutralise les écarts de prix, comme le montre la note obtenue par les offres à 110 et 125. C'est ainsi que, par exemple, pour un marché des […], l'offre la moins-disante et la plus chère ont obtenu quasiment la même note.

o La méthode du barycentre

302. Cette méthode a été utilisée à plusieurs reprises par ESCOTA après l'abandon de la méthode des quartiles et jusqu'au premier semestre 2012. En reprenant la même hypothèse de six offres comprises entre 100 et 200 et d'une estimation du maître d'œuvre à 150, les notes, calculées selon cette formule, s'établissent comme suit :

"emplacement tableau"

303. Il apparaît donc clairement qu'ainsi appliquée, cette formule du barycentre ne donne pas, à l'instar de la formule des quartiles, la meilleure note à l'offre la plus basse. Elle privilégie l'offre qui se rapproche le plus de la moyenne des offres. On observe en outre qu'une offre 50 % plus élevée que l'offre la moins-disante peut obtenir une note supérieure. Cette méthode aboutit en pratique, comme dans l'exemple théorique, à ce qu'une offre à […] obtienne la même note qu'une offre à […] (30). De même, dans un autre marché, l'offre la moins-disante ([…]) a même obtenu une note plus basse qu'une offre 50 % plus chère ([…]) (31).

304. Pour reprendre les termes d'un des membres de la CCMC d'ESCOTA, la méthode du barycentre est "une méthode aberrante conduisant à un résultat aberrant" [soulignement ajouté], avec pour conséquence que "le critère prix à 50 % joue à l'encontre des intérêts du maître d'ouvrage puisque c'est le meilleur en termes de prix qui perd" (32). Le PDG d'ESCOTA lui-même, lors de l'examen par la CCMC […] a reconnu que "le côté pervers de cette méthode en cas de faible nombre de concurrents" [soulignement ajouté].

305. La méthode des quartiles comme la méthode du barycentre, bien que différentes, ont exactement le même effet : elles ne donnent pas la meilleure note à l'offre la moins-disante, si bien que le marché peut être attribué entre deux offres de qualité identique, à l'offre la plus chère. En d'autres termes, elles neutralisent complètement le critère prix, censé être le critère le plus objectif, au bénéfice du critère de la valeur technique alors même qu'il a été démontré supra que la notation de celui-ci est très subjective.

306. Dans le cas d'ESCOTA, le choix de ces formules, qui ne sont d'ailleurs pas systématiquement utilisées, s'ajoute à une sous-pondération quasi-systématique et inédite parmi les SCA du critère prix (voir supra §285).

307. Confrontée aux critiques de sa CCMC, ESCOTA a justifié ces méthodes par sa volonté d'écarter les offres anormalement basses et, ainsi, d'éviter des problèmes dans l'exécution du marché. Cependant, ces deux méthodes ont été abandonnées, pour les mêmes raisons tenant à leur complexité et à la pénalisation excessive qu'elles entraînaient pour les offres extrêmes. Depuis le deuxième semestre 2012 est appliquée une nouvelle méthode linéaire bien plus simple et cohérente puisqu'elle aboutit à donner la note la plus élevée à l'offre la plus basse :

"emplacement tableau"

308. Désormais, pour détecter et écarter les offres anormalement basses, ESCOTA considère qu'une offre inférieure de 60 % à l'estimation du maître d'œuvre (ou à la moyenne des autres offres) ne sera pas recevable.

c) La méthode attribuant des notes négatives (SANEF et SAPN)

309. Enfin, la SANEF comme la SAPN ont utilisé une formule contestable sur un point autre que les précédentes. En effet, les offres n'étaient pas notées par comparaison entre elles mais par rapport à l'estimation du maître d'œuvre conduisant parfois à des notes négatives. La SANEF et la SAPN présentent en outre la particularité de noter le critère prix sur 5. En reprenant la même hypothèse de six offres comprises entre 100 et 200, incluant une estimation du maître d'ouvrage à 150, les notes de celles-ci, calculées selon cette formule, s'établissent comme suit :

"emplacement tableau"

310. On remarque qu'avec cette formule, une offre égale à l'estimation du maître d'ouvrage obtient une note égale à 0 et toute offre supérieure à l'estimation une note négative, chaque note, y compris celle de l'offre la moins-disante, étant toujours particulièrement faible.

311. Cette méthode contribue à rendre les écarts de prix moins discriminants. En effet, même pondéré à 80 %, le critère prix n'est au final pas déterminant dans la mesure où la méthode ne permet pas d'avoir un éventail de notes très large. Pour ne prendre qu'un exemple, celui du marché de la […], lorsqu'on additionne les notes des différents critères, la note du prix est inférieure aux autres notes réunies, qui ne sont pourtant censées représenter que 20% de la note finale.

312. Toutefois, SANEF a modifié à compter de 2013 sa formule de notation du prix. Cette nouvelle formule permettra d'éviter l'attribution de notes négatives dans la quasi-totalité des cas : seules les offres dont le montant excéderait la somme de l'offre la plus basse et de l'estimation pourraient être notées en-dessous de zéro. Toutefois, SANEF n'a pas remis en cause le fondement de sa formule de calcul (qui intègre par ailleurs l'estimation), mais s'est contentée de la modifier afin de rendre impossible en pratique (mais pas en théorie) l'attribution d'une note négative. Surtout, elle ne change rien au fait qu'avec une telle formule, le critère prix est faiblement discriminant.

313. En conclusion, il est frappant de constater que la même offre, comparée à la même offre moins-disante, aura une note très différente pour le critère prix selon la méthode de notation choisie par la SCA. S'il n'appartient pas à l'Autorité de recommander l'application de telle ou telle formule de notation du critère prix, elle considère que les SCA pourraient utilement s'inspirer du guide des bonnes pratiques, publié par la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances. Celui-ci indique en effet que "le critère du prix est probablement le plus neutre des critères. Cependant le choix de la formule de révision de prix et des variables qui la composent permet très largement de renforcer ou d'affaiblir l'impact de ce critère. Il faut également être attentif à la façon dont la notation restitue les écarts de prix et veiller à ne pas les amplifier". C'est pourquoi il recommande que les offres soient "comparées entre elles et non par rapport à l'estimation de prix effectuée par l'acheteur" (33).

3. La légalité douteuse de la pondération du critère prix et des méthodes de notation de celui-ci

314. Si le critère unique du prix est autorisé par l'article 24 du décret du 30 octobre 2005 précité, l'Autorité a pu constater que seul ASF l'utilise très fréquemment pour ses marchés de travaux. APRR et AREA l'ont très rarement utilisé, préférant une pondération à 60% du prix. Quant à SANEF et SAPN, elles ont utilisé le critère unique du prix pour quelques marchés, mais généralement, le pondèrent à 70 % ou 80 %

315. Or, selon la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances, "le prix ne peut être retenu comme critère unique […] que s'il est justifié par l'objet du marché. Ce sera le cas, par exemple, pour des produits simples et standardisés (acquisition de carburant…) répondant à des normes qui évitent l'appréciation qualitative par l'acheteur, tous les produits répondant à la norme". En revanche, "il est exclu de se limiter au critère du prix pour l'attribution de prestations présentant un certain caractère de complexité ou de technicité, travaux notamment".

316. C'est ainsi que le Conseil d'État a confirmé, dans son arrêt du 6 avril 2007 Département de l'Isère, la décision du juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble d'annuler la procédure de passation du marché relatif à la construction d'une route départementale incluant la construction d'un barreau de liaison, d'un carrefour giratoire et d'un ouvrage d'assainissement, lequel avait été attribué sur le seul critère du prix sans tenir compte de la complexité des travaux.

317. Si des marchés de réfection de chaussées peuvent justifier le critère unique du prix, c'est moins le cas pour les marchés de construction, en particulier d'ouvrage d'art. Or, ASF a choisi le critère unique du prix pour des marchés aussi complexes que […] ou des travaux de […].

318. L'Autorité s'interroge également sur la légalité de certaines formules de notation du critère prix. Ainsi, dans son arrêt du 29 octobre 2013 Département du Val-d'Oise, le Conseil d'État a considéré que "la méthode de notation du critère prix doit permettre d'attribuer la meilleure note au candidat ayant proposé le prix le plus bas ; que le juge des référés a relevé, sans commettre d'erreur de droit ni dénaturer les pièces du dossier, que la méthode retenue par Val-d'Oise Habitat pour noter le critère du prix avait pour effet d'attribuer la note la plus faible au candidat ayant présenté le prix le plus éloigné de l'estimation du coût de la prestation par le maître d'œuvre, que ce prix soit inférieur ou supérieur à l'estimation et, ainsi, avait eu pour conséquence d'attribuer la note maximale à la société attributaire du marché, alors même que sa proposition de prix était supérieure à celle de sa concurrente [soulignement ajouté]. A donc été sanctionné par le juge administratif une méthode de prix qui notait le critère prix à partir de l'estimation du maître d'œuvre.

319. De même le juge a-t-il sanctionné une méthode de notation du critère prix aboutissant, comme la méthode du barycentre utilisée par ESCOTA, à réduire les écarts de notation entre les offres. La CAA de Nantes a en effet, dans son arrêt du 19 septembre 2013 Commune de Belleville-sur-Loire, jugé que "la méthode d'appréciation du prix avait pour effet de réduire de manière importante la portée du critère prix dans l'appréciation globale des offres dès lors que les écarts entre les prix étaient pour une grande part neutralisés […]. Qu'en retenant une telle méthode d'appréciation des offres, la commune doit ainsi être regardée comme ayant, pour les quatre lots en cause, méconnu les règles de la concurrence et le principe d'égalité entre les candidats".

320. Enfin, il a été relevé supra (§309) que la SANEF a utilisé une méthode de notation du critère prix aboutissant à donner une note négative à l'un des candidats. Or, le Conseil d'État, dans son arrêt du 18 décembre 2012 Département de la Guadeloupe, a sanctionné une méthode de notation du critère prix aboutissant à une note négative car "une telle note, en soustrayant aux notes obtenues sur les autres critères dans le calcul de la note globale serait susceptible de fausser la pondération relative des critères initialement définie et communiquée aux candidats". 321. Par conséquent, il n'est pas certain que les méthodes de notation du prix utilisées par les SCA auraient été validées par le juge administratif si leurs marchés avaient fait l'objet de recours. Toutefois, ainsi qu'il sera indiqué infra, les appels d'offres des SCA ont très rarement fait l'objet de recours, et encore moins d'annulations.

322. En conclusion de cette partie relative à l'application, par les SCA, de leurs obligations de publicité et de mise en concurrence, l'Autorité fait un triple constat :

- les SCA sont allées au-delà des obligations légales, réglementaires et contractuelles en instituant d'elles-mêmes des procédures de publicité et de mise en concurrence pour leurs achats de travaux d'un montant inférieur à 2 millions d'euro HT et leurs achats de fournitures et de services d'un montant inférieur à 240 000 euro HT ;

- toutefois, malgré ces procédures, qui sont par ailleurs différentes selon les sociétés, une part importante, voire prépondérante des achats de travaux sont réalisés auprès d'une entreprise liée (ou d'un groupement l'incluant), quoique dans une proportion variable selon les SCA Le même constat peut être fait pour les marchés de travaux d'un montant supérieur au seuil de mise en concurrence. C'est ainsi qu'entre 2006 et 2013, en montant, APRR et AREA ont attribué 30,9 % à une entreprise liée à Eiffage (ou un groupement l'incluant), cette part montant à 54,2 % pour ASF et ESCOTA et 100 % pour Cofiroute, cette SCA n'étant pas soumise aux mêmes obligations de mise en concurrence ;

- enfin, les modalités utilisées par certaines SCA pour attribuer leurs marchés, bien qu'elles respectent formellement les règles applicables, ne leur permettent pas, en pratique, de sélectionner la mieux-disante, notamment parce qu'elles utilisent des formules de notation du prix contestables dont la légalité est par ailleurs douteuse. De toutes les SCA, c'est pour ESCOTA que l'Autorité a constaté l'utilisation de formules les plus contestables, lesquelles se sont ajoutées à une sous-pondération manifeste du critère prix dans ses appels d'offres encore renforcée par des sous-critères étrangers au prix.

III. Bien que sans effet direct sur le tarif des péages, les pratiques des SCA aggravent les risques concurrentiels inhérents à leur appartenance à des groupes de travaux publics

323. Le choix de la procédure restreinte comme les pratiques mises en œuvre par les SCA en matière de pondération du critère prix et de notation de celui-ci sont susceptibles de renchérir le prix de leurs travaux en réduisant l'intensité concurrentielle, en favorisant les ententes entre les concurrents, en ne permettant pas, à qualité égale, de choisir l'offre la moins chère (A). Ces risques concurrentiels s'ajoutent à ceux inhérents à l'appartenance des SCA à un groupe de travaux publics (B).

324. Toutefois, considérant le mécanisme de compensation des investissements prévus dans le cadre des contrats de plan, qui repose exclusivement sur une estimation ex-ante de leurs coûts, ces pratiques, pour contestables qu'elles puissent être, n'ont pas d'effet direct sur les tarifs des péages (C).

A. Les pratiques mises en œuvre par les SCA dans leurs appels d'offres sont susceptibles de renchérir le prix de leurs travaux

325. En préalable, l'Autorité souligne que tant le choix de l'appel d'offres restreint que la pondération du critère prix ou les méthodes de notation de celui-ci utilisées par les SCA sont, en l'absence de décision contraire du juge administratif sur les marchés concernés, légales. Il n'en reste pas moins que, du strict point de vue de l'analyse concurrentielle, elles présentent trois risques qui, bien que très différents, sont tous susceptibles de renchérir le prix payé par les SCA pour leurs travaux.

1. La procédure restreinte, conjuguée à la pratique des groupements, a des effets concurrentiels ambivalents

326. Bien que les SCA soient, en application de l'article 28 du décret du 30 décembre 2005, libres de choisir une procédure ouverte ou restreinte, le choix de l'appel d'offres restreint (AOR) est de nature, par lui-même, à limiter la concurrence pour les marchés concernés.

327. Interrogées sur ce choix privilégié de l'appel d'offres restreint, elles l'ont toutes justifié par la nature même des marchés concernés qui exigent une qualification technique particulière et des savoir-faire éprouvés. Comme l'explique par exemple ASF, "les travaux portent sur des objets de grande envergure soumis à de fortes contraintes de trafic et de sécurité lorsqu'ils interviennent sur des autoroutes en service (travaux de renouvellement de chaussées par exemple). Le niveau d'exigence requis est donc particulièrement élevé en termes de technicité, d'organisation de chantier et de sécurité. Cette exigence se traduit par l'obligation pour les candidats de produire des dossiers d'offres très détaillés. De ce fait, les critères d'analyse des candidatures et de choix des offres se doivent d'être particulièrement rigoureux".

328. Si l'Autorité ne conteste pas la technicité des marchés de travaux autoroutiers, elle s'étonne néanmoins qu'ASF, qui justifie par celle-ci le recours à l'AOR, s'interdise dans le même temps, par le choix du critère unique du prix, d'apprécier la valeur technique d'une offre.

329. Par conséquent, si le recours à la procédure restreinte peut être justifié compte tenu de la nature ou de l'importance de certains travaux, il n'en reste pas moins que les SCA se distinguent par le choix quasi-systématique de l'appel d'offres restreint, même pour les marchés de travaux les plus simples et, à ce titre, parfois attribués selon le critère unique du prix. Or, comme le relève la CNM, "si les caractéristiques des marchés passés peuvent expliquer certaines des constatations, il ne semble pas toujours démontré, à l'examen desdits marchés, que le recours à un appel d'offres restreint débouchant - de fait - sur un très petit nombre de candidatures, était la procédure la plus appropriée. Certaines sociétés d'autoroutes ne paraissent donc pas s'être mises en situation de bénéficier des meilleures offres".

330. En effet, l'appel d'offres restreint ainsi utilisé par les SCA peut avoir deux effets défavorables sur la concurrence :

- le premier est de limiter la concurrence entre les mêmes entreprises dûment référencées et, par conséquent, d'empêcher l'émergence d'un nouveau concurrent, en particulier pour les PME. C'est ainsi que le représentant de la DGCCRF, lors […], a conseillé à celle-ci "de ne pas faire de l'absence de référence un critère excessivement discriminant et ce, afin d'élargir le champ de la concurrence" ;

- le deuxième est l'avantage qu'une telle sélection préalable donne aux entreprises liées à la SCA. Par exemple, s'agissant du marché de […], le représentant de la DGCCRF a remarqué que, bien que retenu, "le dossier de candidature d'Eurovia n'était pas complet, notamment du point de vue des références", un autre membre ajoutant que "les candidatures doivent être appréciées de façon égalitaire, quelle que soit la connaissance que peut avoir le maître d'ouvrage des entreprises".

331. Par conséquent, l'appel d'offres restreint a, en tant que tel, un effet restrictif sur la concurrence qui, comme le relevait la CNM, n'est pas forcément justifié par la technicité du marché concerné. Le nombre d'offres étant limité, avec lui est également réduite la probabilité pour les SCA d'obtenir un prix plus bas.

332. De plus, au nombre limité d'offres découlant des AOR eux-mêmes s'ajoute la pratique fréquente des entreprises de travaux routiers de constituer des groupements présentant une offre commune (34). Comme le Conseil de la concurrence l'a rappelé à maintes reprises, cette pratique n'est pas interdite en soi et peut notamment être justifiée par des raisons techniques ou commerciales : "de tels groupements peuvent avoir un effet proconcurrentiel s'ils permettent à des entreprises, ainsi regroupées, de concourir alors qu'elles n'auraient pas été en état de le faire isolément ou de concourir sur la base d'une offre plus compétitive". Toutefois, ces groupements "peuvent avoir un effet anticoncurrentiel s'ils provoquent une diminution artificielle du nombre des entreprises candidates, dissimulant une entente anticoncurrentielle ou de répartition des marchés. Si l'absence de nécessité technique et économique de nature à justifier ces groupements peut faire présumer leur caractère anticoncurrentiel, elle ne suffit pas à apporter la preuve d'un tel caractère" (35).

333. Il n'appartient pas à l'Autorité, dans le cadre du présent avis, d'apprécier la légitimité de tels groupements, laquelle ne pourrait être mise en cause sans une analyse approfondie et contradictoire des marchés concernés. Elle relève toutefois qu'ils peuvent dissimuler une entente anticoncurrentielle renchérissant le prix des travaux des SCA.

2. Le critère unique du prix est susceptible de favoriser les ententes entre les candidats à un appel d'offres

334. Le critère unique du prix ainsi que les méthodes de notation de celui-ci sont de nature à faciliter les ententes entre les entreprises candidates aux appels d'offres des SCA. En effet, ainsi qu'il a été dit supra, le critère technique est d'appréciation plus subjective que le critère prix. Tous les maîtres d'œuvre et, au sein d'un même bureau d'études, tous les analystes, n'ont pas la même sensibilité dans l'appréciation de la qualité technique des propositions faites par les candidats. Une entente "masquée" (c'est-à-dire ne faisant pas apparaître d'écarts de prix démesurés ou de non-conformités flagrantes) est plus incertaine lorsque d'autres critères se combinent au prix. Ce recours au critère unique du prix pour les marchés "simples" ne constitue donc pas nécessairement une incitation pour les entreprises à présenter leur meilleure offre financière, mais également à s'entendre entre elles pour ne pas diminuer leurs marges dans le cadre de cette compétition par le prix, et ceux, au détriment de la SCA qui paiera ses travaux plus chers.

335. Le cas n'est pas simplement théorique. L'Autorité a ainsi récemment sanctionné pour entente des entreprises de signalisation routière verticale, entente dont fut également victime, outre les collectivités territoriales, ASF (36).

336. Enfin, même lorsqu'ASF n'utilise pas le critère unique du prix, "le coefficient 6 de la formule de calcul de la note financière entraîne une très forte amplification de fait du critère prix (note 0 pour plus de 17 % d'écart)", aboutissant à "une surévaluation du critère prix au regard de sa pondération" (37). Ainsi, dans le cas d'une entente "masquée", les membres pourraient fixer des prix qui, en valeur absolue, ne seraient pas très éloignés les uns des autres mais aboutiraient à des écarts de notation si grands que la subjectivité des critères techniques serait neutralisée, facilitant de fait la répartition des marchés.

3. Certaines formules de notation du critère prix ne permettent pas, à qualité égale, d'attribuer le marché à l'offre la moins-disante

337. D'une manière générale, les règles de mise en concurrence visent à permettre une meilleure allocation des ressources et, dans le cas d'un cas d'un marché, de l'attribuer à l'entreprise la mieux-disante, c'est-à-dire à celle dont l'offre présente le meilleur rapport qualité/prix compte tenu des critères retenus. En d'autres termes, à qualité égale, c'est l'offre la moins chère qui, logiquement, doit se voir attribuer la meilleure note et, par conséquent, remporter l'appel d'offres.

338. Or, deux des méthodes de notation du critère prix utilisées par ESCOTA (la méthode du barycentre et celle des quartiles) ont pour point commun que la meilleure note peut être donnée à une entreprise qui, à qualité égale, ne sera pas la moins-disante. L'Autorité a relevé un cas particulièrement flagrant où ESCOTA a payé plus cher pour une offre dont la sur-qualité technique ne justifiait pas le surcoût, comme l'a d'ailleurs relevé la CCMC. Il s'agit du marché de […]. La note du critère prix a été calculée selon la formule du barycentre avec pour conséquence de neutraliser tout écart de notation entre des offres d'un montant pourtant très différent. En effet, l'offre la moins chère a obtenu une note inférieure à celle obtenue par l'offre la plus chère. Le marché a été attribué à cette dernière alors même que la qualité des deux offres était équivalente (49 points contre 48 points), si bien qu'elle a obtenu une note globale supérieure de 0,3 point. Pour ce marché, le choix de la méthode du barycentre a incontestablement abouti à un renchérissement du prix payé par le concessionnaire pour des travaux de qualité identique. 339. Comme la CCMC, l'Autorité "s'interroge sur ce différentiel de prix qu'accepte de payer le maître d'ouvrage pour une survaleur technique apparaissant comme faible". D'une manière générale, comme l'a relevé l'un des membres de la CCMC d'ESCOTA lors de sa […], "la règle du barycentre ayant été affichée, c'est celle qui doit s'appliquer mais il attire l'attention sur le surcoût financier qu'elle induit à valeur technique notées quasi-égales [soulignement ajouté]".

340. Par ailleurs, l'article 26 du décret du 30 décembre 2005 précité définit une procédure permettant aux SCA de rejeter les offres qu'elles jugeraient anormalement basses "par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'[elle] juge utiles et vérifié les justifications fournies". Une telle procédure apparaît plus protectrice des règles de la concurrence et de l'égalité entre les candidats et plus efficace qu'une méthode de notation des prix "aberrante". C'est d'ailleurs celle que recommande le gouvernement dans sa réponse précitée : "la détection des offres anormalement basses doit être effectuée afin de permettre au prestataire concerné de produire les explications qui permettront ou non de prendre en compte l'offre en cause dans le processus de comparaison des offres".

B. Les pratiques qui, découlant de l'appartenance des sca à des groupes de travaux publics, sont susceptibles d'évincer les candidats à leurs appels d'offres

341. L'appartenance des SCA à des groupes de travaux publics peut avoir un effet proconcurrentiel par l'élimination de la double marge. Toutefois, cet effet peut être remis en cause par une politique d'avenants favorisant l'entreprise liée (1). De plus, il ne contrebalance pas les risques concurrentiels découlant de cette appartenance, qu'il s'agisse du risque d'échanges d'informations entre SCA et sociétés liées (2) ou de l'influence qu'elles peuvent avoir sur les maîtres d'œuvre chargés de noter les offres (3).

1. L'élimination de la double marge peut être remise en cause par une politique d'avenants favorisant les entreprises liées

342. Les sociétés de travaux routiers, dès lors qu'elles appartiennent au même groupe que les SCA, disposent d'un avantage en terme de prix et ce, quelles que soient les obligations de publicité et de mise en concurrence pesant sur ces dernières.

343. Pour un marché donné, deux entreprises sont en concurrence : une entreprise liée et une entreprise non liée. La première a des coûts (95) supérieurs à ceux de la deuxième (90) si bien qu'à marge égale (10), la deuxième est moins chère (100 contre 105). Pour ce marché, à supposer que le critère prix soit l'unique critère d'attribution, c'est l'entreprise non liée qui, ayant présenté l'offre la moins-disante, devrait se le voir attribuer, la SCA devant payer un prix de 100.

344. Toutefois, l'entreprise liée appartient au même groupe que la SCA et, comme c'est le cas pour ASF et ESCOTA détenues à 100 % par Vinci (38), leurs comptes sont consolidés au niveau du groupe. Dès lors, elle peut avoir intérêt à baisser sa marge, voire à fixer son prix au niveau de ses coûts afin d'être sûre - ou de maximiser ses chances - d'emporter le marché. Dans l'exemple ci-dessus (qui présente le cas le plus simple), le montant de son offre, aligné sur les coûts, s'établissant à 95, l'entreprise liée se verra attribuer le marché.

345. Un tel choix de la société liée de supprimer sa marge se révèle doublement gagnant :

- pour la SCA, le prix payé ne sera plus de 100 mais de 95, soit un gain de 5 par rapport à l'offre de l'entreprise non liée ;

- pour l'entreprise liée de travaux routiers, elle exécutera certes le marché à prix coûtant et ne gagnera rien, mais elle assurera, par ce biais, un volume d'activité bienvenu en période de crise du secteur des travaux publics. Quant au sacrifice de la marge, il n'est qu'apparent, les comptes étant consolidés au niveau du groupe.

346. Consciente de l'avantage que retire l'entreprise liée de son appartenance au même groupe que la SCA, l'entreprise non liée pourrait toutefois elle aussi diminuer sa marge à 4 et le prix de son offre à 94, lui permettant ainsi de remporter le marché. Cet effet, identifié par le Conseil dans son avis précité du 2 décembre 2005 (§60), a été modélisé par M. David Ettinger (2008). Celui-ci conclut que "du fait de son double statut de fournisseur potentiel et de propriétaire, il est dans l'intérêt de l'entreprise de travaux publics de soumettre une offre plus faible pour la réalisation des travaux. Cette soumission plus faible pèse à la baisse sur le prix de la réalisation des chantiers et ceci, non seulement quand la société de travaux publics emporte le marché mais aussi lorsqu'un concurrent l'emporte" (39).

347. Dans ces conditions, on pourrait considérer cet effet d'élimination de la double marge comme proconcurrentiel car incitant les entreprises non liées à être plus efficaces pour compenser l'avantage dont bénéficient les entreprises liées du seul fait de leur appartenance toutes deux au même groupe que la SCA.

348. Toutefois, cet effet proconcurrentiel dont disposent les entreprises liées de travaux routiers pourrait être remis en cause par la pratique des SCA en matière d'avenants ou de réclamation. En effet, la marge éliminée lors de l'appel d'offres pourrait réapparaître lors des avenants ou de réclamations ultérieures et le prix finalement payé par la SCA serait alors plus élevé que celui des autres offres. En d'autres termes, l'avenant aurait remis en cause les conditions de la mise en concurrence initiale et ce, sans que les concurrents - écartés à l'époque - en soient informés. Dans ce cas, la société liée n'aurait éliminé sa marge qu'à la seule fin de remporter le marché au détriment de ses concurrentes plus compétitives, sachant qu'elle sera en mesure, par la suite, de demander un avenant ou de présenter une réclamation que la SCA sera d'autant moins encline à lui refuser qu'elles appartiennent au même groupe.

2. Les échanges d'informations entre les SCA et les entreprises liées sont susceptibles de favoriser ces dernières

a) L'appartenance des SCA à des groupes de travaux publics facilite en tant que telle les échanges d'informations

349. Dans son avis du 2 décembre 2005 précité, le Conseil de la concurrence a centré son analyse sur la nécessité d'imposer aux SCA prochainement privatisées des règles de concurrence renforcées afin d'éviter qu'elles n'attribuent tous leurs marchés à des entreprises liées, comme le laissait craindre la rédaction initialement prévue de l'article 6 de leur cahier des charges (voir supra). Neuf ans plus tard, si les obligations de publicité et de mise en concurrence ont bien été précisées et renforcées, comme l'avait recommandé le Conseil, il n'en reste pas moins que l'appartenance des SCA à des groupes de travaux publics constitue, par elle-même, un risque pour l'égalité entre les candidats à leurs appels d'offres en cas d'échange d'informations entre celles-ci et des entreprises liées candidates, incluant le cas échéant une entreprise non liée dans le cadre d'une répartition des marchés.

