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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 7 janvier 2015, n° 12-02605

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Vixter (SARL)

Défendeur :

CCI Formation 82 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gousteaux

Conseillers :

Mmes Salmeron, Pellarin

Avocats :

Mes Duguet, Zorzi

T. com. Montauban, du 22 févr. 2012

22 février 2012

FAITS ET PROCÉDURE

La SARL Vixter a souscrit avec le Centre de Formation Consulaire (CFC) une convention de formation le 14 janvier 2004 pour réaliser des actions de formation et animer son programme " piloter, manager, entreprendre ". Cette convention prenait effet à la date de sa signature et se poursuivait jusqu'à l'achèvement de la prestation.

Venant aux droits du CFC, la SAS CCI Formation 82 a ratifié cette convention le 27 juin 2005. Cette convention pouvait être renouvelée par l'ouverture de sessions supplémentaires.

Des cessions de formations ont été ainsi reconduites jusqu'en février 2011, à l'exception de l'année 2009/2010, avec l'établissement d'une nouvelle convention ou d'un avenant signés par les deux parties pour chaque cession.

Par une réunion de la Commission Formation de la CCI, le 16 novembre 2010, la décision a été prise de remplacer la formation de la SARL Vixter par un autre type de formation.

Par son compte-rendu de réunion, Mme Montaut représentante de la CCI s'engageait à recevoir le jour même M. De Bertier, le représentant de la SARL Vixter, pour l'informer de cette décision, ce qu'il dément formellement. M. De Bertier affirme avoir appris son éviction de la formation à la CCI le 28 janvier 2011 par une plaquette de présentation.

M. De Bertier écrit le 16 février 2011 à Mme Montaut pour solliciter la réparation du préjudice qu'il pense avoir subi au titre de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et de la rupture brutale sans le moindre préavis écrit, préjudice chiffré à 8 280 euros.

Après deux relances, le 18 mars et 13 mai 2011, pour obtenir le paiement de cette somme au titre d'une transaction amiable, la CCI oppose une fin de non-recevoir en raison de la nature du contrat. La SARL Vixter assigne alors la SASU CCI Formation 82, le 19 juillet 2011 devant le Tribunal de commerce de Montauban.

Par jugement du 22 février 2012, le Tribunal de commerce de Montauban a :

- débouté la SARL Vixter de l'ensemble de ses demandes

- condamné la SARL Vixter à payer à la CCI Formation 82 la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.

La SARL Vixter a interjeté appel le 29 mai 2012.

La SARL Vixter a transmis ses dernières écritures par RPVA le 21 novembre 2012.

La SASU CCI Formation 82 a transmis ses dernières écritures par RPVA le 25 octobre 2013.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 octobre 2014.

MOYENS et PRÉTENTIONS des PARTIES

Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SARL Vixter demande à la cour de :

- réformer le jugement dont appel rendu par le Tribunal de commerce de Montauban le 22 février 2012

- débouter la société CCI Formation de l'ensemble de ses prétentions comme injustes, irrecevables et en tout cas mal fondées

- constater que suivant conventions écrites des 14 janvier 2004 et 27 juin 2005, la société Vixter s'est engagée à organiser les actions de formations professionnelles pour le compte du CFC de Montauban aux droits duquel s'est substituée la société CCI Formation 82

- constater que ce partenariat s'est poursuivi du 14 janvier 2004 au 15 février 2011 et que si la société CCI Formation 82 était en droit de rompre cette relation établie, elle ne pouvait légalement s'y employer qu'après avoir adressé à la société Vixter un préavis écrit respectant une durée minimale et qu'à défaut, elle est redevable d'une indemnité de rupture brutale de ses relations commerciales égale à 6 mois de marge brute sur couts variables.

- condamner la société CCI Formation 82 à lui payer :

- la somme de 16 560 euros avec intérêts légaux à compter de la signification de l'assignation introductive d'instance du 19 juillet 2011 valant mise en demeure de payer

- la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'appelant fait essentiellement valoir que :

- le contrat du 27 juin 2005 est une convention à durée indéterminée : aucun autre contrat n'a été conclu alors que cela aurait été le cas s'il s'agissait d'un contrat à durée déterminée ; les avenants n'ont été signé qu'en vue de préciser les conditions financières et renvoient expressément aux dispositions de la convention initiale.

