CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 janvier 2015, n° 13-08899
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Myrina (SARL)
Défendeur :
The Watches Connexion (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
MM. Douvreleur, Birolleau
Avocats :
Mes Regnier, Humbert, Hoffman Attias, Bouchard
Faits et procédure
La société Myrina exploite dans des locaux situés avenue des Champs Elysées à Paris un fonds de commerce de vente de bijoux fantaisies, montres et autres accessoires de mode. La société The Watches Connexion (ci-après la société TWC) est spécialisée dans la commercialisation d'articles sous licence de marque et elle a distribué pendant quelques temps les bijoux de la marque "Pandora".
Depuis le mois de novembre 2008, la société Myrina a régulièrement passé à la société TWC des commandes de bijoux de la gamme Pandora. Au mois de septembre 2010, elle a commandé 74 références afin de réassortir son stock pour l'automne. La société TWC lui a indiqué qu'elle refusait en l'état de lui livrer les produits commandés car elle estimait que ceux-ci n'étaient pas présentés dans des conditions satisfaisantes et qu'elle n'honorerait cette commande que lorsque cette présentation serait améliorée.
Par acte du 26 mai 2011, la société Myrina a assigné la société TWC devant le Tribunal de commerce de Paris en demandant sa condamnation, sur le fondement des articles 1147 et 1147 du Code civil, à lui verser la somme de 36 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 25 février 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Myrina de ses demandes de dommages et intérêts ;
- débouté la société TWC de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Myrina a interjeté appel de ce jugement le 30 avril 2013.
Par conclusions signifiées le 18 septembre 2014, la société Myrina demande à la cour de :
- Déclarer recevable et bien fondée la société Myrina en son appel ;
- Infirmer le jugement rendu le 25 février 2013 par le Tribunal de commerce de Paris,
En conséquence,
1 Sur les fautes
- Dire et Juger qu'il existait des relations commerciales établies entre la société Myrina et la société TWC entre 2009 et 2010 ;
Dire et Juger que la société TWC a rompu de manière arbitraire et injustifiée les relations commerciales la liant à la société Myrina au sens de l'article 442-6 I 5° du Code de commerce ;
- À titre subsidiaire, et dans l'hypothèse extraordinaire où la cour refuserait d'appliquer les dispositions de cet article, dire et juger que la société TWC a commis une faute au sens des articles 1134 et 1147 du Code civil, et qu'elle a fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution des obligations contractuelles ;
- À titre infiniment subsidiaire, et à titre conservatoire, dans l'hypothèse extraordinaire où la cour refuserait de retenir l'existence de relations contractuelles entre les parties, dire et juger que la société TWC a commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil, en refusant de répondre favorablement à une commande de la société Myrina alors que, en raison du nombre important de commandes passées, cette dernière pouvait légitimement croire que la société TWC répondrait favorablement à sa commande de septembre 2010, confirmée par mail le 6 octobre 2010 ;
2 Le préjudice
- Dire et Juger qu'un tel comportement de la part de la société TWC a causé un important préjudice financier et moral à la société Myrina ;
- En conséquence, condamner la société TWC à régler à la société Myrina la somme de 30 000 euros en réparation de son entier préjudice ;
- Condamner la société TWC à régler à la société Myrina une somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
A titre principal, la société Myrina fait valoir que si elle n'avait pas conclu de contrat écrit à avec la société TWC, elle lui a, depuis novembre 2008, régulièrement passé des commandes de produits de la gamme Pandora, de sorte qu'existaient entre elles des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. Elle reproche à la société TWC d'avoir mis fin sans préavis écrit à ces relations en refusant de lui fournir les produits qu'elle lui avait commandés en septembre 2010. Elle récuse les griefs que la société TWC avance pour justifier cette rupture, et qui tiennent à son prétendu refus de mettre en valeur la marque Pandora, d'en respecter la politique commerciale et à de prétendus retards dans le règlement des factures.
La société Myrina considère qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis d'une durée de six mois et, compte tenu de la marge brute qu'elle aurait réalisée et de l'atteinte portée à son image, elle réclame l'allocation de la somme de 30 000 euros en réparation de ses préjudices.