350. En effet, les groupes Eiffage et Vinci n'ont pas caché, dans leur communication institutionnelle, leur intention de développer les échanges entre les sociétés concessionnaires d'autoroutes et leurs filiales de travaux routiers. Comme l'a récemment expliqué M. Pierre X, Président d'Eiffage, "le modèle d'Eiffage repose sur deux piliers : les travaux et les concessions. L'expertise du groupe APRR est précieuse pour remporter des travaux dans le cadre des concessions nouvelles. Les équipes du groupe APRR savent chiffrer et prendre en charge, sur la durée, l'entretien et l'exploitation des routes" (40). Tant que les échanges entre le groupe APRR et le groupe Eiffage ne concernent que "les travaux dans le cadre des concessions nouvelles", ils ne sont pas susceptibles d'avoir des effets anticoncurrentiels. Ce sera toutefois le cas s'ils portaient sur les futurs appels d'offres d'APRR et AREA. Sur ce point, l'Autorité constate que le groupe Eiffage est représenté par quatre membres au sein du conseil d'administration d'APRR, ce qui le met dans la position d'obtenir des informations privilégiées.

351. De même, l'Autorité a relevé, dans le rapport d'activité de 2006 d'ASF, ces propos tenus par son directeur général, quelques mois après la vente de cette société au groupe Vinci : "ASF est considérée comme un vivier d'expertises : les compétences d'ASF sont attendues par le Groupe [Vinci]. Je crois que les autres sociétés du Groupe [Vinci] ont beaucoup à apprendre d'ASF. C'est dans cet esprit que nous avons commencé à mettre en place les moyens de favoriser les échanges, de partager les meilleures pratiques et de développer des synergies entre les équipes" (41). Si de telles pratiques sont normales et répandues dans les groupes de sociétés, elles auraient des effets anticoncurrentiels si elles aboutissaient à des échanges d'informations sur les futurs appels d'offres d'ASF et d'ESCOTA. Comme pour APRR, l'Autorité relève que ce même directeur général, devenu entre-temps Président d'Eurovia, filiale de travaux routiers de Vinci, siège au conseil d'administration d'ASF ; de même, le Président de Vinci Construction siège au sein du conseil d'administration de Cofiroute. Ils sont ainsi en position d'obtenir des informations privilégiées.

352. Interrogés sur ce point, tant les représentants de Vinci-Autoroutes que ceux d'APRR ont confirmé qu'aucune procédure particulière ni formation dédiée n'avait été instituée afin de prévenir d'éventuels échanges d'informations entre les personnels des filiales autoroutières et ceux des filiales de travaux routiers de Vinci et d'Eiffage.

b) Les pratiques des SCA renforceraient l'effet des éventuels échanges d'informations avec les entreprises liées

353. Si des échanges d'informations interviennent entre une SCA et une entreprise liée, c'est nécessairement avant le lancement de la procédure d'appel d'offres car celle-ci, ainsi qu'il a été constaté supra, est toujours formellement régulière. Informée plusieurs mois à l'avance d'un prochain appel d'offres et du contenu de celui-ci, elle serait ainsi en mesure de mieux le préparer que les autres candidats, considérant les délais qu'imposent les procédures formalisées en matière de présentation des candidatures puis des offres.

354. De plus, sauf pour les très grands chantiers qui justifient une organisation des entreprises de travaux routiers pour de longs mois, voire des années, les marchés de travaux ne peuvent en pratique être attribués qu'à des entreprises ayant une implantation locale près du chantier concerné (42). Faute d'implantation locale, les frais de déplacement des personnels deviennent vite rédhibitoires sur le coût de la prestation. De plus, la présence de carrières, de décharges et de postes de fabrication d'enrobés à proximité constituent des avantages souvent décisifs en matière de prix, compte tenu notamment des coûts de transport des cailloux. Enfin, les travaux routiers nécessitent de nombreuses autorisations administratives, notamment pour installer une centrale fixe ou mobile d'enrobés.

355. Dans ces conditions, une entreprise liée informée très en amont du lancement d'une procédure d'appel d'offres comme de ses spécifications techniques pourrait dès ce moment s'organiser pour intégrer ces travaux dans son planning, ouvrir des carrières bien placées ou négocier en amont des conditions financières intéressantes avec les carrières existantes, acheter ou louer les terrains les mieux placés pour les installations de chantier, organiser le stockage des matériaux enrobés à recycler venant d'autres chantiers pour les réutiliser, préempter les transports, déposer les demandes d'autorisation pour les centrales d'enrobés etc, lui permettant ainsi de présenter une offre très compétitive. Pour prendre un exemple, Eiffage a remporté en 2013 un marché grâce à un avantage qui, selon les termes d'un des membres de la CCMC ayant examiné le marché, "provient surtout du fait que cette entreprise prévoit de fabriquer ses enrobés depuis un poste fixe existant à distance raisonnable du chantier". En l'espèce, l'entreprise n'est pas liée à ASF mais l'avantage serait le même pour une entreprise liée.

356. Sachant que l'offre de la société liée sera très compétitive, la SCA peut maximiser cet avantage en termes de prix en surpondérant le critère prix et en choisissant une méthode linéaire de notation avec un coefficient multiplicateur élevé (comme celle d'ASF). Formellement, le principe d'égalité de traitement des candidats sera respecté, puisque tous seront jugés selon les mêmes critères. Dans les faits cependant, les critères eux-mêmes et leur notation auront été élaborés afin de favoriser une offre en particulier.

357. Il convient de souligner que dans un tel cas, un échange d'information entre une SCA et une entreprise liée n'aurait pas forcément pour effet un renchérissement du prix des travaux. Au contraire, en informant par avance les entreprises liées d'un marché et de son contenu, la SCA leur permettrait de le préparer dans les meilleures conditions et de présenter une offre qui, dès lors, peut-être la moins-disante. Parce que le critère unique serait le prix, cette société liée remporterait le marché conformément aux règles de mise en concurrence. Le risque concurrentiel découlant de l'appartenance des SCA à des groupes de travaux publics n'est pas seulement une surfacturation des travaux, comme le craignait le Conseil dans son avis précité, mais également une pratique de prix bas permise par des échanges d'informations aboutissant à évincer leurs concurrents tout en respectant formellement la procédure de mise en concurrence.

3. La subjectivité de la notation des critères techniques facilite l'attribution des marchés à une société liée

358. L'échange d'informations peut également fonctionner dans l'autre sens. L'entreprise liée est susceptible d'informer la SCA que son offre ne sera pas la plus compétitive, compte tenu de ses coûts et/ou de la présence d'un concurrent local dont elle sait qu'il est plus efficace. Elle peut aussi, dans le cadre d'une répartition de marché, chercher à le favoriser. Dans ces conditions, de la même manière que la SCA peut choisir de surpondérer le critère prix et/ou une formule exacerbant tout écart de prix, elle peut faire l'inverse et surpondérer le critère de la valeur technique et/ou une formule neutralisant l'effet du prix sur la note finale. Ainsi qu'il a été démontré supra (§289 et suivants), le choix de la pondération du critère prix comme d'une méthode de notation de celui-ci est de nature à modifier considérablement le classement des offres. Le Président d'ESCOTA l'a d'ailleurs lui-même admis : "chaque changement de méthode peut changer les résultats et l'appréciation des modalités à retenir pour la transformation d'un prix en note reste un exercice assez subjectif".

359. Si le critère prix est neutralisé, par exemple par la méthode du barycentre ou des quartiles, la différence entre les offres se fera sur le critère de la valeur technique. Celui-ci, comme il a été démontré supra, est lui aussi d'une appréciation subjective.

360. Or, dans le cadre ordinaire des marchés publics (mais pas seulement), le maître d'œuvre est l'entité chargée par le maître d'ouvrage de l'assister, notamment, dans la rédaction du contenu de l'appel d'offres, dans la notation des offres et la sélection de l'attributaire puis dans l'exécution du marché lui-même. La maîtrise d'œuvre, qui est une prestation de services, peut elle-même faire l'objet d'un appel d'offres distinct de la part de l'adjudicateur. C'est généralement le cas pour les SCA. Considérant l'importance et la complexité des appels d'offres pour leurs marchés de travaux, les prestations de maîtrise d'œuvre fournies aux SCA peuvent atteindre, individuellement, plusieurs millions d'euro.

361. Tant que les SCA étaient au nombre des pouvoirs adjudicateurs, que la maîtrise d'œuvre soit intégrée ou confiée à des bureaux d'études externes, il était dans leur intérêt commun de sélectionner l'entreprise la mieux-disante sans chercher à favoriser une entreprise à laquelle, d'ailleurs, aucun n'était en principe lié.

362. Or, avec la privatisation des SCA au profit de groupes de travaux publics, les bureaux d'études sont amenés à noter des entreprises qui appartiennent au même groupe que leur client. Poussées par leurs actionnaires Vinci et Eiffage, les SCA pourraient chercher à influencer les maîtres d'œuvre afin qu'ils privilégient, dans la notation, les offres des entreprises liées, voire leur demander de leur transmettre le montant des offres concurrentes afin que l'entreprise liée puisse, le cas échéant, aligner la sienne. Or, ceux-ci sont de simples prestataires de services. Considérant le montant des marchés de maîtrise d'œuvre passés par les SCA, il n'est pas exclu que certains bureaux d'études aient développé une dépendance envers elles, les rendant plus réceptifs encore à une telle demande. Confrontés à une telle demande de la part de leur client, le risque est réel qu'en pratique, ils ne puissent la refuser.

363. Enfin, il est possible d'envisager que le maître d'œuvre, sur pression de la SCA, fixe une estimation très basse afin que l'appel d'offres soit déclaré infructueux. L'ensemble des offres étant supérieur à l'estimation, la procédure négociée pourrait permettre, à la faveur de la négociation directe avec les entreprises, d'attribuer le marché à une entreprise liée. Ce passage en procédure négociée est d'autant plus facile que l'appel d'offres est restreint et avec lui, la possibilité que l'une des offres examinées soit inférieure à l'estimation.

364. En conclusion, s'il n'appartient pas à l'Autorité, dans le cadre du présent avis, de rechercher d'éventuels échanges d'informations entre les SCA et les entreprises liées ou entre le maître d'œuvre et le maître d'ouvrage, il n'en reste pas moins que la liberté dont les SCA disposent en matière de pondération du critère prix et de notation de celui-ci est de nature, tout en respectant formellement leurs obligations de publicité et de mise en concurrence, à favoriser les entreprises qui, comme elles, appartiennent aux groupe Vinci et Eiffage. Le critère unique du prix ou certaines méthodes de notation "aberrantes" sont de nature à faciliter la mise en œuvre de telles pratiques.

C. Les obligations de publicité et de mise en concurrence applicables aux SCA sont sans effet direct sur le tarif des péages

365. Si les choix faits par les SCA dans l'application de leurs obligations de publicité et de mise en concurrence sont susceptibles de présenter des risques concurrentiels, leurs pratiques, pour contestables qu'elles soient, sont largement dénuées d'effet sur le tarif des péages. En effet, l'État compense, via une augmentation des tarifs, les investissements prévus par les contrats de plan sur la base d'une estimation ex ante de leur coût et non de leur coût réel, si bien que la mise en concurrence ne peut bénéficier directement aux usagers (1).

366. L'Autorité a néanmoins demandé aux SCA de lui fournir les éléments permettant de calculer le coût réel des investissements compensés et de le comparer avec le coût estimé dans les contrats de plan. Il apparaît ainsi que le coût initial des investissements compensés a pu être surestimé lors de la négociation de certains contrats de plan, même si la réalité d'une surcompensation ne pourra être démontrée qu'à la fin des concessions (2).

1. L'état compense les investissements sur la base d'une estimation ex ante de leur coût et non de leur coût réel après mise en concurrence, laquelle ne peut donc bénéficier aux consommateurs

367. Ainsi qu'elles ont été détaillées supra, les modalités de compensation des investissements prévus par les contrats de plan des SCA, via une augmentation des péages, reposent sur une estimation ex-ante de leur coût sur la base des seuls échanges entre les SCA et la Direction des Infrastructures de Transports (DIT). Une fois ce montant arrêté et fixé comme tel dans le contrat de plan, conformément au principe de la concession, les SCA réalisent ces investissements à leurs risques et périls : si leurs coûts dérapent et dépassent les estimations du contrat de plan, les SCA doivent supporter ces pertes sans avoir droit à aucune compensation supplémentaire. En revanche, si les estimations du contrat de plan se révèlent supérieures au coût réel des investissements, l'écart entre les deux constitue un gain que les SCA conservent. Comme l'explique Cofiroute, celle-ci "s'engage à ses frais, risques et périls sur la réalisation d'opérations physiques, sur un niveau de service et non pas sur un montant d'investissement. Les montants figurant dans le contrat de plan sont donc des montants indicatifs du coût d'investissements".

368. Considérant ce mécanisme de compensation, l'intérêt des SCA est donc en théorie double : dans un premier temps, elles cherchent à obtenir, dans le cadre des négociations du contrat de plan avec l'État, le montant le plus élevé possible pour les investissements à compenser et, dans un deuxième temps, elles font en sorte d'en minimiser le coût réel afin de conserver la différence pour elles.

369. Par conséquent, il est dans l'intérêt des SCA de faire jouer à plein la concurrence pour leurs marchés puisqu'en leur permettant d'obtenir des prix plus bas, elles peuvent espérer diminuer le coût de leurs investissements en deçà de l'estimation du contrat de plan et conserver pour elles le gain qui en résulterait. Dès lors, il est difficilement explicable que certaines SCA choisissent des méthodes de notation du prix qui ne leur permettent pas de sélectionner, à qualité égale, l'offre la moins-disante. Ce choix va à l'encontre de leur intérêt considérant les modalités de la compensation comme, d'une manière générale, de la maximisation de leur bénéfice. En revanche, il pourrait s'expliquer par une volonté, dictée par leur actionnaire, d'assurer, par ce moyen, un volume d'activité à des entreprises liées de travaux publics alors même que ce secteur connaît actuellement une crise grave.

370. Toutefois, compte tenu des modalités de calcul de la compensation, le fait que les obligations de publicité et de mise en concurrence soient ou non bien appliquées par les SCA n'a pas d'effet direct sur les tarifs des péages et, par conséquent, sur les consommateurs. En effet :

- soit les SCA font jouer pleinement la concurrence et se donnent les moyens d'attribuer leurs marchés à l'offre la moins-disante ; mais dans ce cas, la concurrence bénéficie exclusivement aux SCA qui conservent pour elles l'écart entre le montant réel de l'investissement tel qu'issu de la mise en concurrence et son estimation dans le contrat de plan ;

- soit les SCA utilisent des méthodes de notation du prix qui ne leur permettent pas d'attribuer leurs marchés à l'offre la moins-disante ; dans ce cas, qu'il en résulte ou non un prix plus élevé, les consommateurs seront toujours redevables du tarif des péages tel que découlant de la loi tarifaire du contrat de plan.

371. Toutefois, à long terme, les consommateurs pourraient bénéficier des éventuels gains résultant de la mise en concurrence à deux conditions cumulatives :

- que les obligations de publicité et de mise en concurrence permettent bien de sélectionner, à qualité égale, l'offre la moins-disante ;

- que l'État ait connaissance du coût réel des anciens investissements compensés comme de l'ensemble des investissements des SCA, afin d'apporter la contradiction aux SCA dans la négociation des contrats de plan.

372. Or, il apparaît que ces deux conditions ne sont, aujourd'hui, pas réunies. Il est inutile de revenir sur certaines méthodes de prix qui ne permettent pas d'attribuer les marchés à l'entreprise qui, à qualité égale, a présenté l'offre la moins élevée (voir supra).

373. De plus, comme l'a relevé la Cour des comptes, les services de l'État "se heurtent à la faiblesse des données relatives au coût des investissements autoroutiers". En effet, la base de données infra-coûts du SETRA ne détaille que les composantes du coût des différents investissements sur le seul réseau autoroutier non concédé. De fait, les données relatives à des aménagements spécifiques au réseau concédé (comme les barrières de péage) ne sont pas renseignées. De plus, la base de données gérée par le pôle lyonnais de la DIT n'est pas exhaustive, en particulier s'agissant des opérations d'élargissement. Enfin, "les contrats de plan ne permettent pas l'État de connaître le coût réel de tous les investissements compensés", étant précisé que "les sociétés concessionnaires sont très réticentes à communiquer [celui-ci]", à supposer qu'elles le connaissent (voir infra). Or, "la connaissance des coûts réels est indispensable afin de donner à l'État la possibilité de négocier dans de bonnes conditions des investissements ultérieurs".

374. Toutefois, l'Autorité relève que si les SCA sont réticentes à communiquer le coût réel des investissements compensés, l'État, quant à lui, ne met pas tout en œuvre pour le connaître. En particulier, comme l'a indiqué la DIT, "les résultats des appels d'offres ne sont pas des informations publiques et la DIT n'a pas connaissance de manière individuelle et détaillée de chaque marché passé par les SCA". Si la DIT a confirmé, lors de son audition, disposer d'un certain nombre de marchés des SCA, elle ne dispose pas de l'ensemble de ceux-ci. Ce fait est d'autant plus regrettable que la DGCCRF dispose de toutes les informations pertinentes du fait de sa présence au sein des CCMC.

375. En conclusion, l'Autorité constate que les obligations de publicité et de mise en concurrence pesant sur les SCA, à supposer même qu'elles soient correctement appliquées et aboutissent à sélectionner l'offre la moins-disante, sont sans effet direct sur le tarif des péages. En effet, la loi tarifaire compense non pas le coût réel des investissements après mise en concurrence, mais leur coût estimé ex-ante. La mise en concurrence ne peut donc avoir qu'un effet indirect sur le tarif des péages, en permettant à l'État qui aurait connaissance des résultats des appels d'offres d'apporter une contradiction plus éclairée aux SCA dans la négociation des contrats de plan. Toutefois, si ces résultats sont biaisés par des méthodes de notation du critère prix qui ne permettent pas, à qualité égale, de sélectionner l'offre la moins chère, une telle connaissance serait inutile, voire contreproductive. En d'autres termes, les deux conditions mentionnées ci-dessus pour que la mise en concurrence ait un effet sur le tarif des péages sont liées et aucune d'entre elles n'est aujourd'hui parfaitement satisfaite.

2. Une éventuelle surcompensation des investissements prévus par les contrats de plan ne pourra être calculée qu'à l'issue de la concession

376. L'Autorité a demandé à toutes les SCA de lui communiquer, pour chacun des investissements ayant fait l'objet d'une compensation dans le cadre des deux derniers contrats de plan, la liste des dépenses de toute nature s'y rapportant. En reconstituant le coût réel des investissements compensés, il serait alors possible de le comparer avec leur montant initial estimé et de mettre en évidence une sous ou une surcompensation.

377. Toutefois, une telle comparaison n'a été possible que pour les derniers contrats de plan (2009-2013) d'APRR et d'AREA. En effet, comme les autres SCA l'ont toutes indiqué, celles-ci n'assurent pas, en comptabilité, le suivi des dépenses en les rattachant à des investissements faisant l'objet d'une compensation, pas plus que les responsables opérationnels ne renseignent ce rattachement. Elles n'ont d'ailleurs pas de raison de le faire et d'identifier comme tels les investissements compensés puisque le concédant ne leur demande pas de justifier le coût réel de ceux-ci.

a) Les montants initiaux des investissements compensés ont été surestimés dans les contrats de plan (2009-2013) d'APRR et d'AREA

378. Le montant initial réel des investissements prévus par le contrat de plan 2009-2013 d'APRR et AREA s'établit comme suit pour chacune des deux SCA au 1er juillet 2014 :

"emplacement tableau"

379. Si le montant initial réel des investissements du contrat de plan d'APRR apparaît très inférieur au montant estimé, il convient toutefois de préciser que les trois investissements complémentaires sur autoroutes en service (ICAS) dudit plan, qui représentent ensemble 190 millions d'euro, sont actuellement en cours de réalisation. D'ailleurs, l'un d'entre eux (l'élargissement à 2x3 voies de la section Anse/Genay de l'A46), a déjà dépassé de plus de 10 millions d'euro son montant estimé (41 millions d'euro). La comparaison globale entre le réel et l'estimation n'est donc pas pertinente en l'espèce. En revanche, s'agissant des investissements d'exploitation sur autoroutes en service (IEAS), il est possible de comparer le montant réel au montant estimé. Sous réserve du montant de certains marchés à bons de commande qui n'ont pu faire l'objet que d'une estimation, le coût initial de ces IEAS s'élève à environ 102,7 millions d'euro, soit un montant très inférieur à celui estimé dans le contrat de plan (135,2 millions d'euro).

380. Enfin, en ce qui concerne le contrat de plan 2009-2013 d'AREA, il ressort de l'analyse de chacun des investissements prévus que certains ont coûté plus cher que leur estimation, en particulier la voie de bus sur l'A48 tandis que d'autres ont été à peu près correctement estimé (notamment la mise en conformité éclairage tunnel Dullin ou le noeud de l'A432). Toutefois, globalement le bilan du contrat de plan 2009-2013 d'AREA fait aujourd'hui apparaître une surestimation limitée d'environ 10 % de son coût initial, surestimation qui se réduira probablement compte tenu des travaux (en cours) de l'élargissement de l'A43.

b) La surestimation des investissements ne pourra être mise en évidence qu'à la fin des concessions

381. Si l'analyse des investissements compensés dans le cadre des contrats de plan d'APRR et d'AREA a pu faire apparaître une surestimation du montant initial de ceux-ci, il n'est toutefois pas possible d'en déduire que ces investissements sont surcompensés par la loi tarifaire prévue par ces mêmes contrats de plan. En effet, comme l'explique APRR, "la rentabilité d'une concession ou d'un contrat de plan ne peut s'apprécier que sur la durée de la concession. Les calculs permettant d'établir le niveau du terme fixe de la loi tarifaire d'un contrat de plan prennent en compte son coût d'investissement mais reposent aussi sur des hypothèses macroéconomiques d'ensemble des années restantes de la concession comme, à titre d'exemple, l'évolution du trafic ou l'inflation. Ce n'est donc qu'à l'issue de la concession que la rentabilité d'un contrat de plan et son incidence sur l'équilibre financier de la concession pourront être évaluées [soulignement ajouté]".

382. En effet, comme il a été indiqué supra, le montant initial des investissements, tel qu'il est fixé par le contrat de plan, ne constitue que l'une des composantes servant à calculer l'augmentation des tarifs. Font ensuite également l'objet d'une estimation les recettes, les coûts d'exploitation et de GER (gros entretien et réparations) ainsi que, le cas échéant, les coûts de renouvellement de ces investissements. Or, l'ensemble de ces coûts et de ces recettes est calculé sur la base d'une valeur nette actualisée sur la durée de la concession à laquelle s'ajoutent des hypothèses macroéconomiques (inflation, taux d'indexation du coût des travaux, croissance du trafic VL et PL).

383. Par conséquent, même si les montants initiaux des investissements apparaissent avoir été surestimés dans les contrats de plan, au moins pour APRR et AREA, des écarts dans la réalisation les hypothèses macroéconomiques encadrant la compensation pourraient aboutir, au final, à une sous-compensation de ceux-ci.

Section 4 : recommandations pour une régulation du secteur des autoroutes rééquilibrée en faveur du concédant et des usagers

384. Le constat d'une défaillance de la régulation par l'État des sociétés concessionnaires d'autoroutes a été fait par la Cour des comptes dans son rapport du 24 juillet 2013. Ce rapport a notamment mis en évidence le fait que les contrats de plan sont négociés à l'avantage des sociétés concessionnaires. Toutefois, l'Autorité considère qu'au-delà des seuls contrats de plan, c'est l'ensemble de la régulation du secteur qui pourrait être améliorée dans un sens favorable au concédant et aux consommateurs et, en particulier, les modalités de fixation du tarif des péages (I).

385. L'amélioration de la régulation du secteur des autoroutes passe également par un renforcement des obligations de publicité et de mise en concurrence applicables aux SCA et, surtout, par le contrôle de celles-ci, nécessaire pour s'assurer qu'une concurrence équilibrée est préservée dans leurs les marchés de travaux (II).

386. Enfin, si la possibilité d'une évolution de modalités de fixation du tarif des péages dans le cadre des concessions doit être explorée, c'est seulement à la fin de celles-ci que l'État aura la possibilité de remettre à plat la tarification d'une infrastructure qui aura alors été totalement amortie. Dans ce contexte, le Plan de relance autoroutier, parce qu'il prévoit un allongement jusqu'à six ans de la durée des concessions en contrepartie de la réalisation de 3,6 milliards d'euro de travaux, retarde cette remise à plat et n'est pas favorable à l'intérêt du concédant ni à celui des consommateurs. Il devrait donc être rééquilibré en leur faveur (III).

I. Explorer les possibilités de modifier les modalités de fixation du tarif des péages et de limiter la rente autoroutière au bénéfice du concédant et des usagers

387. Tout monopole doit être régulé d'une manière efficace afin d'éviter que le monopole ne se crée une rente au détriment des consommateurs. Or, dans le cas des autoroutes, comme l'Autorité l'a démontré dans la section 2, cette rente n'a pu être évitée et les SCA "historiques" affichent aujourd'hui une rentabilité exceptionnelle déconnectée des coûts comme du risque de leur activité, rentabilité largement assise sur la progression dynamique du tarif des péages. Ainsi qu'il a été dit, l'évolution de ces derniers découle du décret du 24 janvier 1995 (qui garantit une hausse égale à 70 % de l'inflation hors tabac) ou, lorsqu'un contrat de plan a été signé, de la loi tarifaire qu'il fixe, incluant un pourcentage plus élevé de l'inflation complété par la compensation intégrale des investissements. Les modalités de fixation des tarifs des péages pourraient évoluer sur ces deux points :

- malgré les contraintes juridiques du contrat de concession, une nouvelle formule d'indexation pourrait être envisagée après avis du Conseil d'État (A) ;

- les contrats de plan devraient par ailleurs se borner à la stricte compensation des investissements, une autorité chargée de la régulation du secteur ayant notamment pour mission de donner un avis sur ces contrats (B).

388. Enfin, au-delà du seul tarif des péages, il apparaît nécessaire de mieux protéger les intérêts du concédant en instaurant, pour les SCA "historiques" une obligation de réinvestissements de leur bénéfice doublée d'une clause de partage de celui-ci (C).

A. Bien que contrainte par le cadre juridique des concessions, une modification de la formule d'indexation rendrait possible une baisse du tarif des péages

1. Les contraintes juridiques

389. La remise en cause de l'indexation du tarif des péages sur l'inflation apparaît particulièrement difficile puisqu'elle impose la modification sur ce point du contrat de plan, du décret du 24 janvier 1995 précité et, le cas échéant, du contrat de concession.

390. Toutes les SCA, à l'exception de la SAPN, ont aujourd'hui un contrat de plan. C'est donc la loi tarifaire définie par celui-ci qui s'applique aujourd'hui et non les dispositions du décret du 24 janvier 1995. Il est vrai toutefois qu'en matière de contrat administratif, l'État dispose d'un pouvoir de modification unilatérale reconnu par le Conseil d'État depuis l'arrêt du 11 mars 1910 Compagnie générale française des tramways. Cependant, ce pouvoir est très strictement encadré par la jurisprudence, les modifications ne pouvant en principe porter que sur les conditions du service, pour un motif d'intérêt général, et non sur les clauses financières, le cocontractant ayant dans tous les cas droit au maintien de l'équilibre financier du contrat. La remise en cause de la loi tarifaire des contrats de plan apparaît donc délicate.

391. A défaut de pouvoir modifier les contrats de plan, le concédant peut attendre la fin de ceux-ci et ne pas en signer d'autres. Toutefois, même en l'absence d'un contrat de plan, le décret du 24 janvier 1995 restera applicable et, en particulier, le droit à une revalorisation annuelle du tarif des péages égale à 70 % de l'inflation hors tabac. Celui-ci est modifiable par nature en application du principe de mutabilité des actes administratifs. Cependant, ses dispositions tarifaires ont été intégrées à l'article 25 du cahier des charges annexé au contrat de concession d'ASF, d'ESCOTA et de Cofiroute. La modification de cet article et la suppression de ces dispositions tarifaires présentent donc les mêmes difficultés juridiques que la remise en cause des contrats de plan.

