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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 janvier 2015, n° 12-18258

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cuisi-Pose (EURL)

Défendeur :

Meubles Ikea France (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Veniel Gobbers, Fromantin, Dolfi

T. com. Lille, du 24 mai 2012

24 mai 2012

Vu le jugement du 24 mai 2012, par lequel le Tribunal de commerce de Lille a débouté la société Cuisi-Pose de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Meubles Ikea France la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 11 octobre 2012 par la société Cuisi-Pose et ses dernières conclusions signifiées le 31 octobre 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de réformer le jugement entrepris, en conséquence, juger que la société Meubles Ikea France a abusivement rompu ses relations commerciales avec la société Cuisi-Pose, la condamner à payer à la société Cuisi-Pose la somme de 719 749,17 euros au titre de son préjudice économique, ainsi que celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 31 décembre 2012 par la société Meubles Ikea France par lesquelles il est demandé à la cour de dire la société Cuisi-Pose irrecevable et non fondée en son appel, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et condamner la société Cuisi-Pose à verser à la société Meubles Ikea France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

Début 2007, la société Meubles Ikea France (ci-après Ikea) et M. Pottier sont entrés en relation d'affaires, ce dernier installant des cuisines Ikea, dans le cadre d'opérations immobilières.

Début 2007, M. Pottier a créé la société Cuisi-Pose. Dès lors, la société Ikea lui a confié le montage de ses cuisines, aucun contrat n'ayant formalisé cette collaboration.

Puis, par lettre du 26 décembre 2008, la société Ikea a souhaité formaliser le partenariat par un contrat de prestations, en ces termes : "Notre choix a été de prévoir une période courte renouvelable par tacite reconduction. L'objectif étant, comme annoncé par mon prédécesseur, de procéder à terme à un appel d'offres. Vous trouverez annexée à ce courrier une proposition de contrat, d'une année à compter du 2 janvier 2009, reconduite tacitement d'année en année".

Le 2 janvier 2009, le contrat de partenariat a été signé, et conclu pour une durée d'un an avec faculté de dénonciation sous réserve d'un préavis de trois mois.

Par lettre recommandée du 28 septembre 2009, la société Ikea a dénoncé le contrat, à la date du 1er janvier 2010. Elle a, par ce courrier, informé la société Cuisi-Pose du lancement d'un appel d'offres auquel celle-ci a répondu.

Le 2 décembre 2009, la société Ikea a indiqué à la société Cuisi-Pose que sa candidature n'était pas retenue et a proposé un aménagement de la fin du contrat initialement prévue pour le 1er janvier 2010. La société Ikea a indiqué souhaiter trouver un accord sur une fin progressive de la relation commerciale.

Par message électronique du 2 décembre 2009, la société Ikea a formulé des propositions, consistant, s'agissant du magasin Ikea d'Hénin Beaumont, dans le maintien de l'activité jusqu'à l'entière réalisation des pré-visites, soit une activité couvrant janvier 2010, et, s'agissant du magasin Ikea de Lomme, représentant le chiffre d'affaires le plus important, dans le maintien des relations commerciales pendant une période de préavis de trois mois complémentaires.

Un accord a été trouvé, mais, courant janvier 2010, la société Cuisi-Pose a licencié ses salariés. Ces derniers ont accepté et signé une convention de reclassement.

La société Cuisi-Pose n'a alors pas pu poursuivre son activité pour le compte de la société Ikea puisqu'elle n'avait plus de salariés. Elle a donc remis à Ikéa, le 24 février 2010, 62 dossiers de pose de cuisines en cours, dont 41 pour le magasin de Lomme, et 21 pour le magasin d'Hénin Beaumont.

C'est dans ces conditions que la société Cuisi-Pose a assigné, le 8 avril 2011, la société Ikea pour rupture brutale des relations commerciales, ayant, selon elle, entrainé la perte de toute son activité et de la valeur de son fonds de commerce.

