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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 13 janvier 2015, n° 13-04598

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Husqvarna France (SAS)

Défendeur :

Etablissements Gima (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mme Calot, M. Leplat

Avocats :

Mes Ricard, Moreuil, Minault, Collard

T. com. Nanterre, 5e ch., du 11 juin 201…

11 juin 2013

Vu l'appel interjeté le 14 juin 2013, par la société Husqvarna France d'un jugement rendu le 11 juin 2013 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui a :

dit recevable la demande de la société Gima,

condamné la société Husqvarna France à payer à la société Etablissements Gima la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, déboutant du surplus,

condamné la société Husqvarna France à payer à la société Etablissements Gima la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

Vu les dernières écritures en date du 30 octobre 2014, par lesquelles la société Husqvarna France demande à la cour, au visa de l'article D. 442-3 du Code de commerce et de l'article 1134 du Code civil, de :

à titre liminaire,

déclarer irrecevables les demandes formées par la société Etablissements Gima en ce qu'elles sont fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce,

sur le fond,

réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

constater que si les relations commerciales se sont poursuivies en 2012, aucun contrat de distribution n'a été conclu,

constater qu'aucune exclusivité contractuelle n'avait été accordée auparavant à la société Etablissement Gima,

dire qu'aucune faute contractuelle qui lui serait imputable n'est démontrée,

à titre subsidiaire,

dire qu'il n'existe aucun lien entre la faute reprochée et le préjudice allégué,

constater la carence totale de la société Etablissements Gima dans l'administration de la preuve qui lui incombe,

en tout état de cause,

débouter la société Etablissements Gima de ses demandes,

condamner la société Etablissements Gima au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens d'instance et d'appel;

Vu les dernières écritures en date du 19 novembre 2014, aux termes desquelles la société Etablissements Gima, au visa des articles 1134 du Code civil, 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, L. 442-6 du Code de commerce, 1382 et 1383 du Code civil, prie la cour de :

constater l'existence d'une relation commerciale durable entre les parties,

constater que la société Husqvarna France a signé un contrat vendeur agréé avec la société Vial se situant à moins de 5km des établissements Gima,

constater que la société Husqvarna France a agi de façon déloyale à son égard,

constater que la société Husqvarna France a abusé de sa position et dans ses rapports avec elle,

constater qu'aucune concertation ni aucun délai de prévenance ou de préavis ne lui a été octroyé et ce malgré l'ancienneté des relations contractuelles et commerciales (22 années),

constater que ce comportement est fautif et engage la responsabilité de la société Husqvarna France,

dire qu'elle a subi un préjudice indemnisable,

à titre principal,

confirmer le jugement querellé sauf à parfaire le montant du préjudice,

condamner la société Husqvarna France au paiement de la somme de 354 850 euros au titre du préjudice subi du fait de la faute contractuelle de celle-ci,

à titre subsidiaire,

se déclarer compétent pour statuer sur la demande fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

confirmer le jugement querellé sauf à substituer le fondement juridique de la demande et à parfaire le montant du préjudice,

condamner la société Husqvarna France au paiement de la somme de 354 850 euros au titre du préjudice subi du fait de la faute délictuelle de celle-ci,

à titre infiniment subsidiaire,

confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions,

en tout état de cause,

débouter la société Husqvarna France de ses demandes, fins et conclusions et les dire irrecevables tout au moins infondées,

condamner la société Husqvarna France au versement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

la société Husqvarna France commercialise en France des matériels pour le jardin et la forêt sous diverses marques,

pour ce qui concerne les produits vendus sous la marque Husqvarna France, le réseau de distribution était constitué de revendeurs indépendants non exclusifs, certains passant une ou plusieurs commandes par an, soumises aux conditions générales de vente, d'autres souscrivant un engagement de chiffre d'affaires en contrepartie d'avantages notamment financiers,

depuis 1990, la société Etablissements Gima, qui exerce une activité de vente de matériels pour le jardin et la forêt au Plan d'Orgeon 13750 et ne vend que des produits de la marque Husqvarna France, a passé des commandes annuelles à la société Husqvarna France France, intitulées commande de "pré-saison",

au cours des années 2009, 2010 et 2011, la société Etablissements Gima a bénéficié, selon contrats annuels, du statut de "revendeur agréé expert Husqvarna France",

le 29 novembre 2011, la société Etablissements Gima a passé une commande "pré-saison" portant sur des produits devant être livrés en février 2012 et en avril 2012, la commande étant ferme pour la première partie et modifiable pour la seconde jusqu'en mars 2012,

le 1er février 2012, la société Etablissements Gima a été informée par le commercial de la société Husqvarna France France de l'ouverture d'un nouveau compte client, la société Vial Motocultures à Cavaillon 84300, qui serait situé à moins de 5 km du magasin de la société Etablissements Gima,

par courrier du 3 février 2012, la société Etablissements Gima s'est alertée de cette situation, a invoqué le non-respect des engagements contractuels et de moralité de la société Husqvarna France, a sollicité la suspension de la livraison "pré-saison",

par courrier en réponse du 17 février 2012, la société Husqvarna a rappelé à la société Etablissements Gima qu'elle n'accordait pas aux revendeurs d'exclusivité territoriale et qu'elle pouvait avoir plusieurs revendeurs sur un même secteur,

la société Husqvarna France a pris en compte l'annulation de la commande,

c'est dans ces circonstances, que le 15 juin 2012, la société Etablissements Gima a assigné la société Husqvarna France devant le Tribunal de commerce de Nanterre, au visa de l'article 1134 du Code civil, principalement en responsabilité contractuelle et en indemnisation de son préjudice évalué à la somme de 354 850 euros ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce :

Considérant que la société Etablissements Gima invoque pour la première fois en appel, à titre subsidiaire, les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce selon lesquelles engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;

Considérant que la société Husqvarna France réplique à l'irrecevabilité des demandes en ce qu'elles sont fondées sur ces dispositions, rappelant que selon l'article D. 442-3 du Code de commerce, pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre, la Cour d'appel de Paris étant seule compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions ;

Considérant que la société Etablissements Gima rétorque que ce n'est pas elle qui a saisi la Cour d'appel de Versailles, mais la société Husqvarna appelante, que l'empêcher de soulever l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce la prive de son droit fondamental d'accès au juge consacré à l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir saisi le Tribunal de commerce de Nanterre celui-ci étant territorialement compétent pour statuer sur l'article 1134 du Code civil, que pour une bonne administration de la justice, il est important que dans le cadre d'un même litige, l'ensemble des demandes soit soulevé devant une seule et même juridiction, selon le principe de concentration des moyens et des demandes, qu'elle ne pourra plus saisir les juridictions parisiennes lorsque la Cour d'appel de Versailles aura rendu son arrêt car elle se heurtera à l'autorité de la chose jugée ;

Qu'elle soutient ainsi que doit être rejetée l'exception d'incompétence soulevée par la société Husqvarna France France et que doivent être écartées les dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce en faveur de celles de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Or considérant que le Tribunal de commerce de Nanterre a été saisi, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, d'une action en responsabilité purement contractuelle à raison de la faute qu'aurait commise la société Husqvarna France France ;

Que dans ses dernières conclusions d'appel, la société Etablissements Gima fonde subsidiairement son action sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;

Considérant que le décret du 11 novembre 2009, ayant créé l'article D. 442-3 du Code de commerce a organisé des règles de compétence particulières pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du même Code et est entré en vigueur le 1er décembre 2009; que ce texte renvoie à un tableau déterminant huit tribunaux de commerce compétents; qu'en son alinéa 2, l'article D. 442-3 dispose que la cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par les huit tribunaux de commerce désignés est celle de Paris ;

Que cette dernière disposition a pour conséquence de priver toute autre cour d'appel que celle de Paris de tout pouvoir pour connaître de toute action fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, engagée postérieurement au 1er décembre 2009 ;

Que l'inobservation de cette règle est sanctionnée par une fin de non-recevoir ;

Que force est de constater que la société Etablissements Gima fonde pour la première fois en appel ses demandes, non seulement sur l'article 1134 du Code civil, comme en première instance, mais également subsidiairement sur les dispositions de l'article 442-6 du Code de commerce ;

Que se trouvant saisie sur ce fondement nouveau en cause d'appel, la Cour d'appel de Versailles ne peut se trouver de nouveau investie du pouvoir de statuer au motif que le jugement critiqué a été rendu par le Tribunal de commerce de Nanterre situé dans son ressort ;

Que dès lors, les prétentions nouvelles de la société Etablissements Gima en ce qu'elles sont fondées subsidiairement sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce doivent être déclarées irrecevables, la Cour d'appel de Versailles n'étant pas privée de l'examen du litige à l'aune du fondement de l'article 1134 du Code civil invoqué en première instance, de sorte qu'aucune atteinte n'est portée au droit d'accès au juge, aux principes d'équilibre et de proportionnalité indispensables à la mise en œuvre des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, les arguments précités soutenus par la société Etablissements Gima étant inopérants ;

Sur les dispositions de l'article 1134 du Code civil :

Considérant en droit, que l'article 1134 du Code civil dispose que: Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ;

Considérant en l'espèce, que la société Etablissements Gima, qui rappelle les relations commerciales entretenues avec la société Husqvarna France depuis 1990 et jusqu'en 2012, expose avoir passé le 29 novembre 2011, une commande dite "pré-saison" portant sur des produits devant être livrés en février 2012 et pour partie en avril 2012, faisant partie du contrat 2012, que cette commande était un engagement sur un contrat "revendeur agréé" pour l'année 2012 qui est généralement signé deux mois après le début de l'année civile ;

Qu'elle soutient que la société Husqvarna France n'a pas exécuté ses engagements contractuels de bonne foi puisqu'elle l'a mise devant le fait accompli, en signant un contrat de distribution avec un concurrent se trouvant à moins de 5km de son établissement et dans la même zone d'influence, ce qui a modifié l'équilibre du contrat, l'a empêchée de prendre ses dispositions, a vidé de toute substance son fonds de commerce dont le chiffre d'affaires dépendait exclusivement de la distribution des produits Husqvarna France ;