392. Qu'il s'agisse de la modification unilatérale d'un contrat administratif comme celle d'un acte réglementaire, le préjudice - si préjudice il y a - en résultant pour le cocontractant doit en principe être indemnisé. Dans le cas d'une modification du décret du 24 janvier 1995, cette intervention de l'État non plus comme partie au contrat mais comme tiers utilisant ses prérogatives de puissance publique constituerait un fait du prince, comme l'a rappelé la DIT lors de l'instruction de l'avis. Dès lors, il n'est pas certain que les SCA contestant une telle modification obtiennent gain de cause considérant la jurisprudence très restrictive du Conseil d'État en la matière, bien plus restrictive que pour la modification unilatérale d'un contrat administratif.

393. Par ailleurs, les SEMCA ont été valorisées, préalablement à leur privatisation, sur la base du cadre réglementaire actuel et, dès lors, d'une augmentation du tarif des péages égale 70 % de l'inflation (hors tabac) jusqu'à la fin des concessions. Si cette indexation devait être remise en cause, leurs acquéreurs pourraient considérer le prix payé à l'époque comme injustifié.

2. L'évolution des modalités de fixation des tarifs des péages

394. L'objectif de la régulation des monopoles est d'éviter que ces derniers ne se créent une rente au détriment des consommateurs tout en assurant la minimisation des coûts de production et la qualité des services rendus. La régulation doit par ailleurs poursuivre l'ensemble de ces objectifs sans mettre en danger la viabilité des entreprises régulées.

395. Différents modes de contrôle des prix sont utilisés par les autorités de régulation chargées de définir les prix d'entreprises en monopole. Le régulateur peut tout d'abord, malgré l'existence d'un monopole sur le marché, tenter de simuler le fonctionnement d'un marché concurrentiel. Il peut ainsi mettre en place une concurrence pour le marché en organisant un appel d'offres pour le droit de servir le marché, l'entreprise réclamant le prix ou la subvention la plus faible remportant le marché. Le régulateur peut également mettre en place une "concurrence par comparaison" lorsqu'il existe plusieurs monopoles locaux comparables. Ce mode de régulation consiste à fixer le prix des services d'un monopole local en fonction du coût des autres monopoles locaux de façon à simuler une concurrence entre ces différentes entreprises.

396. En dehors de ces modes de régulation visant à introduire une forme de concurrence sur un marché monopolistique, deux grands modes de régulation tarifaire peuvent être distingués : la régulation par plafond de prix ("price cap") et la régulation basée sur les coûts ("cost plus" ou "rate of return"). L'Autorité a déjà eu l'occasion de décrire les principes de ces deux modes de régulation (43) :

397. "La tarification de type "cost plus" ou "rate of return" garantit au gestionnaire le recouvrement des coûts encourus auxquels est ajoutée une marge "raisonnable" visant à rémunérer le coût du capital. Cette tarification n'incite pas le gestionnaire à minimiser ses coûts puisque son bénéfice espéré est fixé ex ante, indépendamment du niveau des coûts encourus. En outre, ce mode de tarification peut conduire au surinvestissement, dans la mesure où les recettes nettes du gestionnaire d'infrastructures dépendent positivement de ses investissements en capital. Le second schéma de tarification, de type "price cap", détermine ex ante un plafond de prix (ou de recettes) fixé sur la base des coûts anticipés. Les variations de coût - à la hausse ou à la baisse - ne conduisent donc pas à une modification de plafond, ce qui incite davantage le gestionnaire à la minimisation des coûts, dont il conservera l'entier bénéfice, et à des choix d'investissements rationnels. Aussi ce deuxième mode de tarification est-il préféré par l'Autorité de la concurrence qui y voit, de manière générale, un moyen d'introduire une "contrainte externe d'efficacité" dans une situation de monopole."

398. Comme l'a par exemple précisé l'avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 (44), la régulation par plafond de prix peut cependant conduire à abandonner une rente importante au monopoleur lorsqu'il existe une forte asymétrie d'information entre le régulateur et l'entreprise sur les prévisions d'évolution de coûts. Comme le précise alors le même avis (§67), l'optimum peut alors se situer entre les deux extrêmes que sont les régulations "price cap" et "cost plus". Les régulateurs peuvent par exemple mettre en place un plafond de prix tout en imposant un partage des profits ou des revenus excédents un certain seuil avec les consommateurs ou les contribuables.

399. Comme indiqué supra, la régulation tarifaire des autoroutes est de type "price cap". Cependant, le prix plafond est d'abord fonction de l'inflation et non des coûts anticipés, ni de l'activité des sociétés d'autoroute, c'est à dire du trafic autoroutier.

a) L'indexation du tarif des péages sur l'inflation n'est pas pertinente

400. Aux termes de l'article 1er du décret du 24 janvier 1995, "le cahier des charges de la société concessionnaire prévu par l'article L. 122-4 du Code de la voirie routière définit les règles de fixation des tarifs de péages, notamment les modalités de calcul d'un tarif kilométrique moyen servant de base aux tarifs de péages et qui tient compte de la structure du réseau, des charges d'exploitation et des charges financières de la société, ainsi que les possibilités de modulation de ce tarif kilométrique moyen". En revanche, une fois ce tarif fixé, il n'évolue plus que sur la seule base de l'inflation puisque "la majoration des tarifs de péages ainsi fixés ne peut être inférieure à 70 % de l'évolution des prix à la consommation (hors tabac) constatée depuis la fixation, l'année précédente, des tarifs applicables sur le réseau concédé à la société".

401. Le décret du 24 janvier 1995 diffère du décret auquel il s'est substitué. En effet, aux termes de l'article 2 du décret du n° 88-1208 du 30 décembre 1988, "le montant des péages d'autoroutes varie en moyenne et pour chaque société en fonction de l'évolution de la structure du réseau, des charges financières, des coûts des travaux et d'entretien, des charges fiscales et du trafic". Ce changement s'est inscrit dans le cadre plus général de la contractualisation des relations entre l'État et les SEMCA décidée à cette époque puisque les premiers contrats de plan ont été signés en 1995. Or, ce sont ces contrats de plan qui déterminent en pratique l'indexation du tarif des péages, le décret ne s'appliquant que par défaut, lorsque les contrats de plan ne s'enchaînent pas immédiatement et en l'absence de dispositions spécifiques dans le contrat de concession et le contrat de plan (45).

402. En d'autres termes, aujourd'hui, l'évolution des péages fait l'objet d'une négociation, dans le cadre des contrats de plan, entre l'État et les SCA, laquelle a abouti à un taux généralement égal à 80 ou 85 % de l'inflation (hors tabac) auquel s'ajoute, bien évidemment, la compensation des investissements prévus par lesdits contrats.

403. Or, l'indexation du prix du tarif des péages sur l'inflation, à l'exclusion de toute autre variable, n'apparaît pas pertinente car elle ne tient pas compte des coûts des SCA (lesquels sont par ailleurs essentiellement des coûts fixes évoluant selon d'autres variables que l'inflation) et ce, en contradiction avec les règles législatives applicables. En effet, aux termes de l'article L. 122-4 du Code de la voirie publique, les péages "visent à assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l'exploitation, à l'entretien, à l'aménagement ou à l'extension de l'infrastructure ainsi que, dans le cas des délégations des missions du service public autoroutier, la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par le délégataire". De plus, l'indexation automatique sur les prix est en principe interdite par l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier, même si la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports a sécurisé cette indexation en instaurant une exception taillée sur mesure pour les SCA (46).

404. Enfin, la tarification actuelle présente une dernière limite en ce qu'elle ne couvre pas nécessairement le coût marginal d'usage, cette modalité étant d'ailleurs recommandée par la Commission européenne, notamment pour le transport ferroviaire. En pratique, le tarif payé par un usager devrait couvrir :

- les coûts supplémentaires qu'il provoque dans l'exploitation et l'entretien de l'infrastructure autoroutière ;

- les coûts que son passage sur l'infrastructure fait supporter à d'autres que lui (dommages éventuels à l'environnement, bruit infligé aux riverains, etc.) ;

- une participation au coût des investissements futurs que l'augmentation du trafic rendra nécessaire sur l'infrastructure qu'il contribue à saturer.

405. De telles formules d'indexation sur les coûts sont aujourd'hui applicables au tarif des péages des "nouvelles" SCA qui, dès la mise en service des sections concernées, a été fixé de manière à couvrir leurs coûts. Or, dans le cas des SCA "historiques", une nouvelle formule d'indexation du tarif des péages n'aurait d'effet que pour l'avenir, sans remettre en cause les évolutions passées qui ont progressivement éloigné le tarif des péages de la couverture des coûts, comme le montre leur rentabilité exceptionnelle. L'Autorité s'interroge donc sur la pertinence d'asseoir l'évolution du tarif des péages sur les coûts si le niveau du tarif lui-même n'en tient pas compte. Dans l'idéal, une formule d'indexation des tarifs des SCA "historiques" sur les coûts devrait donc coïncider avec la remise à plat de la tarification elle-même des autoroutes.

406. En outre, il n'est pas certain qu'une formule d'indexation assise sur les coûts soit, de ce seul fait, dans l'intérêt des consommateurs. En effet, pour les sociétés Arcour, Aliènor et Alicorne, les formules tarifaires prennent notamment en compte l'évolution du coût des travaux à partir de l'indice TP09 "travaux d'enrobée avec fourniture" dont l'évolution a été très dynamique au cours des années récentes. Les tarifs d'Arcour, d'Aliènor mais également d'Adelac et d'Alis ont ainsi progressé plus rapidement que l'inflation et jusqu'à 6,5 % en 2012 pour Arcour.

b) Une nouvelle formule d'indexation serait susceptible de faire baisser le tarif des péages

407. Sans attendre la fin des concessions qui, seule, permettra une remise à plat de la tarification, l'Autorité a étudié une nouvelle formule d'indexation prenant davantage en compte l'activité des SCA et rendant possible une limitation de l'augmentation du tarif des péages, voire une baisse. Cette nouvelle formule ne repose pas sur les coûts des SCA. En effet, outre qu'elle ne serait pas pertinente car peu incitative par rapport au "price cap" (voir supra), la construction d'une telle formule reprenant, par exemple, les variables du décret du 30 décembre 1988 représente un travail considérable exigeant des données nombreuses et détaillées dont l'Autorité ne dispose pas, pas plus qu'elle ne serait en mesure de mesurer l'effet de ces variables sur les tarifs à long terme. Expertiser la faisabilité d'une telle formule, en perspective de la fin des concessions actuelles, serait néanmoins un objectif utile pour les pouvoirs publics.

408. Elle a donc fait le choix de construire une formule simple, facilement contrôlable et pouvant être mise en œuvre dès que possible, sous réserve des contraintes juridiques sur lesquelles il serait utile d'interroger le Conseil d'État, à titre transitoire, le temps d'élaborer une formule peut-être plus pertinente.

o Fonctionnement théorique de la formule

409. La formule se présente comme suit, avant la prise en compte de l'augmentation supplémentaire résultant de la compensation des investissements des contrats de plan :

Hausse du tarif des péages = 70 % [Inflation (hors tabac)] - évolution du trafic

410. Même si la nouvelle formule, pas plus que l'ancienne formule, ne repose pas sur les coûts, pour les raisons indiquées supra, elle intègre néanmoins une variable supplémentaire qui est peut-être la plus importante pour les SCA : l'évolution du trafic. Dès lors, si elle conserve l'inflation pour des raisons de simplicité, elle apparaît bien plus proche de l'activité réelle des SCA que la formule actuelle.

411. De plus, comme le reconnaissent les SCA elles-mêmes, l'évolution du trafic autoroutier est corrélée à des variables sur lesquelles elles n'ont aucune influence : la croissance du PIB (en particulier des produits manufacturés), la démographie, le prix des carburants... Par conséquent, la hausse du trafic et la hausse du chiffre d'affaires qui en découle ne résultent pas de leurs actions. Elles en bénéficient quoiqu'elles fassent. Or, s'il est normal qu'une entreprise bénéficie du résultat de ses actions lorsque celles-ci ont abouti à augmenter le volume de vente de ses produits et/ou services, c'est moins le cas pour des entreprises comme les SCA dont le volume de vente ne résulte pas (ou très peu) de leurs décisions, pas plus que leurs coûts n'augmentent dans la même proportion que le trafic. Comme indiqué supra (§61), le chiffre d'affaires des SCA représente d'ailleurs moins le produit de la vente d'un service que le cumul des redevances versées par les usagers pour l'utilisation des autoroutes. Il semble donc justifié que la hausse du trafic vienne réduire l'augmentation du tarif des péages dont elles peuvent bénéficier.

412. Cette formule d'évolution du tarif des péages, qui repose sur deux variables que sont l'inflation (hors tabac) et le trafic autoroutier, a pour conséquence :

- une hausse du tarif des péages, inférieure à l'inflation en cas de hausse du trafic et supérieure à celle-ci uniquement si la baisse du trafic est égale à 30 % de l'inflation. Par exemple, si l'inflation est égale à 1 %, c'est seulement en cas de baisse du trafic supérieure à 0,3 % que la hausse du tarif des péages sera supérieure à l'inflation ;

- une baisse du tarif des péages si la hausse du trafic est supérieure à 70 % de l'inflation. Pour reprendre le même exemple d'une inflation de 1 %, le tarif des péages baissera dès que la hausse du trafic sera supérieure à 0,7 %.

o Application pratique de la formule

413. L'Autorité a repris l'évolution du trafic et l'inflation (hors tabac) depuis 2004. Elle a mesuré, à partir de ces données réelles, l'impact qu'aurait eu cette formule sur le tarif des péages si elle avait été appliquée :

"emplacement tableau"

414. Sur cette période, à 70 % de l'inflation de hausse annuelle, les tarifs des péages auraient augmenté de 12,0 % pour l'ensemble des SCA. Il apparaît donc clairement que, pour toutes les SCA, l'évolution des tarifs résultant de cette nouvelle formule aurait été inférieure à celle de l'indexation actuelle. Bien plus, pour quatre des sept SCA "historiques", les tarifs auraient été stables (ASF), voire auraient baissé (AREA, SAPN et Cofiroute).

415. Toutefois, ces pourcentages doivent être comparés aux évolutions tarifaires réelles telles qu'elles résultent de la loi tarifaire des contrats de plan. Ont donc été ajoutés aux pourcentages ci-dessus les pourcentages d'augmentation se rapportant à la compensation des investissements tels qu'ils sont fixés par les contrats de plan :

"emplacement tableau"

416. Une fois prise en compte la compensation des investissements prévus par les contrats de plan, on observe que le tarif des péages aurait baissé en valeur absolue pour AREA et Cofiroute. Pour les autres SCA, la hausse aurait été très limitée sur la période 2004-2013. D'une manière générale, l'évolution résultant de cette nouvelle formule tarifaire aurait été, dans tous les cas, beaucoup plus favorable aux consommateurs que la loi tarifaire effectivement appliquée (47).

417. L'impact sur le chiffre d'affaires des SCA a également été calculé, afin de déterminer le gain qu'aurait retiré le consommateur de la nouvelle formule si elle avait été appliquée sur la période 2004-2013. Sur les dix dernières années, cette nouvelle formule aurait entraîné une moindre augmentation de 38,5 % du chiffre d'affaires des SCA (+ 1,411 milliard d'euro contre + 2,293 milliards d'euro), soit un gain de pouvoir d'achat de près de 900 millions d'euro pour le consommateur.

"emplacement tableau"

418. Cette formule présente ainsi l'avantage de rendre possible, pour la première fois depuis des décennies, la baisse du tarif des péages sur le réseau autoroutier français. Toutefois, elle présente deux inconvénients :

- la nouvelle formule aboutit en effet à des variations très importantes du tarif des péages d'une année sur l'autre, alors même que le modèle économique des concessions d'autoroutes repose sur une stabilité et une prévisibilité des cash-flows. Toutefois, pour les SCA comme pour les consommateurs, cet inconvénient est susceptible d'être corrigé par le lissage, par exemple sur trois ans, de l'inflation comme du trafic pris en compte pour le calcul de l'évolution du tarif des péages ;

- par ailleurs, lorsque le trafic baisse l'année n-1 dans une proportion supérieure à 30 % de l'inflation, cette baisse aboutit par construction à une hausse du tarif des péages supérieure à l'inflation l'année n. Dès lors, la hausse du tarif des péages qui résulterait de la formule serait moins favorable aux consommateurs que l'indexation actuelle. Toutefois, les prévisions les plus récentes, même si elles sont incertaines comme toutes les prévisions, ne prévoient pas de baisse du trafic mais une hausse de 0,7 % par an en moyenne ainsi qu'une inflation à 1,8 % jusqu'à la fin des concessions.

419. Considérant les avantages que l'usager des autoroutes concédées pourrait retirer de son application, l'Autorité recommande donc que cette formule, éventuellement améliorée si nécessaire, soit mise en œuvre dès que possible. Toutefois, afin de sécuriser la modification du décret du 24 janvier 1995 et celle du contrat de concession, il serait souhaitable de saisir pour avis le Conseil d'État sur les conditions de ces modifications afin qu'il vérifie que celles-ci sont remplies par la présente formule ou une autre si le concédant trouvait à l'améliorer.

Recommandation n° 1 : Saisir pour avis le Conseil d'État sur la possibilité de modifier la formule actuelle d'indexation des tarifs des péages sur l'inflation en lui substituant la formule proposée par l'Autorité ou, à défaut, une autre formule, prenant en compte la rentabilité des SCA, l'évolution de leurs coûts et celle du trafic.

3. La suppression des distorsions tarifaires ne se traduira pas par une baisse des tarifs des péages

a) Les distorsions tarifaires

420. Si le contrat de concession protège les concessionnaires, il leur impose aussi des obligations qu'il appartient au concédant de faire respecter. Comme le relève la Cour des comptes, les contrats de concession comprennent tous une clause limitant la dispersion des tarifs kilométriques par rapport aux taux kilométrique moyen du réseau : "les taux kilométriques appliqués aux véhicules d'une même catégorie ne peuvent, sur aucun parcours, s'écarter de plus de 50 % du taux kilométrique moyen de cette catégorie, sauf accord conjoint du ministre chargé de l'Économie et du ministre chargé de la voirie nationale" (20 % pour Cofiroute). Or, si Cofiroute respecte bien la règle de dispersion, ce n'est pas le cas des autres SCA, comme le montre le tableau suivant qui récapitule, par SCA, le nombre de trajets présentant une distorsion tarifaire et leur évolution depuis 2009 :

"emplacement tableau"

421. Il ressort de ce tableau que les distorsions tarifaires, qui concernent le réseau d'APRR pour presque la moitié d'entre elles, sont en forte réduction toutefois depuis 2009 (- 41,3 %), la DIT ayant entrepris de les faire disparaître progressivement. Le nombre des distorsions tarifaires est par ailleurs négligeable rapporté au nombre total des tarifs (33 795 en 2014). De plus, elles sont pour la plupart d'une ampleur limitée, comprise entre 50 et 60 % du TKM, même si l'on observe quelques trajets pour lesquels elles dépassent 100 %. C'est le cas pour le trajet Nice est - Monaco (109,9 %) et, surtout, Monaco - La Turbie (437,2 %).

422. Ces distorsions ne sont pas contestables par elles-mêmes. Comme l'indique la DIT, "lors de la mise en service de nouvelles sections ou de nouveaux échangeurs, un échange préalable sur leur tarification a lieu entre les SCA et la DIT. Si la SCA envisage de proposer une tarification conduisant à s'écarter de plus de 20 % au TKM des sections contiguës ou de 50 % du TKM du réseau, celle-ci doit démontrer de manière effective par la fourniture d'éléments objectifs que les coûts de construction et d'exploitation de la nouvelle section ou du nouvel échangeur sont sensiblement différents de ceux constatés sur le reste du réseau. Si elle juge les éléments fournis insuffisants, la DIT peut être amenée à refuser la proposition tarifaire". Seulement, les distorsions tarifaires concernent aussi les sections anciennes. Légalement, elles auraient dû toutes faire l'objet d'une décision du ministre. Toutefois, la DIT a indiqué ne pas en avoir retrouvé trace ce qui, toutefois, ne veut rien dire puisque ces sections datent pour certaines de plusieurs décennies. Ce qui est certain en revanche, c'est qu'elles ne peuvent être remises en cause que par la négociation.

b) La disparition en cours des distorsions tarifaires ne se traduira pas par une baisse des tarifs des péages

423. La DIT a indiqué avoir pour objectif de faire progressivement disparaître ces distorsions tarifaires via les contrats de plan qui, désormais, stipulent tous que "la société s'efforcera de faire converger progressivement les tarifs kilométriques extrêmes au sein de chaque section de référence pour chaque classe de véhicule vers le taux kilométrique moyen du réseau et de la classe de véhicule concernée". Toutefois, comme l'a relevé la Cour des comptes, "cette clause particulièrement vague est dépourvue d'objectif chiffré ou de calendrier. Elle a été entendue comme une réduction du nombre de trajets dont le TKM est supérieur de 50 % au TKM moyen de la section". De plus, SANEF s'est engagée uniquement à ne pas augmenter les tarifs qui s'écartent de plus de 50 % du TKM. Enfin, pour SAPN, "en l'absence de contrat de plan, le nombre de trajets en anomalie n'a pas diminué".

424. À la suite de ces critiques de la Cour, les derniers contrats de plan (2014-2018) signés en février dernier avec APRR et AREA comprennent un article 5.1.1.3 stipulant que "la société fera converger progressivement les tarifs kilométriques extrêmes au sein de chaque section de référence pour chaque classe de véhicules vers le taux kilométrique moyen du réseau de la classe de véhicules concernée. Ainsi, à l'échéance du présent contrat de plan, le nombre de trajet, toutes classes confondues, pour lesquels le nombre de transaction est supérieur à 5 sur les 12 derniers mois connus et dont le tarif kilométrique s'écarte de plus de 50 % du TKM de classe considérée devra être inférieur ou égal à 5". Par conséquent, en 2018, les distorsions tarifaires d'APRR et d'AREA - qui représentent près de la moitié du total (voir supra) - devraient avoir quasiment disparu.

425. Toutefois, il existe deux moyens de supprimer les distorsions des tarifs des péages par rapport au TKM : soit les tarifs de péages concernés sont réduits, soit le TKM lui-même est augmenté, les tarifs des péages restant dans ce cas inchangés. Or, comme l'explique la DIT, "il est effectivement possible de réduire mécaniquement les distorsions tarifaires sans diminuer les tarifs concernés. Le TKM augmentant chaque année par application de la loi tarifaire prévue au contrat de concession, si les tarifs en distorsion n'augmentent pas, le rapport entre les tarifs kilométriques des sections concernées et le TKM diminuera chaque année. L'écart entre les tarifs en distorsion et le TKM du réseau APRR étant compris entre 50 % et 60 %, la quasi-totalité des tarifs en distorsion ne devrait plus l'être à l'échéance du contrat de plan 2014-2018, sous l'hypothèse d'une inflation de l'ordre de 1,5 % par an". En d'autres termes, comme le TKM augmente tous les ans, la somme de ces augmentations réduira mécaniquement la distorsion sans que le tarif baisse pour autant.

426. C'est cette méthode qui a donc été choisie et la rédaction de l'article 5.1.1.3 précité exclut même explicitement toute baisse des tarifs des péages. En effet, il stipule que "dans le cas où cet objectif [de réduction du nombre des distorsions] ne pourrait être atteint sur la durée du contrat de plan sans autre alternative que de diminuer les tarifs concernés, celui-ci pourra être revu à la baisse, d'un commun accord entre le concédant et le concessionnaire". En d'autres termes, s'il apparaissait que l'augmentation du TKM n'était pas suffisamment rapide pour réduire, d'ici à 2018, le nombre des distorsions tarifaires conformément à l'objectif fixé (5 trajets), celui-ci serait renégocié.

427. Par conséquent, plus le TKM (et donc les tarifs des péages) augmentera d'ici à 2018, et plus le nombre de distorsions tarifaires sera réduit. Cependant, si en termes d'affichage, l'objectif sera probablement atteint, en pratique, pour les consommateurs, il ne se traduira par aucune baisse des tarifs des péages sur les trajets concernés.

B. La modification de la formule d'indexation du tarif des péages doit s'accompagner d'une amélioration du contenu, des conditions de négociation et du contrôle des contrats de plan

428. Ainsi qu'il a été dit supra, le décret du 24 janvier 1995 s'applique par défaut, en l'absence d'un contrat de plan qui fixe, pour cinq ans, la loi tarifaire applicable au tarif des péages de la SCA concernée. Or, cette loi est négociée directement entre celle-ci et le concédant. En d'autres termes, la formule d'indexation, quelle qu'elle soit, peut être contournée dans le cadre d'un contrat de plan. C'est pourquoi, afin de limiter la hausse du tarif des péages, il apparaît nécessaire que les contrats de plan se bornent à une stricte compensation des investissements sans aller au-delà de la hausse réglementaire (1). Ces contrats de plan pourraient en outre être soumis pour avis à une autorité indépendante, chargée de réguler l'ensemble des transports terrestres au bénéfice des consommateurs (2). Enfin, l'élargissement du champ d'application de l'article 7.5 (ou 7.4) du cahier des charges à l'ensemble des investissements compensés serait également de nature à limiter l'augmentation du tarif des péages (3).

1. Le contrat de plan devrait se limiter à une compensation ex ante des investissements sans aller au-delà de l'augmentation réglementaire

429. La compensation des investissements prévus par les contrats de plan se fait par une évaluation ex ante de leurs coûts. Elle est calculée de façon globale en incluant le coût initial des travaux, celui de la maintenance et du renouvellement ainsi que les flux positifs induits. Il a été démontré, dans le cadre de l'analyse des contrats de plan d'APRR et d'AREA, que les coûts initiaux des investissements tels qu'estimés ex ante pouvaient être différents du coût réel de ceux-ci.

430. Par cohérence avec ce constat, l'Autorité a analysé la possibilité que la compensation de ces investissements se fasse à leur coût réel. Toutefois, compte tenu de la nature du contrat de concession (a) comme des conséquences financières d'un tel changement (b), cette compensation au coût réel ne serait pas dans l'intérêt des consommateurs. En revanche, même si la compensation des investissements est toujours calculée ex ante, il apparaît nécessaire de limiter la loi tarifaire des contrats de plan à cette seule compensation sans aller au-delà de la hausse réglementaire (c).

a) La nature du contrat de concession

431. D'origine prétorienne, la concession de service public se définit comme un contrat par lequel une personne publique concédante confie à un concessionnaire (personne publique ou privée) l'exécution d'un service public, à ses risques et périls, en contrepartie d'une rémunération substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation dudit service.

432. Les autoroutes ont, en France, toujours été exploitées sous le régime de la concession, ainsi qu'il a été indiqué supra (voir § 7 et suivants)

433. De fait, les investissements que réalisent les sociétés concessionnaires d'autoroutes dans le cadre de leur concession ne font pas l'objet de compensation. C'est à elles et à elles seules de décider quels investissements sont nécessaires, étant précisé toutefois qu'il leur appartient, en tant que concessionnaires et sous le contrôle du concédant, de maintenir en l'état les ouvrages et les installations qui leur ont été concédés. Ces dépenses d'entretien et de grosses réparations, de même que tous les investissements relatifs à l'exploitation des autoroutes, sont donc faits à leurs risques et périls.

434. Toutefois, ce principe d'une exploitation aux risques et périls du concessionnaire se limite aux obligations prévues par le cahier des charges. La contrepartie de celles-ci consiste en une rémunération qui assure l'équilibre financier de la concession. Toute obligation supplémentaire qui serait imposée au concessionnaire par le concédant, dès lors qu'elle remettrait en cause cet équilibre, lui donne droit à une indemnité couvrant intégralement les charges nouvelles.

435. L'État ne peut donc pas imposer aux SCA de nouvelles obligations sans que celles-ci soient intégralement compensées. C'est la raison pour laquelle les contrats de plan, en contrepartie des investissements auxquels s'engagent les SCA, les fait bénéficier d'une loi tarifaire calculée de telle sorte que les coûts de ceux-ci soient nuls. La compensation de ces investissements n'est donc pas contraire au contrat de concession mais une conséquence nécessaire de celui-ci. Elle découle du droit du concessionnaire à l'équilibre financier de son contrat.