- la rupture des relations commerciales établies depuis 7 ans ne pouvait se faire sans préavis écrit

- la brutalité de la rupture ne s'apprécie pas au regard du seul contrat existant à la date où elle intervient mais doit s'apprécier par rapport à l'ensemble des relations établies.

- cette brutalité ne peut être réparée que par l'allocation d'une indemnité minimale de 3 mois de marge brute sur coûts variables

Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles 1134 du Code civil, L. 442-6 5° du Code de commerce et les pièces versées au débat, demande à la cour d'appel de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Montauban en date du 22 février 2012

- débouter la société SARL Vixter de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société SARL Vixter à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'intimé fait essentiellement valoir que :

- le contrat du 27 juin 2005 ainsi que les nombreux avenants successifs déterminent la durée du contrat en se référant aux notions de promotions, de sessions de formation et de calendriers.

- la référence systématique à la promotion bénéficiant de la formation visée permet de circonscrire chaque contrat dans une durée déterminée

- si la dénomination d'avenant peut paraitre maladroite, le juge n'est pas lié par celle-ci et peut requalifier la convention en se référant à l'essence même du contrat.

- aucun renouvellement par tacite reconduction n'a été prévu et chaque contrat prenait fin avec l'exécution de la prestation prévue qui était la formation prodiguée durant une session.

- la convention de formation prévoit la fixation d'une rémunération au forfait pour un groupe de 8 à 10 participants. Etant donné que le nombre de participants était inférieur en 2009 et 2010, la société Vixter ne pouvait ignorer que la relation contractuelle ne pouvait être pérennisée.

- la SARL Vixter ne pouvait prétendre à aucun renouvellement annuel de cette formation dans la mesure où même la SASU CCI Formation 82 ignorait chaque année celle des formations qui seraient assurées l'année suivante. Seule la chambre de commerce et d'industrie est maitre de renouveler ou pas lesdites formations.

- le dernier contrat à durée déterminée conclu pour la session du 29 avril 2010 au 15 février 2011 a valablement été exécuté jusqu'à son terme. Et la SARL Vixter a été informée du non-renouvellement du contrat d'animation de la formation dès le 16 novembre 2010 soit plus de 3 mois avant l'arrivée du terme du contrat les liant.

- la société Vixter n'a pas subi de préjudice du fait de la rupture contractuelle dans la mesure où celle-ci n'a pas pour seule activité la formation mais également la prise de participation dans d'autres sociétés. En effet, le contrat avec la SASU CCI Formation 82 n'occupait qu'entre une et deux journées par mois.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce :

I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

Le rapport annuel de la Cour de cassation pour l'année 2008 indique que :

"La notion de "relation commerciale établie" est une notion non définie qui, comme le note la doctrine, est une notion économique et non juridique. Ainsi la cour a appliqué les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° dans le cadre de relations commerciales caractérisées par une succession de contrats (Com., 6 juin 2001, Bull. 2001, IV, n° 112). Afin de combiner le respect de la liberté contractuelle et les prescriptions de cet article, la doctrine et la jurisprudence limitent le domaine d'application de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce aux cas où la relation commerciale entre les parties revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l'interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaire avec son partenaire commercial. Cette anticipation raisonnable peut être démontrée en s'appuyant sur l'existence d'un contrat dont l'échéance est postérieure à la date de la rupture ou sur une pratique passée dont la partie victime de la rupture pouvait inférer que sa relation commerciale s'instaurait dans la durée. À l'inverse la pratique passée peut établir que la partie victime de l'interruption ne pouvait pas raisonnablement anticiper une continuité de la relation commerciale pour l'avenir".

En l'espèce, les parties ont signé le 14 janvier 2004 une convention de formation.