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce qu' "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. (...)" ;

Considérant que si la société Cuisi-Pose prétend qu'un préavis de 24 mois aurait dû lui être octroyé, compte tenu de l'état de totale dépendance économique dans lequel elle était par rapport à la société Ikea, celle-ci soutient que le préavis de cinq mois consenti à son partenaire était suffisant ;

Considérant que la durée du préavis a pour finalité de permettre aux entreprises victimes d'une rupture de remédier à la désorganisation en résultant ; qu'elle s'apprécie au regard de critères qui dépendent de la nature et de l'ancienneté de la relation commerciale, de la notoriété des produits pris en considération, du degré de dépendance à l'égard du fournisseur, de la faculté de trouver des partenaires équivalents, et d'amortir les investissements engagés légitimement pour satisfaire les besoins spécifiques du cocontractant à l'origine de la rupture ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le début des relations commerciales entre les parties a eu lieu début 2007 et que les relations ont duré deux ans et sept mois ; que dans sa réponse à l'appel d'offres lancé par la société Ikea en octobre 2009, la société Cuisi-Pose prétendait réaliser avec Ikea 70 % de son chiffre d'affaires, tandis qu'elle réalisait 30 % avec deux autres sociétés ; qu'elle n'était liée avec la société Ikea par aucun rapport d'exclusivité ; qu'elle n'apporte pas la preuve d'avoir été dans l'impossibilité de diversifier sa clientèle ; qu'elle ne démontre pas davantage avoir réalisé des investissements irrécupérables pour les besoins de son partenariat avec Ikea ; qu'elle ne rapporte pas la preuve d'avoir été maintenue dans l'espérance illusoire de la poursuite des relations commerciales, la société Ikea lui ayant annoncé, dès le 26 décembre 2008, qu'elle avait pour objectif de procéder à terme à un appel d'offres ; que, compte tenu de tous ces éléments, les Premiers Juges ont, à juste titre, estimé qu'un préavis de cinq mois était suffisant ;

Sur l'effectivité du préavis

Considérant que le contrat de partenariat a été résilié par lettre du 28 septembre 2009 à effet au 31 décembre 2009, conformément aux stipulations contractuelles ;

Considérant que le point de départ du préavis doit être fixé à la date de la lettre de résiliation du contrat le 28 septembre 2009 ; que la société Ikea a confié à Cuisi-Pose le suivi des dossiers entamés avant le 31 décembre 2009, lui permettant ainsi de conserver son activité de pose de cuisine sur une durée complémentaire de deux mois, jusqu'au 24 février 2010, date à laquelle la société Cuisi-Pose a informé Ikea qu'elle était dans l'incapacité d'assurer les derniers travaux de pose d'installation de cuisine que la société Ikea lui avait adressés, ses salariés n'ayant pas exécuté le préavis ; qu'elle a donc bien bénéficié d'un préavis effectif de cinq mois qui auraient d'ailleurs pu être portés à sept mois si elle avait exécuté les 62 autres chantiers confiés par Ikea ; que la société Cuisi-Pose a entamé la procédure de licenciement de son personnel dès le début de l'année 2010, ce qui a donné lieu à des conventions de reclassement personnalisé à compter du 14 février 2010 ; qu'elle n'avait donc aucunement l'intention de réorienter son activité vers d'autres partenaires ; que la société Cuisi-Pose a réalisé, en janvier et février 2010, un chiffre d'affaires de 40 700 € hors-taxes, chiffre d'affaires correspondant à la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires réalisé par elle au cours de l'année 2009 ;

qu'il en résulte que le préavis de cinq mois a été effectif ;

Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille et de rejeter l'ensemble des demandes de la société Cuisi-Pose ;

Par ces motifs : - Confirme le jugement entrepris, - Condamne la société Cuisi-Pose aux dépens de l'instance d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, - Condamne la société Cuisi-Pose à verser à la société Meubles Ikea France la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.