436. Or, sur le plan formel, les contrats de concessions sont modifiés par avenant une fois les contrats de plan signés et les investissements prévus par ces derniers sont intégrés dans le cahier des charges du concessionnaire. Ils ne se distinguent donc pas des autres investissements (entretien et grosses réparations) que doivent réaliser les SCA en application de leur contrat de concession. Par conséquent, les investissements prévus par les contrats de plan doivent, comme ces derniers, être réalisés aux risques et périls du concessionnaire. Même si leur coût réel est inférieur au montant de la compensation, il est dans la nature du contrat de concession que le concessionnaire conserve le gain, de la même manière qu'il devrait assumer la perte si le coût réel se révélait supérieur. Comme le souligne également la Cour des comptes dans son rapport précité, "la nature du contrat de concession, qui fait peser le risque sur le concessionnaire, ne peut permettre au concédant de récupérer la différence entre le coût prévisionnel et le coût réel des investissements".

b) Les risques pour le concédant et les usagers d'une compensation à leur coût réel des investissements des contrats de plan

437. Au-delà de cet obstacle juridique lié à la nature même du contrat de concession, il n'est pas certain qu'une compensation au coût réel des investissements prévus par les contrats de plan, par ailleurs bien plus compliquée à mettre en œuvre, soit plus avantageuse pour le concédant et les usagers qu'une compensation ex ante.

o Le risque d'un dérapage du coût des travaux

438. Comme l'avait souligné le Conseil de la concurrence dans son avis précité, "si les tarifs sont régulés de manière à empêcher la constitution d'une rente, alors l'exploitant aura intérêt à réaliser les travaux au meilleur coût, soit par la procédure d'appels d'offres pour trouver, sur le marché, l'entreprise la plus efficace, soit en faisant lui-même les efforts de productivité pour atteindre le même niveau d'efficacité, s'il choisit de faire réaliser la prestation par une entreprise du groupe". La compensation ex-ante participe de cette régulation des tarifs en plafonnant ("price cap") le montant auquel les SCA peuvent prétendre pour les investissements prévus par les contrats de plan, les incitant ainsi à rechercher le prix le plus bas afin d'augmenter (ou de préserver) leur marge. C'est ainsi qu'en raison de ce mécanisme de compensation, les obligations de publicité et de mise en concurrence bénéficient aux SCA et non, directement, aux consommateurs.

439. À l'inverse, compenser au coût réel signifie que le risque de l'investissement serait supporté par le concédant et, au-delà, par les usagers via la hausse supplémentaire des tarifs des péages qui découlerait d'éventuels surcoûts. Or, ces risques ne sont pas négligeables, notamment parce que ce nouveau mécanisme de compensation pourrait modifier le comportement des SCA.

440. Bénéficiant d'une compensation de leurs investissements au coût réel, les SCA ne seraient évidemment plus incitées à réaliser leurs travaux au meilleur coût, ce qui n'est déjà pas forcément le cas (voir supra). Alors qu'aujourd'hui, sauf pour ESCOTA, le critère prix est surpondéré, rien ne leur interdirait d'inverser les pondérations et de privilégier désormais le critère de la valeur technique. La notation très subjective de celui-ci est susceptible de permettre aux SCA de favoriser les entreprises liées selon des modalités très difficilement décelables et sanctionnables. Non seulement le dérapage des coûts qui en résulterait leur serait intégralement compensé mais la baisse (temporaire) de leur marge résultant d'un prix payé plus élevé serait sans effet sur la rentabilité du groupe puisque celle-ci serait simplement transférée à l'entreprise liée de travaux routiers.

441. Par conséquent, ne bénéficiant pas aujourd'hui aux usagers, les obligations de publicité et de mise en concurrence ne leur bénéficieraient pas plus s'il était tenu compte des coûts réels des investissements compensés. Bien au contraire, les consommateurs seraient les premières victimes d'un dérapage de ces coûts très probable avec la disparition de l'incitation à les maîtriser que constitue le mécanisme de compensation ex-ante.

o Le risque d'une inflation accrue des tarifs des péages

442. Le coût réel des investissements compensés ne peut être déterminé qu'à la fin de la concession. Sont en effet pris en compte non seulement leur coût initial mais également leurs coûts de maintenance et de renouvellement comme les recettes induites par ledit investissement, lesquels s'apprécient sur toute la durée de la concession, comme d'ailleurs les hypothèses macroéconomiques encadrant la compensation.

443. Toutefois, il est possible d'imaginer qu'un premier bilan de la compensation soit fait à la fin des contrats de plan, mettant en évidence une sous ou une surcompensation temporaire de l'investissement. Dans ce cas, les tarifs pourraient s'ajuster tous les cinq ans.

444. S'il présente des avantages, cet ajustement au fil de l'eau comporte un grave inconvénient. En effet, une compensation au coût réel des investissements des contrats de plan, outre la prise en compte d'un coût initial éventuellement plus élevé que le coût estimé, re-transfèrerait le risque de trafic, qui est la variable la plus importante pour le calcul de la loi tarifaire, du concessionnaire au concédant (et, in fine aux usagers). Si une crise de l'ampleur de celle de 2009 devait se produire à nouveau, conjuguée à l'inflation du coût initial des investissements, la conséquence serait une augmentation supplémentaire du tarif des péages à l'issue du contrat de plan concerné afin de rétablir provisoirement l'équilibre financier de celui-ci et ce, même si le trafic devait par la suite repartir à la hausse.

445. Au-delà de la question de savoir qui devra établir s'il y a sous-compensation des investissements et selon quelles modalités, l'éventuel refus de l'État de reconnaître une sous-compensation alléguée par les SCA aurait toutes les chances d'être contestée devant le juge administratif. De même, obligé de reconnaître une sous-compensation et, par conséquent, contraint à valider une hausse supplémentaire des tarifs des péages, il n'est pas exclu que l'État la refuse, suscitant de nouveaux contentieux avec les SCA.

446. L'exemple récent des tarifs réglementés de vente (TRV) du gaz naturel montre bien les difficultés et les risques d'une compensation au coût réel. En application de l'article L. 445-3 du Code de l'énergie, "les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts".

447. Or, comme l'a souligné l'Autorité dans son avis n° 13 A-09 du 25 mars 2013 concernant un projet de décret relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel, le gouvernement a toutefois été amené assez rapidement à s'écarter de cette logique de couverture des coûts dès lors qu'elle aurait dû avoir pour conséquence une augmentation sensible des TRV du gaz. Saisi par GDF, le Conseil d'État a annulé plusieurs arrêtés tarifaires et a enjoint au gouvernement de prendre de nouveaux arrêtés tarifaires qui soient conformes aux formules tarifaires tout en organisant le rattrapage des gels et limitations du montant des TRV passés sur les futurs TRV.

448. En théorie, il est donc possible que, confronté à des demandes justifiées de hausse supplémentaire des tarifs des péages, d'autant plus importantes qu'elles pourraient porter sur la régularisation de plusieurs années consécutives de baisse de trafic et de nombreux investissements dont les coûts auraient flambé, l'État choisisse de privilégier le pouvoir d'achat des usagers et refuse de les satisfaire, en contradiction avec les modalités de calcul de la compensation. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, comme pour les TRV du gaz naturel, il appartiendrait alors au Conseil d'État d'enjoindre au gouvernement d'augmenter les tarifs des péages afin de couvrir les surcoûts enregistrés par les SCA. In fine, ce sont donc les consommateurs qui assumeront seuls, lors du bilan des contrats de plan tous les cinq ans, le risque d'une baisse temporaire du trafic comme celui du dérapage du coût des travaux, bien réel si était supprimée l'incitation à les maîtriser que constitue la compensation via une estimation ex ante de leur coût.

o Le constat d'une surcompensation des investissements à l'issue des concessions ne bénéficierait pas aux consommateurs

449. Le constat d'une sous ou d'une surcompensation des investissements prévus par les contrats de plan ne pourra se faire qu'à l'issue du contrat de concession. Dans ces conditions, deux cas sont à distinguer qui, pour des raisons différentes, sont également défavorables aux consommateurs :

- en cas de surcompensation des investissements par les péages, la logique voudrait que les SCA remboursent le trop-perçu. Toutefois, comment le pourraient-elles puisque l'État ayant repris l'exploitation des autoroutes, elles se retrouveront sans actif, sans objet et sans revenu ; logiquement, elles devraient être liquidées par leur actionnaire. À supposer toutefois qu'elles aient constitué des provisions dans cette éventualité, elles ne pourront rembourser le trop-perçu qu'au concédant et non aux usagers qui, individuellement, auront surpayé pendant vingt ans les tarifs des péages. C'est pourquoi, paradoxalement, alors même que l'État serait peut-être à l'origine de la surcompensation en n'ayant pas négocié correctement la loi tarifaire, c'est lui qui bénéficierait in fine de sa propre défaillance ;

- à l'inverse, en cas de sous-compensation, ce sera au concédant de combler la perte des SCA, c'est-à-dire aux contribuables via le budget de l'État.

450. En définitive, pour l'Autorité, le mécanisme actuel de compensation ex ante des investissements prévus dans les contrats de plan, malgré ses imperfections évidentes, présente moins de risque pour le concédant et les usagers qu'une compensation au coût réel. Toutefois, des améliorations de ce mécanisme, conformes aux règles de la concession, sont possibles et même nécessaires afin que les intérêts de ces derniers soient mieux protégés.

c) La loi tarifaire des contrats de plan devrait se limiter à compenser les investissements qu'ils prévoient

451. Quelle que soit la formule d'indexation retenue, elle n'aura pas vocation à s'appliquer si elle n'est pas par ailleurs incluse dans les contrats de plan puisque ce sont ces derniers qui définissent la loi tarifaire applicable. Il sera donc toujours possible au concédant et aux SCA, comme c'est le cas actuellement, de négocier dans le cadre d'un contrat de plan une évolution du tarif des péages supérieure à la hausse réglementaire. C'est pourquoi la mise en œuvre d'une nouvelle formule d'indexation serait vaine si les contrats de plan allaient au-delà de la hausse en résultant. Aussi doivent-ils se limiter à la stricte compensation des investissements sans rajouter à la hausse découlant de la nouvelle formule.

452. Le décret du 24 janvier 1995 pourrait donc être modifié afin de prévoir expressément que la hausse du tarif des péages résultant d'un contrat de plan ne pourra être supérieure à la hausse réglementaire complétée par la compensation des investissements.

453. Le fait que la loi tarifaire n'aille pas au-delà de la hausse réglementaire pourrait toutefois être de nature à compromettre la signature des contrats de plan. En effet, sans l'incitation que constitue une hausse du tarif des péages plus importante que la hausse réglementaire, les SCA n'auraient rien à gagner à consentir à des investissements supplémentaires dont elles porteraient seules les risques et ce, d'autant plus que la création d'une autorité indépendante pourrait rééquilibrer les négociations en faveur du concédant (voir infra).

454. Cependant, même si les SCA refusaient de signer un contrat de plan, le concédant serait néanmoins en mesure de leur imposer des travaux supplémentaires dans l'intérêt du service public. Comme l'explique la SANEF, "les investissements compensés sont déterminés par le concédant dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique, au-delà du contrat de concession. [Ils] s'analysent juridiquement comme des modifications des ouvrages prévus par le contrat de concession d'origine et il est normal, conformément aux principes généraux du droit des contrats administratifs, qu'ils fassent l'objet d'une compensation tarifaire spécifique". Contrat de plan ou pas, l'État dispose d'un pouvoir de modification unilatérale, reconnu par le Conseil d'État depuis l'arrêt du 21 mars 1910 Compagnie générale française des tramways précité. Il pourra donc modifier dans l'intérêt du service public autoroutier le contrat de concession des SCA à condition que les modifications - consistant en des travaux supplémentaires - leur soient intégralement compensées, comme c'est le cas actuellement.

455. Sur ce point, rien ne changera donc, si ce n'est l'éventuelle opposition des SCA. Parce qu'elles seraient en droit de saisir le juge du contrat contre cette modification unilatérale du contrat de concession et se lancer dans un long contentieux, la réalisation des travaux pourrait être considérablement retardée par rapport à un contrat de plan.

Recommandation n° 2 : Limiter la loi tarifaire des contrats de plan à la stricte compensation des investissements sans aller au-delà de l'indexation réglementaire.

2. Le contrat de plan devra être soumis pour avis à une autorité indépendante de régulation des transports terrestres

456. Si les investissements ne peuvent être compensés sans risque pour le concédant et les usagers à leur coût réel, le corollaire de cette impossibilité doit être le renforcement de la régulation ex ante de la compensation. En effet, comme l'a montré la Cour des comptes, celle-ci est défaillante (a), conduisant l'Autorité à recommander à ce qu'elle soit transférée à une autorité indépendante chargée notamment de donner un avis public sur les contrats de plan (b).

a) Les insuffisances structurelles de la régulation étatique des sociétés concessionnaires d'autoroutes

457. Dans son rapport précité, la Cour des comptes fait le constat de deux insuffisances structurelles, par ailleurs liées entre elles, de la régulation par l'État des sociétés concessionnaires. Celles-ci ont été rappelées par le Premier Président de la Cour des comptes lors de la présentation du rapport à la commission des Finances de l'Assemblée nationale : "au sein du ministère des transports, la sous-direction chargée du réseau autoroutier concédé négocie presque seule les contrats de plan et les avenants aux contrats de concession. […] Or, les sociétés concessionnaires appartiennent à des groupes importants, Vinci et Eiffage notamment. Pour ces groupes, les tractations tarifaires s'inscrivent dans un ensemble plus large d'interaction avec l'État sur d'autres projets à fort enjeux, notamment ferroviaires ou de construction et de concessions de bâtiments dans le cadre de partenariat public-privé". La régulation souffre donc, d'une part, du déséquilibre des forces entre une administration isolée et des entreprises puissantes et, d'autre part, de l'influence de ces dernières sur l'appareil étatique et ses prises de décisions.

458. Si la première insuffisance doit être relativisé, ne serait-ce que parce que la DIT peut s'appuyer sur des soutiens internes comme externes, il n'en reste pas moins que la Cour des comptes a donné plusieurs exemples de la faiblesse de l'État dans ses négociations avec les SCA. Ainsi, Cofiroute "refuse quasi systématiquement de réaliser des investissements nécessaires, relevant des obligations courantes du concessionnaire, si elles n'étaient pas compensées" sans encourir aucune sanction alors même que l'article 39 du cahier des charges stipule que "le concédant peut exiger de la société concessionnaire après mise en demeure infructueuse dans le délai fixé et après l'avoir mise en mesure de présenter ses observations, le versement d'une pénalité pour tout manquement aux obligations du présent cahier des charges" (48). De même, la Cour souligne qu' "en dépit de constats défavorables figurant dans les audits, les dispositions contraignantes susceptibles d'être mises en œuvre à l'encontre des sociétés concessionnaires (mise en demeure, pénalités) ne sont qu'exceptionnellement utilisées, ce qui pourrait engager la responsabilité du concédant en cas d'accident. L'État n'a pas non plus jugé utile de subordonner l'ouverture des négociations relatives aux contrats de plan au respect par les concessionnaires de leurs obligations de base en matière d'entretien du réseau".

459. En revanche, la deuxième est plus lourde de conséquence. Dans son rapport précité, la Cour des comptes rapporte ainsi les étapes de la négociation relative à la détermination du taux de rentabilité des investissements dans le cadre du contrat de plan 2009-2013 d'APRR. À l'origine, APRR défendait un taux de rentabilité de 7,5 %. La DIT, qui jugeait celui-ci "inacceptable", proposait un taux de 6,7 % appuyé par un modèle "plus étayé et crédible" que celui d'APRR. Dès lors, la DIT avançait deux options :

- soit rester sur une position de principe à 6,7 % ;

- soit accepter un taux à 7,5 % mais avec les hausses tarifaires qu'elle proposait, c'est-à-dire 0,85 % de l'inflation + 0,472 %.

460. Or, dans la note qui a été transmise au directeur de cabinet du ministre, signée par le Directeur général, "après contact avec le PDG d'APRR" M. Jean-François Z (49), une troisième option a été retenue : 0,85 % de l'inflation + 0,5 %, soit un taux de rentabilité de 8,08 %, la note précisant que "cette proposition a la préférence de Jean-François Z". Par conséquent, alors que la DIT défendait un taux de rentabilité et une loi tarifaire limités, les arbitrages ultérieurs ont abouti à un taux de rentabilité plus élevé que celui demandé par APRR elle-même à l'origine.

461. Le même constat a été fait par la Cour s'agissant de certains investissements prévus par le contrat de plan 2010-2014 de Cofiroute : "le chiffrage de la provision de l'impact de la LGV Sud Europe Atlantique sera de 14 millions d'euro HT contre 7 millions estimés par Cofiroute, celui du regroupement des services à l'usager sera de 19,15 millions d'euro HT contre une estimation basse de Cofiroute de 14,32 millions d'euro".

462. Si l'Autorité partage le constat fait par la Cour des comptes d'une défaillance de la régulation de l'État, elle a cependant une analyse divergente quant à la forme de la régulation qui doit être mise en œuvre. La Cour s'est en effet prononcée, s'agissant des contrats de plan, pour "une procédure interministérielle de conduite des négociations et de décision comportant notamment un mandat de négociation interministériel [et] un suivi interministériel régulier de l'avancée des négociations". En d'autres termes, ce sont toujours les services ministériels de l'État, incluant ceux d'autres ministères que celui des transports, en particulier le ministère de l'Économie et des finances, qui devront assurer la régulation du secteur des autoroutes concédées.

463. Une telle mesure pallierait peut-être la première insuffisance en renforçant la capacité de négociation de l'État. Toutefois, les risques demeurent non seulement d'une contradiction entre les différents ministères qui peuvent poursuivre des intérêts divergents, mais également les risques d'arbitrages défavorables pour des raisons extérieures aux problématiques du transport routier.

b) Les formes d'une nouvelle régulation par une autorité indépendante

464. L'Autorité estime qu'une autorité indépendante contribuant à la régulation des autoroutes concédées, compétente par ailleurs sur l'ensemble des transports terrestres, serait plus efficace que le mécanisme actuel de négociation pour protéger les intérêts du concédant et les usagers tout en assurant une meilleure régulation des SCA, en particulier s'agissant des contrats de plan.

o Une autorité indépendante, régulant le secteur au bénéfice des usagers

465. L'Autorité a le sentiment que la régulation actuelle du secteur par la seule direction des infrastructures de transports (DIT) et, au sein de celle-ci, par la sous-direction dédiée au réseau autoroutier concédé, n'intègre pas toutes les dimensions qu'une régulation efficace doit avoir. En effet, cette sous-direction, ainsi que l'ont confirmé en séance les représentants de l'ensemble des SCA "historiques" se révèle très exigeante dans l'exercice de ses missions et, en particulier, dans le contrôle de la qualité des infrastructures comme celui des investissements prévus par les contrats de plan, mesurée à partir d'une batterie d'indicateurs assortis de sanctions. En revanche, avec la Cour des comptes, l'Autorité a pu constater qu'elle ne semble pas s'intéresser suffisamment à l'analyse financière des SCA, pas plus qu'aux coûts de ces investissements qu'elle ne connaît pas ou peu, ce qui est de nature à l'empêcher de négocier au mieux les contrats de plan.

466. Le régulateur sectoriel des autoroutes, dont l'Autorité recommande la création, devrait non seulement veiller à garantir la qualité de l'infrastructure autoroutière et la sécurité des usagers mais également mettre en œuvre une régulation au bénéfice des usagers. C'est ainsi que sa mission pourrait être calquée sur celle des autres autorités de régulation sectorielle, parmi lesquelles l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF).

467. La régulation du secteur des autoroutes concédées devra, comme celle des secteurs susmentionnés, se faire au bénéfice des usagers. Celui-ci consiste, bien sûr, en des autoroutes de qualité, mais également en un prix le plus compétitif possible.

468. Or, à des entreprises aussi puissantes que les SCA et les groupes auxquels elles appartiennent, il est pertinent d'opposer un interlocuteur indépendant rassemblant en son sein toutes les compétences utiles, plutôt que plusieurs directions et sous-directions de différents ministères, comme le recommande la Cour des comptes. En effet, leurs positions, même coordonnées par une procédure interministérielle, pourraient être contradictoires, harmonisées seulement par un échelon supérieur qui, au nom d'enjeux extérieurs à la régulation autoroutière, n'hésitera pas à renverser celles-ci au détriment des intérêts des consommateurs. Identifiée comme telle, cette autorité serait institutionnellement plus forte pour échanger avec les sociétés d'autoroutes qu'une sous-direction du ministère du développement durable, quelle que soit la qualité des fonctionnaires qui composent cette dernière ; ces personnels constitueraient d'ailleurs, à n'en pas douter, pour une part, l'ossature de ce nouveau régulateur.

Un régulateur compétent sur l'ensemble des transports terrestres

469. Comme le relève la Cour des comptes, "l'outil autoroutier trouve sa finalité dans l'optimisation des flux de transports qui animent le pays, en concurrence avec d'autres modes de transport, et les sociétés qui concourent à le mettre en œuvre n'ont pas d'autres vocations que servir cette finalité". L'Autorité considère elle aussi que les problématiques sont similaires (notamment en termes de tarification) et que les enjeux se recoupent largement, notamment avec le ferroviaire.

470. C'est pourquoi l'autorité indépendante dont l'Autorité recommande la création pourrait s'appuyer sur les compétences actuellement dévolues à l'ARAF qui seraient ainsi élargies au secteur autoroutier. À ce propos, l'Autorité a observé, dans l'avis n° 14-A-05 du 27 février 2014 relatif au fonctionnement concurrentiel du marché du transport interrégional régulier par autocar qu' "une institution bimodale contribuerait à l'unification de l'action publique en matière de transports, notamment sur des questions de fond tenant au développement de l'intermodalité et à l'intégration croissante des acteurs et de leurs offres, tant horizontalement (développement d'opérateurs multimodaux) que verticalement (gestion intégrée des infrastructures et des services). Son intérêt dépasse les besoins de transport de voyageurs et concerne également le secteur du fret, dans lequel les modes routiers et ferroviaires sont potentiellement concurrents. Des questions de choix modal s'y posent avec une acuité forte, en lien par exemple avec des considérations de développement durable et d'environnement, et sur lesquelles des arbitrages publics tenant aux niveaux respectifs des redevances ferroviaires et routières ont une influence. Cette autorité exercerait ses responsabilités sur l'ensemble des transports terrestres.

Un régulateur doté d'un pouvoir d'avis assorti d'un large pouvoir de communication et de sanction

471. L'une des principales compétences de cette autorité serait de donner un avis sur les projets de contrat de plan que la DIT, comme aujourd'hui, continuerait à négocier avec les SCA. Sur ce point, l'Autorité relève que l'ARAF a récemment rendu un avis sur un projet d'autoroute ferroviaire et que le CSA donne lui aussi un avis sur les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et Radio France. L'avis, qui serait public et rendu après un délai suffisamment long pour permettre une analyse approfondie des contrats de plan, répondrait en pratique à deux questions :

- la première porterait sur l'opportunité de signer un contrat de plan. En effet, aujourd'hui, la signature d'un contrat de plan semble aller de soi et ceux-ci s'enchaînent presque sans interruption. Or, dans certains cas, il pourrait être préférable de ne pas les signer et d'arbitrer en faveur d'une limitation de la hausse du tarif des péages au lieu d'une amélioration de l'infrastructure autoroutière. Une autorité indépendante, régulant le secteur au bénéfice des consommateurs et, à ce titre, indifférente à d'autres enjeux comme l'activité dans le secteur des travaux publics, serait en mesure de recommander cet arbitrage ;

- la deuxième porterait sur le contenu du contrat de plan. En effet, il appartiendra au régulateur de définir sa doctrine sur les investissements qui peuvent faire l'objet d'une compensation et les autres. L'Autorité considère qu'elle devrait refuser les investissements qui, comme le télépéage sans arrêt, auraient été réalisés par les SCA, même sans compensation, parce qu'ils étaient dans leur intérêt. Seuls les investissements dictés par l'intérêt général et lui seul, à l'exclusion des investissements bénéficiant directement aux SCA, doivent être compensés. Par ailleurs, le régulateur devra être en mesure d'expertiser les montants de ces investissements, que ce soit le montant initial, les coûts de maintenance ou de renouvellement, mais également les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes à la loi tarifaire (en particulier le TRI).

472. Pour mener à bien cet avis, apporter la contradiction aux SCA et, d'une manière générale, assurer le suivi de l'ensemble du secteur des autoroutes, le régulateur devra disposer du droit de communication le plus large lui permettant d'avoir accès à l'ensemble des données et des comptes des SCA. Comme le relevait le Conseil dans son avis du 2 décembre 2005 précité, "la régulation ne peut être efficace que si le régulateur a une connaissance suffisante des coûts réels de l'activité en cause. Or, lorsqu'il n'est pas lui-même opérateur sur le marché, le régulateur dépend largement des informations que lui fournissent les entreprises soumises à sa régulation". Parallèlement, les SCA devront être en mesure de fournir au régulateur, une fois le contrat de plan signé, tous les éléments lui permettant de reconstituer le coût réel des investissements compensés. Or, comme a pu le constater l'Autorité (voir supra), ce n'est pas le cas aujourd'hui.

473. En revanche, la décision de signer un contrat de plan comme celle d'engager des négociations avec les SCA doit rester dans la compétence du concédant. De même, il n'apparaît pas opportun de transférer à l'ARAF les missions actuellement dévolues à la Commission nationale des marchés qui sont très spécifiques et distinctes de la régulation, en tant que telle, du secteur autoroutier.

474. Enfin, aucune régulation ne peut être efficace si elle est dépourvue de sanction. Aujourd'hui, ce pouvoir de sanctionner le concessionnaire pour un manquement à ses obligations est, certes, reconnu au concédant par le cahier des charges mais celui-ci n'en fait que très rarement l'usage et pour un montant très limité, développant un sentiment d'impunité relevé par la Cour des comptes. Plus précisément, les SCA pourraient encourir, comme les entreprises relevant de l'ARAF, une sanction pécuniaire pouvant atteindre 5 % de leur chiffre d'affaires dont le produit pourrait être reversé à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

475. Pour l'ensemble de ces raisons, l'Autorité renouvelle, dans le cadre du présent avis, sa recommandation de créer une autorité de régulation indépendante des transports terrestres via l'élargissement des missions de l'ARAF qui serait également compétente pour réguler le secteur des autoroutes concédées.

Recommandation n° 3 : Créer une autorité indépendante de régulation des transports terrestres ayant également compétence sur les autoroutes concédées, dotée d'un pouvoir d'avis et disposant d'un large pouvoir de communication et de sanction.

3. L'ensemble des investissements des contrats de plan devraient être soumis au mécanisme de l'article 7.5 (ou 7.4) du cahier des charges

476. L'exploitation d'une concession de service public se fait aux risques et périls du concessionnaire, lequel a cependant droit au maintien de l'équilibre financier de la concession. Par conséquent, tous les investissements supplémentaires prévus par le contrat de plan font l'objet d'une compensation. Toutefois, si un investissement est réalisé avec retard, l'article 7.5 (ou 7.4 pour APRR et AREA) du cahier des charges stipule que "la société concessionnaire sera redevable à l'État d'une compensation au titre de l'avantage financier éventuel découlant de ces retards". En effet, si, aux termes de l'échéancier annexé au contrat de plan, les travaux devaient normalement débuter l'année n et débutent finalement l'année n + 3, l'augmentation tarifaire s'est appliquée, quant à elle, dès l'année n. C'est pourquoi, en cas de retard, la compensation est recalculée (selon des modalités complexes) à l'échéance du contrat de plan afin de déterminer l'avantage financier dont a bénéficié à ce titre la SCA. Comme l'indiquent la SANEF et la SAPN, l'article 7.5 (ou 7.4) "a pour objectif de valoriser, au profit du concédant, les décalages de planning, que le concessionnaire soit fautif ou non, de manière à éviter les surcompensations". C'est donc une responsabilité sans faute du concessionnaire.

477. Toutefois, pour nécessaire qu'il soit, ce mécanisme souffre d'un champ d'application limité. En effet, comme l'indique la DIT, "les articles 7.4 et 7.5 ont été introduits dans les contrats de concession des anciennes SEMCA à l'occasion de leur privatisation. Il avait alors été fait le choix d'intégrer les opérations les plus significatives d'un point de vue financier et dont le terme était le plus éloigné. Ainsi, la majorité ou la totalité des nouveaux investissements de construction sur autoroutes en service (ICAS) sont soumises aux dispositions de ces articles".