Selon l'article 5 intitulé durée de la formation, la convention prend effet à la date de sa signature et se poursuivra jusqu'à l'achèvement de la prestation prévue, conformément au calendrier établi. Elle pourra être renouvelée par l'ouverture de sessions supplémentaires. En cas de force majeure, le calendrier pourra être prolongé de trois mois, par convention expresse entre les parties. Toute modification fera l'objet d'un avenant.

Selon l'article 6, intitulé "globalité du partenariat", aux termes du premier alinéa, les parties conviennent d'engager, au travers de la présente convention, un partenariat global, permanent et diversifié sur deux départements.

Le 27 juin 2005, une nouvelle convention a été signée par les parties, les termes de l'article 6 étant modifiés en ce que le partenariat était étendu à un troisième département et que la SARL Vixter s'engageait à confier une exclusivité sur la formation "piloter, manager, entreprendre" sur les trois départements à la SASU CCI Formation 82 qui s'engage de son côté à réaliser une à deux sessions par an au minimum pour cette formation.

De 2006 à 2010, des avenants ont été signés chaque année, visant le contrat du 27 juin 2005, pour la mise en œuvre d'actions de formation sur le thème susmentionné, au nombre total de 12, la dernière formation ayant été achevée en février 2011.

En février 2011, La SARL Vixter a appris par d'anciens stagiaires que la SASU CCI Formation 82 avait communiqué à la fin du mois précédent sur une nouvelle formation portant sur les outils de pilotage de l'entreprise.

Il en résulte que si le contrat signé en 2004 ne contenait pas de clause de tacite reconduction, les relations entre les parties se sont poursuivies sans discontinuer pendant 7 ans, le partenariat entre les parties ayant été qualifié de permanent et la SARL Vixter ayant consenti une exclusivité à la SASU CCI Formation 82 pour le module de formation répété à 12 reprises, certaines formations se chevauchant. De plus, la décision de ne pas confier à la SARL Vixter une 13e formation a été prise avant la fin d'une formation en cours.

Il en résulte que la SASU CCI Formation 82 a engagé sa responsabilité en rompant brutalement une relation commerciale ainsi établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de ladite relation.

Compte tenu de la durée des relations et de l'exclusivité consentie par la SARL Vixter, il y a lieu de prendre en considération un préavis de six mois pour l'indemnisation du préjudice subi par la SARL Vixter, soit le gain manqué correspondant à la marge brute (différence entre le chiffre d'affaires (HT) et les coûts (HT)) qu'elle pouvait escompter tirer pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté, à l'exclusion du montant du chiffre d'affaires.

La SARL Vixter sollicite la somme de 16 560 euros en prenant comme base de calcul une marge brute ressortant à 90 %. Pour en justifier, elle verse aux débats un tableau sous Excel établi par un professionnel de l'expertise comptable qui indique une marge brute réalisée par promotion excédant 93 %.

Le chiffre d'affaires réalisé de janvier 2004 à février 2011 s'élève à 257 600 euros, soit 3 030 euros mensuels, après division par 85 mois, et 2 727 euros au titre de la marge brute. En multipliant cette dernière somme par six correspondant à la durée du préavis fixée par la cour d'appel, la SASU CCI Formation 82 doit être condamnée à payer à la SARL Vixter la somme de 16 362 euros qui portera intérêt au taux légal à compter du 19 juillet 2011, date de l'acte introductif d'instance.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris.

Enfin, la SASU CCI Formation 82 qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs : Infirme le jugement du Tribunal de commerce d'Albi, Et statuant à nouveau, Condamne la SASU CCI Formation 82 à payer à la SARL Vixter la somme de seize mille trois cent soixante-deux euros (16 362) qui portera intérêt au taux légal à compter du 19 juillet 2011, Condamne la SASU CCI Formation 82 aux dépens de première instance et d'appel dont distraction par application de l'article 699 du Code de procédure civile, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la SASU CCI Formation 82 de sa demande sur ce fondement, Condamne la SASU CCI Formation 82 au paiement à la SARL Vixter de la somme de 3 000 euros de ce chef.