A titre subsidiaire, la société Myrina considère que la société TWC a commis une faute contractuelle, en ce qu'elle a fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution de ses obligations.
A titre infiniment subsidiaire, elle soutient que la société TWC a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en refusant d'honorer la commande qu'elle lui avait passée en septembre 2010, alors qu'elle avait jusqu'alors favorablement répondu à ses nombreuses commandes.
Par conclusions signifiées le 16 octobre 2014, la société TWC demande à la cour de :
- Confirmer le jugement du 25 février 2013 en ce qu'il a débouté la société Myrina de ses demandes de dommages et intérêts ;
- recevoir la société TWC en toutes ses demandes, fin et conclusions ;
Sur la demande principale formulée sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce :
- dire que la société TWC n'a pas rompu brutalement de relations commerciales établies avec la société Myrina ;
En conséquence,
- débouter la société Myrina de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
- condamner la société TWC à payer à la société Myrina la somme de 1 euro symbolique ;
Sur la demande formulée à titre subsidiaire sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Myrina de ses demandes fondées sur les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
En conséquence,
- débouter la société Myrina de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Sur la demande formulée à titre infiniment subsidiaire sur le fondement de l'article 1382 du Code civil :
- dire que la société TWC n'a commis aucune faute au sens de l'article 1382 du Code civil ;
En conséquence,
- débouter la société Myrina de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
- condamner la société Myrina à verser à la société TWC la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société TWC expose qu'elle a dès les premières commandes passées par la société Myrina, constaté que celle-ci refusait de mettre en valeur les produits de la marque Pandora qu'elle lui avait livrés, qu'elle ne respectait pas la politique commerciale de cette marque et qu'elle réglait ses factures avec retard.
Sur le fond, la société TWC soutient que les relations qu'elle entretenait avec la société Myrina n'avaient pas le caractère de relations commerciales "établies" au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; elle fait valoir, en particulier, que ces relations n'ont duré que vingt-deux mois, qu'elles se sont très vite détériorées de sorte que la société Myrina ne pouvait pas raisonnablement penser qu'elles perdureraient.
En ce qui concerne les demandes que la société Myrina fonde subsidiairement, d'une part, sur les articles 1134 et 1147 et, d'autre part, sur l'article 1382 du Code civil, la société TWC souligne que la faute qui lui est reprochée n'est pas caractérisée.
A titre subsidiaire, la société TWC soutient que le préavis accordé à la société Myrina ne devrait pas être supérieur à un mois et elle conteste le montant des dommages et intérêts qui lui sont réclamés.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce
Considérant qu'il est établi que les parties sont entrées en relations commerciales en novembre 2008 et que ces relations, sans être encadrées par un contrat écrit, ont pris la forme de commandes passées par la société Myrina à la société TWC ; que selon les chiffres fournis par la société Myrina, ces commandes se sont élevées aux montants TTC de 4 763,38 euros en 2009 et 11 842,19 euros en 2010 (attestation de l'expert-comptable de la société Myrina pièce n° 37) ;
Considérant que la société TWC soutient que ces relations n'avaient pas le caractère de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, au motif, en particulier, que compte tenu de leur rapide détérioration, la société Myrina ne pouvait raisonnablement penser qu'elles perdureraient dans l'avenir ;
Considérant qu'il ressort du dossier que la société TWC s'est à de très nombreuses reprises plainte des retards de paiement de la société Myrina et l'a mise en demeure d'y remédier sous la menace d'engager des procédures contentieuses et de ne plus répondre à ses nouvelles commandes ; qu'elle produit ainsi six courriers de relances et de mise en demeure qu'elle a adressés à la société Myrina entre les mois de novembre 2008 et octobre 2010 et portant sur 17 factures impayées (pièces n° 3) ;
Considérant que la société Myrina ne conteste pas la réalité de ces retards, mais n'y voit qu'un "décalage" qui ne lui serait pas imputable ;