478. Tous les ICAS ne sont pas soumis au mécanisme de l'article 7.5 (ou 7.4). La Cour des comptes, dans son rapport précité, relève ainsi, s'agissant en particulier du contrat de plan 2012-2016 d'ASF, que "d'autres ICAS auraient probablement dû relever du 7-5, notamment la requalification environnementale de l'A9 à Montpellier (34 millions d'euro), l'aménagement du diffuseur de Piolenc (15 millions d'euro), l'aménagement des bifurcations A61-A9 et A7-A54 (53 millions d'euro)". De plus, les investissements d'exploitation sur autoroutes en service (IEAS) ne sont généralement pas inclus dans le champ d'application de l'article 7.5 (ou 7.4). L'explication de ce champ d'application variable selon les investissements et les SCA se trouve dans le fait que celui-ci, comme l'ensemble du contenu des contrats de plan, résulte d'une négociation entre l'État et les SCA. La DIT n'est pas toujours en mesure d'obtenir des SCA qu'elles consentent à l'application de cette disposition à la totalité de leurs investissements.

479. Le tableau suivant retrace, par SCA, le montant des investissements (ICAS et IEAS) ayant été intégré dans le champ d'application de l'article 7.5 (ou 7.4) (50) :

"emplacement tableau"

487. L'Autorité constate donc que les investissements inclus dans le champ de l'article 7.5 (ou 7.4) ne représentent pas forcément la majorité des investissements compensés dans le cadre des contrats de plan, voire même aucun, comme dans le cas de la SANEF. Une analyse plus fine révèle que si les ICAS sont généralement inclus dans ce champ, ce n'est pas le cas des IEAS, sauf dans les contrats de plan d'APRR et d'AREA. Or, les IEAS représentent une part très importante des investissements compensés, ce qui explique par conséquent la faible proportion du total des investissements inclus dans le champ de l'article 7.5 (ou 7.4).

488. Toutefois, l'Autorité remarque que les contrats de plan d'APRR et d'AREA signés en janvier dernier marquent un progrès significatif dans l'application de l'article 7.4 de leur cahier des charges, en particulier pour les IEAS, comme le montre le tableau suivant :

"emplacement tableau"

492. Ce que l'État a réussi à obtenir d'APRR et d'AREA pour ces nouveaux contrats de plan ne présume cependant en rien le résultat des négociations avec les autres SCA.

493. Enfin, de la même manière que la disparition des distorsions tarifaires ne se traduira pas par des baisses des tarifs des péages (voir supra), l'avantage financier retiré par une SCA du fait du retard de réalisation d'un investissement ne fait pas l'objet d'une moindre hausse des tarifs des péages lors du futur contrat de plan. En effet, l'article 7.5 (ou 7.4) stipule que la compensation est assurée par "la réalisation en priorité des investissements supplémentaires non prévus au cahier des charges sur le réseau concédé pour un montant [actualisé] égal à la somme des avantages financiers pour l'ensemble des opérations faisant l'objet d'un retardé". En d'autres termes, l'État a la possibilité d'échanger la baisse des tarifs des péages (ou leur moindre progression) par des investissements supplémentaires. Or, jusqu'à présent, ce fut toujours le cas puisque les contrats de plan se sont succédés sans interruption.

494. À ce propos, l'Autorité rappelle que le moyen le plus simple de limiter la hausse du tarif des péages est de ne pas signer de contrat de plan, réduisant ainsi celle-ci à 70 % de l'inflation. Toutefois, par cette décision, le concédant se priverait de toute marge de manœuvre en matière de politique autoroutière. Il lui appartient donc de faire un arbitrage entre le pouvoir d'achat des consommateurs et l'amélioration du service qui leur est rendu via des investissements supplémentaires sur l'infrastructure autoroutière.

495. L'Autorité estime que l'ensemble des investissements faisant l'objet d'une compensation doivent être inclus dans le champ de l'article 7.5 (ou 7.4) du contrat de concession afin que les SCA ne puissent bénéficier de l'avantage financier résultant d'un retard dans la réalisation desdits investissements et ce, quelle qu'en soit la cause. Elle recommande donc que l'État n'accepte plus, dans les futurs contrats de plan, de compenser un investissement (ICAS comme IEAS) qui en serait exclu.

Recommandation n° 4 : Appliquer l'article 7.5 (ou 7.4) du cahier des charges à l'ensemble des investissements faisant l'objet d'une compensation.

C. La limitation de la rente autoroutière dans l'intérêt du concédant

496. Le constat fait par l'Autorité est celui d'une rente autoroutière. La rentabilité exceptionnelle des SCA ne paraît pas justifiée par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposées. S'il est possible, via une modification de la formule d'indexation du tarif des péages et un encadrement plus strict de la loi tarifaire issue des contrats de plan, de limiter la progression de cette rente, cette limitation serait toutefois dans le seul intérêt des consommateurs et non du concédant. C'est pourquoi l'Autorité a également cherché à rendre au concédant une partie de cette rente. S'il apparaît difficile d'utiliser la fiscalité compte tenu des dispositions du contrat de concession (1), deux moyens sont néanmoins envisageables à cette fin : l'obligation de réinvestissement des bénéfices et le partage de ceux-ci (2).

1. La limitation de la rente par la fiscalité est contrainte par les dispositions du contrat de concession

497. Lorsqu'une entreprise, en particulier en monopole, dispose d'une rente, le moyen le plus simple de la réduire est la fiscalité. Toutefois, le recours à celle-ci apparaît difficile en l'espèce compte tenu du cadre juridique de la concession autoroutière.

498. Les cahiers des charges annexés aux contrats de concession des six SCA privatisées comportent tous un article 32 ainsi rédigé : "en cas de modification substantielle ou de création après l'entrée en vigueur du présent contrat de concession, d'impôts, de taxes ou de redevances spécifiques aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, susceptibles de compromettre gravement l'équilibre de la concession, l'État et la société concessionnaire arrêteront d'un commun accord, dans l'intérêt de la continuité du service public, les compensations qui devront être envisagées". En revanche, le même article dans le contrat de concession de Cofiroute est rédigé d'une manière plus favorable au concessionnaire : "en cas de modification ou de création d'impôt, de taxes et redevances spécifiques aux concessionnaires d'ouvrages routiers à péage ou aux concessionnaires d'autoroutes, l'État et la société concessionnaire arrêtent d'un commun accord les compensations, par exemple tarifaires, qui devront être apportées pour assurer la neutralité de ces modifications ou créations sur l'ensemble constitué des comptes sociaux et de l'équilibre de la société concessionnaire, tels qu'ils se présenteraient, à la même date, en l'absence de ces modifications ou créations".

499. Par conséquent, dans le cas de Cofiroute, c'est toute modification ou création d'impôts, taxes ou redevances qui doit être compensée, même celles qui ne sont pas "susceptibles de compromettre gravement l'équilibre de la concession".

500. À cet article 32 du cahier des charges s'ajoutent les dispositions spécifiques à la taxe d'aménagement du territoire (TAT) instituée par la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. L'article 37 de celle-ci dispose en effet que "les conséquences de la [TAT] sur l'équilibre financier des sociétés concessionnaires sont prises en compte par des décrets en Conseil d'État qui fixent notamment les durées des concessions autoroutières". Sur la base de cette disposition, la création puis les augmentations successives de la TAT ont été compensées aux SCA, la dernière fois en 2011 à la suite de l'augmentation décidée par l'article 66 de la loi de finances pour 2010.

501. Toutefois, l'Autorité observe que l'augmentation de 50 % de la redevance domaniale mise en œuvre par le décret n° 2013-436 du 28 mai 2013 n'a pas été compensée aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, malgré un montant atteignant 100 millions d'euro. Si le décret a fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir - rejeté par le Conseil d'État dans son arrêt du 16 décembre 2013, la DIT a confirmé que les SCA n'ont pas, aujourd'hui, malgré leurs déclarations publiques, saisi le juge du contrat ni cherché à obtenir la compensation de cette hausse en application de l'article 32 de leur contrat de concession, y compris Cofiroute. Cette retenue pourrait toutefois s'expliquer par le contexte de la validation en cours du Plan de relance autoroutier. Rien n'interdit cependant à l'avenir aux SCA de chercher à en obtenir la compensation, que ce soit judiciairement via la saisine du juge du contrat ou par la négociation, via par exemple les contrats de plan.

502. Par conséquent, le recours à la fiscalité afin de limiter la rente autoroutière est contrainte par les dispositions du contrat de concession. Le risque ne peut en effet pas être écarté que l'État soit obligé de compenser les nouvelles dispositions dès lors que, "substantielles", elles seraient "susceptibles de compromettre gravement l'équilibre de la concession". Quant à Cofiroute, la compensation serait de droit, son contrat de concession étant bien plus protecteur que celui des autres SCA.

2. Les deux moyens de limiter la rente autoroutière

503. Avant d'aborder ces deux moyens, l'Autorité souligne que leur mise en œuvre se heurterait à un certain nombre de difficultés juridiques, notamment celles évoquées pour la formule d'indexation du tarif des péages (voir supra) ainsi que l'article L. 122-4 du Code de la voirie routière précitée. Dès lors, la saisine pour avis du Conseil d'État que l'Autorité recommande s'agissant de cette dernière apporterait des éclaircissements utiles sur la possibilité ou non d'introduire ces clauses dans le contrat de concession des SCA.

a) L'obligation de réinvestissement des bénéfices

504. Comme l'a constaté l'Autorité dans la section 2 (voir supra), les SCA gèrent toutes leur dette dans l'intérêt de leurs actionnaires. Les bénéfices considérables tirés de leur activité sont, pour une large part voire pour la totalité, distribués à une structure financière dédiée afin que celle-ci puisse rembourser la dette d'acquisition et, le cas échéant, rémunérer ses actionnaires. La conséquence, c'est qu'en contribuant à limiter la capacité d'autofinancement des SCA, ce choix des actionnaires les oblige à emprunter pour financer leurs investissements alors même qu'elles portent déjà une dette considérable.

505. L'Autorité recommande donc qu'une obligation de réinvestissement d'une partie (à déterminer) de leurs bénéfices dans l'infrastructure autoroutière soit introduite dans leur cahier des charges des SCA, afin de limiter à la fois la distribution des bénéfices et l'augmentation de l'endettement. En revanche, à moins qu'elle soit fixée à un niveau très élevé, elle n'aura pas d'effet sur le montant des investissements eux-mêmes, les SCA réalisant chaque année des investissements importants sur l'infrastructure autoroutière (incluant son entretien). Par ailleurs, à un niveau très élevé, elle serait de nature à compliquer le schéma de remboursement de la dette d'acquisition et à mettre en difficulté les structures financières dédiées, en particulier Eiffarie. En effet, comme indiqué supra, cette dernière utilise la quasi-totalité des dividendes d'APRR pour rembourser la dette d'acquisition de celle-ci.

506. Une telle obligation aurait en outre un avantage supplémentaire pour l'État. En limitant l'endettement des SCA, elle pourrait réduire le montant de leurs charges financières et, par conséquent, l'avantage fiscal qui en découle (lequel s'élève à 430 millions d'euro par an).

b) La clause de partage des bénéfices

507. Comme l'a relevé la Cour des comptes, "les nouvelles conventions de concession protègent les intérêts du concédant avec une clause de partage des résultats de la concession si le chiffre d'affaires est plus important que ne le prévoyaient les parties au contrat". Ces clauses peuvent prendre les deux formes suivantes :

- une redevance versée au concédant dans le cas où la somme des cash-flows disponibles pour le service de la dette du concessionnaire depuis le début de la concession dépassera un certain seuil (cas d'Alis) ;

- une redevance versée au concédant (et, le cas échéant, aux collectivités locales contributrices) lorsque le chiffre d'affaires cumulé du concessionnaire dépassera un certain seuil (cas d'Aliènor, d'Atlandes et d'Arcour) ;

508. Ces clauses de partage des résultats sont ainsi très particulières puisque le cumul des redevances qui seront éventuellement versées sera plafonné au montant des concours publics apportés par l'État et, le cas échéant, les collectivités territoriales contributrices. De plus, ces redevances sont dues sur le seul critère d'un seuil de chiffres d'affaires, quelle que soit donc la rentabilité de la SCA concernée. Par conséquent, ces clauses s'apparentent plus à des clauses de remboursement (éventuel), par les SCA, des concours publics dont elles ont bénéficié qu'à de véritables clauses de partage des résultats.

509. Bien qu'il n'en existe pas actuellement pour les SCA "historiques", l'Autorité recommande d'intégrer dans le contrat de concession de ces dernières une véritable clause de partage des bénéfices, non limitée par le montant des concours publics, lesquels représentent d'ailleurs pour elles des montants limités (51). Le résultat net incluant, par définition, le remboursement de la dette, l'impact d'une telle clause sur leurs cash-flows et donc sur leur capacité à assumer leur dette, serait nul.

510. Si le concédant suit cette recommandation, il lui faudra déterminer le seuil à partir duquel les bénéfices seront partagés avec le concessionnaire et, surtout, la part qui lui revient. S'il apparaît logique, dans la perspective d'une limitation de leur rente, que le partage des bénéfices se déclenche à partir d'un seuil de rentabilité et non d'un seuil de chiffres d'affaires, ce dernier présente l'avantage d'être moins susceptible de manipulation comptable que le résultat. Le concédant, s'il devait élaborer cette clause, devra tenir compte d'un tel risque. Enfin, ces sommes pourront être versées directement au budget général ou abonder celui de l'AFITF et contribuer ainsi au financement de nouvelles infrastructures de transport.

Recommandation 5 : Inclure dans les contrats de concession des SCA une obligation de réinvestissement partiel des bénéfices ainsi qu'une clause de partage de ceux-ci2.

II. Améliorer les conditions de la concurrence dans les appels d'offres des SCA

511. Les obligations actuelles de publicité et de mise en concurrence, si elles sont formellement respectées par les SCA, sont appliquées de telle sorte que la pondération du critère prix qu'elles ont pu retenir comme les méthodes de notation de celui-ci peuvent entraîner des risques concurrentiels identifiés supra. Dès lors, le seul renforcement de ces obligations (A), s'il est nécessaire, ne peut suffire à garantir une concurrence normale dans les appels d'offres des SCA. Il doit être complété par un renforcement des contrôles de celles-ci à un triple niveau : au sein des groupes Vinci et Eiffage eux-mêmes, de leur commission consultative des marchés et, enfin, de la commission nationale des marchés (B).

A. Renforcer les obligations de publicité et de mise en concurrence

1. Abaisser les seuils de publicité et de mise en concurrence

512. L'analyse faite par l'Autorité des marchés de travaux des SCA a montré qu'une part non négligeable de ceux-ci - les marchés d'un montant inférieur à 2 millions d'euro - échappait à leurs obligations de publicité et de mise en concurrence. Certes, elles ont toutes institué, de leur propre initiative, pour ceux-ci, des procédures particulières de publicité et de mise en concurrence mais celles-ci sont par conséquent laissées à leur discrétion. De plus, celles d'ASF et d'ESCOTA ont fait preuve d'une efficacité très limitée puisque certaines années, la part des travaux réalisée par des entreprises liées a atteint 100 %.

513. L'Autorité recommande donc que les obligations de publicité et de mise en concurrence inscrite dans l'article 6 du cahier des charges des SCA soient désormais applicables à partir d'un seuil de 500 000 euro HT. En revanche, il n'apparaît pas opportun d'abaisser dans les mêmes proportions le seuil applicable aux fournitures et aux services (240 000 euro), ces marchés ne présentent pas les mêmes enjeux concurrentiels que les marchés de travaux. Enfin, à l'application des lourdes procédures formalisées de mise en concurrence du décret du 30 décembre 2005, pourraient être préférée, pour les marchés de travaux entre 500 000 et 2 millions d'euro HT, une procédure adaptée et harmonisée entre les SCA.

514. L'abaissement du seuil de mise en concurrence présente également un autre avantage. L'Autorité a pu constater, avec la CNM, que les SCA appartenant au groupe Vinci (ASF, ESCOTA et Cofiroute) et Eiffage (APRR et AREA) ne transmettaient pas à leur CCMC les informations relatives à leurs achats de travaux d'un montant supérieur à 500 000 euro HT et inférieurs au seuil de mise en concurrence. Dès lors, ces achats pourraient être examinés par les CCMC et celles-ci être en mesure, comme la CNM le recommande, de vérifier que les SCA ne fractionnent pas leurs marchés de manière à échapper à leurs obligations de publicité et de mise en concurrence.

Recommandation n° 6 : Abaisser à 500 000 euro HT le seuil de mise en concurrence pour les marchés de travaux des SCA et leur appliquer, le cas échéant, une procédure adaptée jusqu'à 2 millions d'euro HT.

2. Imposer la publication d'un avis de pré-information

515. En application de l'article 15 du décret du 30 décembre 2005, "à partir du seuil de 750 000 HT pour les fournitures et les services et de 5 186 000 HT pour les travaux, un avis de pré-information, conforme au modèle fixé par le règlement communautaire n° 1564-2005 susvisé, est soit adressé pour publication à l'Office des publications officielles de l'Union européenne, soit publié sur le profil d'acheteur du pouvoir adjudicateur […]. La publication d'un avis de pré-information n'est obligatoire que pour le pouvoir adjudicateur qui entend recourir à la faculté de réduire les délais de réception des offres en application du 2° du I de l'article 29 et du II de l'article 32". Consultées sur ce point, les SCA ont toutes fait savoir qu'elles appliquaient très rarement, voire jamais cette disposition.

516. Toutefois, afin de renforcer la concurrence sur les marchés de travaux des SCA et, en particulier, de contrecarrer l'effet d'éventuels échanges d'informations entre celles-ci et les sociétés liées (voir supra), il serait souhaitable de leur imposer la publication systématique, pour les marchés d'un montant supérieur au seuil susmentionné, d'un avis de pré-information. Par ailleurs, cet avis de pré-information ne devra pas, comme il est prévu dans l'article 15 du décret précité, se traduire par la réduction du délai de réception des offres.

517. De même, il pourrait être utile que l'annexe des contrats de plan récapitulant l'ensemble des investissements prévus pour les cinq prochaines années soit rendue publique, les montants de ceux-ci pouvant bien sûr être confidentialisés.

Recommandation n° 7 : Imposer aux SCA, pour leurs marchés de travaux soumis à publicité et mise en concurrence, une obligation de pré-information par la publication d'un avis au moins six mois avant le lancement de l'appel d'offres ainsi que la publication des investissements prévus par les contrats de plan.

3. Privilégier l'appel d'offres ouvert pour les marchés simples

518. Il a été constaté que, dans la quasi-totalité de leurs appels d'offres pour des marchés de travaux, les SCA recourent à la procédure de l'appel d'offres restreint. Certes, en application de l'article 7 du décret du 30 décembre 2005, elles ont la liberté de choix entre celle-ci et la procédure de l'appel d'offres ouvert. Toutefois, ce choix privilégié de l'AOR, y compris pour des marchés sans difficulté technique particulière et d'un faible montant, a pour conséquence de limiter le nombre d'offres en concurrence, notamment du fait des exigences requises pour postuler. Les PME sont les premières victimes de cette pratique alors que les "majors" du BTP que sont Vinci et Eiffage disposent évidemment des références nécessaires pour voir leur candidature retenue.

519. Dans l'idéal, les SCA ne devraient utiliser que la procédure de l'appel d'offres ouvert mais celle-ci présente des inconvénients et n'est pas adaptée à l'ensemble des marchés, en particulier les plus complexes. C'est pourquoi, plutôt que la systématisation de l'appel d'offres ouvert, l'Autorité estime que la procédure restreinte doit être limitée aux marchés pour lesquels elle est strictement nécessaire.

Recommandation n° 8 : Privilégier l'appel d'offres ouvert pour les marchés de travaux techniquement simples

4. Renforcer les obligations pesant sur Cofiroute

520. Cofiroute ayant toujours été une entreprise privée, elle bénéficie de formalités de mise en concurrence très allégées en comparaison des autres SCA. En particulier, les dispositions de l'article 6 d leur cahier des charges ne se retrouvent pas dans le sien, si bien qu'elle est soumise aux seules obligations légales et communautaires de publicité et mise en concurrence. Or, celles-ci ne s'appliquent qu'à partir du seuil de 5,186 millions d'euro et uniquement pour les marchés passés avec des tiers, ce qui n'est jamais le cas de Cofiroute. De plus, celle-ci ne dispose pas en son sein d'une commission consultative des marchés et ne relève donc pas du contrôle de la commission nationale des marchés (voir annexe 10).

521. L'Autorité considère que depuis 2006, Cofiroute est dans la même situation que l'ensemble des autres sociétés concessionnaires d'autoroutes. Que cette entreprise ait toujours été privée ne justifie en rien qu'elle échappe aujourd'hui aux obligations pesant sur des sociétés elles aussi privées, dont l'activité est identique et qui, comme elle, sont financées par les péages des automobilistes.

522. Cofiroute a toutefois fait savoir, lors de l'instruction de l'avis, avoir "décidé de revoir ses procédures de dévolution des contrats dans l'esprit des recommandations de l'avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 du Conseil de la concurrence" en rapprochant celles-ci de celles applicables aux autres SCA. Ces procédures, intégrées dans une note interne, ont été validés par le Conseil d'Administration de Cofiroute.

523. Si l'Autorité se félicite que, d'elle-même, Cofiroute aligne ses obligations de publicité et de mise en concurrence sur celles applicables aux autres SCA, elle considère toutefois qu'un tel alignement ne doit pas être laissé à la discrétion de l'entreprise qui, à l'avenir, aura toujours la possibilité de le remettre en cause. C'est pourquoi elle recommande que lesdites obligations soient, comme pour toutes les autres SCA, intégrées dans le cahier des charges de Cofiroute. En séance, le président de Vinci-Autoroute s'est déclaré favorable à une telle modification du contrat de concession.

524. De plus, il serait également souhaitable que le gouvernement modifie la rédaction du décret n° 2004-86 du 26 janvier 2004 précité afin que ses dispositions s'appliquent également et sans équivoque à Cofiroute. En effet, aux termes de l'article 1er du décret, la commission nationale des marchés "veille au respect, par les sociétés publiques concessionnaires d'autoroutes ou d'ouvrages d'art, de la réglementation applicable en matière de passation et d'exécution des marchés de travaux, de fournitures et de services". Toutefois, malgré le terme "publiques", la CNM est aujourd'hui bel et bien compétente tant pour les deux dernières SCA publiques que sont l'ATMB et la SFTRF que pour les six SCA ex-publiques et désormais privées. Dès lors, soit la CNM n'est compétente que pour les SCA publiques (interprétation stricte), soit elle est compétente pour l'ensemble des SCA, qu'elles soient publiques ou privées (interprétation large). Dans ce dernier cas, qui est l'interprétation actuelle de cette disposition, il serait incohérent que Cofiroute ayant décidé d'appliquer les mêmes règles que les autres SCA et ayant créé en son sein une commission des marchés échappe à l'avenir au contrôle de la CNM.

Recommandation n° 9 : Modifier le cahier des charges de Cofiroute afin de lui appliquer les mêmes obligations de publicité et de mise en concurrence que celles des autres SCA et modifier par coordination le décret du 26 janvier 2004 afin que Cofiroute relève explicitement du contrôle de la Commission nationale des marchés.

B. Renforcer le contrôle des obligations de mise en concurrence

1. Le contrôle par les SCA elles-mêmes et les groupes auxquels elles appartiennent

525. La privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes s'est faite, en 2006, au profit des deux grands groupes de travaux publics que sont Vinci et Eiffage. Avec Cofiroute, qui appartient désormais en totalité à Vinci, ces deux groupes sont propriétaires, en totalité ou en majorité, de cinq des sept SCA "historiques". L'appartenance des SCA à des groupes comportant des filiales à même de candidater à des appels d'offres pour des marchés de travaux d'un montant considérable pose, en elle-même, un risque concurrentiel : les éventuels échanges d'informations de nature à favoriser l'entreprise liée et au-delà, facilitant une répartition des marchés.

526. L'Autorité considère que des procédures internes aux groupes Vinci et Eiffage ou, à défaut ou en complément, de mesures législatives ou réglementaires inspirées de celles prévues dans le projet de loi portant réforme ferroviaire en cours d'examen au Parlement (52) pourraient être adoptées, parmi lesquelles :

- la sensibilisation des responsables opérationnels des marchés des SCA au droit de la concurrence et au risque encourus en cas d'échanges d'informations ;

- l'encadrement de la mobilité entre les sociétés concessionnaires d'autoroutes et les entreprises de travaux routiers de toute personne ayant eu à connaître des informations confidentielles du fait de ses fonctions, sous le contrôle et selon des modalités définies par l'autorité indépendante.

Recommandation n° 10 : Instituer, au sein des groupes Vinci et Eiffage, des procédures tendant à prévenir les échanges d'informations entre les filiales autoroutières et les filiales de travaux routiers II. Améliorer les conditions de la concurrence dans les appels d'offres des SCA

2. Le contrôle par les commissions consultatives des marchés

527. Parmi les recommandations régulièrement émises par la Commission nationale des marchés, l'Autorité estime également nécessaire que la liste des achats de travaux d'un montant supérieur à 500 000 euro soit transmise aux CCMC afin qu'elles puissent s'assurer que les SCA n'ont pas fractionné leurs marchés. Toutefois, dès lors que le seuil de mise en concurrence serait, pour les marchés de travaux, abaissé à 500 000 euro, cette recommandation récurrente de la CNM pourrait être dans les faits satisfaite.

528. En revanche, l'Autorité appuie une autre recommandation de la CNM que toutes les SCA, à l'exception de la SANEF et de la SAPN, refusent d'appliquer alors même qu'elle serait de nature à renforcer le contrôle des CCMC. En effet, ASF et ESCOTA, d'une part, APRR et AREA, d'autre part, ne transmettent pas à leur CCMC tous les avenants aux marchés qu'elles ont examinés alors même que ceux-ci sont de nature, comme le rappelle régulièrement la DGCCRF, à remettre en cause les conditions de la mise en concurrence initiale.

529. Aujourd'hui, après qu'APRR et AREA ont fait savoir qu'elles allaient désormais transmettre leurs avenants, les pratiques des SCA en la matière sont les suivantes :

2. Le contrôle par les commissions consultatives des marchés

527. Parmi les recommandations régulièrement émises par la Commission nationale des marchés, l'Autorité estime également nécessaire que la liste des achats de travaux d'un montant supérieur à 500 000 euro soit transmise aux CCMC afin qu'elles puissent s'assurer que les SCA n'ont pas fractionné leurs marchés. Toutefois, dès lors que le seuil de mise en concurrence serait, pour les marchés de travaux, abaissé à 500 000 euro, cette recommandation récurrente de la CNM pourrait être dans les faits satisfaite.

528. En revanche, l'Autorité appuie une autre recommandation de la CNM que toutes les SCA, à l'exception de la SANEF et de la SAPN, refusent d'appliquer alors même qu'elle serait de nature à renforcer le contrôle des CCMC. En effet, ASF et ESCOTA, d'une part, APRR et AREA, d'autre part, ne transmettent pas à leur CCMC tous les avenants aux marchés qu'elles ont examinés alors même que ceux-ci sont de nature, comme le rappelle régulièrement la DGCCRF, à remettre en cause les conditions de la mise en concurrence initiale.

529. Aujourd'hui, après qu'APRR et AREA ont fait savoir qu'elles allaient désormais transmettre leurs avenants, les pratiques des SCA en la matière sont les suivantes :

"emplacement tableau"

530. Ces pratiques, à l'exception de celle de la SANEF et de la SAPN, ne sont pas satisfaisantes considérant le fait que les avenants peuvent remettre en cause les conditions initiales de la mise en concurrence et présente, en tant que tels, un risque concurrentiel identifié supra.

531. L'Autorité recommande donc que les SCA transmettent à leur CCMC tous les avenants qui excèdent 5 % du montant initial des marchés qu'elle a examinés.

Proposition n° 11 : Imposer aux SCA de transmettre à leur CCMC les avenants excédant 5 % du montant initial des marchés que celle-ci a examinés.

3. Donner à la commission nationale des marchés la compétence de saisir le juge administratif d'un appel d'offres dont elle estimerait la légalité douteuse

532. La Commission nationale des marchés dispose de pouvoirs limités qui, par ailleurs, en raison de dysfonctionnements internes, n'ont jamais été utilisés jusqu'à présent. Toutefois, son nouveau président M. Christian Descheemaeker, nommé le 21 février 2014, a confirmé lors de l'instruction de l'avis sa volonté de mettre en œuvre les prérogatives que confère à la CNM le décret n° 2007-940 précité. L'Autorité se félicite d'une telle évolution qui ne peut qu'être favorable au respect, par ces dernières, de leurs obligations de publicité et de mise en concurrence.