Considérant que la société Husqvarna France réplique qu'aucun contrat de distribution n'a été conclu entre les parties pour l'année 2012, de sorte qu'elle n'est pas susceptible d'en avoir modifié l'équilibre ou d'avoir manqué au devoir de l'exécuter de bonne foi ;

Qu'elle expose que le contrat pour l'année 2011 arrivait à échéance le 31 décembre 2011, toute tacite reconduction étant exclue ;

Mais considérant que la société Husqvarna France ne peut méconnaître que les relations contractuelles entre les parties se sont poursuivies en 2012, sur la base des conditions générales de vente, dès lors que la société Etablissements Gima avait passé le 29 novembre 2011 une commande "pré-saison" portant sur des produits devant être livrés pour partie ferme en février 2012, pour partie modifiable en avril 2012 ;

Qu'il n'est pas contestable que la société Etablissements Gima a passé commande de dépliants publicitaires pour la campagne 2012, qui ont été réceptionnée et facturés par la société Husqvarna France le 23 février 2012 ;

Qu'il est acquis aux débats que la société Etablissements Gima avait conclu en 2009, 2010, 2011, des contrats annuels "revendeur agréé", lesquels ont été signés au début de l'année civile ;

Considérant ainsi, que si aucun contrat de distribution annuel n'a été signé entre les parties pour l'année 2012, il n'en subsiste pas moins qu'elles étaient contractuellement liées par la commande "pré-saison" devant s'exécuter en février 2012 ;

Que le 1er février 2012, la société Etablissements Gima a été informée de la conclusion par la société Husqvarna France d'un contrat avec un nouveau revendeur de la région ;

Que force est de constater que les parties entretenaient des relations commerciales depuis 1990, que la société Etablissements Gima avait conclu avec la société Husqvarna France en 2009, 2010 et 2011 des contrats annuels "revendeur agréé", souscrivant à un engagement de chiffre d'affaires en contrepartie d'avantages ;

Que dans ces circonstances, le premier juge a pertinemment relevé que la société Husqvarna France ne pouvait ignorer que la création d'un nouveau concurrent situé à 5km du magasin de la société Etablissements Gima devait nécessairement avoir un impact négatif sur son chiffre d'affaires, qu'elle n'a informé cette dernière de l'ouverture d'un point de vente concurrent qu'après avoir pris la commande "pré-saison" passée au mois de novembre 2011, pour des volumes cohérents avec ceux des années précédentes, enfermant ainsi la société Etablissements Gima dans une commande désormais surdimensionnée par rapport à ses espérances de vente eu égard à la présence nouvelle et inattendue d'un nouveau concurrent ;

Considérant ainsi, peu important que la société Etablissements Gima n'ait pas bénéficié d'une exclusivité territoriale et que la société Husqvarna France ait accepté d'annuler la commande "pré-saison", il n'en demeure pas moins, alors que les parties étaient en relations contractuelles et commerciales depuis plus de 20 ans et que la société Etablissements Gima ne distribue que des produits de la marque Husqvarna France, qu'en informant la société Etablissements Gima de l'ouverture d'un point de vente concurrent après la conclusion de la commande "pré-saison", la société Husqvarna France a manqué au devoir de loyauté qu'impose toute relation contractuelle, modifiant ainsi l'équilibre du contrat ;

Que par voie de conséquence, la décision déférée, qui a retenu l'absence de bonne foi de la société Husqvarna France dans l'exécution de sa relation contractuelle, sera confirmée ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que la société Etablissements Gima sollicite l'octroi de la somme de 354 850 euro réparant son préjudice ;

Qu'elle produit aux débats une évaluation d'un cabinet d'expertise comptable chiffrant les dommages consécutifs à la cessation de son activité et le préjudice relatif aux relations commerciales avec la société Husqvarna France ;

Considérant que la société Husqvarna France réplique qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la cessation d'activité décidée par les actionnaires de la société Etablissements Gima et la prétendue faute, que le montant réclamé inclut la perte du fonds de commerce et diverses sommes qui ne constituent pas des créances indemnitaires ;

Considérant qu'il n'est nullement démontré que la cessation d'activité de la société Etablissements Gima ait un lien avec la faute reprochée à la société Husqvarna France ;

Que dès lors, la somme de 40 000 euros réparera entièrement le préjudice subi par la société Etablissements Gima en causalité avec cette faute ;

Sur les autres demandes :

Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application ;

Que l'équité ne commande pas de faire application de ces dispositions au titre de la procédure d'appel; que la société Husqvarna France supportera la charge des dépens exposés à l'occasion de ce recours ;

Par ces motifs : Statuant par décision contradictoire, Déclare la société Etablissements Gima irrecevable en ses demandes fondées sur les dispositions de l'article 442-6 du Code de commerce, Confirme le jugement déféré sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués à la société Etablissements Gima, L'infirme sur ce point et statuant à nouveau, Condamne la société Husqvarna France à payer à la société Etablissements Gima la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Husqvarna France aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.