Considérant qu'en particulier, elle affirme que la société TWC a toujours livré avec retard ou de façon incomplète les produits qu'elle lui avait commandés ; qu'elle n'apporte cependant à l'appui de cette allégation aucun élément de preuve, ni même aucune indication sur les livraisons tardives et incomplètes qu'elle reproche à la société TWC ;
Considérant que la société Myrina ajoute que certaines traites ont été rejetées car elles ont été remises "sans code d'acceptation" ainsi que l'explique un courrier de la banque LCL qu'elle verse aux débats (pièce n° 23) ; mais considérant que ce courrier, daté du 25 janvier 2011, ne porte que sur deux factures arrivées à échéance les 29 juin et 30 août 2010 ; que cette explication, par conséquent, ne saurait justifier les nombreux retards de paiement à l'origine des relances et mises en demeure de payer de la société TWC ;
Considérant que ces constatations établissent que, compte tenu de leur dégradation persistante, les relations entre les parties ne présentaient, dès leur origine, aucun caractère de stabilité mais au contraire étaient empreintes de précarité ; que d'ailleurs, la société TWC a, dans plusieurs courriers de relance, expressément indiqué qu'elle se réservait le droit de ne plus accepter de commandes de la part de la société Myrina ; qu'ainsi, elle a, dès le mois de février 2009 soit quatre mois après la première commande, indiqué à la société Myrina que "sans règlement de votre part, nous serons dans l'obligation de bloquer l'envoi de toute nouvelle commande" ; que cet avertissement a été réitéré dans les mêmes termes par courriers des 21 septembre 2009, 16 avril 2010 et 15 octobre 2010 ; que dans ces conditions, la société Myrina ne pouvait raisonnablement croire à la pérennité des relations qu'elle entretenait avec la société WTC puisque celle-ci l'avait explicitement mise en garde sur les conséquences de ses retards de paiement et lui avait fait part de sa détermination à ne plus honorer ses commandes en cas de persistance de ces retards ;
Considérant qu'il résulte de ces constatations que les commandes passées par la société Myrina ne se sont pas inscrites dans le cadre de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; que la société TWC a donc pu, sans contrevenir aux dispositions de ce texte, décider de ne pas honorer la commande qui lui avait été passée en septembre 2010 ; que la société Myrina sera donc déboutée de sa demande ;
Sur l'application des articles 1134 et 1147 du Code civil
Considérant que subsidiairement, la société Myrina demande à la cour de juger que la société TWC a fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution de ses obligations contractuelles et qu'elle engage ainsi sa responsabilité ;
Mais considérant que la société Myrina ne développe aucun argument ni n'apporte d'élément de preuve propre à établir la mauvaise foi qu'elle reproche à la société TWC ; que le refus de celle-ci d'honorer la commande qui lui avait été adressé en septembre 2010 ne saurait, à lui seul, caractériser un comportement de mauvaise foi ; que la demande de la société Myrina sera en conséquence rejetée ;
Sur l'article 1382 du Code civil
Considérant qu'à titre infiniment subsidiaire, la société Myrina soutient que compte tenu du nombre important de commandes qu'elle avait passées à la société TWC, elle pouvait légitimement croire que celle-ci honorerait sa commande de septembre 2010 ; qu'elle en conclut qu'en refusant d'honorer cette commande, la société TWC a commis une faute qui engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Mais considérant que comme la cour l'a relevé plus haut, la société Myrina ne pouvait de bonne foi considérer qu'elle avait l'assurance que ses relations avec la société TWC se prolongeraient dans l'avenir ; qu'au contraire, la société TWC a, à plusieurs reprises, mis en garde la société Myrina sur les conséquences de ses retards de paiement et a expressément menacé de ne plus honorer ses commandes dans l'avenir ; que dans ces conditions, a société Myrina ne démontre pas que le refus de la société TWC d'honorer sa commande de septembre 2010 avait un caractère fautif ;
Sur les frais irrépétibles
Considérant qu'au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société TWC la totalité des frais irrépétibles engagés pour faire valoir ses droits et la société Myrina sera condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme dans toutes ses dispositions le jugement déféré ; Y ajoutant, Déboute la société Myrina de ses demandes fondées sur les articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil ; Condamne la société Myrina à payer à la société The Watches Connexion la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Myrina au paiement des dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.