533. L'Autorité estime toutefois que les pouvoirs de la CNM pourraient être élargis sur un point précis dont la nécessité a été mise en évidence supra. En effet, la particularité des marchés de travaux des SCA, qui sont juridiquement des contrats administratifs (53), est qu'ils n'ont quasiment jamais fait l'objet d'un recours - en particulier d'un référé précontractuel - depuis 2006. En tout et pour tout, sur plus de 500 marchés passés depuis cette date, seuls trois ont fait l'objet d'un contentieux qui, dans les trois cas, a abouti à l'annulation de l'appel d'offres (54).

534. C'est d'autant plus surprenant qu'il a été démontré supra que la pondération du critère prix comme l'utilisation de certaines méthodes de notation du critère prix auraient pu justifier, en l'état de la jurisprudence, un recours de la part d'une entreprise évincée. Pourtant, ce n'a quasiment jamais été le cas et l'explication n'est pas juridique mais économique. Considérant l'importance des groupes Vinci et Eiffage dans le domaine des travaux publics et le fait que leurs concurrents sont peu nombreux et qu'ils travaillent tous avec eux en sous-traitance ou en groupement sur d'autres marchés, il n'est pas dans leur intérêt de s'opposer à eux par des recours contentieux contre un appel d'offres particulier de leurs filiales autoroutières, aussi contestable soit-il, a fortiori lorsqu'il est remporté par une de leurs filiales de travaux publics.

535. Ce fait est regrettable car il empêche le juge administratif de se prononcer sur l'application, par les SCA, de leurs obligations de publicité et de mise en concurrence. C'est pourquoi l'Autorité recommande, afin de contourner l'absence de saisine du juge administratif par ceux qui auraient intérêt à le faire, de donner compétence à la Commission nationale des marchés de le saisir elle-même d'un marché dont elle estimerait la légalité douteuse.

536. Cette recommandation, pour être mise en œuvre, exige une modification législative. En effet, l'article L. 551-10 du Code de justice administrative limite la possibilité d'engager un référé précontractuel :

- aux personnes qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l'État dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local ;

- à l'État, sauf si la demande porte sur des marchés ou contrats passés par celui-ci, lorsque la Commission européenne lui a notifié les raisons pour lesquelles elle estime qu'une violation grave des obligations de publicité et de mise en concurrence applicables a été commise.

537. Aux termes de cette disposition, telle qu'interprétée de manière constante par la jurisprudence (55), la Commission nationale des marchés ne peut être considérée comme un tiers ayant intérêt à agir car elle n'est ni directement ni indirectement susceptible d'être lésée par les manquements d'une SCA à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, n'ayant pas vocation à exécuter les prestations du marché (56). Le préfet ne pourrait pas plus saisir le juge des référés, les contrats n'étant pas passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local, de même que l'État, sauf dans le cas très particulier et inédit d'une demande de la Commission européenne.

538. Dans ces conditions, instituée pour veiller au respect, par les SCA, de leurs obligations de publicité et de mise en concurrence, la Commission nationale des marchés doit pouvoir légalité douteuse et, ainsi, préserver l'ordre public concurrentiel.

539. Compte tenu de la configuration du secteur des travaux publics et de la puissance des groupes Vinci et Eiffage, l'Autorité considère que permettre à la CNM de saisir le juge administratif est le seul moyen de garantir effectivement le respect, par leurs filiales autoroutières, de leurs obligations de publicité et de mise en concurrence.

540. De plus, la possibilité d'un recours est de nature à donner plus de poids aux éventuelles recommandations de la CNM en matière de bonnes pratiques dans les appels d'offres des SCA. Le rapport annuel de cette dernière, aujourd'hui confidentiel, pourrait par ailleurs être rendu public de droit, sans qu'il soit besoin d'une décision en ce sens des ministres concernés.

Recommandation n° 12: Par dérogation aux règles applicables à l'intérêt à agir, permettre à la Commission nationale des marchés, dont le rapport annuel serait rendu public, de saisir en référé le juge administratif contre un appel d'offres d'une SCA dont elle estimerait la légalité douteuse.

III. Rééquilibrer le Plan de relance autoroutier en faveur du concédant et des usagers

541. Aux deux enjeux structurels précédemment examinés que sont la régulation du secteur des autoroutes et la préservation d'une concurrence équilibrée dans les appels d'offres des SCA, l'Autorité a ajouté dans son analyse un enjeu plus conjoncturel : le Plan de relance autoroutier (PRA), qui est actuellement en cours d'examen par la Commission européenne. En effet, il s'intègre dans l'enjeu plus général de la régulation du secteur. Dès lors que la tarification des autoroutes ne pourra être remise à plat qu'à la fin des concessions, il est dans l'intérêt du concédant comme des usagers que celles-ci ne soient pas prolongées au-delà de leur terme actuel (entre 2027 et 2033).

542. Or, le PRA propose justement de prolonger jusqu'à six ans, sans mise en concurrence, les concessions autoroutières en échange de 3,6 milliards d'investissement destinés à relancer le secteur des travaux publics (A), faisant suite à une première prolongation par le "Paquet vert" en 2010 (B). Il retarderait donc d'autant la remise à plat de la tarification des autoroutes tout en posant, en tant que tel, des problèmes concurrentiels (C). Par conséquent, l'Autorité recommande qu'un tel Plan, défavorable à l'intérêt du concédant comme à celui des usagers, soit rééquilibré en leur faveur (D).

A. Un plan de relance autoroutier principalement dicté par le soutien à l'activité du secteur des travaux publics

543. À l'inverse du "Paquet vert", le Plan de relance autoroutier comporte principalement des travaux de construction et d'élargissement, impliquant également le transfert aux SCA de certaines sections actuellement non concédées (1). Ainsi conçu, ce Plan de 3,6 milliards d'euro est explicitement présenté par le gouvernement comme un moyen de relancer l'activité dans le secteur des travaux publics (2).

1. Un plan de relance centré sur des opérations de construction et d'élargissement impliquant également le transfert de certaines sections non concédées aux SCA

544. A partir de novembre 2012, l'État a négocié avec les SCA un "Plan de relance autoroutier". Les négociations ont été difficiles en raison des positions divergentes des parties à la fois sur le montant des investissements et sur leur contrepartie qu'est la prolongation de la durée des concessions ; elles ont également été perturbées par l'augmentation de la redevance domaniale versée par les SCA. Les discussions ont finalement abouti un an plus tard.

545. Ce plan de relance, dont l'Autorité a obtenu la communication "vise à attribuer aux concessionnaires autoroutier la réalisation de travaux complémentaires afin de poursuivre l'aménagement de leurs réseaux, dans une logique de parfait achèvement de ces réseaux, en l'adaptant aux besoins des usagers et en assurant une mise aux nouvelles normes environnementales de sections existantes pour lesquelles une telle obligation ne s'impose pas règlementairement, en contrepartie d'un allongement proportionné de la durée des concessions" (57).

546. Les opérations concernées (qui peuvent regrouper plusieurs sous-opérations) se répartissent comme suit entre les différentes SCA :

"emplacement tableau"

547. La grande majorité des opérations concernent des travaux de construction de sections nouvelles et d'ouvrages d'art ainsi que des travaux d'élargissement à 2x3 voies de sections existantes. Toutefois, deux exceptions sont à signaler :

- les études : figurent parmi les opérations d'APRR les études préalables à la construction du […], dont les travaux ne débuteront qu'à compter de 2018-2019. De même, parmi les opérations d'ASF figurent les études préalables à l'opération d'élargissement à 2x3 voies ;

- les aménagements environnementaux : si des mises aux normes environnementales sont parfois intégrées aux opérations d'élargissement, certaines opérations portent sur le réseau concédé lui-même, notamment en matière de protection de la ressource en eau ou de la faune. C'est le cas pour SANEF, ASF et Cofiroute ;

548. Les opérations d'élargissement peuvent quant à elles être rassemblées en trois catégories :

- les opérations d'élargissement à 2x3 voies portant sur des sections autoroutières déjà intégrées dans le périmètre de la concession ;

- les opérations d'élargissement à 2x3 voies portant sur des sections autoroutières aujourd'hui non concédées et qui seront intégrées dans le périmètre de la concession des SCA afin de financer l'élargissement. C'est le cas pour une section de 11 km de l'autoroute […] qui sera intégrée à la concession d'APRR afin de financer les travaux de mise à niveau et d'élargissements à 2x3 voies de cette même section ;

- les opérations d'élargissement à 2x2 voies portant sur […].

549. Il convient par ailleurs de signaler le cas de l'intégration dans la concession d'ESCOTA du tunnel de Toulon, de la section non concédée de l'autoroute A50 située entre la sortie 15 Toulon Ouest et l'entrée Ouest du tunnel de Toulon (1,5 km) ainsi que de la section de l'autoroute A57 située entre l'entrée Est du tunnel de Toulon et la bifurcation autoroutière A57/A570 à Pierreronde (7,5 km), celle-ci devant être élargie à 2x3 voies. S'agissant de cette dernière opération, l'A50 entre Marseille et Toulon et l'A57 entre Toulon et Le Cannet-des-Maures pénètrent chacune dans le centre de la ville de Toulon mais leurs sections urbaines ainsi que le tunnel de Toulon sont actuellement hors de l'assiette de la concession d'ESCOTA. Elles sont exploitées par l'État après avoir été construites en maîtrise d'ouvrage publique. Si l'intégration de ces sections est justifiée par le gouvernement comme permettant de parachever la concession d'ESCOTA et, ainsi, d'améliorer la fluidité et la sécurité du trafic, il lui permet également de transférer le tube sud du tunnel de Toulon dont les surcoûts ont été financés à hauteur de […] par l'État et les collectivités territoriales. L'intégration du tunnel de Toulon dans la concession d'ESCOTA lui fera prendre en charge ces surcoûts, sous la forme du versement d'une soulte de ce montant. En d'autres termes, l'État et les collectivités territoriales se feront rembourser ces surcoûts par ESCOTA qui en sera compensé via un allongement de la durée de sa concession.

550. Par conséquent, sous couvert d'un Plan de relance autoroutier, plusieurs sections du réseau routier et autoroutier non concédé seront transférées aux SCA en échange d'opérations d'élargissements de celles-ci.

551. Enfin, le cahier des charges des SCA sera modifié afin de prévoir des pénalités spécifiques supplémentaires en cas de non-respect par celles-ci de certaines dates clé du calendrier de réalisation des travaux. De plus, l'article 7.5 (ou 7.4) sera également complété afin de récupérer les gains en trésorerie liés au décalage de la réalisation des investissements (voir supra). Ces modifications sont encore en cours de finalisation par la DIT.

2. Un plan de soutien au secteur des travaux publics

552. S'il se présente sous la forme d'une relance du secteur autoroutier, contribuant à améliorer l'infrastructure autoroutière et, avec elle, la rapidité et la sécurité des transports automobiles terrestres, ce plan vise surtout, en pratique, à relancer l'emploi et à soutenir les entreprises de BTP, en particulier les PME (58). Le gouvernement ne fait d'ailleurs pas mystère de cet objectif qui n'est pas contestable en soi. Dans sa réponse à une question écrite du 26 décembre 2013 (59), il considère que "ces investissements importants permettraient d'alimenter la relance de l'économie française, avec la création de milliers d'emplois. Le gouvernement a bien la volonté d'engendrer de l'activité et de l'emploi pour les entreprises de travaux publics affectées par la crise économique". Par ailleurs, "les concessionnaires veilleront à l'égalité d'accès pour les PME et les très petites entreprises (TPE) aux marchés engendrés par ce plan de relance autoroutier, en poursuivant l'objectif de 55 % de marchés attribués aux entreprises non liées, dans le respect des dispositions légales et contractuelles en vigueur pour les processus d'attribution. Par ailleurs, elles sont d'accord pour mettre en place un observatoire associant l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) et la FNTP afin de suivre la dévolution des marchés de travaux pour le plan de relance".

553. Sur ce point, l'AFSA et la FNTP ont en effet signé le 30 septembre 2013 une déclaration commune affichant un objectif de 55 % des marchés se rapportant à ce Plan de relance attribués à des entreprises non-liées.

554. Plus précisément, les chiffres publiés dans la presse, notamment à l'initiative du président du groupe Vinci (M. Xavier A…) font état de 40 000 emplois pouvant être créés grâce à ce plan de relance et ce, sans impact sur les finances publiques. Comme l'indique la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) dans un communiqué du 23 juillet 2013, "ce nécessaire programme d'investissement peut se réaliser sans conséquence pour les équilibres budgétaires puisque l'État a la possibilité de mettre à profit le système de concession autoroutière à péage".

555. Toutefois, selon les dernières déclarations du secrétaire d'État aux transports M. Frédéric Cuvillier, lors de la notification officielle du Plan à la Commission européenne, le nombre d'emplois créés ne devrait pas dépasser 15 000, soit un coût de 240 000 euro par emploi créé.

B. Le précédent du "Paquet vert"

556. Alors que les investissements supplémentaires prévus par les contrats de plan sont compensés par une augmentation tarifaire, le "Paquet vert" adopté en 2009 dans le cadre du plan de relance de l'économie a innové par une compensation via la prolongation des concessions (1). Toutefois, selon le rapport d'exécution dudit "Paquet vert" transmis par le gouvernement à la Commission européenne en 2014, il apparaît que la rentabilité des investissements est, aujourd'hui, plus élevée que celle estimée à l'origine (2).

1. Le "Paquet vert" autoroutier

557. Le plan de relance de l'économie française, décidé par le gouvernement en 2009, comportait un volet autoroutier consistant à "verdir" les autoroutes françaises. En échange d'une prolongation d'un an de leur concession, l'ensemble des sociétés concessionnaires d'autoroutes, à l'exception d'APRR et d'AREA, se sont engagées à réaliser des investissements améliorant les performances environnementales de leur réseau. Parmi ceux-ci figuraient des investissements pour résorber les nuisances sonores, protéger la ressource en eau et la biodiversité et, surtout, réduire les émissions de dioxyde de carbone par le développement du télépéage sans arrêt (TSA).

558. Par SCA, les investissements se sont répartis comme suit (60) :

"emplacement tableau"

559. Juridiquement, ces investissements et leur modalité de réalisation ont été intégrés par avenant dans le cahier des charges des SCA, avenants approuvés par le décret n° 2010-328 du 22 mars 2010. Auparavant, l'article 25 de la loi n° 2009-179 du 17 février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés avait autorisé la prolongation, pour une durée maximale d'un an, des concessions autoroutières.

560. Toutefois, parce que celle-ci pouvait être assimilée à une aide d'État, le "Paquet vert" a, préalablement à sa mise en œuvre législative et réglementaire, été notifié à la Commission européenne. Celle-ci, dans sa décision du 17 août 2009, s'est attachée à vérifier que "le montant de la compensation, correspondant à la perception pour une année supplémentaire de recettes de péage, ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l'exécution de l'obligation de service public, à savoir la réalisation des travaux en cause, en tenant compte des recettes relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations".

561. Afin de s'assurer de l'absence de surcompensation et de satisfaire, sur ce point, la Commission, le gouvernement a défini la méthodologie suivante présentée comme suit dans la décision précitée : "afin de s'assurer que la mesure d'allongement ne surcompense pas les charges nettes nouvelles d'investissement imposées aux sociétés concessionnaires concernées, les autorités françaises ont défini pour chacune d'entre elles le coût brut des travaux à réaliser de telle sorte que la valeur actualisée des travaux corresponde à la valeur actualisée de l'année d'allongement de la concession en tenant compte d'un bénéfice raisonnable". La méthodologie de compensation repose notamment sur quatre hypothèses macro-économiques, communes à l'ensemble des SCA, que sont l'évolution de l'indice des prix à la consommation (hors tabac), des coûts de construction et du trafic autoroutier (VL et PL).

562. Considérant, sur la base de la méthodologie ainsi élaborée par le gouvernement, que "l'allongement d'un an des conventions de concession constitue, en principe, la compensation juste et nécessaire à la réalisation des travaux", la Commission européenne a considéré que "la mesure d'aide en cause est compatible avec le marché commun sur la base de l'article 86§2 du traité CE" sous réserve du respect des engagements souscrits par le gouvernement français.

2. Le rapport d'exécution du "Paquet vert" fait apparaître une rentabilité supérieure aux prévisions

563. Parmi ces engagements figurait la transmission à la Commission européenne d'un rapport "qui vérifiera notamment l'absence de surcompensation par la réalisation des travaux imposés". Ce rapport a été également transmis à l'Autorité qui a pu, dès lors, comparer les quatre hypothèses à la base de la méthodologie élaborée par le gouvernement avec leur réalisation.

564. Or, il apparaît que sur les cinq dernières années, les quatre hypothèses macro-économiques sur lesquelles a été bâtie la compensation du "Paquet vert" ne se sont pas réalisées. Les divergences sont particulièrement significatives s'agissant de l'évolution du trafic et ce, dans un sens favorable aux SCA. Une telle divergence sur ce point n'est d'ailleurs pas surprenante. La Cour des comptes relevait en effet, dans son rapport précité, que, pour les contrats de plan, "le modèle financier du ministère chargé des transports calcule les hausses tarifaires de base sur des hypothèses macroéconomiques qui sont souvent à l'avantage des concessionnaires, notamment celles relatives aux perspectives d'évolution du trafic".

565. En raison de l'évolution divergente des hypothèses macroéconomiques servant de base à la compensation des investissements, les taux de rentabilité interne de ceux-ci, recalculés sur la base de l'IPC, de l'indice TP1 et de l'évolution du trafic (VL et PL) réels, se révèlent supérieurs aux taux initialement prévus :

"emplacement tableau"

566. Ce tableau qui figure dans le rapport d'exécution comporte un biais de présentation. Les variations qu'il présente (quatrième colonne) y sont exprimées en pourcentage alors qu'en vérité, elles devraient être exprimées en point. Calculée en pourcentage par l'Autorité (cinquième colonne), la variation des TRI est en effet bien plus importante.

567. De plus, les investissements prévus par le "Paquet vert" devaient, comme le rappelle ce même rapport d'exécution "débuter dans le courant du dernier trimestre 2009 et se concentrer sur la période 2010-2011. Les aménagements nouveaux imposés aux sociétés concessionnaires devront être réalisés entre l'approbation de l'avenant aux conventions de concession et la fin de l'année 2011". Toutefois, en raison de retard pris par la rédaction desdits avenants, qui a en outre exigé une nouvelle base législative (61), les sociétés ont obtenu jusqu'au 26 mars 2013 pour réaliser leur programme de travaux.

568. Par conséquent, alors qu'ils devaient débuter au dernier trimestre 2009, les travaux n'ont commencé à être réalisés que six mois plus tard, si bien qu'ils se sont prolongés en 2012 et en 2013. Or, dans la méthodologie servant de base au calcul de la compensation, les coûts étaient actualisés à partir des décaissements, lesquels étaient censés tous intervenir avant la fin 2011. Les travaux ayant été retardés, la valeur actualisée de leur coût aurait dû être recalculée en conséquence. Cependant, la DIT a confirmé que "les effets de décalage ne sont pas pris en compte tant que le délai d'exécution est respecté". Comme une seule opération n'a pas été achevée dans les temps, la SCA fautive (ESCOTA) ayant d'ailleurs été sanctionnée par le versement d'une indemnité, les effets de ce décalage sur la compensation n'ont pas été mesurés dans le rapport d'exécution.

569. Quoi qu'il en soit, le gouvernement a pris acte de ces divergences mais considère "qu'à l'avenir, la réalisation va revenir au niveau de la prévision" en raison d'une évolution à long terme moins dynamique que prévue du trafic. Alors que celle-ci était estimée à 1% par an jusqu'à la fin des concessions, les services du ministère des transports anticipent désormais une hausse moindre, de l'ordre de 0,8% par an. Dès lors, "compte tenu des observations récentes sur les niveaux de trafic et de la réévaluation (à la baisse) de la dynamique des trafics à long terme et des prévisions d'inflation en 2013 et 2014, les autorités françaises estiment que le TRI recalculé est amené à revenir à des valeurs proches de celles initialement prévues", supprimant ainsi le risque de surcompensation, laquelle ne peut être définitivement constatée qu'à la fin de la concession.

C. Analyse concurrentielle du plan de relance

570. Le Plan de relance autoroutier présente des enjeux concurrentiels à la fois identiques et différents de ceux du "Paquet vert" : identiques parce que son principe est le même, à savoir que les concessionnaires échangent des investissements immédiats contre une prolongation à terme de leur concession, mais aussi différents car il consiste non pas en des investissements "verts", mais principalement en la construction de sections nouvelles et d'élargissements de sections existantes, pour un montant bien plus important, comme est bien plus longue la durée de la prolongation envisagée (jusqu'à six ans).

571. Comme le "Paquet vert", le Plan de relance autoroutier est constitutif d'une aide d'État et, à ce titre, il a été notifié à la Commission européenne le 16 mai 2014. La décision de celle-ci est attendue à l'automne.

572. S'il n'appartient pas à l'Autorité de se prononcer sur la conformité au droit communautaire du PRA, tant d'ailleurs à l'article précité qu'à la directive 2004-18-CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, elle s'est néanmoins livrée à une analyse concurrentielle de celui-ci et de ses conséquences sur le concédant et les usagers.

1. L'attribution de concessions autoroutières sans mise en concurrence

573. Ainsi qu'il a été dit supra, la pratique française en matière de construction d'autoroutes a pendant longtemps été celle de l'adossement. La construction des nouvelles sections d'autoroutes dans une même zone géographique était confiée de gré à gré, sans mise en concurrence, à un unique concessionnaire qui, en échange, voyait la durée de sa concession allongée et la liste de ses concessions élargie par avenant à son contrat de concession. La pratique de l'adossement a été abandonnée à la suite de l'avis du Conseil d'État du 16 septembre 1999 qui l'avait estimée contraire aux règles de mise en concurrence, en particulier la loi du 29 janvier 1993 (dite "loi Sapin) et la directive du 14 juin 1993 (dite "directive travaux"). Depuis lors, les nouvelles sections autoroutières ne sont plus concédées de gré à gré mais à l'issue d'une mise en concurrence et font l'objet d'un contrat de concession spécifique.

574. Or, ce que propose le PRA rappelle fortement la pratique de l'adossement. En effet, en application dudit Plan, les concessionnaires existants se verront attribuer de gré à gré, sans mise en concurrence, la construction et l'exploitation de nouvelles sections autoroutières via la modification par avenant de la liste de leurs concessions.

575. S'appuyant sur les caractéristiques des sections concernées, notamment leur situation géographique, leur niveau de trafic, leur coût au kilomètre et leur rentabilité éventuelle, le gouvernement soutient toutefois qu'une mise en concurrence pour l'attribution de celles-ci ne présenterait pas de pertinence juridique et économique. C'est pourquoi il s'appuie sur l'article 61 de la directive 2004-18-CE précitée qui autorise le concédant à attribuer des travaux complémentaires au concessionnaire sans publicité ni mise en concurrence, par avenant au contrat de concession, sous réserve que toutes les conditions suivantes soient satisfaites :

- l'existence d'une circonstance imprévue ;

- la nécessité des travaux complémentaires à l'exécution de l'ouvrage initial, soit parce que ceux-ci lui sont indivisibles techniquement ou économiquement, soit par qu'ils sont strictement nécessaires à son perfectionnement ;

- la limitation à 50% du montant des travaux complémentaires par rapport au montant de l'ouvrage initial faisant l'objet de la concession.

576. Le gouvernement considère que toutes ces conditions sont remplies. Il appartiendra à la Commission européenne de juger de la pertinence de ses arguments et, notamment des choix qu'il a faits pour définir le contrat initial et valoriser son montant, choix que l'Autorité n'est par ailleurs pas en mesure d'expertiser (62). Sa décision du 17 août 2009 ne constitue dès lors pas un précédent totalement pertinent puisque, comme elle le soulignait, "les travaux projetés et imposés aux sociétés concessionnaires dans le présent contexte [le Paquet Vert] n'incluent pas la réalisation de sections nouvelles, lesquelles ne sont attribuées qu'après mise en concurrence".

577. De plus, non seulement de nouvelles sections autoroutières seront intégrées dans le périmètre des concessions existantes sans mise en concurrence mais la prolongation de ces dernières elles-mêmes pourrait être assimilée à une attribution sans mise en concurrence. En effet, si une concession comme celle de la SAPN doit prendre fin en 2029, le fait qu'elle soit prolongée jusqu'en […] pourrait s'analyser, non seulement comme une modification de la concession, mais aussi comme une réattribution de celle-ci, sans mise en concurrence, au concessionnaire actuel.

578. Il convient de rappeler que les concessions autoroutières des sept SCA "historiques" ont, à l'origine, été attribuées de gré à gré par l'État à partir des années 60 et prolongées à deux reprises (par l'ordonnance du 28 juin 2001 puis par le "Paquet vert") sans mise en concurrence. Si la Commission considérait, avec le gouvernement, que les travaux prévus par le Plan de relance entrent bien dans le champ d'application de l'article 61 précité et, qu'à titre de compensation, ils peuvent être assortis d'un allongement de la durée des concessions, il ne faudrait pas créer un précédent qui conduise le pouvoir adjudicateur, à l'approche de l'échéance de la fin des concessions, à céder systématiquement à la demande de retarder celle-ci.

2. Une compensation reposant sur des hypothèses incertaines

579. Les opérations prévues par le Plan de relance ne figurant pas dans le contrat de concession des SCA, l'État ne peut les leur imposer qu'à la condition de compenser les charges nouvelles qui en résultent et ce, afin de maintenir l'équilibre financier de la concession.

580. L'équilibre du Plan de relance autoroutier, comme" celui du "Paquet vert", reposera donc sur une compensation des investissements réalisés aujourd'hui par les SCA par un allongement de la durée de la concession de celles-ci. En d'autres termes, c'est seulement au terme de leur concession actuelle qu'elles se feront rembourser. L'Autorité a analysé la méthodologie de la compensation retenue par le gouvernement qui est exactement la même que celle prévue pour le "Paquet vert", à savoir, pour chaque SCA :

- la détermination, d'une part, de l'ensemble des coûts (dépenses d'investissement initiales, de gros entretien et de renouvellement, à l'exclusion des dépenses d'entretien normales) et des charges d'exploitation et, d'autre part, des recettes (mise à péage des nouvelles sections) et des économies éventuelles (économies d'impôt sur les sociétés notamment). La comparaison entre ces charges et ces produits, qui fait l'objet d'une actualisation, aboutit au montant devant être compensé à la SCA ;

- le calcul de la durée d'allongement nécessaire pour compenser exactement ce montant restant à la charge de la SCA, celui-ci reposant sur la méthode dite des "discounted cash flows".

581. Par construction, le modèle est équilibré et l'allongement strictement nécessaire et proportionné au coût actualisé des opérations du Plan de relance. Toutefois, comme pour le "Paquet vert", il repose sur une série d'hypothèses économiques dont les principales sont les suivantes :

- inflation : […] ;

- évolution des coûts de construction : […] ;

- évolution du trafic VL : […] ;

- évolution du trafic PL : […] ;

- taux de rentabilité interne : variable selon les sociétés (voir supra).

582. Toutefois, le précédent du "Paquet vert" montre toute la difficulté d'établir des prévisions économiques sur une durée aussi longue que celle d'une concession autoroutière. De plus, s'agissant du Plan de relance, les incertitudes sont encore plus grandes compte tenu de ses caractéristiques.

583. En effet, les investissements prévus par le "Paquet vert", non seulement représentaient des montants bien moindres mais ils n'étaient pas des investissements de capacité. Destinés à améliorer le bilan écologique des autoroutes, ils ne généraient pour l'essentiel que des flux négatifs de trésorerie. En revanche, les investissements prévus par le Plan de relance seront en majorité des investissements de construction ou d'élargissement de sections autoroutières, lesquelles sont susceptibles, selon les hypothèses du gouvernement, de générer un surcroît de trafic et, par conséquent, des flux de trésorerie positifs supplémentaires.

584. Certes, les recettes induites par les opérations concernées ont bien été prises en compte dans le calcul de la compensation. Toutefois, l'impact de l'évolution du trafic, en particulier, sera considérable sur l'équilibre de celle-ci, bien plus que pour le "Paquet vert". Or, l'évolution du trafic, plus que l'évolution de l'indice des prix ou des coûts de construction, est justement celle qui a fait l'objet de la plus mauvaise prévision dans le cadre du "Paquet vert". En effet, non seulement elle est corrélée à l'évolution du PIB ou du prix des carburants mais elle est également fortement influencée par des décisions politiques. Certaines peuvent être favorables, comme l'écotaxe (63), d'autres défavorables comme un éventuel alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l'essence. Dans tous les cas, il est impossible de garantir, sur vingt ans, à partir d'hypothèses d'évolution de trafic aussi incertaines, une compensation équilibrée des investissements réalisés aujourd'hui.

585. Ce qui vaut pour les hypothèses de trafic vaut également pour les autres hypothèses. Pas une seule de celles du "Paquet vert" ne s'est réalisée. Certes, il est possible de considérer, avec le gouvernement, qu'à long terme, les hypothèses se réaliseront et que le décalage ne sera que temporaire. Toutefois, rien n'est moins sûr et la seule chose certaine dans le Plan de relance autoroutier, comme dans le "Paquet vert", est la durée de la prolongation des concessions autoroutières au bénéfice des concessionnaires actuels.

586. En effet comme l'explique le gouvernement, "le plan de relance est conclu sur un équilibre financier reposant notamment sur un certain nombre d'hypothèses macro-économiques qui ne seront pas révisées une fois le contrat conclu. Les concessionnaires garderont donc à leur charge ou à leur bénéfice tous les risques et périls relatifs à l'évolution des variables du modèle financier présenté par rapport aux hypothèses prévisionnelles de référence retenues dans le cadre de la négociation. Il s'agit là du principe même de la concession". Toutefois, si l'éventualité d'une surcompensation est inhérente au contrat de concession, l'article 106 §2 du TFUE (ex-article 86§2 du Traité CE), tel qu'interprété par la Commission européenne dans sa décision précitée, exige que l'allongement de la durée de la concession soit strictement nécessaire et proportionné aux coûts des travaux. La question se pose donc du degré d'incertitude que la Commission européenne peut raisonnablement admettre pour considérer qu'il n'y aura pas de surcompensation et, par conséquent, que la durée d'allongement prévue n'affectera pas le développement des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union.

3. Une compensation par l'allongement de la durée des concessions

587. Parce qu'ils ne figurent pas dans le contrat de concession, les investissements figurant dans le plan de relance doivent être compensés aux concessionnaires. Toutefois, comme le reconnaît le gouvernement, cette compensation peut prendre la forme soit d'une hausse des tarifs des péages, soit d'un allongement de la durée de la concession, soit un mix des deux.

588. La compensation aurait donc pu prendre la forme, en partie ou en totalité, d'une augmentation du tarif des péages. Toutefois, le gouvernement considère qu' "une compensation par une hausse des tarifs des péages autoroutiers excèderait largement l'inflation et le niveau d'acceptabilité sociale des péages par les usagers. Passé ce niveau d'acceptabilité, les usagers sont fortement incités à délaisser l'autoroute à péage au profit d'itinéraires alternatifs gratuits, même lorsque ceux-ci n'offrent pas le même niveau de service que l'autoroute à péage. Il n'est donc pas possible de financer les projets du plan de relance par une hausse des péages au risque de voir le trafic s'effondrer".

589. Le gouvernement a calculé, par SCA, la hausse des tarifs des péages qui serait nécessaire afin de compenser sur un an l'intégralité des projets du Plan de relance :

"emplacement tableau"

590. Si l'on peut admettre qu'une hausse de 10,55 % du tarif des péages de […] est difficilement acceptable par les usagers dans le contexte actuel, une augmentation de 3 % des tarifs des péages […] aurait un impact limité, même si ceux-ci ont fortement augmenté au cours de la période récente. D'ailleurs, malgré ces fortes hausses, […] n'a pas enregistré un "effondrement" du trafic mais au contraire une légère progression depuis 2007. Le niveau d'acceptabilité sociale invoqué par le gouvernement tient de l'affirmation, non de la démonstration, et doit s'apprécier à la fois en fonction de la hausse envisagée comme du niveau actuel des tarifs, lesquels peuvent considérablement varier selon les SCA.

591. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 122-4 du Code de la voirie publique, "il peut être procédé à un allongement de la durée de la délégation lorsque leur financement ne peut être couvert par l'augmentation raisonnable des tarifs de péage". À moins de supposer augmentation de 3 % n'est pas raisonnable, l'Autorité s'interroge sur la conformité du choix de l'allongement de la durée des concessions avec cette disposition législative.

4. L'objectif d'attribuer 55 % des travaux à des entreprises non liées, non formalisé et non sanctionné, est d'une portée incertaine

592. Dans le Plan de relance tel qu'il a été notifié à la Commission européenne, le gouvernement précise que "les travaux objets de la présente mesure seront mis en concurrence par les sociétés concessionnaires d'autoroutes". Il rappelle les obligations de publicité et de mise en concurrence applicables à celles-ci, notamment celles découlant de l'article 6 du cahier des charges, ainsi que la déclaration commune de l'ASFA et de la FNTP du 30 septembre 2013 affichant un objectif de 55 % des marchés attribués à des entreprises non liées.

593. Toutefois, l'objectif de 55 %, dont on ne sait s'il s'applique au nombre ou au montant des marchés de travaux ainsi qu'à la sous-traitance, n'est qu'un objectif découlant d'une simple déclaration d'organisations professionnelles dont la réalisation est d'ailleurs subordonnée au respect des procédures de publicité et de mise en concurrence. Le seul contrôle dont il fera l'objet sera un suivi, par un observatoire AFSA/FNTP de la dévolution des marchés de travaux dont les comptes rendus seront transmis pour information au concédant. Ce contrôle ne sera assorti d'aucune sanction.

594. Par ailleurs, si le gouvernement rappelle dans le PRA les obligations pesant sur Cofiroute au titre de l'ordonnance du 15 juillet 2009, celles-ci sont de simples obligations de publicité et non de mise en concurrence. De plus, elles ne sont applicables que pour les marchés de travaux passés avec des tiers d'un montant supérieur à 5,186 millions d'euro HT, ce qui n'a jamais été le cas d'aucun marché de Cofiroute. Il convient toutefois de rappeler que cette dernière a décidé, d'elle-même, d'aligner ses obligations de publicité et de mise en concurrence sur celles applicables aux autres SCA.

D. Conclusion : défavorable en l'état à concurrence comme à l'intérêt du concédant et des usagers, le plan de relance doit être rééquilibré

1. Un plan de relance défavorable à l'intérêt du concédant et des usagers

595. La prolongation des concessions est l'objectif principal des SCA puisque sans leur concession, elles sont sans objet, ni actif, ni revenu. Il est donc logique qu'elles cherchent à la prolonger, a fortiori sans mise en concurrence.

596. De plus, une telle prolongation, parce qu'elle se justifie par la construction de sections nouvelles, bénéficiera également aux groupes de travaux publics auxquels elles appartiennent pour cinq d'entre elles. Dans ces conditions, le Plan de relance autoroutier présente un double avantage : non seulement les SCA bénéficieront, pendant plusieurs années supplémentaires, sans mise en concurrence, du produit des péages mais leurs actionnaires se verront attribuer, comme actuellement, une part importante des travaux. Ces mêmes actionnaires bénéficieront également, pendant plusieurs années supplémentaires, des dividendes versés par les SCA.

597. Si l'intérêt pour ce Plan des SCA et des groupes auxquels elles appartiennent est évident, il n'en va pas de même pour le concédant et les consommateurs. Si l'État le justifie par la nécessité de relancer l'activité dans le secteur des travaux publics, relance qu'il est dans l'impossibilité aujourd'hui de financer lui-même, et par l'amélioration de l'infrastructure autoroutière, ce plan aura pour effet de retarder jusqu'à six ans la fin des concessions autoroutières et, avec elle, la maîtrise par le concédant de l'exploitation des autoroutes et une éventuelle baisse très importante du tarif des péages au bénéfice des usagers (car l'infrastructure aura été amortie). Certes, les automobilistes empruntant les sections sur lesquelles porteront les investissements ont intérêt à la mise en œuvre de ce plan, mais celles-ci représentent une part très limitée du réseau alors que l'allongement de la durée des concessions portera sur l'intégralité de celui-ci.

2. Un plan de relance contraire aux gains attendus de la concurrence "pour le marché"

598. Le plan de relance autoroutier crée un dangereux précédent en ce qu'il lie la relance de l'activité dans le secteur des travaux publics avec la prolongation des concessions sans même l'habillage du "verdissement" utilisé en 2009 pour le "Paquet vert". Le risque, c'est que ce même secteur connaisse dans quelques années une nouvelle crise et les mêmes causes produisant les mêmes effets, les SCA obtiennent une nouvelle fois, sans mise en concurrence, la prolongation de leurs concessions en échange d'investissements supplémentaires. Ceux-ci ne manqueront pas puisqu'initialement, dans le cadre des négociations du Plan de relance, elles avaient proposé une liste d'investissements d'un montant très supérieur à 3,6 milliards d'euro.

599. En définitive, le même scenario pourrait se répéter à l'infini, de la même manière que les crises dans les travaux publics sont cycliques, éloignant toujours plus le retour des autoroutes concédées dans le giron de l'État ainsi que leur éventuelle réattribution après mise en concurrence.

600. Or, comme l'a démontré depuis longtemps la littérature économique (64), il existe une différence entre la concurrence "sur le marché" et la concurrence "pour le marché". La concurrence "sur le marché", c'est la concurrence telle qu'elle est communément comprise, c'est-à-dire entre opérateurs économiques fournissant le même bien ou service dans des conditions juridiques identiques. Toutefois, certains secteurs ne se prêtent pas à cette forme de concurrence, notamment lorsqu'ils sont constitués sous forme de monopole. Le recours à la concurrence "pour le marché", qui se définit alors comme la mise aux enchères entre les opérateurs intéressés, du droit de servir seul la demande pour une durée et sur un territoire donné, apparaît alors comme le substitut possible. En effet, l'attribution du droit peut se faire, de manière très simplifiée, selon les deux modalités suivantes selon l'intérêt que poursuit le titulaire du droit (en principe, la personne publique) :

- à l'opérateur qui propose le prix le plus élevé pour ce droit. Cette modalité sera choisie si le titulaire du droit vise à maximiser le prix de vente de celui-ci ; en contrepartie, le prix de vente du bien ou du service sera libre ou régulé de manière à permettre à l'opérateur de couvrir son coût d'acquisition tout en lui assurant une rémunération raisonnable. Le prix de vente du bien ou du service sera donc élevé, à la mesure du prix de vente du droit lui-même ;

- à l'opérateur qui propose le prix de vente du bien ou du service concerné le plus bas sur le marché, dont le corollaire est bien sûr un prix d'acquisition du droit également plus bas.

601. La concurrence "pour le marché" peut donc permettre, en particulier dans sa deuxième modalité, de réintroduire des mécanismes de marché et garantit en théorie que les prix pratiqués ex post sont proches de ceux pratiqués en situation de concurrence "sur le marché". Il assure ainsi la redistribution de la rente monopolistique aux consommateurs et soumet les titulaires du monopole à des pressions concurrentielles, bénéfiques aux consommateurs en termes de prix et de qualité du service. En d'autres termes, la concurrence "pour le marché" ne joue que lorsque le monopole est attribué. Une fois celui-ci attribué, ce n'est plus le domaine de la concurrence, quelle qu'elle soit, mais de la régulation.

602. Dans ce contexte, le pouvoir de négociation des pouvoirs publics est d'autant plus fort au moment de la réattribution des concessions qui constitue son principal levier d'action. Se priver de ce pouvoir, en plein milieu des concessions actuellement en cours et pour une durée importante, alors même que le tarif des péages est une préoccupation majeure de l'usager, n'est stratégiquement bon ni pour ce dernier, ni pour le concédant.

603. Les concessions autoroutières sont des monopoles géographiques qui ne se font pas concurrence entre eux, ne sont pas (sauf exceptions) soumis à une pression concurrentielle de la part des autres moyens de transport et bénéficient d'une évolution favorable de leur tarif en raison d'une régulation défaillante. Comme l'a démontré l'Autorité, il s'ensuit une rente au détriment des usagers. Malgré ses recommandations, c'est seulement à la fin des concessions que le concédant, s'il le souhaite et quel que soit le mode d'exploitation qui sera choisi (régie ou réattribution des concessions après mise en concurrence ou aux enchères), pourra éliminer cette rente et la redistribuer aux usagers via une remise à plat de la tarification des péages.

3. Un plan de relance à rééquilibrer

604. Si le Parlement devait être saisi de ce Plan de relance, comme il l'a été du "Paquet vert" (65), il devra mettre en balance le sacrifice de l'intérêt à long terme du concédant qu'est la maîtrise des concessions et du tarif des péages avec la nécessité de relancer immédiatement l'emploi dans le secteur des travaux publics.

605. C'est pourquoi en ce qui la concerne, l'Autorité recommande que le Plan de relance autoroutier soit rééquilibré en faveur des intérêts du concédant et des usagers. Ce rééquilibrage, qui passerait par une renégociation de ce plan, pourrait consister dans l'introduction dans le contrat de concession des SCA, à la faveur de l'avenant nécessaire pour mettre en œuvre le Plan de relance, de plusieurs dispositions ayant fait l'objet des recommandations n° 1 et 5 :

- une nouvelle formule d'indexation du tarif des péages telle que celle proposée par l'Autorité supra (voir §409 et suivants). Cette formule, qui n'est pas assise sur les coûts mais qui prend en compte l'évolution du trafic autoroutier, est de nature non seulement à limiter la hausse du tarif des péages mais également à permettre une baisse de ceux-ci en cas d'augmentation forte du trafic ;

- une clause de réinvestissement des bénéfices (voir supra §504 et suivants). Une telle clause viendrait limiter le montant des dividendes pouvant être distribués aux actionnaires des SCA et contraindrait celles-ci à autofinancer, pour une partie plus importante, leurs nouveaux investissements. En réduisant le recours à l'endettement, elle sera également de nature à diminuer l'avantage fiscal qu'elles retirent de la déductibilité illimitée des intérêts d'emprunts ;

- une clause de partage des bénéfices. (voir supra §507 et suivants). L'Autorité a fait le constat de la rentabilité nette exceptionnelle des SCA, celle-ci s'établissant entre 20 et 24 % du chiffre d'affaires en 2013. Une telle clause, prévoyant qu'à partir d'un seuil à déterminer, les bénéfices des SCA seraient partagés avec le concédant, serait de nature à limiter la rente autoroutière et à fournir à l'État les ressources nécessaires pour financer d'autres projets d'infrastructures.

Recommandation n° 13 : Rééquilibrer le Plan de relance autoroutier en faveur du concédant et des consommateurs en introduisant dans le contrat de concession des SCA, en contrepartie de la prolongation de leur concession, une nouvelle formule d'indexation du tarif des péages ainsi que des clauses de réinvestissement et de partage des bénéfices.

Conclusion

606. L'Autorité de la concurrence, saisie par la commission des Finances de l'Assemblée nationale, a mené une analyse approfondie du secteur des autoroutes concédées et, en particulier, des sept sociétés concessionnaires d'autoroute "historiques", privatisées (à l'exception de Cofiroute) en 2006. Sur la base de celle-ci, elle fait un double constat :

- les SCA affichent toutes une rentabilité nette exceptionnelle, comprise en 20 et 24 %, nourrie par l'augmentation continue du tarif des péages. Cette rentabilité n'apparaît justifiée ni par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposées, en particulier leur dette qui apparaît largement soutenable. Celle-ci est par ailleurs gérée dans l'intérêt des actionnaires à qui est distribuée la totalité de leur bénéfice dont seule une partie est utilisée pour le remboursement de la dette d'acquisition (sauf pour APRR). N'étant pas justifiée par les coûts ni par les risques, cette rentabilité est donc assimilable à une rente ;

- une part importante, voire prépondérante des marchés de travaux des SCA est attribuée à une entreprise liée (ou à un groupement l'incluant) selon des modalités qui sont contestables, en particulier pour ASF et ESCOTA. Ces dernières attribuent ainsi, globalement, plus de la moitié de leurs marchés de travaux (en montant) à une entreprise liée au groupe Vinci (ou à un groupement l'incluant), en particulier les marchés d'un montant unitaire élevé.

607. Le constat d'une rente autoroutière justifie les recommandations de l'Autorité visant à réduire celle-ci dans l'intérêt des usagers et du concédant. C'est ainsi qu'elle recommande, dans la mesure où elle serait juridiquement faisable, une indexation du tarif des péages qui rende possible une baisse desdits tarifs en cas de forte hausse du trafic. En outre, afin que cette indexation ne soit pas contournée par les contrats de plan, la loi tarifaire de ces derniers devra se borner à la stricte compensation des investissements. S'agissant de ces mêmes contrats de plan, aujourd'hui négociés secrètement entre l'État et les SCA, ils pourraient utilement soumis pour avis public à une autorité indépendante qui, disposant de l'ensemble des informations nécessaires, serait plus à même de porter la contradiction aux SCA comme de prendre en compte l'intérêt des usagers.

608. L'ensemble de ces recommandations participent à une amélioration de la régulation, aujourd'hui insuffisante, du secteur des autoroutes concédées au bénéfice du concédant comme des usagers de celles-ci.

609. Le fait qu'une part importante, voire prépondérante des marchés de travaux des SCA soit attribuée à une entreprise liée (ou à un groupement l'incluant) n'est pas contestable en soi, pour autant que les obligations de publicité et de mise en concurrence soient bien respectées. Or, celles-ci forment un cadre à l'intérieur duquel les SCA ont toute liberté pour choisir leurs modalités d'application. Ce sont ces choix, en particulier de pondération du critère prix et de formules de notation de celui-ci qui sont contestables, voire d'une légalité douteuse. Ces choix, de même que l'appartenance en tant que telle des SCA à des groupes de travaux publics sont dès lors susceptibles de créer des risques pour la concurrence.

610. L'Autorité formule donc plusieurs recommandations de nature à renforcer les obligations de publicité et de mise en concurrence autant que leur contrôle, parmi lesquelles :

- l'abaissement à 500 000 euro HT (contre 2 millions d'euro HT aujourd'hui) du seuil de mise en concurrence pour les marchés de travaux ;

- la transmission à la commission consultative des marchés des SCA des avenants excédant 5 % du montant initial des marchés que celle-ci a examinés ;

- la possibilité, pour la Commission nationale des marchés, de saisir en référé le juge administratif contre un appel d'offres d'une SCA dont elle estimerait la légalité douteuse.

611. Même si, compte tenu de la compensation ex ante des investissements, les usagers ne bénéficieront pas directement de ces recommandations, elles sont néanmoins de nature à renforcer la concurrence dans les appels d'offres des SCA et à limiter l'éventuelle éviction des entreprises non liées, en particulier les PME.

612. Enfin, l'Autorité a pu constater combien le cadre juridique des concessions contraint toute évolution de la régulation du secteur autoroutier, en particulier tarifaire. Ainsi, c'est seulement entre 2027 et 2033, à la fin des concessions, que l'État, récupérant l'exploitation de l'infrastructure autoroutière, pourra remettre à plat une tarification qui s'est progressivement éloignée des coûts. Par conséquent, l'Autorité considère que le Plan de relance autoroutier, parce qu'il tend à prolonger les concessions jusqu'à six années supplémentaires, sans mise en concurrence, en échange de 3,6 milliards d'euro d'investissements destinés à relancer l'activité dans le secteur des travaux publics, devrait être rééquilibré en faveur du concédant et des usagers en introduisant dans le contrat de concession des SCA une nouvelle formule d'indexation du tarif des péages ainsi que des clauses de réinvestissement et de partage des bénéfices.

Note :

1. Parmi ces 19 sociétés concessionnaires d'autoroutes, seules deux sont encore publiques : Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc (ATBM) et la Société française du tunnel routier de Fréjus (SFTRF).

2. S'agissant de Cofiroute, il convient toutefois de signaler que la suppression du foisonnement a été acceptée uniquement pour les années 2011-2014 en contrepartie d'une hausse tarifaire représentant 234 millions d'euro sur la durée totale de la concession.

3. Bien qu'appartenant, comme ASF et ESCOTA, au groupe Vinci, Cofiroute ne consolide pas ses comptes avec celles-ci mais établit ses propres comptes consolidés.

4. La comparaison avec les comptes sociaux ne montre d'ailleurs pas de différences significatives.

5. Dans son arrêt du 13 mai 1977 Cofiroute, le Conseil d'État a d'ailleurs jugé qu'un péage autoroutier, étant perçu dans le but de rembourser ou rémunérer les capitaux investis dans la construction et d'assurer l'entretien et l'exploitation de l'autoroute, doit être analysé comme une rémunération pour service rendu.

6. "Le ratio Endettement net / Excédent brut d'exploitation exprime en nombre d'années d'excédent brut d'exploitation, la capacité de l'entreprise à rembourser son endettement au moyen de son excédent brut d'exploitation. Sauf exception, un ratio supérieur à 5 années traduirait un endettement trop important au regard de la création de richesse de l'entreprise." Définition du Vernimmen.

7. Abertis est née en 2003 de la fusion d'Aurea et d'Acesas Infraestructuras. Ces deux sociétés concessionnaires ont été créées respectivement en 1967 et en 1971.

8. Infrastructures de transport, mobilité et croissance, 2007.

9. Le rapport de la Cour des comptes estimait ainsi que l'entrée en vigueur de l'écotaxe au 1er janvier 2014 allait entraîner un surcroît de recettes de 450 millions d'euro pour les SCA.

10. Rapport d'information de M. Hervé Mariton, au nom de la commission des Finances de l'Assemblée nationale sur la valorisation du patrimoine autoroutier, juin 2005.

11. Les autres ressources, parmi lesquelles le produit des installations commerciales ou encore la location de fibres optiques et de pylônes sont marginales.

12. La SAPN a toutefois bénéficié jusqu'en 2013, en application du contrat de plan 2004-2008 et malgré l'absence d'un nouveau contrat de plan, d'une loi tarifaire très avantageuse puisqu'elle s'est établie à [inflation + 0,6 %]

13. Ces sommes correspondent à des fonds propres d'ASF et d'APRR. Toutefois, la transformation de ces capitaux propres, illiquides, en numéraire pour leur transfert à l'actionnaire exige de recourir à l'endettement.

14. Le dividende exceptionnel de 1 279 millions d'euro versés par APRR en 2006 a permis, outre le paiement des intérêts de la dette d'Eiffarie, de rembourser un crédit relais de 812 millions d'euro

15. Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2013, Tome II, octobre 2012.

16. Sur ce point, il convient de signaler que les nouvelles directives "marchés" (n° 2014-24-UE et 2014-25-UE) et "concession" (directive n° 2014-23-UE) ne prévoient plus d'obligations de mise en concurrence pour les marchés passés par les concessionnaires qui ne sont pas pouvoir adjudicateur.

17. Le corollaire de l'application de ce décret comme des règles prévues à l'article 6 du cahier des charges est que les dispositions de l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relatives aux contrats de concession de travaux publics (qui comporte un titre III portant sur les marchés de travaux passés par les concessionnaires de travaux publics) ne sont pas applicables aux SCA (hors Cofiroute).

18. 5,27 millions d'euro HT (mais 210 000 euro HT pour les marchés de fournitures et de services).

19. Cette procédure n'est possible que pour les marchés de travaux d'un montant inférieur à 5,186 millions d'euro. En revanche, elle est applicable sans limite pour les marchés de fournitures et de services.

20. Ou au Joue en procédure européenne.

21. Il peut arriver qu'une société liée à une SCA soit attributaire d'un marché de fournitures et de services. Toutefois, le cas est très rare. Par exemple, pour APRR et AREA, seuls 2,85 % de ces marchés (en valeur) ont été attribués à des sociétés liées entre 2006 et 2013.

22. "Les travaux routiers", juin 2013.

23. Les deux marchés d'ASF relatifs à la réparation des glissières de sécurité, passés en 2009 et 2012, composés de 30 et 29 lots, ont été considérés chacun comme un marché afin de ne pas fausser l'analyse.

24. Comme pour les achats de travaux, dans le cas de marché où l'offre retenue comportait un minimum et un maximum, en particulier s'agissant des marchés à bons de commande, si le montant réel n'est pas indiqué, c'est le montant maximum qui a été retenu. De plus, ont été également pris en compte lorsqu'ils figuraient dans la liste transmise par les SCA les quelques marchés d'un montant inférieur au seuil de mise en concurrence mais néanmoins examinés par la CCMC. Enfin, lorsque l'avenant correspondant à un marché comportant plusieurs lots n'a pas été rattaché à un lot, il a été considéré comme se rapportant au lot du montant le plus élevé.

25. Même si, en pratique, ils peuvent faire l'objet, de la propre initiative des SCA, d'une mise en concurrence.

26. Cet accord visait notamment à élaborer, au cas par cas, de réponses communes à des appels d'offres dans le domaine de la concession et de l'exploitation routières, à l'étranger mais également en France (par exemple pour l'A41 Annecy-Genève.

27. Lorsqu'un marché a été attribué à un groupement composé de Vinci et d'Eiffage, le marché a été comptabilisé à 0,5 pour chacun des deux groupes. Ce choix explique les différences avec les pourcentages figurant dans le tableau du § 266.

28. Par exemple, s'agissant du marché de […], l'un des membres remarque "la pondération relativement basse du critère prix [35 %]".

29. Par exemple le marché du […] ou encore un marché de […].

30. Marché du […].

31. Marché […]

32. Séance du […], examen du marché relatif à […].

33. "Le prix dans les marchés publics, guide et recommandations", Direction des affaires juridiques du ministère de l'Économie et des finances, avril 2013.

34. Cette pratique est autorisée par l'article 22 du décret du 30 décembre 2005.

35. Décision n° 07-D-13 du 6 avril 2007 relative à de nouvelles demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent (voir aussi les décisions n° 04-D-57 du 16 novembre 2004 relative aux marchés publics de travaux de revêtement de chaussées dans le département des Pyrénées Orientales n° 03-D-19 du 15 avril 2003 relative à des pratiques relevées sur le marché des granulats dans le département de l'Ardèche).

36. Décision 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale (en particulier le §93).

37. Selon les termes d'un membre de la CCMC lors de la séance consacrée à l'examen du marché de […] et lors de la séance consacrée à l'examen du marché de […].

38. En revanche, Eiffage, s'il est l'actionnaire majoritaire d'APRR et d'AREA, ne les détient pas à 100 % et doit par conséquent composer avec l'autre actionnaire, Maquarie.

39. "Privatisation des sociétés d'autoroutes et marché aval", in Annales d'économie et statistiques n° 83.

40. Rapport annuel d'Eiffage sur les comptes consolidés 2013, page 15.

41. M. Y a été nommé depuis le 1er mars 2014 président d'Eurovia, la principale filiale de travaux routiers de Vinci.

42. Eurovia dispose ainsi, pour les seuls travaux routiers, de 164 implantations réparties sur l'ensemble du territoire français.

43. Etude : "concurrence et transport de voyageurs", rapport 2011 de l'Autorité de la concurrence.

44 Avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 relatif à une demande d'avis de l'Association pour le maintien de la concurrence sur le réseau autoroutier (AMCRA) sur les problèmes de concurrence pouvant résulter de la privatisation annoncée des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, §65

45. Le contrat de plan 2004-2008 de la SAPN fixait ainsi une loi tarifaire jusqu'en 2013.

46. Son article 11 a en effet ajouté aux dérogations listées à l'article L. 112-3 "les rémunérations des cocontractants de l'État et de ses établissements publics ainsi que les rémunérations des cocontractants des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements, au titre des contrats de délégation de service public, des contrats de partenariat et des concessions de travaux publics conclus dans le domaine des infrastructures et des services de transport.".

47. D'autant plus que la loi tarifaire réelle des contrats de plan inclut, outre la compensation des investissements la prise en compte d'un plus fort pourcentage de l'inflation (80 ou 85 %). Conformément à sa recommandation n° 2, l'Autorité n'a pas tenu compte de cet écart dans la comparaison.

48. Il convient de souligner que tant Cofiroute que la DIT ont contesté, lors de leur audition, ces affirmations de la Cour des comptes et maintenu que ces investissements devaient être compensés car non-prévus par le contrat de concession.

49. Également président d'Eiffage.

50. Pour ASF, les montants intègrent les opérations engagées (et compensées) lors du précédent contrat de plan (2007-2011) et se poursuivant dans le contrat de plan actuel.

51. Pour APRR et APREA, ils se sont élevés à respectivement 53,1 millions d'euro (dont 20,3 millions d'euro pour le tunnel Maurice Lemaire) et 27,2 millions d'euro depuis 2004. Pour SANEF et SAPN, ces concours s'établissent à respectivement 43,6 et 4,5 millions d'euro. Enfin, pour ASF et ESCOTA, ils se sont élevés à respectivement 104,7 et 22,8 millions d'euro. Quant à Cofiroute, elle constitue un cas à part puisqu'elle a bénéficié d'une subvention de l'État de 120 millions d'euro en 2010 pour le duplex A86, portant le total des concours publics sur la période à 168,8 millions d'euro.

52. Voir à ce propos l'avis n° 13-A-14 rendu par l'Autorité le 22 octobre 2013 sur ce projet de loi.

53. Depuis l'arrêt du Tribunal des conflits du 8 juillet 1963 Société entreprise Peyrot, confirmé par l'arrêt du Conseil d'État du 3 mars 1989 Société des autoroutes de la région Rhône-Alpes, il est acquis que même passés par des personnes privées, les contrats portant sur les travaux autoroutiers sont par leur objet même des contrats administratifs.

54. Marché de la réalisation d'un ouvrage d'art sur la Loire (87) passé par ASF en 2008, annulé par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 2 avril 2008 (confirmée par l'arrêt du Conseil d'État du 1er avril 2009), marché de la réalisation de travaux d'entretien sur les autoroutes A41S et A43, passé par AREA en 2009, annulé par le juge des référés du Tribunal administratif de Lyon le 9 mars 2009 (infirmé par le Conseil d'État dans son arrêt du 30 septembre 2009 pour des raisons de compétence), et marché de réalisation d'un barreau de liaison entre l'A13 et la RD613, passé par la SAPN en 2010, annulé par le Tribunal administratif de Caen par sa décision du 28 décembre 2012.

55. Par exemple CE 3 octobre 2008 Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l'élimination des ordures ménagères du secteur de la Sarthe : "les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements ; qu'il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou de risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente".

56. Sur ce point, voir CE 16 décembre 1996 Conseil régional de l'ordre des architectes de la Martinique.

57. Toutefois, pour la SAPN, la compensation se fera aussi, pour une part, par une légère augmentation du tarif applicable aux poids lourds via une augmentation du coefficient interclasse.

58. En effet, même interprétant très largement, c'est-à-dire en intégrant les parkings de covoiturage ou l'aménagement global des aires d'arrêt, le volet "mise aux normes environnementales du PRA), elles représentent environ 400 millions d'euro, soit 11 % du montant total du PRA, essentiellement concentrée sur les réseau d'ASF et de SANEF

59. Question écrite n° 07333 de M. Hervé Maurey, Sénateur, publiée dans le JO Sénat du 11 juillet 2013, page 2 045 ; réponse du Ministère chargé des transports, de la mer et de la pêche publiée dans le JO Sénat du 26 décembre 2013, page 3 732.

60. Cette répartition est issue du rapport d'exécution. Elle est légèrement différente de celle initialement prévue dans le "Paquet vert"

61. Article 117 de la loi n° 2009-1674 de finances rectificative pour 2009, lequel a repris les dispositions de l'article 25 de la loi n° 2009-179 du 17 février 2009 précitée.

62. En effet, pour valoriser le montant initial du contrat de concession, le gouvernement a proposé d'utiliser le produit de la longueur du réseau concédé à la date du 31 décembre 1997 par un estimateur du coût kilométrique moyen de ce réseau. Celui-ci est calculé à partir du coût kilométrique d'une "section représentative du réseau tant par ses caractéristiques géométriques et son environnement géographique que par sa date de construction".

63. Applicable aux poids lourds circulant sur les routes nationales, elle aurait dû entrer en vigueur au 1er janvier 2014, avec un effet de report de trafic sur les autoroutes. Dans son rapport de 2013, la Cour des comptes chiffrait, sur la base des données du gouvernement, à 450 millions d'euro HT l'augmentation du chiffre d'affaires qui en résulterait pours les SCA. Toutefois, elle a été suspendue par le gouvernement le 29 octobre 2013.

64. E. Chadwick, "Results of Different Principles of Legislation and Administration in Europe of Competition for the Field, as compared with Competition within the Field of Service", Journal of the Royal Statistical Society, 22 (A), 1959, pp. 381-420 ; H. Demsetz, "Why Regulate Utilities ?", Journal of Law and Economics, 11, 1968, pp. 55-66.

65. Cette saisine, qui n'est pas obligatoire, n'est pas prévue par le gouvernement.

ANNEXE 1. TABLEAU DES RECOMMANDATIONS

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ANNEXE 2. CHIFFRE D'AFFAIRES

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ANNEXE 3. COMPARAISON AVEC LES AUTRES SECTEURS

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ANNEXE 4 : LES SCA "HISTORIQUES" ET LES GROUPES AUXQUELS ELLES APPARTIENNENT

A. Vinci autoroutes (ASF, Cofiroute, ESCOTA)

1. L'évolution de la structure capitalistique

Actionnaire majoritaire de trois sociétés concessionnaires d'autoroutes "historiques", le groupe Vinci s'est efforcé, depuis 2006, de racheter la part des minoritaires afin de détenir l'intégralité de leur capital et, le cas d'échéant, d'organiser le retrait de ces sociétés de la bourse de Paris.

Le groupe Vinci, qui possédait déjà 23 % du capital d'ASF, a acquis 50,4 % de plus lors de la privatisation d'ASF en 2006, portant ainsi sa part à 73,4 %. Il a lancé cette même année une OPA sur les 26,6 % restants du capital d'ASF sous la forme d'une garantie de cours qui lui a permis de détenir 97,5 % de celui-ci. Une offre publique de retrait suivie d'un retrait obligatoire visant les actions ASF restantes lui a finalement donné la totalité du capital.

Au 31 décembre 2013, ESCOTA est détenue à plus de 99 % par ASF qui elle-même est détenue à 100 % par ASF Holding, elle-même détenue à 99,99 % par Vinci Autoroutes.

Quant à Cofiroute, société privée depuis sa création en 1970, elle est aujourd'hui entièrement détenue par Vinci Autoroutes depuis que la filiale de Bouygues Colas lui a cédé les 16,67 % qu'elle détenait (fin décembre 2013).

2. La place des concessions autoroutières dans le groupe Vinci

Le groupe Vinci s'articule autour de deux grands axes : "concessions" et "contracting".

L'axe "concessions" est constitué de :

- Vinci Autoroutes qui réunit les sociétés concessionnaires d'autoroutes françaises dont les principales sont le groupe ASF/ESCOTA et Cofiroute.

- Vinci concessions qui est spécialisé dans la conception, le financement, la maîtrise d'ouvrage, l'exploitation et la maintenance de grands équipements publics (aéroports, infrastructures routières et ferroviaires, parcs de stationnement, stades).

L'axe "contracting" est quant à lui constitué de :

- Vinci Energie qui propose aux entreprises comme aux collectivités publiques de déployer, équiper, faire fonctionner et optimiser leurs infrastructures d'énergie, de transport et de communication, leurs sites industriels et leurs bâtiments.

- Eurovia qui est spécialisé dans les travaux d'infrastructures de transport (routes, voies ferrées, etc.) et d'aménagement urbain, exploitant par ailleurs un réseau de carrières et d'installations industrielles (usines de liants, postes d'enrobage, etc.).

- Vinci construction qui regroupe les métiers du bâtiment, du génie civil, des travaux hydrauliques et des métiers de spécialité associés à la construction.

En 2013, Vinci Autoroutes a réalisé un chiffre d'affaires total de 5 496 millions d'euro. qui représentent 11 % du chiffre d'affaires total consolidé du groupe Vinci (40 337 millions d'euro). Si cette proportion du chiffre d'affaires est faible, Vinci Autoroutes contribue pour une part considérable au bénéfice du groupe. En effet, avec 2 031 millions d'euro, cette filiale représente 55 % du résultat opérationnel du groupe (3 670 millions d'euro), conséquence d'un ratio résultat opérationnel /CA qui atteint près de 44 %, à comparer aux autres activités dont le taux de marge n'est que de 11-12%. Les concessions autoroutières sont donc une activité indispensable à la rentabilité du groupe Vinci.

Toutefois, il convient de rappeler que l'activité de concession autoroutière, même très rentable, représente 15,4 milliards d'euro d'endettement net, soit une part considérable de l'endettement du groupe Vinci.

B. Le groupe Eiffage (APRR, AREA)

1. L'évolution de la structure capitalistique

Contrairement à Vinci qui, avant 2006, était déjà actionnaire de Cofiroute et d'ASF, c'est seulement à cette date que le groupe Eiffage a pénétré le marché des autoroutes concédé, lorsque l'État l'a choisi pour acquérir APRR (Autoroutes Paris-Rhin-Rhône) et sa filiale AREA (Autoroutes Rhône-Alpes), en partenariat avec le groupe financier australien Macquarie. Par conséquent, alors que Vinci est l'actionnaire unique d'ASF, d'ESCOTA et maintenant de Cofiroute, Eiffage doit composer avec un actionnaire minoritaire.

Plus précisément, au 31 décembre 2013, AREA est détenue à plus de 99,84 % par APRR, société détenue à 100 % par Eiffarie, elle-même contrôlée à 100 % par Financière Eiffarie. Financière Eiffarie est détenue par Eiffage (50 % + 1 action) et Macquarie Autoroutes de France (MAF, 50% - 1 action). Macquarie Autoroutes de France est détenue à 100 % par des fonds d'investissements gérés par Macquarie.

2. La place des concessions autoroutières dans le groupe Eiffage

Le groupe APRR est consolidé en intégration globale au sein du groupe Eiffage depuis 2006. Pour faciliter la comparaison et le traitement des données sur toute la période 2004 - 2013, les activités du groupe Eiffage ont été regroupées de la manière suivante :

- concessions et partenariats public-privé (PPP) ;

- construction et travaux publics ;

- énergie et métal ;

- holding (qui ne détient pas d'activité d'exploitation par nature).

Le chiffre d'affaires des concessions est composé en moyenne à 86 % du chiffre d'affaires d'exploitation consolidé du groupe APRR/AREA. Or, celui-ci représente, en 2013, 18% du chiffre d'affaires consolidé mais 73 % du résultat opération consolidé du groupe Eiffage. En effet, en comparaison du taux de marge (résultat opérationnel/chiffre d'affaires) de 37 % pour les concessions, celui des autres activités est plus de dix fois inférieur puisqu'il s'établit à 3 % en 2013 pour les deux autres activités que sont "Construction & travaux publics" et "Energie & Métal". Cette activité est d'autant plus stratégique pour Eiffage que le taux de marge opérationnelle des deux autres activités a sensiblement diminué. Les taux de marge étaient respectivement 5 % sur la période 2005- 2006 pour l'activité "Energie & Métal" et 4 % pour l'activité "Construction & travaux publics".

C. Le groupe Abertis (SANEF et SAPN)

1. L'évolution de la structure capitalistique

Au 1er janvier 2014, SAPN est détenue à 99,97 % par Sanef SA qui elle-même est détenue à 100 % par la holding d'infrastructure de transport (HIT SAS).

HIT SAS est un consortium composé de la société Abertis infrastructuras à hauteur de 52,55 % et d'investisseurs institutionnels à hauteur de 47,45 % (la Caisse des Dépôts et consignations (20 %), PREDICA (12,42 %), ARDIAN (AXA République) (9,93 %) et FFP Invest (5,10 %)).

2. La place des concessions autoroutières dans le groupe Abertis

Le groupe SANEF/SAPN est consolidé en intégration globale au sein du groupe Abertis depuis 2006. SANEF/SAPN représente 99 % du chiffre d'affaires consolidé relatif aux autoroutes à péages que le groupe Abertis réalise en France.

Abertis est un groupe espagnol, leader mondial dans la gestion des autoroutes à péages et l'un des premiers opérateurs d'infrastructures au niveau international. Premier opérateur mondial d'autoroutes, en 2013, le groupe Abertis gère plus de 7 300 kms d'autoroutes à péage qui se répartissent de la manière suivante : 3 250 kms au Brésil, 1 761 kms en France, 1 512 kms en Espagne, 771 kms au Chili et 425 kms dans le reste du monde. Il réalise plus de 62 % de ses recettes en dehors des frontières espagnoles.

En 2013, le chiffre d'affaires mondial consolidé relatif aux autoroutes à péages s'élève à 4 139 millions d'euro et représente 89 % du chiffre d'affaires consolidé global du groupe Abertis.

La part des autoroutes à péages dans le chiffre d'affaires mondial consolidé est croissante. Elle est passée de 63 % en 2005 à 89 %, en lien avec une politique de restructuration de ses activités aux seules activités d'autoroutes à péages et de télécommunication.

La France représente, pour Abertis, le deuxième marché des autoroutes à péage le plus important en termes de kilomètres et le premier en termes de chiffre d'affaires. Le chiffre d'affaires relatif aux autoroutes à péage réalisé en France en 2013 est de 1 566 millions d'euro sur un total de 4 139 millions d'euro soit 38 % du chiffre d'affaires consolidé mondial relatif aux autoroutes à péage.

La part de la France, qui est composée quasi-exclusivement de SANEF/SAPN, est substantielle dans les comptes du groupe Abertis que ce soit dans sa contribution au chiffre d'affaires, à l'EBITDA ou au résultat. Sur la période 2006 à 2013, elle contribue à hauteur de 47 à 50 % du chiffre d'affaires consolidé groupe relatif aux autoroutes à péages et de 34 à 38 % du chiffre d'affaires consolidé total du groupe. De façon similaire, elle contribue à hauteur de 43 à 46 % de l'EBITDA consolidé groupe relatif aux autoroutes à péages et de 33 % à 39 % de l'EBITDA consolidé total du groupe.

ANNEXE 5. COMPARAISONS EUROPÉENNES

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Note : Ces informations sont toutefois à considérer avec précaution dans la mesure où les données communiquées par l'ASECAP ne sont pas forcément basées sur les mêmes référentiels d'un pays à l'autre. Les données ne peuvent être objectivement comparées. Des efforts et travaux d'harmonisation entre les 21 pays membres de l'ASECAP sont en cours pour les exercices suivants.

ANNEXES 6. ÉVOLUTION DES EFFECTIFS MOYENS

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Note : Les écarts entre les chiffres d'ASF/ESCOTA et Cofiroute s'expliquent par le fait que les intérimaires ne sont pas comptabilisés dans la répartition des effectifs par catégorie. S'agissant d'APRR et d'AREA, les intérimaires et les CDD ne sont pas comptabilisés dans cette même répartition.

ANNEXE 7. IMMOBILISATIONS NETTES, DOTATIONS AUX AMORTISSEMENTS ET INVESTISSEMENTS TOTAUX NETS

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Note 1 : Cessions d'immobilisations non significatives à l'exception d'APRR/AREA en 2006. Les acquisitions sont composées majoritairement d'immobilisations corporelles.

Note 2 : Les investissements nets totaux de 2006 comprennent des investissements pour 321 millions d'euro et des cessions pour 543 millions d'euro.

Source : Comptes consolidés (2004-2013)

ANNEXE 8. MONTANT DES DIVIDENDES (PAR EXERCICE)

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ANNEXE 9. COMPARAISON DES ÉTUDES PRÉVISIONNELLES DES SCA RELATIVES À L'ENDETTEMENT NET

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ANNEXE 10. COFIROUTE

A. Les obligations de publicité et de mise en concurrence applicables

Comme elle le dit elle-même, "Cofiroute est une société de droit privé concessionnaire de travaux publics, non soumise au Code des marchés publics et qui n'est ni un pouvoir adjudicateur, ni une entité adjudicatrice". Par conséquent, seules les dispositions des articles 63 à 65 de la directive 2004-18-CE précitée, transposées par l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009, ainsi que les obligations de publicité découlant du décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 lui sont applicables. C'est ainsi que pour les seuls marchés de travaux passés avec des entreprises tierces d'un montant supérieur à 5,186 millions d'euro (à l'exclusion donc des marchés de fourniture et de services et des marchés de travaux passés avec des sociétés liées, quel que soit leur montant), Cofiroute doit faire connaître son intention au moyen d'un avis, étant précisé que les critères d'attribution du marché sont libres, sous réserve du respect de l'égalité de traitement entre les candidats.

L'article 6 du cahier des charges de Cofiroute stipule que "pour l'exécution des travaux, la société concessionnaire sera libre de s'adresser aux entreprises de son choix. Toutefois, les marchés de travaux éventuellement passés avec les entreprises tierces seront soumis aux règles de publicité visées à l'alinéa 2 de l'article 11 de la loi du 3 janvier 1991". Cet article, abrogé par l'article 26 de l'ordonnance du 15 juillet 2009 précitée, prévoyait des mesures de publicité pour les contrats de travaux d'un montant égal ou supérieur à 32,7 millions de francs HT (soit environ 4 985 082 euro HT) que les concessionnaires avaient l'intention de conclure avec un tiers. Par conséquent, contrairement aux autres SCA, l'article 6 du cahier des charges de Cofiroute n'apporte rien de plus aux obligations de publicité qui lui sont par ailleurs applicables.

Cofiroute a indiqué, dans le cadre de l'instruction de l'avis, n'avoir jamais publié un tel avis, n'ayant jamais eu l'intention, pour les marchés concernés et comme elle en a le droit, de contracter avec une entreprise non liée.

Toutefois, bien que l'obligation de publicité n'ait jamais trouvé à s'appliquer et que Cofiroute ne soit soumise à aucune obligation de mise en concurrence, elle a pu décider, de sa propre initiative, d'organiser une mise en concurrence pour l'un de ses marchés, en consultant soit des entreprises tierces, soit des entreprises liées à ses deux actionnaires que sont Vinci et Bouygues, selon une procédure non formalisée.

En effet, comme elle l'explique dans une note du 28 mars 2008 relatives aux règles internes de passation des contrats et marchés, "les contrats de services et de fournitures signés par Cofiroute ne sont soumis ni au Code des marchés publics, ni à une commission des marchés ni à des procédures réglementaires d'attribution. Seuls les contrats de travaux d'un montant égal ou supérieur à 4,985 millions d'euro [5,186 millions d'euro aujourd'hui] que passe Cofiroute avec des entreprises tierces, c'est-à-dire des entreprises autres que celles liées aux groupes des actionnaires, sont soumis à des obligations de publicité préalable". Dès lors :

- "il appartient à chaque directeur d'organiser et de contrôler les modalités de passation des contrats d'achat qui relèvent de son domaine de responsabilité"

- "les choix opérés relèvent du directeur : contrat de gré à gré avec des entreprises liées, appels d'offres externe ou partenariat, critères de désignation de l'entreprise attributaire".

Interrogée sur sa pratique lors de l'instruction de l'avis, Cofiroute a expliqué que les directeurs régionaux agissent par délégation du président, dans la limite d'un montant qui peut varier selon les services. Lorsqu'une mise en concurrence est organisée, parce qu'il a été jugé dans l'intérêt de la société de le faire pour un marché particulier, c'est Cofiroute elle-même qui contacte les entreprises potentiellement intéressées, qu'elles soient liées ou non. Bien que la procédure ne soit pas formalisée, les offres font l'objet d'un rapport d'analyse qui détermine laquelle satisfait le mieux au cahier des charges.

Par ailleurs, Cofiroute est la seule SCA à ne pas disposer, en son sein, d'une commission consultative des marchés, pas plus qu'elle n'est soumise au contrôle de la Commission nationale des marchés.

Ce décalage entre les obligations pesant sur Cofiroute et celles applicables aux autres SCA, avait été identifié par le Conseil dans son avis précité. Ce dernier s'interrogeait en effet, "dans l'hypothèse de la privatisation au profit de groupes de travaux publics, sur la cohérence d'un dispositif juridique qui laisserait le quatrième concessionnaire privé, Cofiroute, sans aucune obligation en matière de mise en concurrence, dans une situation privilégiée, sans autre justification que l'antériorité". Force est de constater que sur ce point, aucune évolution n'est intervenue depuis l'avis et la privatisation des SEMCA.

Cofiroute a toutefois fait savoir, lors de l'instruction de l'avis, qu'elle avait "décidé de revoir ses procédures de dévolution des contrats dans l'esprit des recommandations de l'avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 du Conseil de la concurrence" en rapprochant celles-ci de celles applicables aux autres SCA :

- les contrats de travaux d'un montant supérieur à 2 millions d'euro HT et les contrats de fournitures et services d'un montant supérieurs à 240 000 euro HT seront soumis à publicité et passage en commission des marchés à l'issue de la procédure de mise en concurrence ;

- une commission des marchés sera instituée dont le rôle sera de "vérifier la bonne application de la procédure de dévolution des contrats et d'émettre un avis préalablement à l'attribution des marchés d'un montant supérieur à son seuil de déclenchement. Cette commission, présidée par une personne désignée par le représentant légal de Cofiroute, et à laquelle sera invité - de droit - un représentant de la DGCCRF, est composée de personnalités qualifiées et de personnalités indépendantes".

Lors de la séance tenue par l'Autorité de la concurrence le 22 juillet 2014, Cofiroute a confirmé que son conseil d'administration a validé la note interne établissant cette nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence. Celle-ci est donc d'ores et déjà applicable, sous réserve de la constitution effective de sa commission des marchés.

B. Les travaux de cofiroute représentent des montants considérables

L'Autorité a demandé à Cofiroute de lui transmettre la totalité de ses travaux réalisés de 2006 à 2013 d'un montant supérieur à 500 000 euro, qu'ils aient ou non fait l'objet d'une mise en concurrence. Le tableau suivant retrace le nombre de ces travaux, en distinguant selon leur montant :

"emplacement tableau"

Le tableau suivant retrace le montant de ces travaux en distinguant selon leur montant :

"emplacement tableau"

Le montant total des travaux de Cofiroute s'élèvent donc à environ 700 millions d'euro. Si, en nombre, les travaux d'un montant supérieur à 2 millions d'euro sont minoritaires (32,6 %), en montant, ils représentent 70,0 % du total. Comme pour les autres SCA, le montant des travaux varie considérablement d'une année sur l'autre, sans évolution cohérente dans la durée, reflet de la stratégie d'investissements de la société comme des investissements découlant des contrats de plan ou du "Paquet vert".

D'une manière générale, selon les informations qu'elle a transmises, Cofiroute a attribué ses travaux d'un montant supérieur à 500 000 euro HT à des entreprises liées dans les proportions suivantes :

"emplacement tableau"

Une analyse plus fine révèle que les 32 marchés attribués à des entreprises non-liées, outre leur faible montant, ont une nature très spécifique. Ils se rapportent essentiellement à la construction de refuges, de cabines ou de sanitaires, de bassins de régulation ou encore le déploiement de la fibre optique ou d'émetteurs d'Autoroute FM.

Toutefois, même si elle n'en a pas l'obligation, Cofiroute a pu choisir, de sa propre initiative, de recourir à une procédure de mise en concurrence pour certains marchés. Le tableau suivant récapitule, pour les années 2006-2013, le pourcentage du nombre et du montant des travaux d'un montant supérieur à 2 millions d'euro ayant fait l'objet d'une mise en concurrence :

"emplacement tableau"

Une part non négligeable des marchés de travaux de Cofiroute a donc fait l'objet d'une mise en concurrence. Cependant, la totalité de ces 30 marchés a été attribuée à une société liée à ses deux actionnaires : Bouygues et Vinci. L'Autorité s'interroge donc sur la portée de la procédure de mise en concurrence puisqu'à l'exception d'un marché en 2009 (travaux de chaussées sur l'A11 entre Thivars et Ablis), pour lequel Siorat a présenté une offre, les 29 autres marchés n'ont mis en concurrence que des filiales de Vinci et/ou de Bouygues. Comme elle en a le droit, pour ses marchés de travaux d'un montant supérieur à 2 millions d'euro, Cofiroute organise en pratique une mise en concurrence exclusivement entre entreprises liées, ce qui la dispense en outre de la publication d'un avis.

En conclusion, Cofiroute constitue un cas à part parmi les SCA en ce qu'elle se fournit quasi-exclusivement chez des entreprises liées ou groupées, y compris lorsqu'elle organise d'elle-même une concurrence qui, en pratique, ne concerne que des entreprises liées à des actionnaires. Le fait que Cofiroute bénéficie d'obligations de publicité et de mise en concurrence très allégées par rapport aux autres SCA démontre a contrario la nécessité de celles-ci dès lors que les SCA appartiennent, comme Cofiroute, à des groupes comportant des filiales spécialisées dans les travaux routiers. Ce sont les obligations de publicité et de mise en concurrence qui, renforcées à la suite de l'avis de l'Autorité du 2 décembre 2005, expliquent qu'une concurrence significative ait été conservée sur les marchés de travaux des SCA au profit des entreprises non liées de travaux routiers.

ANNEXE 11. PROCEDURES INSTITUEES PAR LES SCA POUR LES MARCHES D'UN MONTANT INFERIEUR AUX SEUILS DE MISE EN CONCURRENCE

A. Les procédures instituées par ASF et ESCOTA

ASF comme ESCOTA ont indiqué avoir mis en place, pour les achats de travaux comme de fournitures et de services, "deux procédures distinctes prévoyant soit la mise en concurrence de plusieurs entreprises retenues sur la base de la vérification préalable de leurs capacités, soit la consultation directe d'une seule entreprise". Plus précisément, c'est aux directeurs régionaux qu'il appartient de choisir entre les deux procédures en fonction de l'objet des travaux mais également de leur caractère urgent ou non. La répartition des achats entre ces deux procédures n'est pas connue. Lorsque la procédure de mise en concurrence est choisie, elle obéit aux mêmes principes que la procédure formalisée, notamment en termes de publicité et de sélection des offres selon les critères prix et valeur technique.

B. Les procédures instituées par la SANEF et la SAPN

Pour les achats de travaux, de fournitures et de services d'un montant inférieur aux seuils de mise en concurrence, la SANEF et la SAPN organisent en principe une publicité et une mise en concurrence, les seules exceptions étant dictées par l'urgence. En pratique, un avis est publié et les offres sont analysées sur la base d'un cahier des charges à partir de critères permettant de sélectionner la mieux-disante. Dans certains cas, par exemple pour des achats dont l'estimation est proche du seuil de mise en concurrence, la SANEF et la SAPN ont pu appliquer l'une des procédures prévues par le décret du 30 décembre 2005, le délai de réception des candidatures puis des offres pouvant toutefois être réduit.

C. Les procédures instituées par APRR et area

APRR et AREA ont institué, dès 2006, deux procédures distinctes selon le montant des achats de travaux, de fournitures et de services :

- s'agissant des travaux compris entre 50 000 et 500 000 euro HT (et des fournitures et services compris entre 50 000 et 100 000 euro HT), les achats sont effectués selon une procédure négociée sans publicité préalable d'un avis, les entreprises étant contactées directement par AREA et APRR. Le choix du fournisseur se fait entre trois offres au minimum selon des critères prix et valeur technique ;

- s'agissant des travaux compris entre 500 000 et 2 millions d'euro HT et des fournitures et services compris entre 100 000 et 240 000 euro HT, un avis est préalablement publié. Comme dans la procédure précédente, un dossier de consultation est établi, contenant les critères à partir desquels seront appréciées les offres. Toutefois, "lorsque la concurrence est inexistante, ou lorsque ce choix est justifié pour des raisons économiques et/ou techniques, ou en cas d'urgence, le PDG pourra autoriser selon le cas, soit la conclusion d'un marché négocié directement avec une entreprise, soit une procédure négociée sans publicité avec mise en concurrence entre 3 entreprises au moins".

Au final, alors que les SCA auraient pu de droit attribuer l'ensemble de ces marchés à des entreprises liées, l'Autorité constate la mise en place de procédures de publicité et de mise en concurrence en dehors de leurs obligations réglementaires et contractuelles. Elle relève toutefois que lesdites procédures ne sont pas cohérentes entre elles, même si certains traits se retrouvent systématiquement, comme le choix entre procédure négociée et procédure de mise en concurrence (choix généralement délégué aux responsables locaux), cette dernière pouvant s'inspirer des mécanismes formalisés.

ANNEXE 12. DURÉE DES CONCESSIONS AUTOROUTIÈRES

"emplacement tableau"